Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 10 JUIN 2008


L'Union Européenne et la question environnementale

Avec Aurélien Bernier, auteur de « Le climat otage de la finance », livre à paraître - http://abernier.vefblog.net/

 

Pascale Fourier  : Et notre invité sera à nouveau Aurélien Bernier, auteur de « Le climat otage de la finance », livre à paraîtrependant les vacances.

Dans une précédente interview, vous m'aviez dit que l'un des fers de lance de la future présidence de l'Union Européenne- qui doit revenir à la France en juillet - serait, de par la volonté de Nicolas Sarkozy, la question environnementale. L'Europe fera sien le souci réel d'aider à la préservation de notre planète et mettra en oeuvre réellement une politique en conséquence. C'est bien ça ? Donc, si vous voulez, Juillet va être l'annonce d'un grand moment pour l'Europe ?

Aurélien Bernier : Pas tout à fait. Mais c'est quand même intéressant comme phénomène parce qu'on est dans la logique Al Gore, c'est-à-dire que, maintenant, il faut parler environnement, il faut avoir des propositions en matière d'environnement. Et ce n'est pas simplement Nicolas Sarkozy, même s'il est question - Jean-Louis Borloo a évoqué un « Grenelle européen », donc transposer ce qui s'est fait au niveau français au niveau européen -, mais ce n'est pas simplement Nicolas Sarkozy, c'est l'Union Européenne dans sa totalité qui a investi la question environnementale, et notamment la question du changement climatique, et qui, de sommet en sommet, essaie d'apparaître comme le fer de lance de la lutte contre le changement climatique.

Ca a été flagrant au moment de la conférence de Bali qui visait à mettre en place l'après-Kyoto. Kyoto se terminant en 2012, on négocie aujourd'hui pour voir quel sera le contexte international à partir de 2013. Et l'Union Européenne a fait une série de déclarations, comme quoi il fallait faire des choses en matière de climat, en annonçant des objectifs de réduction des gaz à effet de serre assez importants. Et puis on avait, d'un côté les États-Unis qui bloquaient les négociations, les pays en voie de développement qui ne voulaient pas entendre parler non plus d'objectifs chiffrés, et on avait l'Union Européenne qui apparaissait comme le sauveur des négociations, et en tout cas à la pointe de la lutte contre le changement climatique, ce qui a été repris par tous les journaux.
Mais on est uniquement sur des déclarations et ce qui est intéressant - et qu'aucun média n'a soulevé -, c'est véritablement de faire le bilan des politiques environnementales de l'Union Européenne. Et c'est là que les choses commencent à se compliquer parce que, quand on regarde les données, quand on regarde les actes objectivement, on peut dire que c'est véritablement de l'imposture au sens propre du terme, c'est-à-dire se faire passer pour ce qu'on n'est pas, et que l'Union Européenne se fait passer pour écologiste alors qu'elle pratique des politiques libérales qui détruisent l'environnement, réellement.

Donc on est sur une espèce de double jeu comme ça, et qui va continuer, parce qu'il n'y a aucune raison que ça s'arrête. Et, effectivement, la présidence française de l'Union Européenne va être l'occasion pour Sarkozy de faire ce même type de numéro, et de prolonger au niveau européen ce qu'il a fait au travers du Grenelle de l'environnement, c'est-à-dire de grandes déclarations et, derrière, des solutions libérales pour prétendre gérer la crise écologique.

Pascale Fourier   : Le bilan de l'Europe au niveau environnemental est bon, non ?

Aurélien Bernier : C'est ce qu'ils essaient de faire croire. Moi, je considère que c'est assez catastrophique. Alors on peut faire un classement, que j'ai essayé de faire, en deux colonnes avec l'actif et le passif.

