Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 20 JUIN 2006

Clearstream: qu'est-ce que c'est? comment ça marche??

Avec Denis Robert, journaliste.

 

Pascale Fourier : Notre invité aujourd'hui sera Denis Robert, journaliste et auteur de "Révélations", "La domination du monde", et "Clearstream, l'enquête" qui devrait sortir bientôt aux éditions Les arènes.

Je suis comme tout le monde: évidemment j'avais entendu parler de Clearstream, mais en fait, on m'avait plus parlé d'une affaire politique avec de Villepin, Sarkozy, et Chirac en guest star plutôt que de ce qui se passait réellement à Clearstream- même. Moi, ce que je voulais comprendre, c'est ce qu'était Clearstream, comment ça fonctionnait, et quel était le problème... Du coup, je suis directement allée voir Denis Robert lui-même. Vraiment pas facile de le coincer. Même presque du genre mission impossible. Et puis un jour je retélephone à l'attachée de presse de Denis Robert qui me dit: " Vous pouvez être aux éditions "Les arènes" dans une demi- heure ?". Je négocie à trois quarts d'heure, fonce comme une dératée et hop, Denis Robert était là, devant le micro, dans un petit jardin intérieur, petits oiseaux qui cuicuitent et portes qui claquent. J'avais droit à une demi-heure de questions candides : voilà le travail...


Finalement le commun des mortels ne comprend rien à l'affaire Clearstream à proprement parler, c'est-à-dire la première affaire Clearstream, pas celle qui concerne les politiques ... vous pouvez nous expliquer ?

Denis Robert :L'affaire Clearstream, c'est en fait le combat qu'il y a entre moi en tant qu'écrivain - et quelques amis avec qui j'ai fait des films - , et cette multinationnale de la finance donc qui s'appelle Clearstream, qui était la propriété des banques les plus importantes de la planète, qui a été fondée au debut des années 70, et qui aujourd'hui appartient, suite à mes livres d'ailleurs, à la Deutsch Borse Clearing qui est la société de bourse allemande. Clearstream, c'est d'abord un monstre informatique, qui brasse énormement d'argent. En 2001, j'avais calculé que 250 fois le budget de France passait par les canaux informatiques de Clearstream qui archive aussi énormement de données financières et énormement de valeurs aussi : c'est de l'ordre de... on va dire 50 fois le budget de la France qui sont dans ses coffres, dans ses coffres-forts électroniques.

La fonction de Clearstream est triple:
- c'est une société qui transfère des fonds et des valeurs un peu partout sur la planète.
- elle archive comme je vous l'ai dit : c'est donc aussi un notaire, elle identifie les propriétaire de ses valeurs et de ses titres.
- et c'est aussi une banque qui cautionne des prêts bancaires, qui cautionne des emprunts, enfin qui prête et qui emprunte. Dans la crise argentine par exemple, c'est Clearstream qui communiquait au nom des banques.

Mon premier livre, mon enquête en tout cas, a permis de révèler l'existence de ces multinationnales de la finance où sont concentrées énormement d'informations financières, et d'éclairer le fonctionnement complètement trouble et opaque de cette multinationale. Et donc l'accusation que je porte est qu' une des fonctions de cette multinationale est de dissimuler des transactions. Et ensuite je vais même plus loin dans cette enquête puisque je prouve qu' elle efface aussi des transactions pour empêcher que le fisc ne se mêle de ces fameuses transactions, parce que si on coupe le lien entre un acheteur et un vendeur, il n'y a plus de traces possibles entre les deux. Voilà. Et donc c'est une accusation assez lourde que je porte.

L'autre révélation, c'est aussi de dire que, pour les transactions qui ne sont pas effacées, qui restent dans le système, l'archivage fait qu'il est possible de remonter des itinéraires financiers, de lutter contre l'évasion fiscale, de voir à qui profite les méfaits et les transferts etc... Le public était tenu complètement éloigné de ces informations-là. Et donc on a essayé de me faire taire: c'est pour cela que cinq ans après la sortie du livre, je subis encore des procès nombreux, que je gagne en général, mais c'est un combat qui est harrassant et dans lequel je suis un peu fatigué.

