Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 5 JUIN 2007

Le marché des droits à polluer...

Avec Aurélien Bernier, responsable de la Commission OGM à Attac

 

Pascale Fourier : Et notre invité, aujourd'hui sera Aurélien Bernier, que nous avions déjà entendu comme responsable de la commission OGM du mouvement Attac. Aurélien Bernier, je l'avais appris, travaillait sur les droits à polluer, ces "machins" inventés dans le cadre du protocole de Kyoto. Je ne voulais pas laisser passer cela. Mais, Aurélien est un vrai courant d'air qu'il faut toujours coincer entre deux trains. On voulait faire deux émissions. Mais, plus de train pour Poitiers après 20 heures 25. Du coup, du lourd, du compact, 26 minutes d'entretien sans pause musicale. Bonne écoute.

Je suis plutôt contente, parce que, visiblement Nicolas Sarkozy veut faire de l'environnement quelque chose qui sera vraiment très important. Et je me dis qu'il est enfin temps que dans Des Sous on parle d'environnement, parce que j'ai déjà eu un certain nombre de griefs. Il faut dire que je m'étais dit que tout avait été résolu par le protocole de Kyoto, et que certes les USA n'avaient pas signé, mais que, à la limite, si on arrivait à réussir ça un jour, tout irait bien... J'ai bien raison ?

Aurélien Bernier : Totalement. (Rires).

Pascale Fourier : En tous les cas, moi, ce que j'ai compris, c'est que c'est un mécanisme qui a été mis en oeuvre et qui doit arriver au fait que les émissions de CO2 vont, naturellement pour ainsi dire, s'amoindrir.

Aurélien Bernier : "Naturellement", c'est beaucoup dire. En fait, il y a un mécanisme qui a été mis en place par la communauté internationale et, effectivement, on a eu des négociations relativement longues pour aboutir à des objectifs de réduction chiffrée des émissions de CO2, le CO2 étant le principal polluant responsable de l'effet de serre. On s'est aperçu que l'effet de serre est un problème relativement grave et urgent à traiter.

Donc, on a eu des négociations, pour mettre en place un protocole qui est le protocole de Kyoto, qui vise à réduire les émissions de polluants. La référence qui a été prise, c'est l'année 90, et le protocole de Kyoto a été négocié à partir de 1997. On a un objectif de 5.2 % qui a été affiché. En fait, quand on regarde dans le détail cet objectif, 5.2 % de réduction des émissions de CO2, ça concerne les pays dits "développés" qui sont les seuls à avoir des objectifs chiffrés et qui sont responsables de 40 % des émissions mondiales. Donc, c'est déjà 5.2 % de 40 %. Et puis, quand on compare au moment où ça a été négocié, par rapport à la situation de 1990, on avait déjà une réduction effective à ce moment-là qui était de 4.8 %. Donc, pour aller de 4.8 à 5.2, il faut encore réduire de 0.4. Donc 0.4% de 40 % des émissions mondiales.

Ceci dit, les Etats des pays développés se sont engagés sur cette réduction. Et, derrière on a plusieurs mécanismes, qu'on appelle des "mécanismes de flexibilité", qui visent à permettre que cet objectif soit atteint avec un peu de souplesse. Et c'est là que ça commence à devenir intéressant, parce que le premier mécanisme de flexibilité qui a été introduit, c'est un mécanisme de marché. Qu'est-ce qui a été décidé ? Il a été décidé que les Etats délivreraient des autorisations, des quotas, pour émettre du CO2. Donc en fait, chaque État dispose d'un volume de quotas, qu'il attribue derrière à ses entreprises, à ses sites polluants. Et une fois que cette attribution est faite, on a un marché des changes des quotas de CO2, où une entreprise qui pollue beaucoup et qui ne dispose pas de suffisamment de quotas peut en acheter sur le marché. Et inversement, une entreprise qui a eu un volume de quotas et qui ne les consomme pas, peut les revendre. Donc en fait, on est sur une espèce de Monopoly où à la place des billets de banque, on délivrerait des droits à émettre du CO2, et puis on fait une partie qui dure un certain temps, où les entreprises émettent des polluants, et en fin de partie, chaque entreprise concernée doit restituer autant de quotas que de tonnes de CO2 qu'elle a dû émettre. Voilà un peu le principe. Et les gens qui ont négocié et qui ont obtenu ce marché partent du principe que cela permettra d'atteindre les objectifs de réduction.

