Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 13 NOVEMBRE
2007
Après le Grenelle de l'environnement...
Avec Aurélien Bernier, responsable de la Commission OGM à Attac - http://abernier.vefblog.net/ |
Pascale Fourier : Notre invité aujourd'hui sera Aurélien Bernier, responsable de la commission OGM du mouvement ATTAC. Alors en réalité, actuellement, il n'y a qu'un seul sujet qui m'intéresse, c'est le traité simplifié. Eh oui ! Ce n'est pas tous les jours qu'on a un aussi beau déni de démocratie devant les yeux. Mais il n'y a qu'un seul argument, un seul - c'est justement l'argument démocratique - pour demander de façon farouche si c'est possible, de préférence à nos députés socialistes, de faire obstacle à ce traité en imposant un référendum. Il n'y a qu'un seul moyen, je vous le rappelle, ça consiste à faire en sorte que justement les socialistes ne votent pas Oui à la réforme constitutionnelle qui doit précéder la ratification de ce traité... Mais quoi qu'il en soit, l'actualité continue de tourner. Il y avait eu un Grenelle: je ne m'étais intéressée à rien.., mais je savais qu'Aurélien Bernier, lui, s'y était intéressé, alors je l'ai fait venir... Vous avez suivi attentivement ce qui est passé au Grenelle de l'environnement et je voulais justement poser des questions, parce que moi, je me suis un peu désintéressée de cette question parce que j'avais un traité simplifié sur le feu. Et qu'est-ce qui s'est passé pendant ce temps-là ? Enfin, d'après ce que j'ai entendu vaguement dans les médias, que du bon ... Aurélien Bernier : Que du bon, il ne faut pas exagérer. C'est quand même plus compliqué que ça. Mais c'est vrai que l'on a un Grenelle dont les résultats sont assez étonnants. On a beaucoup parlé de la procédure dans les médias. On avait six groupes de travail thématique où on avait des gens de la société civile, qui est donc un joyeux mélange où on retrouve des industriels, des syndicalistes, des associations, et puis l'État. Et donc, 6 groupes de travail. Un premier sur le climat et l'énergie ; un sur la biodiversité ; un sur la santé ; un sur la production et la consommation durable ; un sur la gouvernance qui est une notion quand même assez floue; et un sur les modes de développement écologique privilégiant la compétitivité et l'emploi. C’est donc un assez joli programme. Ces groupes étaient chargés d'élaborer une liste de propositions, et au final, c'était évidemment le Président de la République qui tranchait. Donc pas mal d'analystes, d'associations avaient prédit un Grenelle très médiatique mais avec assez peu de contenu. Et, en fait, c'est assez surprenant de voir que, au contraire, on a un vrai contenu, on a des vraies décisions de prises, des décisions qui engagent l'État, qui engagent les pouvoirs publics et, sur pas mal de points, des décisions qui vont dans le bon sens au niveau de l'environnement. L'engagement de l'État par exemple, il est sur le transport avec des annonces de 1000 km de lignes de TGV supplémentaires, avec une annonce de taxation des camions étrangers qui vont traverser la France, de développement du transport collectif. On a également des annonces fortes en matière de rénovation du logement, qui vont même au-delà de ce que les associations revendiquaient pendant le Grenelle. Et puis des mesures qui concernent ce qu'on appelle les « produits verts », donc les produits respectueux de l'environnement, et notamment via la commande publique où Nicolas Sarkozy s'est engagé à réformer le code des marchés publics pour rendre obligatoire l'intégration de critères environnementaux. Donc, ça, c'est une vraie mesure qui a du poids puisque ça représente 234 millions d'euros par an: c'est à peu près 15 % du PIB, donc ça peut avoir effectivement un poids important et un effet de levier sur les entreprises. Donc on a cet engagement de l'État qui est assez marqué et, en même temps, on a vraiment des références à la croissance verte, quelque chose qui doit favoriser les entreprises et qui doit permettre de relancer la croissance par l'environnement. Et la dernière chose, qui est assez surprenante, qui pose pas mal de questions, c'est que certaines thématiques sont évidemment renvoyées au niveau européen. C'est le cas par exemple pour les OGM où le gouvernement annonce une suspension en France de l'autorisation de semer les OGM, mais où, évidemment, les décisions plus larges peuvent se prendre au niveau européen. Et on a également une position, qui est encore plus étonnante quand on connaît le côté très libéral de ce gouvernement, qui est de taxer aux frontières les produits qui proviennent de pays qui ne respectent pas le protocole de Kyoto, donc de nouveaux droits de douanes, une proposition qui était dans le programme électoral de Sarkozy, et qui réapparaît au Grenelle. Sarkozy annonce qu'il portera cette proposition au niveau européen. Donc il se passera des choses à l'échelon européen et pendant la présidence française de l'union, qui est l'année prochaine.
