Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 19 DECEMBRE
2006
Comment le prix des matières premières est-il fixé?
Avec Jean-Pierre
Boris, journaliste et rédacteur
en chef à RFI.Responsable à la Confédération
Paysanne. |
Pascale Fourier : Et notre invité aujourd'hui sera Jean-Pierre Boris, qui est journaliste et rédacteur en chef à RFI, et auteur du« Commerce inéquitable, le roman noir de matières premières » aux éditions Hachette Littératures / RFI. Finalement, comment se fixe le prix des matières premières ? C'est une grande question que je gardais au fond de ma besace depuis presque cinq ans. Jean-Pierre Boris : C’est une grande et vaste question... Toute l'émission va y être consacrée et donc je ne vais pas y répondre comme ça en une minute.
Pascale Fourier : Justement, vous venez de parler de hausses et de baisses violentes. Ça se fait sur des marchés ? Comment ça fonctionne ? Jean-Pierre Boris : Je dirais, pour faire simple, qu'il y a deux grandes manières de fixer le prix des matières premières. La manière la plus simple, c'est le "gré à gré" : un acheteur et un vendeur sont face à face et fixent le cours, c'est-à-dire un prix. Et, c'est le cas pour certaines des marchandises les plus échangés dans le monde: par exemple, le riz est échangé à de gré à gré. Il y a vendeur thaïlandais ou vietnamien, et puis, en face de lui, il y a un acheteur américain ou européen, et ils discutent, ils négocient et ils arrivent à fixer un prix. Ces prix sont connus et ont établi des barèmes: on sait que telle qualité de riz vietnamien exportable dans trois mois ou dans six mois vaux tel prix. Mais ce n'est pas un marché financier qui permet d'établir le prix de ses matières premières. Il y a une autre grande matière première dont le prix est fixé de cette façon, c'est le minerai de fer. Mais c'est un peu différent puisque les grands producteurs mondiaux sont très peu nombreux, au contraire du riz. En gros, il y a deux énormes producteurs de minerai de fer dans le monde: l'Australie et le Brésil. Donc, tous les ans, il y a des négociations extrêmement tendues et difficiles entre d'un côté l'Australie et le Japon, et de l'autre entre les producteurs brésiliens et les acheteurs sidérurgistes européens. Et chacune de ces discussions, chacun de ces débats aboutit à la fixation d'un prix qui fait référence pour tous les autres acteurs. Par exemple, proportionnellement, il y a de petits exportateurs de minerai de fer, par exemple les Mauritaniens. Eh bien, les Mauritaniens vont caler le prix de leur minerai de fer sur celui qui a été décidé, arbitré lors du débat entre les Européens et les Brésiliens. Et il ne faut pas s'imaginer que ce sont des discussions qu'on fait sur un coin de table dans un bistrot en une demi-heure: ça peut prendre des mois ! Et ça a pris, en particulier, des mois ces derniers temps parce que, étant donné la soif de minerai de fer de la Chine, les quantités disponibles étaient extrêmement limites et donc les prix ont explosé, et parce que les Brésiliens, les Australiens avaient vraiment un rapport de force qui leur a été très favorable. Alors qu’habituellement ils proposaient des hausses de prix qui allaient de 7 à 10 %, qu’on négociait sur des demi-points de pourcentage, ces dernières années, ils ont imposé des hausses de prix allant jusqu'à 70 %. C'est pour ça que nous, on paye nos produits finis un peu plus chers maintenant. Pascale Fourier : Tout à l'heure vous disiez qu'il y a deux grandes manières de fixer les prix des matières premières. La première est le "gré à gré", dont vous venez de nous parler. Et la deuxième alors ? Jean-Pierre Boris : Eh bien la deuxième, c'est une méthode extrêmement sophistiquée, qui se déroule sur ce qu'on appelle des "marchés à terme". Quand j'ai commencé à m'intéresser en 1997 à ces questions-là, tous les gens avec lesquels je parlais me disaient : "Le fonctionnement d'un marché à terme, nous, professionnels, y travaillant à tous les jours, on a mis quatre ans à comprendre comment ça fonctionnait, en y étant matin, midi, et soir". Donc, moi, humble journaliste, j'ai essayé de m'approcher de la compréhension. Et si j'en comprends bien le mécanisme de manière intuitive, j'ai toujours un peu de mal à le restituer de manière extrêmement didactique et pédagogique, parce que ce n’est pas quelque chose que je connais pour l'avoir manié, manipulé, pratiqué de manière très professionnelle. Ce qu'il faut dire d'abord, c'est que ces marchés à terme, qui sont souvent décriés par les économistes anti-libéraux, ce ne sont pas des mécanismes qui ont été inventés par les capitalistes avec un grand C. Ce sont des mécanismes qui ont été mis au point dans les plaines du Middle West américain en 1848. Et même certains historiens ont trouvé l'émergence de mécanismes très proches au Japon au XVIIe siècle. Ce sont des systèmes qui ont été mis au point pour permettre aux fermiers et aux acheteursde se protéger. Tout le monde sait que les productions agricoles répondent à des cycles, et qu'il y a des années qui sont bonnes, pour des raisons climatiques, pour des raisons de fatigue de la terre, et des années qui sont moins bonnes. Et donc, si je suis meunier, et que j'ai besoin de fournir toute une panoplie de boulangers tout au long de l'année, et de leur assurer un ravitaillement, il faudra que de la même manièreje sois sûr que les producteurs de blé puissent me vendre le blé dont j'ai besoin, la qualité dont j’ai besoin, la quantité dont j'ai besoin. Et donc je vais être amené à leur acheter quasiment à l’avance, ou à prendre auprès d’eux l'engagement de leur acheter une récolte qui n’a même pas encore été semée souvent. C'est un risque financier important. Et donc pour se