Pascale Fourier : Et Clearstream, c'est quelque chose de singulier dans le paysage financier, ou il y a d'autres Clearstream ailleurs ?

Denis Robert : Il y a deux multinationnales, deux chambres de compensation internationnales qui sont Clearstream et Euroclear. Euroclear a son siège à Bruxelles et est un peu plus contrôlée quand même que Clearstream. Parce que Clearstream, sa particularité, c'est qu'elle a son siège social à Luxembourg qui est quand même le paradis fiscal et judiciaire le plus important de la planète, parce que les montants financiers, l'argent qui passe par le Luxembourg est sans commune mesure avec celui qui peut passer à Monaco, à Jersey et dans les autres paradis fiscaux.

Pascale Fourier : Une chambre de compensation, c'est quoi ?

Denis Robert : La compensation bancaire, c'est une technique bancaire, qui est d'ailleurs ancestrale, qui s'appelle l'"ouhalla" avant. C'était les indiens qui avait inventé ça; les arabes aussi ont beaucoup pratiqué ça. Au départ de l'histoire, c'est tous ces clans qui, plutôt que de s'échanger l'argent, compensent entre eux. La compensation bancaire qui se pratiquait dans les clans et dans les cellules familiales et qui marchaient à la confiance s'est pratiquée aussi au niveau des banques. Avant l'invention du clearing - c'est l'autre nom de la compensation, le nom anglais - , comment ça se passait quand vous étiez en Amérique et que vous vouliez acheter ou vendre des actions en Italie ? Vous vous déplaciez physiquement : vous preniez des risques, y compris physiques,de voir l'argent que vous aviez disparaître. Clearstream s'appellait à l'origine CEDEL, Centrale de livraison des Valeurs Mobiliaires. Des banques ont mis en commun des masses d'argent importantes et les ont laissées dans un coffre, et ensuite ont "compensé" les échanges entre elles : quand vous prenez une journée de transactions chez Cleartream, vous n'avez en fait aucun échange physique d'argent; à la fin de la journée, vous prenez tous les clients de la firme, c'est-à-dire que si BNP a prêté de l'argent ou a vendu des titres à la Société Générale qui en a vendu à la Banque Populaire qui en a revendu à BNP, qui en a revendu ...etc... à la fin, ils font les soldes, ils font les entrées et les sorties. C'est un espèce de curseur qui bouge et il n'y a pas de déplacement, c'est à dire que tout reste à l'intérieur du systeme. C'est là où on peut parler de virtualité de l'argent. Ce qui change en fait à l'intérieur de Clearstream, c'est le nom du propriétaire des titres ou des valeurs. Les titres, ce sont des actions, des obligations, ou de l'or aussi. Et puis il y a aussi des échanges de cash dans Clearstream. C'est tout cela qui se compense à l'intérieur de ce système.

Normalement, c'est une institution financière respectable, sérieuse. Ce qu'on révèle aussi parce qu' on a eu une photographie de l'intérieur de Clearstream, c'est que toute ces institutions sérieuses, respectables qui font de la publicité, qui ont des vitrines partout, - je pense à BNP, Paribas, Société Générale, à toutes ces grosses banques - ont toutes des filiales dans des paradis fiscaux. BNP a une filiale au Vanuatu, la Société Générale a des compte à Caïman, etc... Donc toutes leurs petites affaires, ils les font là-bas.

Ca, c'est un premier problème. Mais ce qu'on révèle aussi, c'est que dans la chambre de compensation, il y a une grande proportion de clients qui sont complètement troubles. Et encore je suis gentil quand je dis "troubles", parce qu'on retrouve des sociétés offshore, des trusts, des sociétés qui n'ont aucune réputation, qui sont très discrètes.... On retrouve la banque noire de ELF... On retrouve tout un tas de multinationales qui normalement ne devraient pas avoir de compte là-dedans :je pense à Unilever, à Siemens, à plein d'autres comme cela. Toutes ces sociétés-là sont là pour dissimuler leurs affaires.


