Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 30 JANVIER 2007

Pourquoi lutter contre les OGM ? !

Avec Aurélien Bernier, responsable de la commission au OGM du mouvement Attac - http://abernier.vefblog.net/

 

Pascale Fourier : C'est une vraie vraie question : en quoi l'introduction des OGM et le soutien à l'introduction des OGM est-il révélateur de cette phase du capitalisme qu'est le néolibéralisme ?

Aurélien Bernier : En fait, ce qui est intéressant, c'est de voir que les OGM en tant que tels sont un outil. Grâce aux progrès de la génétique dans la deuxième moitié du XXe siècle, on a réussi à prélever des gènes d’un organisme pour les insérer dans un autre et donc à créer des nouveaux organismes qui n’existaient pas à l'état naturel et qui avaient de nouvelles propriétés. Par exemple, on a été en mesure de produire des plantes qui sécrétaient elles-mêmes leur insecticide, ou qui toléraient un herbicide, qui avaient de nouvelles propriétés agronomiques.

Et en fait, l'intérêt des firmes pour les OGM ne s'explique pas tant par ses nouvelles propriétés agronomiques que par le fait que, dès le départ, cette construction génétique s'est accompagnée du développement de la revendication de la logique des brevets. Les firmes qui développaient ces OGM ont dit qu'elles considéraient  ces nouvelles constructions génétiques étaient brevetables. De par leurs nouveautés, de par leur spécificité, on demande à pouvoir déposer des brevets dessus.


Avec les semences traditionnelles, on avait un niveau de protection juridique, qui était un niveau de protection qu’on peut certes critiquer , mais qui dit en gros que l’obtenteur d'une variété traditionnelle - c'est-à-dire obtenue par sélection naturelle: on croise deux variétés, on obtient une nouvelle - détient l'exclusivité de sa commercialisation. Mais par contre, cette variété pouvait être réutilisée par n'importe qui pour faire de nouveaux croisements et pour développer de nouvelles variétés. En fait, on avait un patrimoine génétique qui restait de fait dans le domaine public.

Quand les firmes ont introduit les OGM et qu'elles ont introduit la logique de brevet, en fait ce qu'elles voulaient et ce qu'elles ont réussi à obtenir, c'est le fait que la semence, le patrimoine génétique de la semence soit couvert par un brevet, c'est-à-dire tombe vraiment dans le domaine privé.

Et concrètement, qu'est-ce que ça donne ? Ça donne ce qu'on connaît assez bien sur l'informatique. Quand on achète un logiciel breveté, qu'on installe un logiciel breveté sur un l'ordinateur, on a une procédure d'installation qui se déroule. Et au début de la procédure, en général on a un texte qui est écrit en tout petit qui s’appelle "contrat de licence", et on a deux boutons: un bouton "j'accepte" et un bouton "je n'accepte pas". Et si on est normalement constitué, on ne lit pas le texte, on clique sur "j'accepte" et on se retrouve lié à la firme qui a commercialisé le logiciel sur un certain nombre de clauses d'utilisation de ce logiciel: on n'a pas le droit de le copier, on n'a pas le droit de donner à quelqu'un, etc.

Le mécanisme des brevets sur les OGM fait que le les firmes peuvent, et font, signer le même type de contrats à des agriculteurs qui utilisent ces OGM. Et les termes du contrat, c'est, par exemple, que l'agriculteur ne peut pas ressemer du grain issu de sa récolte d’OGM l’année suivante, comme un utilisateur de logiciels ne peut pas dupliquer son logiciel. Donc là, on interdit à l'agriculteur de ressemer, ce qui est quand même la pratique fondatrice de l'agriculture. Et puis, on peut avoir des clauses comme le fait que l'agriculteur s'engage à utiliser des produits de traitement sur ces OGM qui sont également vendues par la firme qui produit ces OGM, et donc que l'agriculteur n’aille pas acheter des produits génériques moins chers à un concurrent.