Si on regarde l'actif, sur ce qui a été réellement fait en matière d'environnement, c'est assez misérable. D'abord, au niveau des budgets qui y sont consacrés, on a un programme d'action environnementale, et on a des fonds qui sont dédiés à ce programme d'action, qui représentent 200 millions d'€uros par an. C'est 0.16% du budget de l'Union Européenne. C'est totalement dérisoire. Même à l'époque où Jacques Chirac faisait des discours grandiloquents sur l'environnement, le budget du ministère en France était de 0.3 %. Ce n'était pas terrible, mais c'était même plus que ce que fait l'Union Européenne actuellement.

Donc, en fait, ils se retranchent derrière la transversalité, en disant : « On n'a pas besoin d'avoir une ligne identifiée sur l'environnement qui soit importante, on fait de l'environnement partout, dans toutes les politiques ». Et c'est un très bon moyen de ne pas évaluer réellement l'impact de ces politiques sur l'environnement.

Alors, on a effectivement des petits programmes d'action, de sensibilisation du public: on va faire des journées sans voitures, des journées de promotion des éco-gestes, qui sont financés par l'Union Européenne. On a un système d'éco-labellisation par exemple, on va labelliser des produits, et ça, c'est géré au niveau de l'Union Européenne: c'est un système qui peut être intéressant, mais qui est tout à fait marginal.

Et puis, après, on a tout ce qui est réglementaire, donc les directives, les règlements qui touchent à l'environnement. Alors là, on en a toute une kyrielle. Et on s'aperçoit que ces règlements, ces directives sont co-écrites par les lobbys et, soit - quant elles sont bonnes au départ - elles sont complètement dénaturées, soit - quant elles sont extrêmement mauvaises au départ, ce qui arrive aussi - sous la pression des écologistes, elles peuvent être légèrement améliorées, mais on arrive à des solutions qui sont totalement insuffisantes et inefficaces.

Par contre, dans la colonie du passif, là, on a énormément de choses. Au premier rang, on a par exemple la politique agricole de l'Union Européenne qui est une vraie catastrophe. Avec 50 milliards d'€uros, c'est plus de 40 % du budget de l'Union Européenne qui va à la PAC. Et la PAC aujourd'hui, c'est un soutien à l'agriculture intensive et à une agriculture qui dévaste l'environnement. Ça, c'est clair. On a eu un discours disant que la PAC « verdirait », qu'il y aurait une réorientation des aides. On a, en fait, perpétué le même système, avec un encouragement à l'agriculture intensive, des cultures comme le maïs qui consomment des quantités d'eau phénoménales, un usage de pesticides massifs, etc. Donc, c'est vraiment 50 milliards qui servent à détruire les écosystèmes.

Pascale Fourier   : Certains pourraient cependant vous dire que c'est au moins la condition sine qua non de la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire de la possibilité, effectivement, de nourrir l'ensemble des Européens sans faire forcément appel à des arrivées extérieures...

Aurélien Bernier : Oui, c'est ce que dit le ministre de l'Agriculture actuel, M. Barnier, qui dit : "Voilà, il faut défendre la PAC pour garder la souveraineté alimentaire de l'Europe." C'est quelque chose de totalement faux, puisque l'Europe, depuis la sortie de la guerre, est liée sur un accord avec les États-Unis, qui dit que les États-Unis produiront des protéines et que l'Europe produira le reste. Ce sont des accords qui datent du plan Marshall, qui ont été un échange: les États-Unis investissent pour la reconstruction de l'Europe, aident l'Europe à se reconstruire et, en échange, l'Europe absorbe les surplus agricoles des États-Unis. Les États-Unis avaient des surplus énormes en soja. Et donc, on a mis en place un système où l'Europe va développer des cultures céréalières, va développer de l'élevage. L'élevage, notamment en bâtiments, a besoin de protéines, et les protéines sont fournies par les États-Unis. Et on n'est pas sorti de ce système, et même la fin du GATT et l'OMC ont accentué ce phénomène. L'Europe aujourd'hui a signé un accord par lequel elle s'engage à ne pas produire plus de 30 % de ses besoins en protéines, et donc à en importer 70 %. A l'heure actuelle, elle ne produit même pas ces 30 % auxquels elle aurait droit entre guillemets. Et donc, on est dépendant sur les protéines, et donc sur la base de la nourriture de l'élevage en Europe, on est dépendant a, à peu près, 80 % des Américains.