Pascale Fourier : Avec toujours le même nombre de billets de banque de Monopoly chaque année ?

Aurélien Bernier : En fait, c'est un système qui marche par période. Donc, la période couverte par le protocole de Kyoto va de 2008 à 2012 : ça, on peut considérer que c'est une partie. Sauf que, pour s'habituer au mécanisme, l'Union Européenne a mis en place un marché en janvier 2005, et donc c'est un peu une partie à blanc entre de 2005 et fin de 2007. Les Etats de l'Union ont dû faire ce qu'on appelle un "plan d'allocation des quotas", pour justement distribuer le volume de quotas qu'ils avaient à leur sites polluants. Ca, c'est le premier mécanisme. Et, on a à volume constant.

À côté de ça, on un deuxième mécanisme de flexibilité. Un investisseur va développer un projet dit « propre », c'est-à-dire un projet qui permet soit de réduire, soit d'éviter d' émettre du CO2 dans des pays en voie de développement - donc en fait des pays qui ne sont pas concernés par des objectifs chiffrés de réduction dans le cadre du protocole de Kyoto. Par exemple, une entreprise française va mettre en place un projet éolien au Maroc ou alors un projet qui va réduire les émissions d'une usine en Chine. Alors on calcule un "volume d'émissions évitées", et ce volume est mis sur le marché. Ce sont des titres qui ont des appellations différentes. Mais on a ce qu'on appelle une "fongibilité", et ces titres peuvent servir à respecter ses engagements vis-à-vis du protocole de Kyoto. On a des cas, par exemple comme l'entreprise Rhodia qui a fait des investissements dans des filiales qu'elle avait dans des pays en voie de développement, qui a récupéré une quantité assez importante de quotas, et derrière qui les a valorisés, c'est-à-dire qui les vend sur les marchés, et donc qui fait des bénéfices assez faramineux avec. Donc, on introduit une mécanique spéculative et en plus on augmente artificiellement le volume de quotas de tonnes de CO2 mises sur le marché.


Pascale Fourier : Quand vous dites qu'il y a un "marché du droit à polluer", ça veut dire que le prix de la tonne de carbone par exemple, n'est pas fixe ? On peut jouer avec ? On peut faire monter les prix ?

Aurélien Bernier : Alors, c'était l'objectif du protocole, c'est-à-dire on a une pollution qui jusqu'à maintenant était gratuite pour les entreprises polluantes. Donc, les libéraux qui ont imaginé ce dispositif, parce que c'est un dispositif d'inspiration totalement libérale, ont argumenté en disant que ce marché permettrait de définir un prix de la tonne de CO2. Alors, effectivement, ça permet de définir un prix. Donc, à l'ouverture du marché européen, on avait un prix de la tonne de CO2 qui était nous autour d'une trentaine d'euros, qui est resté aux alentours de 30 € pendant un certain temps, simplement parce qu'on n'avait pas de bilan des émissions réelles par rapport au volume de quotas qui avaient été attribués. Et puis, quand il y a eu publication des premiers bilans, on s'est aperçu que les Etats avaient été extrêmement généreux dans l'attribution de quotas à leurs entreprises, que quasiment toutes les entreprises, tous les sites polluants, respectaient globalement les engagements, et donc, du jour au lendemain , le cours de la tonne de carbone s'est effondré. Il a été divisé par deux en quelques jours et depuis il n'arrête pas de descendre. Ces derniers temps, il est passé en-dessous de la barre des 0,50 euros. Donc de 30 € à l'ouverture du marchés du carbone à aujourd'hui un peu moins de 0,50 €...

Cela montre que les Etats ont complètement échoué dans cette première période, d'une part parce qu'on a eu une sur allocation qui est largement dû aux lobbying des entreprises qui ont en grande partie tenue la plume des Etats pour les attributions de quotas, et puis derrière, on tire de ces maintenant un plus de deux ans de marché quelques enseignements, notamment le fait que des entreprises spéculent sur l'environnement et donc sur le marché du CO2.


Pascale Fourier : De quelle façon ?