Donc, on a vraiment une logique d'augmentation des profits. Et l'intérêt des OGM sur le plan agronomique a été complètement contredit. On sait qu'il n'y a pas d'augmentation de rendement, il n'y a pas les propriétés miraculeuses qu'on nous annonçait. Aujourd'hui, le seul intérêt démontré dès OGM, par ce biais-là, c'est d'augmenter les profits des multinationales.

Pascale Fourier :J'ai bien compris le problème que posait les OGM. Mais en revanche, ce que je n'arrive pas très bien comprendre, c'est pourquoi des gouvernements ou des institutions comme l'Europe ou l’OMC défendent les OGM ?...les OGM, c’est finalement des entreprises privées, si j'ai bien compris ce que vous me disiez ?

Aurélien Bernier : Oui. En fait, les OGM se sont développés au début en Amérique du Nord, aux États-Unis, et ce sont des firmes américaines, de grosses boîtes comme Monsanto qui sont à l'origine du développement et de la volonté de commercialiser les OGM. Évidemment, comme c’est une technologie nouvelle, et que ça pose quand meme un certain nombre de questions, sur l'impact environnemental, sanitaire et sur les modèles agricoles existants, il s'est posé la question du statut des OGM, de la législation qui allait encadrer les OGM.

En fait, le gouvernement de Ronald Reagan à l'époque a pris une décision extrêmement importante, qui a été de dire que les OGM seraient évalués sur les mêmes critères que les aliments conventionnels, c'est-à-dire sur des critères de toxicité aiguë, sur les allergènes connus, mais qu'on n'aurait pas d'études spécifiques qui portent sur le fait que de OGM soient des aliments nouveaux. On prend en fait les mêmes mécanismes d'évaluation qu'on a sur les aliments traditionnels et on les applique aux OGM. Et on fait totalement abstraction de la façon dont ils ont été construits. Donc, à partir de là, le gouvernement américain prend la décision de soutenir ces entreprises de biotechnologie et de leur faire cadeau de l'économie de toute l'évaluation environnementale et sanitaire.

Et on va retrouver exactement la même chose au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce. On connaît parfaitement le poids du gouvernement américain. Et l’OMC, avec sa logique de libre-échange débridé et de non-entrave au commerce, reprend l'idée que les OGM sont des aliments comme les autres, et qu’il ne doit pas y avoir d'évaluation spécifique et même qu’il ne doit pas y avoir d'étiquetage spécifique.

En fait en Europe, on connaît aussi les orientations libérales de l'Europe. Mais ce qui s'est passé entre-temps, c'est que la population européenne s'est quand même posé un certain nombre de questions le par rapport à l'apparition de ces OGM . Et on a eu un mouvement citoyen, qui s'explique également par le fait qu'entre-temps on a eu des crises sanitaires comme celle de la vache folle, qui font que les citoyens n'ont pas accepté immédiatement l'idée même des OGM et que l'Europe a été obligée de tenir compte de ça et de mettre en place un minimum de précautions apparentes.

Pourquoi apparentes ? Parce qu'en fait le système d'évaluation européen est basé sur une l'évaluation au cas par cas des OGM. C'est-à-dire que contrairement aux États-Unis où on dit que les OGM seront évalués sur la même base que les produits traditionnels, l'Europe dit: " On va demander à ce qu'on nous présente des dossiers d'homologation des OGM; on va les examiner, et on autorisera ou non, en demandant une évaluation spécifique aux OGM". Sauf que, quand on regarde dans les faits, cette évaluation spécifique, elle est produite de A à Z par les firmes qui déposent les dossiers. Et que les commissions d'homologations au niveau européen, et au niveau des Etats membres, ne font qu’observer les dossiers fournis par les multinationales, qu’en plus ils n'ont pas les moyens véritablement, ni le temps de faire le travail pour expertiser ces études, et qu'ils n'ont jamais demandé la moindre contre-expertise indépendante. Et que donc, tous les dossiers qui autorisent les projets OGM aujourd'hui sont validés sur la base d'éléments scientifiques fournis par les multinationales, qui en plus se cachent derrière le secret industriel pour en fournir le moins possible. .