Donc cet argument de l'indépendance est d'une hypocrisie totale. Si on voulait vraiment faire une agriculture indépendante en Europe, il faudrait utiliser l'argent de la PAC pour reconvertir et produire de la protéine en Europe. Et à ce moment-là, on pourra aller vers un système cohérent où on produirait l'aliment pour le bétail, qu'on donnerait au bétail, et en même temps, où on désintensifierait l'élevage, c'est-à-dire qu'on essaierait de sortir les animaux des bâtiments pour qu'ils aient moins besoin de consommer de protéines, de soja, d'oléo-protéagineux.

C'est quelque chose que les gens ne savent pas, mais on est dans une situation de complète dépendance.

Alors, sur la question agricole, en parallèle, l'Europe ne se contente pas de promouvoir l'agriculture intensive, et de la financer grassement, en plus elle en train de détruire l'agriculture biologique puisqu'on a un règlement qui a été voté et qui va entrer en application en 2009, qui va redéfinir un cadre légal pour l'agriculture biologique. Jusqu'à présent, on avait un cahier des charges européen qui était le minimum que les Etats pouvaient mettre en oeuvre. Et dans ce minimum, on avait des critères comme l'absence d'utilisation de produits de synthèse, de produits phytosanitaires, de produits chimiques, à la différence de l'agriculture conventionnelle, et l'absence d'OGM. On avait donc cette base, avec de nombreux autres critères divers et variés suivant les modes de production. Et les Etats pouvaient faire mieux. Il ne pouvait pas faire moins bien, mais ils pouvaient faire mieux que le cahier des charges européen.

Le règlement de 2009 dit : premièrement on peut autoriser par dérogation des produits de synthèse; deuxièmement on introduit un seuil d'OGM. Donc à partir de janvier 2009, la bio pourra contenir jusqu'à 0,9 % d'OGM et être malgré tout étiquetée bio. Et le plus grave, c'est qu'on interdit aux Etats - on ne leur interdit pas formellement, mais ça revient à une interdiction - de faire mieux. C'est-à-dire que ce règlement européen s'impose à tous les Etats, et un État qui voudrait mettre en place des clauses plus contraignantes ne pourrait pas s'en revendiquer. On aurait malgré tout le logo "agriculture biologique européenne" qui serait le standard.

Donc on est en train de casser un système alternatif en le dénaturant. On ne supprime pas la bio directement, mais on est en train de dénaturer ce qu'elle était, pour avoir une agriculture standardisée, où on soit dans l'intensif, y compris sur la bio.

Donc là, le bilan environnemental est catastrophique. Si on rajoute à ça la question des OGM, où l'Union Européenne est toujours favorable à l'utilisation des OGM, avec une Commission européenne qui est totalement acquise à la question, des autorisations de mises en cultures qui sont données sans aucune étude scientifique sérieuse... Tous les éléments sont donnés par les multinationales, et vous avez une agence européenne qui valide les études des multinationales et qui met vraiment un coup de tampon dessus. Et, derrière, cela permet de donner une autorisation politique à la culture d'OGM. Et bien qu'on ait une écrasante majorité de la population qui soit opposée au fait de consommer ou de cultiver des OGM, bien qu'au niveau des Etats - puisque c'est là que le pouvoir du citoyen peut s'exercer, et que l'expression citoyenne se manifeste - on ait un retournement, c'est-à-dire des Etats qui commencent à s'inquiéter de la question des OGM, et qui commencent à vouloir les refuser parce qu'il y a l'opinion publique derrière, malgré cela, l'Union Européenne continue à autoriser à tour de bras, en disant que, derrière, il y a l'OMC, et qu'on ne peut pas se permettre un conflit avec les Américains à l'OMC. Voilà une politique agricole qui est totalement catastrophique d'un point de vue environnemental.