Aurélien Bernier : Oui. Alors ça, c'est le vrai problème de fond. Comment est-ce qu'on peut faire aujourd'hui une politique environnementale ambitieuse, avec des objectifs de justice sociale ? Et là il n’y a clairement pas de réponse, ce qui n'est pas très étonnant non plus. Donc on peut effectivement penser que ça va encore retomber sur les personnes à faibles revenus. La seule mesure intéressante, qui va plutôt dans le bon sens, c'est la baisse annoncée de la TVA pour les produits respectueux de l'environnement. Donc des produits qui auraient un label environnemental pourraient avoir une TVA à taux réduit. Ce qui serait aussi logique, ce serait d'avoir une TVA à un taux bien supérieur pour des achats qui sont nocifs pour l'environnement. On retrouve un peu cette logique aussi au niveau de la pastille pour les véhicules - une espèce de retour de vignettes en fonction des caractéristiques environnementales des véhicules. Mais, effectivement, la question de savoir qui va supporter le coût des actions qui sont mises en place est une question qui n'est pas résolue aujourd'hui. Pascale Fourier : Qui ne peut pas l'être ? Ou que ce gouvernement-là n'a pas cherché à résoudre ? Aurélien Bernier : Non. Que ce gouvernement-là n'a pas cherché à résoudre. Parce que, après, on peut imaginer un tas de choses qui permettent justement que l'environnement ne soit pas quelque chose de discriminant et qu'on puisse avoir une vraie justice sociale. Mais à ce moment-là, il faut s'attaquer à la question libérale, à la question du libre-échange, et faire vraiment de la politique qui aille à contresens de ce qui est fait aujourd'hui, ce qui n'est quand même pas la volonté du gouvernement, loin de là. On peut même analyser les résultats de ce Grenelle, en se disant : « Nicolas Sarkozy a été élu avec un programme complètement vide en matière d'environnement. Il convoque un Grenelle, une fois élu, alors qu'a priori il n'en a pas besoin. Il sort des choses de ce Grenelle, contre toute attente. Est ce qu'on n'est pas face à un rideau de fumée ? Une fumée qui serait verte, et pas noire, mais un rideau de fumée qui permet de masquer les politiques libérales qu'il va mener par ailleurs et qu'il va mener en s'en donnant à coeur joie ». Donc ça peut être une bonne diversion effectivement de jouer sur cette question environnementale, de faire réellement des choses. Parce que, pour que ça puisse faire diversion, il faut que ça puisse être concret et que ce ne soit pas trop soumis à contestation, y compris au niveau européen. C'est-à-dire que, quand Sarkozy annonce qu'il va faire des choses, pendant la présidence de l’Union, sur l'environnement, eh bien peut-être qu'il ira effectivement jusqu'au bout, et qu'il montrera qu'il peut avoir, qu'il peut déclencher des actions européennes en matière d'environnement. Mais ce qui ne l'empêchera pas, par derrière, de continuer à casser les services publics, à pratiquer des politiques libérales, sur lesquelles il n'y a aucune chance qu'il fasse marche arrière.
Aurélien Bernier : Moi je pense que non, c'est-à-dire qu'on ne peut pas faire de l'environnement pour faire de l'environnement, quelles que soient les conséquences par ailleurs. Et je pense même qu'on ne peut pas mener de véritables politiques environnementales sans remettre en cause le libéralisme et le libre-échange. Puisqu'aujourd’hui on est face à un problème majeur qui est celui des émissions de gaz à effet de serre et qu’on ne pourra pas réduire dans des proportions suffisantes les émissions de gaz à effet de serre, si on ne remet pas en cause le commerce international et le libre-échange. Parce que l'on a des façons de produire et d'organiser le commerce qui font que les émissions de gaz à effet de serre explosent, et qu'on pourra toujours mettre des mesurettes à droite à gauche, on pourra toujours améliorer la technique, on gagnera certainement, on évitera des émissions, mais on n'arrivera pas à diviser par quatre, par huit, ou par 12 les émissions de gaz à effet de serre comme il faudra qu'on y arrive si jamais on veut éviter des problèmes de changement climatique.
