Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 1°
MARS 2005
Quand des Résistants nous transmettent le flambeau 1/4
Avec Raymond Aubrac,
grand Résistant. |
Pascale Fourier : En mars 2004, une dizaine des plus grands résistants de France ont signé un appel à la commémoration du 60ème anniversaire do programme national de la résistance de mars 1944. Programme qui a permis, à la libération la mise en place de la sécurité sociale, des comités d’entreprises, la nationalisation du gaz et de l’électricité, entre autres. Les noms de ces résistants sont : Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey. En mars 2004, avons-nous vu dans les grands médias la commémoration de ce programme ? Non ! Mieux, Le Monde, malgré ces grandes signatures, n’a pas publié dans ses pages « Horizons-débats », malgré des demandes pressantes, cet appel. Alors « Des Sous », modestement, est allé voir certains de ces résistants, de ces résistants que l’on comptera bientôt sur les doigts de la main.... Et là on se lamentera, et là on commémorera, là on parlera de leur combat sans voir peut-être encore une fois qu’ils combattaient, certes pour la libération de la France, contre le nazisme, mais aussi pour des lendemains meilleurs. Leur engagement était aussi politique, social: c’est sans doute ce que l’on voudra oublier. Aucun des résistants que vous allez entendre donc, dans la série d’émissions qui débute aujourd’hui, n’a moins de 80 ans. Et encore aujourd’hui, ils nous transmettent la flamme de la Résistance... à nous de la saisir ! ***
Je suis donc allée voir Raymond Aubrac, grand Résistant, mari de Lucie Aubrac également signataire de l’Appel, arrêté le 21 juin 1943 en même temps que Jean Moulin à Caluire par Klaus Barbie, ensuite Commissaire régional de la République à Marseille de 1944 à 1945. Pascale Fourier : Vous avez signé un Appel à la commémoration du 60ème anniversaire du Programme du conseil national de la ésistance: cela avait permis de mettre en place quoi, à l’époque ? Raymond Aubrac : Le programme du CNR a été un acte très important et finalement nous avons fait un appel pour essentiellement deux raisons :premièrement, le fait que le gouvernement ait complètement occulté la commémoration de la signature de ce programme et deuxièmement le fait qu' un certain nombre des actes et des décisions politiques que préconisait le Programme est petit à petit détruit, grignoté et détruit par la politique actuelle.
Pascale Fourier : Le programme du CNR avait permis la mise en place de la Sécurité Sociale, des retraites…Il y avait un programme social vaste… Raymond Aubrac : Le programme du CNR, comme vous le dites à juste titre, voulait en gros établir une démocratie plus tolérante, plus efficace, plus juste. C’est un programme basé surtout sur la justice. Il préconise, il demande la nationalisation des grands moyens de productions, des banques, des compagnies d’assurances. Il demande l’établissement d’une sécurité sociale qui garantisse à tout le monde un niveau de vie suffisant. Il demande la liberté de la presse surtout vis-à-vis des puissances d’argent. Et en effet dans les premières années après la Libération, un certain nombre de ces recommandations ont été suivies d'effets. Et puis avec le temps, avec les équilibres de forces politiques, on constate maintenant que petit a petit ce qui a été fait par une France exsangue, détruite, malheureuse, pleine des blessures de la guerre est petit a petit détruit, défait par une France qui est maintenant dix fois, vingt fois plus riche qui aurait pu continuer dans cette voie de progrès et qui ne le fait pas ! Pascale Fourier : Des sous et des hommes, toujours en compagnie de Raymond Aubrac. Je voulais savoir pratiquement comment s’était mis en œuvre l’esprit de la Résistance à la Libération. Alors j’ai demandé à Raymond Aubrac un exemple concret de cet élan qui a porté la France à la Libération... Pascale Fourier : Vous m’avez raconté, hors micro, une anecdote qui montrait qu’en 1944 on pouvait prendre une décision politique telle qu’on mettait en avant l’intérêt général plutôt que la recherche du profit. Est-ce que vous pourriez la