Pascale Fourier   : Des Sous... et des Hommes, et on est en compagnie, toujours, d'Aurélien Bernier auteur de «Le climat otage de la finance», livre à paraître pendant les vacances.

On pourrait vous dire quand même : « Certes, mais au niveau des gaz à effet de serre, il y a effectivement une politique volontariste ». Moi c'est un petit peu le sentiment que j'ai quand j'écoute la radio, j'ai l'impression qu'il y a une véritable volonté politique en France, et du coup qui pourrait être transmise au niveau européen.

Aurélien Bernier : Il y a un discours avec des pseudo-engagements, qui n'engagent que ceux qui y croient, parce que tant qu'il n'y a pas d'accord, cela ne vaut rien, et, effectivement, des politiques qui disent qu'il faut réduire les gaz à effet de serre, et qui rabâchent ce discours, avec une culpabilisation des citoyens- on en avait discuté dans une précédente émission - , avec le discours du « tous coupables », et, derrière, des politiques qui ne changent pas et qui sont toujours des politiques libérales.

Et l'Union Européenne est formidable là-dessus ! Il y a un exemple qui le résume très bien, c'est le code des marchés publics. Les achats publics en Europe sont régis par deux directives, des directives européennes qui, derrière, sont transcrites en droit national. Et en France, cela donne le code des marchés publics, donc, qui encadre la commande publique, c'est-à-dire que l'État, les collectivités, quand elles achètent des produits, des services, des travaux, des bâtiments, passent une commande, et il y a des règles pour passer ces commandes. Donc, sur ces marchés publics, la législation a évolué, les directives ont évolué et, en 2004, on a vu apparaître la notion de développement durable dans la dernière directive. Donc la commande publique doit se faire en prenant en compte les critères de développement durable. Ça, c'est écrit dans un article. Et il y a un certain nombre de personnes, quand elles ont vu ça, qui se sont dit : "Super, on va pouvoir faire vraiment du développement durable avec la commande publique ! Donc, on va pouvoir raisonner globalement, en termes de coût et en termes de pollution, sur des questions environnementales, par exemple les gaz à effet de serre. Quand on commande des produits, on va pouvoir faire un bilan global et se dire : on va choisir le produit qui émet le moins de gaz à effet de serre, dans sa production, dans son transport, et dans son utilisation."

Ca, c'était d'un optimisme débordant parce que la réalité, ce n'est pas du tout ça. C'est que l'Union Européenne autorise de mettre des critères environnementaux sur l'usage du produit, sur la qualité environnementale du produit comprise dans l'objet du marché. Clairement, ça veut dire qu'une collectivité peut commander des tomates, des aliments quelconques, en disant qu'elle veut des produits issus de l'agriculture biologique.

Par contre il est strictement interdit de dire : « Je veux des produits issus de l'agriculture biologique qui soient produit dans un périmètre proche du lieu de consommation, ce qui va me permettre de réduire réellement les émissions de gaz à effet de serre de la commande publique ». Parce que le critère fondamental, ce qui surplombe tout le reste dans la logique de l'Union Européenne, c'est le libre-échange, le marché unique. Et donc on met en concurrence la tomate bio qui est produite en Pologne - qui va faire des milliers de kilomètres et qui sera produite sur des centaines d'hectares parce qu'on peut faire de la bio industrielle - avec le petit producteur local qui a quelques hectares et qui fait des produits qui auraient un impact écologique nettement inférieur.

Donc, c'est cette logique de libre concurrence qui s'impose à tout le reste. Et l'action environnementale de l'Union Européenne est soumise à cette logique de libre concurrence. Et, face aux enjeux qu'on a - c'est vrai sur le climat, c'est vrai aussi sur la biodiversité, c'est vrai sur les substances toxiques -, on est toujours confronté à ce problème,c'est-à-dire que, sans remise en cause de la libre concurrence, prétendument non faussée, on n'arrivera à faire que des mesurettes. On n'arrivera à faire que du Grenelle de l'environnement en France. Et puis on fera un Grenelle européen qui aura la même teneur, mais on ne changera pas véritablement les règles du commerce international, et on n'agira pas sur les questions de transport, de production, de choix dans les méthodes de production, etc.