Aurélien Bernier : Le cas Rhodia est quand même assez intéressant, parce que c'est une entreprise il y a quelques années qui frôlait le dépôt de bilan. Il y a eu des scandales financiers chez Rhodia... Le cours de l'action était au plus bas, autour de 1 euro. Et puis les dirigeants de Rhodia ont eu la bonne idée, quand ils ont vu que le marché du CO2 allait se créer, de prendre deux usines qui polluaient énormément dans des filiales, une usine en Corée et puis une usine au Brésil, de faire des travaux pour réduire la pollution : ils ont investi 14 millions d'euros pour dépolluer ces usines et donc ont généré des quotas supplémentaires qui sont venus gonfler le volume de quotas qui avait été distribué par les Etats. Et donc, Rhodia, grâce à ses quotas récupérés peut envisager un bénéfice de 200 millions d'euros par an, sur la durée de 2008 à 2012, soit la durée du protocole de Kyoto.


Pascale Fourier : Il y a un petit truc que je n'ai pas compris... C'est idéal, cette histoire de protocole de Kyoto, non? Parce qu'à terme, ça limite les émissions de CO2. Elles sont contingentées pourrait-on dire, elles ne vont pas pouvoir dépasser un certain seuil. Et c'est même très facile éventuellement de faire descendre de 0.4.

Aurélien Bernier : Oui, c'est ce qu'on pourrait se dire et c'est peut-être ce que certains ont cru au début. Mais, en fait, le fait de pouvoir augmenter la masse de quotas avec des projets qui sont réalisés dans des pays en voie de développement, ça veut dire que ça dédouane, ça peut dédouaner les entreprises polluantes dans les pays développés qui vont pouvoir investir dans ces pays en voie de développement et récupérer des quotas supplémentaires.

Ce qui est intéressant, c'est de voir que, en Europe où on a déjà un niveau de pollution relativement bas, toutes proportions gardées, et un niveau technologique assez élevé, économiser 1 tonne de carbone en Europe coûte cher. En plus, on a un coût du travail qui est encore à peu près correct, enfin en règle générale, et donc, la tonne économisée, ça a été calculé et en moyenne, ça coûte environ 80 euros. Maintenant, économiser 1 tonne de carbone en Chine, ça coûte 3 euros...

Une entreprise qui prend sa calculette et qui va avoir besoin soit de réduire ses émissions de polluants, soit de récupérer des quotas supplémentaires, à partir du moment où elle a la possibilité de délocaliser, ou à partir du moment où elle a des filiales dans des pays en voie de développement, comme c'est le cas de beaucoup de multinationales polluantes, le calcul économique est vite fait, et elles vont avoir intérêt à développer des projets dits « propres » en Chine, en Inde ou au Brésil. Et on a vu pendant la première période du marché européen énormément de projets se développer pour des quantités de carbone évitées assez phénoménales. Donc on va sur ce genre de mécanismes...

Et en plus, ce qui est quand même pervers, c'est que déjà les entreprises vont avoir tendance à aller vers les projets les plus rentables où on peut économiser beaucoup de tonnes de carbone en investissant le moins possible d'argent. D'ailleurs, on peut trouver sur certains sites Internet les conseils de certaines firmes pour faire des bons projets dans ce qu'on appelle « les projets issus du mécanisme du développement propre »... en gros, c'est que ce soit le plus facile à mettre en oeuvre, évidemment le plus rentable, que ça puisse se reproduire éventuellement sur d'autres sites. Donc, on est vraiment dans une logique de rentabilité. On risque de voir se développer encore ce type de projets et en plus dans des pays qui naturellement sont intéressants pour les investisseurs.

La Banque Mondiale vient de publier, là au mois d'avril, un bilan du marché du carbone, comme elle le fait assez régulièrement. Eh bien on voit que 60 % des projets de ce type-là se font en Chine où on a un gisement énorme de quotas de CO2. On a 12 % des projets qui se font en Inde; il y en a quelques-uns au Brésil, au Mexique. Quand on regarde un pays comme l'Afrique, ça représente 3 % des tonnes de CO2 économisées par ces projets. Et, les projets se situent principalement, en Afrique du Nord et en Afrique du Sud, et donc l'Afrique noire est complètement absente. Et en plus, la Banque Mondiale justifie en disant: "C'est normal parce qu'en fait, on évalue les projets en fonction de la quantité de CO2 évitée". En Afrique Noire, vous avez des pays où 10 % de la population a accès à l'énergie, et en plus, ce sont des modes de production qui sont propres en matière d'émissions de CO2: on est sûr de l'hydraulique par exemple. Et donc il n'y a aucun intérêt pour les investisseurs à aller installer des solution de production d'énergie dans le cadre du protocole de Kyoto dans ces conditions-là puisqu'on n'économise pas de tonnes de CO2.On est ciblé donc sur des pays qui attirent naturellement les investisseurs et qui vont encore les attirer grâce à cette mécanique-là.