réévoquer? Raymond Aubrac : En réalité, ce à quoi vous faite allusion, c’est la péripétie des réquisitions des entreprises à Marseille. En quelques mots : au moment de la Libération, le port de Marseille, à 60 - 70 % détruit, se transforme en une grande base américaine pour alimenter la campagne d’Europe. Et cette base américaine a besoin d’un très grand nombre de services annexes qui se traduisent par des groupes d’entreprises indispensables au fonctionnement d’un grand port, à la réparation des matériels, à la remise en état du matériel ferroviaire, etc..Les patrons de ses grandes entreprises ont disparu. La plupart d’entre eux ont été très largement collaborateurs avec les Allemands; et au moment de la Libération, quelques uns se retrouvent en prison, et les autres quittent Marseille et s’en vont. Par contre les ouvriers, sous l’égide de leurs syndicats, la CGT, ont pris une part importante à la Résistance. Ce sont eux qui ont été le fer de lance d'une insurrection qui a durée huit jours! Et surtout, tout de suite après la capitulation des Allemands, ils rentrent dans leurs usines et veulent que leurs usines fonctionnent. A l'époque, je me trouvais être Commissaire de la République et chargé de rétablir la légalité, mais aussi d’assurer, autant que possible, le fonctionnement de la vie économique. Devant une situation où les ouvriers sont dans les usines et veulent travailler mais les patrons sont partis, eh bien j’ai appliqué la loi de la République, la loi de 1938. Et j’ai réquisitionné une quinzaine de grandes entreprises groupant plus de quinze mille ouvriers au total. Et à partir de ce moment-là, les ouvriers ont eu le sentiment qu’ils ne travaillaient plus pour apporter des bénéfices à un patron, mais qu’ils travaillaient pour l’effort de guerre et pour le bien collectif. Et quand je visitais les ateliers et les halles d’usines, je trouvais des grandes banderoles: « la notion de service a remplacé la notion de profit ». Et on a constaté une grande vague d’enthousiasme. Je dois dire que sous l’inspiration du Programme du CNR, nous avions mis en place un système dans lequel la main d’œuvre, les salariés des entreprises participaient réellement à la gestion. Ils n’étaient pas simplement consultatifs comme dans les actuels comités d’entreprises; ils participaient réellement à la gestion au côté d’un directeur nommé en qui ils avaient toute confiance. Et cette participation des ouvriers, des cadres et des ingénieurs à la gestion a donné des résultats fonctionnels tout à fait remarquables.
Pascale Fourier : Tout à l’heure vous évoquiez le fait que la loi de la République avait été mise au service de l’intérêt général... Mais là actuellement, on a l’impression qu’on est en train de nous dire, notamment par l’intermédiaire des médias, que l’intérêt général, c’est d’accepter absolument tout, d’accepter le détricotage systématique de tous les acquis de façon à ce que la France puisse rester compétitive. Qu’est-ce que vous pensez de cette vision des choses ? Raymond Aubrac : Moi, je crois que l’erreur est démontrée par l’Histoire finalement: au lendemain de la guerre, la France est très pauvre; elle est blessée; elle a encore un million de prisonniers; elle a des centaines de milliers de destructions, le terrain est couvert de mines- j’en sais quelque chose puisque j’ai été personnellement chargé du déminage de la France après la guerre- . Et moyennant quoi, elle retrouve son rang, elle reprend son rang parce que la population est animée par une volonté quasi-unanime de reconstruction. Parce que mes usines de Marseille travaillent 75 heures par semaine volontairement, parce que quand on a des problèmes difficiles, tout le monde cherche ensemble la solution. Ce sont finalement les ouvriers des usines de Marseille qui ont pu recruter la main d’œuvre spécialisée qui nous manquait sur place qu’ils ont, eux-mêmes, fait venir du reste de la France. Tout ça a constitué un élan vital, un faisceau d’énergies qui n’existe plus. Finalement le rayonnement du pays, son progrès, sa reconstruction d’abord, et son progrès ensuite dépend de ces facteurs-là beaucoup plus que des cotations