Ce qu'on écrit et ce qu'on sort, ça gêne tous ces gens-là parce que ça gêne le business. Les révélation que je sors, sur lequelles encore une fois je gagne mes procès, ne peuvent pas percer le mur de l'opinion parce que si ce que je dis est vrai, il faudrait qu'il y ait des enquêtes, il faudrait que cela soit mieux contrôlé etc ; et cela, ce n'est tout simplement pas possible structurellement parce, dans ce cas, Cleartream s'effondre; et si Clearstream s'effondre, c'est le plus grand krach boursier qu'il y ait eu dans le siècle parce que Clearstream est devenu un outil indispensable à tout ce fonctionnement, à tous ces mouvements d'argent.

Pascale Fourier : On pourrait garder le pôle chambre de compensation officielle et pas avoir des comptes cachés, etc...

Denis Robert : Oui, mais ça, ce sont des rêves !!! Ce n'est pas possible dans la réalité. C'est là où on voit la réalité de tout cela. Parce que, si vous voulez, il y a une chose que les altermondialistes peut-être ne comprennent pas assez bien, c'est que le combat contre les paradis fiscaux est un combat perdu d'avance. Les paradis fiscaux, ce sont des leurres. Aller chercher la solution des problèmes dans ces lieux-là, ce n'est pas possible. On ne les trouvera jamais. Parce que les paradis fiscaux sont d'abord, par essence, d'abord des paradis bancaires et surtout judiciaires. Donc on n'y arrivera jamais: ce n'est pas à Caïman, à Jersey, ou au Vanuatu qu'on va trouver des solutions... C'est au Luxembourg, c'est à Clearstream. C'est là, dans ces archives, que s'inscrit réellement la propriété des titres. Il vaut mieux se bagarer contre Clearstream. Il vaut mieux essayer de se dire que la chose la plus importante aujourd'hui, c'est d'essayer d'alerter l'opinion pour que ces chambres de compensation soient contrôlées par des structures indépendantes liées à la Commission Européenne, liées à une banque centrale européene, lié à je ne sais pas quoi... même à l'OMC.... A un moment, il faut se dire : "Voilà, c'est ce problème-là qui est fondamental. C'est bien plus important que la taxe Tobin ou que ce genre de choses".

Pascale Fourier : Des Sous... et des Hommes, et nous sommes toujours en compagnie de Denis Robert. J'avais compris à peu près ce que c'était que Clearstream, mais en fait je me disais intérieurement: " Certes, il y a peut-être des opérations cachées, des truc pas clairs, mais à la limite, en quoi cela me concerne-t-il ? En quoi cela nous concerne-t-il, nous, les gens? Alors j'ai essayé peu à peu de faire aller Denis Robert sur ce terrain: suite de l'entretien....

Si j'ai compris, Clearstream, c'est une structure qui est au-dessus finalement des paradis fiscaux?

Denis Robert : Maintenant, on peut être plus précis. J'ai dit que Clearstream est un monstre informatique, que son siège social est à Luxembourg, que sa maison-mère est en Allemagne...mais elle est présente dans 107 pays dont 40 paradis fiscaux. Là dans la liste que j'avais, il y avait 33000 clients qui étaient présents dans 107 pays et 40 paradis fiscaux. Si on fait un tableau de la planète, voyez ce que c'est: Clearstream couvre quasiment toute la planète. Et donc ces gens-là échangent des titres, vendent des valeurs en toute opacité grâce à Clearstream, et voilà !! C'est un problème d'évasion fiscale, c'est un problème de....