Pascale Fourier : Mais on pourrait vous dire que finalement tout cela est quand même fort bien parce qu' effectivement la Chine en particulier est un pays qui est extrêmement polluant. Donc finalement, si on regarde les choses globalement au niveau du monde, qu'on dépollue ici en France, ou ici en Europe, où là-bas en Chine, au niveau du monde en entier, ça ne change rien. Donc c'est bien justement ce mécanisme qui permet de faire qu'on va faire des installations propres en Chine, non ?

Aurélien Bernier : Oui. Mais le fait de faire des installations propres en Chine, c'est tout à fait intéressant sauf que les pays dits "développés" sont quand même historiquement responsables des émissions de CO2, et donc en grande partie du réchauffement climatique, et que, sous prétexte de lutte contre ce réchauffement de climatique, on crée une mécanique totalement libérale, avec des effets pervers qui sont terribles. Et ce qui est relativement aberrant, c'est qu'on a mis de côté les autres solutions qu'on pouvait imaginer. Alors elles ne marchent pas forcément toutes, elles ne sont pas toutes idéales, mais on a vraiment privilégié le marché, parce que c'est ce qui intéressait les investisseurs, et puis les Etats qui défendent les grandes puissances financières.

Il faut savoir qu'au début de l'Union Européenne était relativement hostile au principe du marchés des droits à polluer et que les États-Unis ont pesé pour que ce marché se mette en place dans le cadre du protocole de Kyoto, avant de refuser de signer. C'est quand même assez étonnant puisqu'ils ont participé aux négociations, qu'ils continuent à participer aux négociations, mais ne sont pas impliqués dans le protocole de Kyoyo.

Et donc, on a laissé de côté, tous les autres instruments qui auraient permis de réellement diminuer, et peut-être de diminuer de façon plus juste, de façon plus efficace, les rejets de CO2. Evidemment il y a la réglementation, les normes, il y a d'autres instruments économiques, comme les taxes, qui ont été mises de côté pour privilégier un mécanisme qui est celui des multinationales et dont l'efficacité n'est absolument pas démontrée - c'est même plutôt le contraire puisque les émissions mondiales continuent à augmenter.

Pascale Fourier : Moi décidément, je trouve quand même la situation idéale, absolument idéale: vous avez des pays européens qui finalement sont contraints - ils trichouillent un petit peu en implantant des usines propres dans des pays du tiers-monde, ça leur permet d'augmenter leur quotas, mais enfin bon- et d'un autre côté, ça permet justement que des entreprises "propres" soient mises en place dans des pays extrêmement polluants comme la Chine ou ailleurs. Du point de vue de l'ensemble de la planète, c'est vraiment bien ! Je ne vois pas ce qu'on pourrait inventer de mieux, à la limite. On est contraint d'un côté, de l'autre côté on implante des choses mieux chez les autres. C'est bien !

Aurélien Bernier : Ca, c'est la façon dont les gens qui défendent ce système-là peuvent présenter les choses. Il y a plusieurs éléments pour répondre. Les projets dits « propres », comparés aux enjeux si on voulait réellement lutter contre le réchauffement climatique, ça reste malgré tout des quantités évitées relativement faibles, voire même très faibles.

En fait, on a les pays en voie de développement et les pays développés qui se renvoient la balle, les pays en voie de développement disant : " Ecoutez, vous avez pollué pendant pendant des décennies, et vous êtes responsables en tant que pays développés du réchauffement climatique, nous on commence juste à se développer, et vous voulez nous brider". Donc un pays comme la Chine ou un pays comme l'Inde ne veulent pas entendre parler de réduction chiffrée. Et inversement, les États-Unis ou l'Australie disent : " Si jamais la Chine n'a pas d'objectifs, c'est quelque part de la concurrence déloyale, et nous, on n'est pas prêt à s'engager si jamais les Chinois ne s'engagent pas". Donc, on est dans une mécanique assez perverse.