Donc, l'Europe se donne une image raisonnable en disant qu'elle prend des précautions. Mais en fait, elle autorise les OGM, avec un peu plus d'emballages, mais sur la même logique qu'on a en Amérique du Nord, aux États-Unis ou au Canada.

Alors, ce qui est assez paradoxal et très intéressant, ce qui peut certainement servir de point d'appui pour changer un peu la donne, c'est que l'OMC a eu à juger un litige entre les produits producteurs d’OMG comme les Etats-Unis, et l'Union européenne. Justement parce que l'Union européenne a été accusée d'avoir un peu trop traîné pour autoriser les OGM, et avoir mis quelques bâtons dans les roues, des "obstacles non nécessaires au commerce", selon l'expression consacrée. Et donc, l'Union européenne a eu à se défendre à l'OMC. Et ce qui est passionnant c'est que dans son mémoire en défense, pour justifier ces précautions, elle a critiqué en détail son système d'évaluation. Et elle écrit noir sur blanc qu'aujourd'hui elle ne peut pas justifier le fait que les OGM soient sûrs sur le plan sanitaire et sur le plan environnemental. ...

Donc, on a un double discours européen. Devant les habitants, on dit : " Ne vous inquiétez pas, on dissémine des OGM, mais on s'est donné les moyens que ça se fasse sans problème". Et, à l’OMC, on a le vrai visage de l'évaluation des OGM en Europe, c'est-à-dire un système complètement inopérant, et un aveu que les OGM sont disséminés avec aucun moyen de vérifier l'innocuité, à la fois sur la santé et sur l'environnement.


Pascale Fourier : Tout à l'heure, vous avez dit que les États-Unis ont fait le cadeau aux entreprises multinationales comme Monsanto de l'évaluation environnementale. Je n'arrive pas bien à comprendre pourquoi un gouvernement peut faire ce choix, de faire un cadeau à une entreprise privée ?

Aurélien Bernier : Là, clairement, on est dans une logique où l'on favorise les intérêts privés de quelques firmes, puisque elles se comptent quasiment sur les doigts de la main, au détriment de l'intérêt des populations. Si on avait fait le travail correctement, on aurait évalué les OGM au regard des impacts environnementaux, des impacts sanitaires et des impacts sur les systèmes agraires qui existaient avant qu'on introduise les cultures OGM.

Bon, sauf que si on avait produit de cette évaluation-là, ça aurait coûté énormément d'argent aux firmes et la rentabilité des OGM tombait par terre. Donc on a privilégié, encore une fois, on a favorisé le privé au détriment de l'intérêt public. Et on a favorisé une logique, on peut dire de marchandisation, mais où on fait du profit sur quelque chose d'aussi important que les semences, que l'avenir de l'agriculture, et que l'alimentation. Et ce profit se fait dans une logique de rentabilité économique : pour faire des comparaisons, c'est un peu comme la révolution industrielle; le but des firmes, c'est de produire un minimum de semences qu'ils vont pouvoir vendre à un maximum de personnes. On est vraiment dans une logique de rentabilité économique, et les OGM sont un outil, un outil particulièrement performant et particulièrement intéressant du point de vue de la rentabilité économique pour arriver à ce but. Mais on peut dire aujourd'hui qu'une firme comme Monsanto, son but principal, c'est de produire du profit pour ses actionnaires. Et le moyen qu'elle a trouvé pour produire du profit pour ses actionnaires, c'est de vendre des semences, de vendre des produits de traitement, et puis, depuis quelques années de vendre des semences OGM qui augmentent un peu plus les profits.