Moi je compare souvent ces problèmes de finance internationnale à des problèmes d'astrophysique. Les astrophysiciens à un moment donné se sont rendu compte que la matière noire de l'univers était plus importante que la matière lumineuse. Quand vous regardez le ciel la nuit, vous voyez des étoiles, et la matière noire est une matière qui existe et qui est prise en compte maintenant par les astrophysiciens: ils se sont rendus compte de son existence en étudiant les mouvements des étoiles. On s'est rendu compte que, quand ces étoiles meurent, il y a forcément une force qui est résistante. Cela prouve forcément que cette force existe même si on la voit pas, même si on ne la touche pas. Maintenant si on métaphore ça, et qu'on transpose ça à l'univers financier, c'est à peu près la même chose, c'est-à-dire qu' il y a une matière noire de la finance qui passe par les paradis fiscaux par exemple, qui a, à mon avis, plus d'importance en terme de masse financière que la matière lumineuse qui est celle que nous présente les médias, toutes ces informations qui nous reviennent sur la finance - les indices boursiers, le CAC, etc... - ne prennent jamais en compte la matière noire, et pourtant la matière noire est là... Si on commence à étudier les mouvements d'argent, on se rendra compte que par exemple l'économie de la drogue rentre à un moment ou un autre dans l'économie normale. Pour parler de la finance parallèle, on parle toujours du "trou noir" de la finance. Avec mon enquête sur Clearstream, j'ai localisé un endroit par où cela passe ! Il fallait bien que toute cette masse d'argent qui voyage à un moment donné s'échappe, et elle passe par un espèce de trou d'aiguille qui était caché dans une espèce de masse qui était Clearstream et le Luxembourg. Et hop elle passe par là, et elle va dans un autre univers que j'appelle la "matière noire de la finance".

Ce fonctionnement-là était très difficile à expliquer et à comprendre, mais aujourdhui j'en suis non seulement persuadé, mais je prouve cela par les documents que j'ai sortis... C'est intéressant...mais en même temps, une fois que l'ai dit, que je l'ai écrit, que je l'ai montré, que j'ai fait des films, qu'est-ce que je peux faire de plus ?


Pascale Fourier : Justement, vous avez fait un film aussi dont le titre approximatif était "L'affaire Clearstream expliquée à un ouvrier de chez Daewoo". Quel lien faites-vous entre l'existence de structures comme Clearstream et .... disons la vie réelle, par exemple les licenciements d'ouvriers de chez Daewoo ? Est-ce qu'il y en a un ? En quoi cela nous concerne-t-il ?

Denis Robert : Là, je n'ai pas la preuve, mais j'ai l'intuition. Mais c'est plus qu'une intuition.... Comment c'est venu, cette histoire? C'est venu au moment où je faisais un autre de mes films qui s'appellait "Journal intime des affaires en cours". Pendant ce film-là, j'ai rencontré à la fois des banquiers suisses, des gestionnaires de fortunes richissimes, et en même temps je rencontrais des SDF. J'ai fait parallèlement un livre qui s'appelle "Portrait de groupe avant démolition" avec un photographe qui vivait dans la rue. Et donc à un moment donné, j'avais deux images, mais je n'avais pas la chaîne entre les deux images: la première image, c'est un SDF qui meurt sur un banc - un mouvement de tête -; l'autre image, c'est un broker qui transfère des fonds à Zurich: il appuie sur une touche. Et j'ai trouvé que appuyer sur une touche, c'était comme appuyer sur une gachette, et que quelque part, la balle, après avoir fait 1000 circonvolutions, c'était celle qui atteignait le SDF qui était en train de crever. En d'autre termes, l'apparition de cette nouvelle pauvreté dans une société qui quand même est considérée comme très riche, on ne peut pas l'analyser si on ne prend pas en compte ce problème d'évasion de capitaux. Pourquoi un pays, pour parler de la France, qui est si riche, produit cette pauvreté-la ? Et donc je suppose et j'essaye de prouver que des sociétés, une société comme Clearstream a un rapport avec cette fabrication de pauvreté, parce qu'elle permet une évasion de capitaux. Et le broker qui est à Zurich qui transfère des fonds se sert de ces outils comme Clearstream pour dissimuler des transactions : l'argent qui n'arrive pas en bout de course dans les entreprises va enrichir certaines personnes. Je vais peut-être heurter encore une fois des altermondialistes qui sont anti-libéraux ... Moi, je ne suis pas antilibéral. Je pense que le libéralisme en tant qu'idéologie, en tant qu'idée, c'est une très belle idée: je n'ai rien contre le marché. Le problème, ce n'est pas le mode d'emploi, c'est la manière dont on utilise le libéralisme. Et donc le libéralisme, il foire complètement si le marché n'est plus le juge de paix, et si les gens trichent, ce n'est plus possible. Parce que là, ils induisent de la tricherie et ça fabrique des prédateurs. Et ce sont ces prédateurs financiers qui tuent le libéralisme et qui tuent le marché. Et une boîte comme Clearstream d'ailleurs, si on réfléchit bien, elle aide beaucoup les prédateurs financiers. Parce qu'il subiste quand même sans doute, il subsiste des entrepreneurs; il y a des types qui essayent d'être honnêtes dans le système, et c'est de plus en plus dur pour eux. Parce qu'en face, ils ont des gens qui trichent. Donc ce n'est plus la libre concurence... Et qui est-ce qui permet cette dissimulation? Encore une fois on retombe sur des multinationales comme Clearstream. Je suis désolé de chaque fois ramener à ça, mais quand vous réfléchissez cinq minutes et quand vous étudiez les comptes de ces boîtes, ce n'est pas une boîte anodine.... C'est un truc énorme.