Aurélien Bernier : Ce n'est pas le cas parce que tout dépend de la façon dont on présente les émissions de gaz à effet de serre. Il y a une façon qui est intéressante, c'est quand on les découpe en mettant d'un côté des déplacements des individus, ensuite tout ce qui concerne l'habitat, le chauffage des logements, la production d'eau chaude sanitaire etc. et en dernier la consommation, donc ce qui est nécessaire pour produire, pour distribuer des produits. Cette partie-là représente 50 % des émissions de gaz à effet de serre. Donc la production de biens a un poids déterminant dans les émissions de gaz à effet de serre. Donc on est en train de culpabiliser le citoyen, en lui disant que c'est lui qui pollue, que c'est lui qui doit changer ses comportements. C'est vrai dans une certaine mesure, mais ça permet aussi de masquer le fait qu’ il faudra forcément remettre en cause les méthodes de production et les méthodes de distribution. Et que l'on n’arrivera certainement pas à inverser la tendance tant qu'on continuera à délocaliser dans des pays où il n'y a pas de réglementation environnementale, tant qu'on aura des circuits de distribution qui sont complètement ahurissants, où on fait faire des milliers de kilomètres à des légumes ou à des pots de yaourt, et tant qu'on n'aura pas une relocalisation de la production, par exemple de l'agriculture. C'est quelque chose de fondamental. Et c'est bien pour ça que les questions de libre-échange doivent être remises en cause. Il y a un problème qui se pose en matière de politique environnementale, c'est que, aujourd'hui, il y aurait une manière de limiter les émissions de gaz à effet de serre qui serait très efficace, ce serait de mettre des taxes, sauf que, aujourd'hui, si on met une taxe pour les entreprises qui émettent des gaz à effet de serre, par exemple à l'échelon européen, le fait qu'on puisse délocaliser relativement facilement des activités dans des pays où une taxe sur le CO2, sur les gaz à effet de serre, ne serait pas en vigueur, fait que l'application de cette taxe est impossible de fait. Sauf si on remet en cause le libre-échange. Et si on dit « on peut mettre une taxe à l'intérieur des frontières européennes, mais on met aussi une taxe sur les importations, pour équilibrer les choses, et pour avoir une concurrence qui soit réellement non faussée ». Et à partir de ce moment-là on inverse complètement la tendance, puisque les entreprises taxées en Europe n’auraient aucun intérêt à délocaliser de ce point de vue-là puisque les produits seraient taxés aux frontières, s’ils sont fabriqués en Chine, ou en Inde, ou dans d'autres pays dans des conditions environnementales assez déplorables. Et je crois que c'est vraiment cette dimension-là qui est extrêmement importante, c'est qu’on a besoin de changer véritablement les politiques, pour mener une politique environnementale qui donne des résultats, et qu’aujourd'hui les règles du libre-échange font qu’on ne peut pas utiliser les leviers politiques qui permettraient d'obtenir ces résultats. Donc on passe par des biais détournés, on incite les entreprises, on les incite à faire de la croissance verte, à être plus respectueux de l'environnement, on leur accorde des avantages un peu dans tous les sens pour qu'ils aient des bonnes pratiques. Mais il faut aller beaucoup, beaucoup plus loin, et il faut vraiment changer en profondeur les méthodes de production et les circuits de distribution. Et pour ça, il faudrait une contrainte politique forte. Et aujourd'hui le libre-échange ne permet pas de mettre en place cette contrainte. Donc il faut remettre en cause le libre-échange.
Aurélien Bernier : Vraiment, je ne pense pas... Ca, clairement, c'est une mesure qui n’a aucune chance de passer aujourd'hui au niveau européen. Donc ça fait partie aussi de la stratégie, à mon avis, c'est-à-dire que Sarkozy va défendre cette mesure en sachant qu’elle n’a aucune chance de passer. Pascale Fourier : Dans quel but alors ? Aurélien Bernier : Dans le but de dire: « Moi je l'ai défendue, et puis c'est refusé, mais ce n'est pas de ma faute, c'est la faute de la commission européenne ». Ce qui peut être un bon coup. Mais je pense qu'il y a une vraie inquiétude des gens face à la mondialisation, et à juste titre avec la peur des délocalisations, la perte de pouvoir des Etats. Quelque part Sarkozy propose une mesure qu'on peut qualifier de protectionniste, tout en sachant que la structure même de l'Union Européenne, la doctrine de l'Union Européenne lui interdira de voir le jour. Il y a donc une ambiguïté là-dessus. En plus, c'est une mesure qui est intéressante dans l'absolu, mais qui n'a pas vraiment de sens si on prend uniquement la question environnementale. Si on voulait vraiment, encore une fois, avoir une concurrence non faussée, il faudrait envisager des droits de douane qui permettent de remettre dans le prix des produits les différentes externalités, donc non seulement environnementales mais aussi sociales. C'est-à-dire de mettre à niveau par l'intermédiaire des tarifications douanières, des pays qui n’ont pas la même réglementation environnementale, qui n’ont pas les mêmes conditions de travail. Là, on irait jusqu'au bout de la démarche. Donc, c'est une proposition qui est assez opportuniste et qui n’a certainement aucune chance d'aboutir.