Pascale Fourier : Et l'intérêt pour les Etats, c'est peut-être à ce moment-là d'avoir des grosses firmes puissantes... ?

Aurélien Bernier : Oui, c'est ça. L'intérêt, c'est effectivement que Monsanto est un des plus grands semenciers au monde, qui pèse énormément. Et puis de façon beaucoup plus pragmatique, Monsanto, sur les dernières campagnes électorales, a financé à parité les démocrates et les républicains, suffisamment, de façon à ce que de toutes façons ils étaient sûrs d'être gagnants à tous les coups. C'est donc un lobby phénoménal. Il faut savoir qu'on retrouve comme négociateur à l’OMC pour les États-Unis les anciens de Monsanto. Il y a vraiment une forte perméabilité à ce niveau-là entre le pouvoir politique américain et les firmes privées. Et partant de là, Monsanto fait comme beaucoup de firmes, elle défend ses intérêts, elle place des gens aux lieux stratégiques... Elle fait du lobbying au niveau de la commission européenne, elle fait du lobbying auprès du gouvernement américain, et elle est présente quasiment en tant que tel à l'Organisation Mondiale du Commerce. Et à partir de là, voilà tout toute la logique... Et on peut très bien voir comment se construit cette aberration qui consiste à essayer d'imposer les OGM envers et contre tout. Encore une fois, sans la moindre évaluation, et pour le plus grand profit de quelques firmes et quelques actionnaires.

Pascale Fourier : Quel est l'intérêt de l'Europe ? Est-ce que qu’il y a des grandes firmes qui s’occupent d’OGM à l'échelle européenne ?

Aurélien Bernier : Oui. On a une firme comme Limagrain, qui est une entreprise française, qui est quand même le quatrième semencier mondial. On presente toujours un peu de façon caricaturale les méchants États-Unis qui produisent des OGM et qui veulent envahir le monde.... Ce n'est pas si simple que ça. Limagrain a beaucoup investi sur la technologie des OGM. Et d'ailleurs Limagrain risque d'être le premier semencier à commercialiser des semences transgéniques en France, dans les coopératives. Donc, oui, là on trouve un accord sur la dissémination des OGM.

Et puis il ne faut pas oublier la logique libérale qui a cours aujourd'hui dans l'Union européenne. Si jamais on commence à mettre des critères environnementaux, des critères d'évaluation sanitaire sur les OGM, si on commence à mettre quelques barrières un peu contraignantes aux multinationales sur cette questions-là, pourquoi le faire sur les OGM et pas sur les pesticides ? Et pourquoi ne pas pousser la logique plus loin et avoir une évaluation environnementale qui porte sur de plus en plus de domaines d'activité ? Donc, c'est aussi défendre une idéologie: c'est la liberté de commerce. Et à la limite, les OGM sont une belle illustration, une belle illustration d'une logique globale.

Et c'est aussi pour ça que le combat qu'on mène sur les OGM dépasse très largement cette question-là, parce que ce qu'on peut obtenir comme renversement de tendance ou comme renversement des priorités, c'est-à-dire faire passer la question de la sécurité environnementale et sanitaire, de la question démocratique aussi, de la volonté des citoyens sur le dossier des OGM, c’est enfoncer un coin quelque part. Et, ce raisonnement-là, on pourra l’avoir sur d'autres thèmes. C'est une porte ouverte dont aussi bien l'Union européenne que l’OMC ne veut pas.

Pascale Fourier : Et oui, c'était Des Sous Et Des Hommes, en compagnie d’Aurélien Bernier, à propos des OGM. Eh bien justement, la semaine prochaine, je vous propose de réécouter l’émission que j’avais faite en 2002avec José Bové :ça permettra de compléter ce qu'a pu dire Aurélien Bernier.

Voilà. À la semaine prochaine avec José Bové.


 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 30 Janvier 2007 sur AligreFM. Merci d'avance.