Pascale Fourier   : Et finalement vous voudriez quoi ? Qu'est-ce qu'il faut faire ? Si vous étiez à la place de Sarkozy ou de ceux qui mènent l'Europe, vous feriez quoi ?

Aurélien Bernier : La première chose, ce serait de dire clairement ce qu'on met en avant, ce qu'on veut, quelle est la priorité politique. On nous a fait croire que le développement durable, c'était l'environnement, le social et l'écologique, et que le tout allait s'équilibrer naturellement - et qu'on plaçait tout sur un même plan et qu'on allait essayer de mixer les trois. Et en fait, ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce que, quand on laisse naturellement les choses se faire, dans un monde qui est dominé par les rapports de force, c'est l'économie qui prend le dessus: on fait un petit peu d'environnement pour donner le change, et le social passe à la trappe.

Je crois qu'il faut commencer par dire que la priorité c'est le bien-être social pour les gens, que ce bien-être doit être transmissible parce que, sinon, ça n'a aucun sens - et donc il doit être transmissible en fonction des contraintes environnementales. C'est pour cela qu'il faut intégrer dans les luttes sociales la question environnementale urgemment,ce qui n'est pas encore fait par les gens qui luttent pour le droit du travail, pour l'amélioration des conditions sociales. Et puis, derrière, l'économie se plie à ces exigences-là. Donc la première chose, ce serait d'annoncer la couleur.

Après, la façon de mettre en œuvre… Les outils, on les a. On les a, il suffit d'avoir le courage politique de les mettre en place, mais on sait très bien qu'il faut commencer par stopper le chantage aux délocalisations, donc rétablir une concurrence réellement non faussée, et donc rétablir le coût social et environnemental des productions qui vont se faire dans des pays qui pratiquent le moins-disant social et environnemental. Donc rétablir des droits de douane. Et, à partir de là, on récupère un contrôle politique sur l'économie, et on peut imposer des contraintes.

On peut imposer des normes, des réglementations. Et des réglementations qui ne soient pas co-écrites avec les lobbys. Parce que, depuis qu'on met en place des politiques environnementales, que ce soit au niveau de l'ONU ou au niveau de l'Union Européenne, ce sont des politiques qui sont cogérées, co-écrites par les lobbys. En matière de transport par exemple, vous avez une organisation qui s'appelle l'ERT, la table ronde des industriels européens qui, à la fin des années 80, a écrit un document - qui a d'ailleurs été financé par l'Union Européenne - qui était ce qu'elle voulait en matière de transport. Et quand on compare avec ce qui a été développé par l'Union Européenne en matière de transport, à quelques motsprès, on est exactement sur le même contenu : on a développé des autoroutes, on a développé le transport aérien et les lignes à grande vitesse sur des longues distances. Les industriels ont eu ce qu'ils voulaient. Ils ont eu le brevetage du vivant. Ils ont fait un peu de lobbying, ils ont obtenu le brevetage du vivant qui permet, derrière, de vendre des OGM. Donc cette cogestion, il faut y mettre un terme.

Et à partir du moment où on a récupéré ce contrôle politique - qui nous échappe aujourd'hui parce que le commerce international fait qu'on a enlevé tout pouvoir au politique - à partir du moment où on récupère ça, on peut envisager les choses autrement et construire une véritable Europe écologique. Mais il faudra passer, avant, par des solutions de rupture. Parce qu'on peut rêver d'une Europe écologique dans l'absolu, n'empêche que tant qu'on n'aura pas fait ce chemin inverse sur les questions de libre-échange, et tant qu'on n'aura pas vraiment mis sous contrôle politique les entreprises, tout cela restera des vœux pieux, et on continuera à émettre des gaz à effet de serre, et on continuera à détruire la biodiversité, à cultiver des OGM, et à accumuler les substances toxiques dans l'air, dans les sols, et dans l'organisme humain.