Pascale Fourier : Est-ce que vous avez repéré des multinationales et des banques qui ont un compte non caché et un compte caché ?

Denis Robert : Mais ça, c'est le lot commun ! Il y a plein de problèmes de dysfonctionnements... Il y a surtout des comptes qui sont strictement non publiés, et il y a les grosses banques ont des comptes publiés : il n'y a aucun problème. Dans le réglement intérieur, il y a la possibilité d'ouvrir ce qu'ils appellent des "comptes aditionnels". Parce que vous si vous êtes très riche et si vous êtes un particulier, vous pouvez avoir un compte chez Clearstream. Il n'y aura pas votre nom.

Pascale Fourier : Sans mettre mon nom ! Et comment je vais me retrouver ?

Denis Robert : Parce que vous aurez un numéro de code à cinq chiffres, et votre banquier, l'ingénieur financier avec qui vous travaillez, gérera vos fonds à partir de ce compte-là. Mais vous serez le seul mandataire du compte. Et il y a peut être votre nom d'ailleurs si on retrouve ...mais généralement ils ne mettent pas les noms des particuliers dans les listes.

Pascale Fourier : Et comment Clearstream peut-elle faire croire qu'elle est honnête (j'espère que je n'aurai pas de procès.... ) si effectivement elle permet d'avoir ces comptes additionnels qui visiblement ne peuvent que cacher quelque chose...

Denis Robert : Clearstream et la notion d'honêteté, c'est antinomique. Parce que Clearstream, ce n'est pas une personne morale. C'est une société qui appartient maintenant à Deutsch Borse Clearing, et l'hônneteté, ils n'en ont absolument rien à faire: ce n'est pas leur problème.

Pascale Fourier : Mais ils se cachent derrière ça, par exemple, pour vous attaquer ?

Denis Robert : Ils m'attaquent parce que comment voulez vous qu'ils admettent une seconde que ce que je dis est possible ou vrai ? Et comme ils ne peuvent pas me faire taire, ils sont obligés d'attaquer et de faire durer les procès. Ils sont dans une stratégie d'épuisement et d'usure quoi. Comment dire ... c'est comme ça....

Pascale Fourier : Finalement moi ce que j'ai compris quand je lis les journaux, c'est que Clearstream va dire: " Mais moi je suis très honnête: une chambre de compensation, c'est tout à fait normal. Je suis l'honnêteté incarnée". Et visiblement, il est avéré qu'il ont effectivement des comptes cachés ou à la rigueur des comptes sans mettre le nom des bénéficiares, etc .. Je ne vois pas, si effectivement ça, c'est prouvé, comment ils peuvent à la limite presque même trouver des soutiens puisque c'est l'évidence.

Denis Robert : Mais c'est parce qu'ils ont leur siège au Luxembourg. Puisque il n'y a pas de justice possible.... Le Luxembourg a fait un non-lieu qui est assez incroyable dans cette histoire. Il y a eu une instruction d'ouverte, mais il y a eu plein de problèmes de prescriptions. Et c'est impossible d'enquêter sur Clearstream. C'est ce qui les protège. Donc moi je peux dire ce que je veux; eux ils sont protégés par le système judiciaire luxembourgeois. C'est ça le problème de fond.

Pascale Fourier : Et la justice francais ne peut pas..... ?