Et puis encore une fois, la contrainte est extrêmement faible par rapport aux enjeux du réchauffement climatique. Les industriels ont réussi à négocier des objectifs qu'ils ont parfaitement réussi à atteindre, ce qui explique l'effondrement du cours de la tonne de CO2.
Et encore une fois on oublie complètement d'autres mécanismes possibles, qui seraient beaucoup plus efficaces au niveau environnemental, et qui seraient beaucoup plus justes, d'un point de vue social, éthique, tout ce qu'on veut. Par exemple, si on mettait en place une taxe sur les importations, qui serait assise sur le contenu énergétique, le contenu en carbone des produits qu'on importe, et on peut rajouter aussi, pour ne pas parler que d'environnement, de clauses sociales, on aurait un moyen particulièrement efficace de lutter contre le réchauffement climatique parce que les sites de production s'adapteraient en fonction, pour ne pas se couper de certains marchés.

Evidemment, quand on parle de ça, on pense tout de suite" protectionnisme". Mais on pourrait très bien avoir une taxe de ce type dont les recettes seraient injectées pour développer des projets propres, réellement propres, des projets sérieux, dans des pays en voie de développement. Et ça, c'est un système qui est tout à fait viable.

De la même façon, sur les activités résidentes au niveau d'un État, on pourrait aussi imaginer une taxe carbone énergie : en fait, on taxe les entreprises en fonction de leur consommation d'énergie et de leur consommation de CO2, et puis pour leur permettre de s'adapter, on pourrait très bien imaginer que cette taxe soit mise sur un compte, en tout cas pour partie, sur un compte bloqué individualisé, pour chaque entreprise, et que ce compte soit réservé uniquement à des investissements dans des technologies propres, dans les technologies de dépollution. Ca, c'est des choses qui sont parfaitement intéressantes, qui a priori sont tout à fait efficaces, et qui ont été écartées parce que ce n'était pas ce qui convenait aux entreprises multinationales.

Pascale Fourier : Parce que ça donnait trop de place aux Etats ?

Aurélien Bernier : Ça donne encore une fois trop de place aux Etats... Il faut savoir que cette logique du marché du carbone, c'est quelque chose qui a été théorisé par les libéraux, justement en disant qu'il faut réduire la place de l'État et laisser faire le marché. On est vraiment dans cette logique-là. Et voilà : avec les quotas de CO2, c'est l'aboutissement de la logique des économistes libéraux. Ce qui est très inquiétant même, c'est que ça devient la solution. Et que maintenant, quand on a une pollution quelconque, tout de suite ce qui est préconisé, c'est les marchés de droits. Aujourd'hui, en France, on est en train d'élaborer des marchés de droits par exemple pour l'épandage des effluents d'élevage. On laisse donc tomber les contraintes réglementaires. On laisse tomber la taxation qui a quand même l'avantage de générer des recettes. Et on laisse faire le marché avec les risques que l'on connaît, c'est-à-dire la spéculation. On n'a pas encore vu ça pour l'instant sur le marché du CO2 parce que les enjeux ne sont pas suffisament là. Mais une entreprise ou un groupe financier qui se déciderait à racheter tout ce qu'il peut comme tonnes de CO2 et puis à le revendre brusquement pour faire chuter les cours, enfin des choses que l'on peut voir sur les marchés financiers, qu'est-ce que ça pourrait donner ? Eh bien aujourd'hui on n'en a à peu près aucune idée. Et puis on met en place ces marchés sans véritablement de régulation. On pourrait imaginer des outils de régulation pour que l'on ne puisse pas concentrer des quotas de CO2 aux mains d'un même détenteur. Ca, ce sont des choses qui sont aujourd'hui complètement mises de côté. Donc, on a tous les risques du marché, sans aujourd'hui d'intérêt environnemental démontré, et avec des conséquences sociales qui sont relativement graves. Parce que, très vite, l'intérêt des entreprises, ça va être plutôt que de faire des investissements en Europe, dans les pays développés, ça va être de les faire en Chine, là où la tonne de CO2 évitée ne coûte pas cher, là où le coût du travail est le plus bas possible. Et puis on commence à avoir du chantage aux délocalisations avec l'industrie du transport par exemple qui dit : " Si on on a des réglementations trop contraignantes, nous on va aller produire des voitures dans les pays en voie de développement".

Pascale Fourier :Et oui donc c'était Des Sous Et Des Hommes, donc, en compagnie de Aurélien Bernier. Ce que je sais c'est que Aurélien travaille encore et encore sur le sujet. Et bientôt on verra probablement apparaître, sur le net notamment, des documents bien faites, très claires dont j'ai eu la primeur: n'hésitez pas à les chercher grâce à un moteur de recherche de temps en temps.

A bientôt !

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 5 Juin 2007 sur AligreFM. Merci d'avance.