prémunir contre ce risque financier important, si je suis acheteur
de blé, je vais me doter d'espèces de bouts de papier
qui auront une évolution de valeurs inverse à celle de
l'opération physique que je réalise : si je suis acheteur
de blé, je vais me munir de certificats de vendeurs, et si, entre
le moment où je procède à cette opération
et celui je me défais de ce certificat de vendeur, le prix du
blé a augmenté, j'aurai gagné de l'argent. Si,
lorsque je décide que je vais acheter du blé six mois
plus tard, je fixe un prix avec mon fournisseur, et si le prix monte,
j’aurai perdu de l'argent en revendant ma farine plus tard parce
qu'il aura fallu que je montre mon prix; mais si j'ai mon certificat
de vendeur, qui est un certificat totalement fictif, eh bien à
ce moment-là je m'en défais, et je gagne: j'équilibre
en quelque sorte la marge. Si doncje perds de l'argent sur le physique,
j’en regagne sur ce qu'on appelle le "papier". Et c'est
l'inverse qui est aussi vrai : je peux gagner de l'argent sur le physique
et en perdre sur le papier. C'est toujours cette espèce de gymnastique
qui est pratiquée. Bien sûr, il y a beaucoup d'entreprises, beaucoup de négociants qui se cassent la figure... C'est clair.... Parce que ces marchés sont extrêmement volatiles, c'est-à-dire qu'ils bougent beaucoup sur le plan financier, qu'il y a beaucoup de gens qui s'amusent à spéculer, même quand leur travail est fondamentalement d'acheter et de vendre du café, du cacao et d'autres produits. Ces gens-là s'amusent à jouer sur les bourses des matières premières. Et, souvent ça se retourne contre eux par ce qu’on n'y gagne pas à tous les coups, bien loin de là. Mais ce sont des risques calculés. Leur peau n’en dépend pas. Ce sont des gens qui réussissent toujours à retomber sur leurs pattes, alors que, quand on est un producteur isolé, on n'a pas ce poids-là et ces aptitudes-là. Pascale Fourier : Quand vous dites "spéculer"... Comment fait-on pour spéculer sur les matières premières ? Jean-Pierre Boris : C'est très simple. Moi qui faisais une chronique des matières premières sur RFI tous les jours avant de faire ce livre, on me disait : "Alors ! Tu as acheté un cargo de pétrole ?". Je disais: "Non"... Et je suis le dernier des imbéciles! J’aurais dû acheter un cargo de pétrole il y a trois, quatre ans, et aujourd’hui j’aurais fait fortune, parce que les prix ont été multipliés par 5, 6, 7, et donc, les gens qui avaient acheté du pétrole, soit du pétrole physique, c'est-à-dire un cargo, en disant: "Eh bien, je le garde", et puis qui le vendent six mois plus tard, ces gens-là se sont fait beaucoup d'argent. Mais comme le pétrole depuis environ vingt-cinq ans est aussi négocié sur les marché à terme et qu'on peut acheter du pétrole papier, les gens qui ont acheté du pétrole papier il y a deux ans et demi, et puis qu'ils ont revendu un an plus tard, ces gens-là ont aussi amassé des fortunes considérables! Ils ont achetés des titres de pétrole papier à l'achat et à la vente; et donc ils ont poussé les prix à là hausse ou à la baisse, et là, ils ont beaucoup joué à la hausse. Évidemment. Parce qu'il y avait la demande chinoise, parce qu'il y avait des craintes sur ce qui se passaient au Proche-Orient et tout le monde était extrêmement réactif, extrêmement inquiet de ce qui allait se passer sur le marché mondial du pétrole. Et les spéculateurs ont aussi mis beaucoup de billes là-dedans. Après les années 2000 et le crack des valeurs technologiques, beaucoup de grands fonds d'investissement ont reporté leurs billes sur les matières premières, et comme la Chine a créé une espèce d'ambiance de rareté, de tensions sur ces produits, eh bien les fonds d'investissement sont allés à la rescousse de la hausse, c'est-à-dire que plus ça montait, plus ils mettaient d’argent. Et on est encore dans une phase très haussière, avec des métaux par exemple dont les prix à Londres où à New York ont atteint des records historiques ces derniers temps. Donc ces fonds d’investissements, quand ils ont réussi à acheter dans la hausse et à revendre toujours dans la hausse, ont gagné beaucoup d'argent. Et les producteurs aussi : les grandes compagnies minières ont fait des bénéfices record. Ce n'est donc pas simplement l'effet de la rareté, c’est aussi que les fonds d'investissement ont placé beaucoup d'argent, des milliards de dollars sur ses placements-là.