Denis Robert : Non. Des parlementaires européens ont essayé de créer une commission d'enquête en 2002. Ils étaient très nombreux, presque une centaine. Il y avait des Finlandais, des Anglais qui avaient lu le livre et qui s'étaient mobilisés. Ils ont posé une question; ils ont dit: " Est-ce qu'on peut obtenir une commission d'enquête sur Clearstream?". C' était la seule chose qui aurait été formidable, parce que la commision d'enquête européenne aurait pu avoir un pouvoir de coercition, c'est-à-dire obliger les dirigeants à parler, etc...Et à ce moment-la, le commissaire européen qui doit prendre la décision ou pas d'accorder la commission d'enquête dit: "Non", et il dit que l'Etat luxembourgeois est souverain sur son territoire; nous, commission européenne, on n'a pas à mettre notre nez dans cette histoire. Sauf que le commissaire en question s'appelle Fritz Bolkestein ( c'était avant la fameuse affaire le concernant...) et qu'on a découvert après coup grâce à un autre europarlementaire, un type très bien qui s'appelle Paul van Butenen que ce Bolkestein était non seulement membre du conseil de surveillance de Menatep qui est une banque russe qui a des comptes chez Clearstream, mais qu'il a été aussi un des hauts dirigeants de la Shell, la compagnie pétrolière hollandaise qui a aussi des comptes chez Clearstream. C'est là que l'on voit la force des lobbys et qu'ils s'en sortiront toujours, à moins d'une forte mobilisation, à moins de manifs organisées là-bas, à moins de je ne sais pas quoi.

Clearstream, c'est quelque part un talon d'Achille dans le système, et le fait qu'ils aient été repérés, ça va finir par... je ne sais pas...mais le temps joue en ma faveur. Les livres se diffusent, là je pourrais passer ma vie à faire des conférences, des interviews... Le fait que tout ça..; les gens commencent à comprendre l'importance de tout ça. Et puis l'affaire Clearstream 2, celle du corbeau qui sort en france aujourd'hui, sur lequel je vais écrire ce bouquin, est ... finalement, c'est sans doute mon livre le plus accablant pour Clearstream. On voit bien que pour tout le monde en France, il est admis que Clearstream est une boîte pourrie. Et alors ils ont beau faire de la com' là-dessus etc .. Les gens ne se rendent pas bien compte de ce que c'est, mais en même temps, en terme d'image et de réputation, c'est assez terrible pour eux... sauf que le business n'a jamais autant marché pour Clearstream : ils ont fait 14 % de bénéfices l'année dernière par rapport à l'année d'avant. C'est un tel outil, formidable pour tout ceux qui veulent dissimuler, que c'est pas demain la veille que ça va s'arrêter

Pascale Fourier : C 'était Des Sous... et des Hommes, en compagnie de Denis Robert. Alors pas facile d'expliquer Clearstream et de prouver ses dires en une demi-heure : le mieux, c'est sans doute de lire Denis Robert. Je vous rappelle les titres de ses livres : "Révélations","La boîte noire", "Clearstream, l'enquête" qui devrait bientôt sortir aux éditions Les Arènes, et puis un roman qui s'appelle "La domination du monde" et qui traite de l'affaire lui aussi.

La semaine prochaine, nous allons recevoir Christian Chavagneux qui est rédacteur en chef adjoint du mensuel Alternatives économiques et qui a écrit avec Ronen Palan un petit livre aux éditions La Découverte dans la collection Repères qui s'appelle "Les paradis fiscaux". Il y explique très clairement ce que sont les paradis fiscaux, comment ils fonctionnent, et surtout -et c'est ce qui m'interessait - en quoi les paradis fiscaux ne sont pas un épiphénomène du capitalisme actuel, mais - je le cite - "un des piliers sans lequel la mondialisation économique ne pourrait pas fonctionner" . Je pense qu'ils sera intéressant de réécouter ce que dit Denis Robert après ce que nous dira Christian Chavagneux... Ca pourra peut-être alors devenir absolument lumineux...
Voilà, à la semaine prochaine.

 

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 20 Juin 2006 sur AligreFM. Merci d'avance.