Pascale Fourier   : Oui, mais enfin une Europe écologique, c'est un peu comme l'Europe sociale, non ?...

Aurélien Bernier : Oui. C'est-à-dire, c'est dans nos rêves.... Et c'est bien là-dessus que joue la Commission européenne. D'ailleurs, il y a quelque chose de très, très intéressant : j'ai trouvé une citation de Barroso, qui est le président de la Commission, et, à propos de la lutte contre les gaz à effet de serre, et donc pour le climat, Barroso dit, je cite : « Je crois que c'est important sur le plan politique, parce que cela peut réconcilier l'Europe avec les nouvelles générations, qui parfois ne se reconnaissent pas dans notre action. » C'est-à-dire que ce type se paie le culot de dire : « La lutte pour le climat, pour l'Union Européenne, en termes d'image, c'est bien . Et il faut qu'on aille là-dessus, quitte à faire de l'esbroufe, quitte à continuer nos politiques libérales, mais à donner l'impression qu'on fait quelque chose, parce que, politiquement, ça va redorer le blason de l'Union Européenne ».

Donc, ça, c'est une véritable supercherie et il faut bien comprendre que la dégradation de l'environnement est une composante du néolibéralisme, et que le néolibéralisme est la composante majeure de la construction européenne. La construction européenne se fait autour du néolibéralisme. Donc, là, il y a un véritable problème, il y a une incohérence fondamentale. Et personne ne veut la dénoncer véritablement. Donc c'est cette Union Européenne-là qu'il faut déconstruire. Commençons par la déconstruire. Construisons autre chose de social, d'environnemental, à une échelle à laquelle ce sera possible. Et puis après, on verra si on aboutit à une Europe sociale et écologique.

Mais il faut prendre les choses dans le bon sens, commencer par déconstruire ce qu'il faut déconstruire, et arriver à mettre en oeuvre des politiques autres que les politiques néolibérales, à une échelle, quelle qu'elle soit, mais qui permette de commencer à faire, et pas d'être dans l'incantation, et pas d'être dans des rêves et des fantasmes, ou, pire, dans du discours et de la poudre aux yeux.

Pascale Fourier   : Déconstruire, donc éventuellement quitte à ce que ça demande la sortie de l'Europe d'un ou plusieurs pays ?

Aurélien Bernier : Oui. Enfin moi, ça ne me pose strictement aucun problème. Alors, ce n'est pas la sortie de l'Europe, mais bien la sortie de l'Union Européenne qui est une construction européenne qui nous a été imposé et sur laquelle les peuples n'ont jamais été consultés. C'est une Europe libérale qui se construit. C'est une institution qui a fait des choix politiques. Moi, je veux d'autres choix politiques. Après, s'il faut le faire à une autre échelle, à une échelle nationale, à une échelle de 2-3 Etats qui feraient de la coopération, si c'est le seul moyen, on passera par là. Et même si c'est le moyen le plus efficace et plus rapide, il faut en passer par là. Et avec l'espoir évidemment qu'on construira quelque chose de plus large : une autre Europe, un autre monde si on veut. Mais je crois qu'il est vraiment temps de le faire et d'arrêter de prêcher, pour l'instant, dans le désert.

Pascale Fourier   : Eh oui, c'était donc la 200e émission avec Aurélien Bernier, auteur du « Climat otage de la finance » un ouvrage à paraître pendant les vacances, qu'il faut que vous acquériez le plus vite possible, dès qu'il sort. C'est un ouvrage absolument remarquable, je connais les thèses qui sont dedans: vraiment lisez-le impérativement !

La semaine prochaine, nous recevrons Jacques Nikonoff, l'un des deux porte-parole du mouvement qui s'appelle le M'PEP, Mouvement Politique d'Education Populaire ( www.m-pep.org ), sur l'Europe.

Voilà. À la semaine prochaine.

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 10 Juin 2008 sur AligreFM. Merci d'avance.