sur le marché, des cotations en bourse, des OPA ou des manipulations sur la structure des entreprises privées. C’est mon avis . Pascale Fourier : Un des rôles des politiques devrait être, non pas tant d’être pédagogue, comme on l’entend tous les jours, mais plutôt être porteur d’espoir, dans un espoir de construction collective... Raymond Aubrac : Oui, alors les politiques ont une responsabilité, mais les médias aussi. Moi, je suis frappé par le fait, -c’est peut être lié aux connections établies entre les médias est le pouvoir financier-, je suis frappé par le fait que les médias nous apportent constamment un message négatif ! Quand je m’assieds devant mon poste de télévision à 20 heure, 60 ou 70 % de l’émission est faite pour me faire peur ! On veut me faire peur ! On veut me faire peur sur des actes individuels ou sur des décisions collectives... Je ne vois jamais rien de positif. Et ça, vous devriez en parler un peu à vos collègues des médias. Quand on discute avec eux , ils en conviennent et ils déclarent que c’est ce que demande le public en général. En fait, le public, il ne s’exprime pas! Il ne s’exprime pas. Il ne s’exprime que par la sinistrose, le manque d’élan et le fait que ce pays devienne frileux. Il devient frileux parce qu’il a peur, et il a peur parce qu’on lui fait peur. Responsabilité des médias est, à mon avis, incontestable. Pascale Fourier : Qu’est ce que vous espérez éventuellement des jeunes générations, quel sursaut, la mise en place de quoi ? Raymond Aubrac : Je suis un optimiste, je crois l’avoir démontré dans toute ma vie. Une des causes d’espoir que j’ai l’occasion de constater, c’est le comportement des jeunes. Contrairement à ce que beaucoup pensent et à ce que quelques-uns disent, les jeunes ne sont pas du tout indifférents à l’évolution de la société. Ils ne sont pas non plus indifférents à leur propre sort, et j’en vois la démonstration dans les nombreuses réunions que je fais avec des jeunes dans des collèges et des lycées qui sont représentatifs par définition de toutes les composantes de la société. Et quand ces jeunes nous demandent, - « nous », c'est-à-dire quelques vieux survivants de ce qui s’est passé il y a soixante ans- , nous demandent ce que nous avons fait, pourquoi nous l’avons fait, comment nous l’avons fait, quelles étaient nos motivations, il est clair que les questions qu’ils posent et l’attention qu’ils portent à nos réponses correspondent à une préoccupation chez eux, directe. Et pour moi, c’est une cause d’espoir à condition naturellement que cet effort d’information de la jeunesse, d’appel à la réflexion soit poursuivi, continué et amplifié. Pascale Fourier : Justement un des aspects du Programme National de la Résistance était une libération des médias des puissances d’argent. Est-ce que vous pensez qu’il y a un réel problème actuellement au niveau de la presse et des médias d’une façon générale? Raymond
Aubrac :
Oui, alors ça me paraît absolument évident! J’ai
l’impression que l’ensemble des médias est entre
les mains d’un nombre très limité de gens. Et que
le hasard fait, le hasard j’insiste la-dessus ! , fait que
ces gens sont en même temps des grands financiers, des grands
capitalistes. Quand je dis le hasard, naturellement, c’est par
dérision... Il est clair que c’est à cause de leur
puissance économique, de leur puissance financière, de
leur poids politique aussi qui va avec, qu’ils ont pu mettre la
main sur les médias, et la puissance publique a été
impuissante à les en empêcher, pour autant qu’elle
ait essayé de le faire, ce que je ne crois pas. Pascale Fourier: Voila donc, c’était Des Sous... et des Hommes en compagnie de Raymond Aubrac. La semaine prochaine nous pourrons écouter Philippe Dechartre, ancien Grand Résistant lui aussi, gaulliste de gauche comme il le dit lui-même, ancien ministre de de Gaulle... Un homme de droite, mais d’une droite qu’on aimerait entendre plus souvent... Un homme remarquable et une grande rencontre. J’espère que vous serez dernière les postes. A la semaine prochaine.
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 1° Mars 2005 sur AligreFM. Merci d'avance. |