Aurélien Bernier : C'est un peu dur à dire parce que la conscience qu'on est face à une crise environnementale, je pense que tout le monde commence à l'avoir. Jacques Chirac nous avait fait le coup de la maison qui brûle et puis on n’avait eu aucune, ou quasiment aucune traduction politique. Sarkozy donne une certaine traduction politique, ou un début de traduction politique, mais évidemment qui s'arrêtera aux frontières de ses convictions en matière d'économie. Mais c'est sûr qu'on n’aura pas de remise en cause du libéralisme, sauf s’il changeait vraiment en cours de mandat et qu'il était touché par la grâce. Mais il y a cette prise de conscience, et puis il y a en même temps ce refus de toucher aux fondamentaux, c'est-à-dire le libéralisme, le libre-échange, la croissance. Et cette contradiction, on l'avait déjà dans le pacte écologie de Nicolas Hulot, où on sentait vraiment une envie de mettre la question environnementale et de proposer des solutions sincères, et puis en même temps ce refus de se poser des questions profondes sur le système et sur la nécessité de changer le système pour vraiment parvenir à inverser la tendance, notamment sur les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi sur d'autres questions comme la biodiversité, etc. Donc on peut dire que dans le discours de Sarkozy aujourd'hui, on a un petit peu de Al Gore, et puis on a la plus grosse partie de Thatcher, de politique ultralibérale. Et c'est bien le principal problème de ce Grenelle et de ce qu'il en sort aujourd'hui.
Aurélien Bernier : La contrainte réglementaire est vraiment le serrage de vis vis-à-vis des industriels qui serait indispensable pour réduire les émissions de polluants, qui n’est pas du tout à l'ordre du jour au niveau du Grenelle. Et ça, c'est une caractéristique qu'on trouve dans toutes les politiques environnementales qui ont été menées ces dernières années, c'est-à-dire qu'on est sur l'incitation, sur la promotion de pratiques un peu moins dégueulasses pour la planète, mais qu’on laisse tomber quand même le volet contrôle, répression, sanctions, normes. Aujourd'hui on a 1200 entreprises qui sont concernées par les échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre en France. On a 200 entreprises sur les 1200 qui représentent pas loin de 90 % des émissions. Donc on a des sites qui sont extrêmement polluants, et sur lesquels on pourrait appliquer une vraie contrainte, en disant : « Voilà, la norme, elle est là ! ». On donne des objectifs de réduction extrêmement clairs, et on met en place une politique de contrôle pour faire en sorte que l'on atteigne vraiment les objectifs. Et ça, ce n'est plus du tout à l’ordre du jour et on a vraiment un renoncement du politique à mettre en place des contraintes vis-à-vis des entreprises. De la même façon, on a des aides publiques aux entreprises à hauteur d'environ 65 milliards par an, donc de l'argent public qui est versé aux entreprises. On pourrait très bien imaginer un éco-conditionnement des aides. On aide les entreprises si elles s'engagent sur tel et tel point en matière d'environnement, et puis, pendant qu'on y est, en matière de social aussi. Et ça, ce serait un levier formidable et on aurait des vraies possibilités d'agir. Ce sont des choses qu'on ne retrouve pas dans le Grenelle et qu'on ne retrouve pas dans l'esprit du discours de Nicolas Sarkozy. On ne va pas mettre de contraintes aux entreprises. On va plutôt les inciter à faire du développement dit « durable » et on va essayer de relancer la croissance par l'environnement, ce qui est une logique très libérale et qui paraît assez dérisoire par rapport aux enjeux qui sont posés aujourd'hui. Pascale Fourier : C'était donc Des Sous Des Hommes avec Aurélien Bernier de la commission OGM d’ATTAC et qui s'intéresse de façon générale à l'environnement et toujours, comme vous l'aurez vu, sous un aspect, j'allais dire bien plus intelligent que ce qu'on entend ailleurs. Aurélien Bernier a d'ailleurs un blog http://abernier.vefblog.net/ dont je ne peux que vous conseiller la visite ! Voilà, à la semaine prochaine.
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 13 Novembre 2007 sur AligreFM. Merci d'avance. |