Jean-Pierre Boris : Oui. ... d'essayer de les aider. Ca a coulé parce que finalement ça ne marchait pas très bien et puis cela avait des raisons d'être un peu politique parfois. Si vous voulez, dans les années 60,70 existaient, et puis ça disparu peu à peu au fil des années 80, pour disparaître complètement en tout début des années 90, existaient des fonds de stabilisation ou des caisses de péréquation, c'est-à-dire des institutions, soit internationales par exemple pour le café, soit nationales pour le cacao en Côte d'Ivoire. En Côte d'Ivoire, cela s’appelait la "caisse de stabilisation", la Caista, qui cherchait à lutter contre les effets de hausse brutale ou de baisse brutale des prix. Par exemple, des prix très élevés étaient la manifestation du fait qu'il n'y avait pas assez de café ou pas assez de cacao. On injectait donc de la marchandise sur le marché grâce à un stock qui avait été créé et qui jouait un rôle de sas. Quand les prix étaient bas, cela voulait dire qu'il y avait trop de café ou de cacao: cette institution achetait, achetait des milliers de tonnes. Et quand les prix étaient hauts, on relâchait. Et ce qui s'est
passé, c'est que d'abord ces organisations regroupaient un très
grand nombre de pays, que ce soit des pays producteurs ou des pays consommateurs,
et qu'il est extrêmement difficile d'aboutir à des accords
sur les quotas de production. Par exemple, quand vous aviez autour d'une
table les brésiliens, les colombiens, le Mexique, certains pays
d'Amérique centrale, certains pays asiatiques et africains, l'accord
n'était jamais possible pour savoir si on allait mettre la barre
à tel niveau ou à tel niveau. Et puis, quand une décision
avaient été prise par ces pays-là, il y en a beaucoup
qui ne la respectait pas. Donc, finalement ces accords de produits ont
pris l'eau et ont disparu. Et de manière souvent assez brutale,
ça a laissé les petits producteurs à la merci de
ce qu'on décrivait tout à l'heure, c'est-à-dire
des évolutions brutales de prix, à la hausse ou à
la baisse, ce qui veut dire qu’il est assez difficile pour ces
gens-là de prévoir comment ils vivront. En général,
ils vivent assez mal... Jean-Pierre
Boris :
Non. L’OMC n’intervient que sur des produits qui lui ont
été soumis, par exemple le coton. Il y a une grande bagarre
sur le coton, il y a une grande bagarre sur le sucre aussi. L’OMC
c'est un arbitre qui fixe quelques règles. Par exemple sur le
coton, les Brésiliens ont remporté quelques victoires.
Mais ça n'a pas permis de manière fondamentale aux prix
de remonter parce que la bagarre portait sur le fait d'arriver à
obliger les Américains à réduire leurs subventions.
Sur certaines de leurs subventions, ils ont reculé, mais pas
sur l'ensemble du dossier. Et pour ce qui est des prix, ils n'ont pas
évolué de manière fondamentale. Les Américains
continuent toujours à déverser des volumes très
considérables de coton sur le marché mondial, sans que
leur prix de revient soit en rapport réel avec le prix de vente.
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 19 Décembre 2006 2002 sur AligreFM. Merci d'avance. |