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Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION du 19 septembre 2006

Le libre-échange dans la mondialisation libérale/alternatives 1/2

Avec Gérard Duménil, économiste, directeur de recherche au CNRS.

 

Pascale Fourier : Notre invité d'aujourd'hui sera Gérard Duménil, chercheur au CNRS.

Alors, Des Sous … et des Hommes, début de la sixième année. Election de 2007 à l'horizon, il fallait bien participer au débat... Mais normalement sixième et dernière année, parce que Des sous a quand même fait le tour, en cinq ans, des problématiques qui sont les siennes, et ne peut se payer le luxe, comme les émissions classiques qui ne mettent pas leur archives à disposition de tous sur le net, de traiter sans arrêt les mêmes thèmes. Toutes les émissions sont à votre disposition en effet, je vous le rappelle, en version audio et en version écrite, sur le site http://www.des-sous-et-des-hommes.org/. Que soient d'ailleurs infiniment remerciés à cette occasion tous les transcripteurs qui ont travaillé bénévolement pour que les 146 transcriptions soient là, pour vous.

Sixième année, donc, et on a inauguré cette saison avec Gérard Duménil, directeur de recherche au CNRS, et auteur avec son ami Dominique Lévy, du livre éclairant "Crises et sorties de crises" aux éditions PUF. Gérard Duménil, je l'ai rencontré cette fois-ci dans l'agitation de l'Université d'été du mouvement ATTAC, à Poitiers. Interview rigolote. Pas de salle libre pour faire l'interview. Alors on s'est retrouvé dans un petit jardin intérieur, assis sur une petite marche, micro coincé sur mon sac à dos retourné. Gérard Duménil, directeur de recherche au CNRS, et Pascale, assis comme des gamins... et ils parlaient du libre-échange.

Finalement, on entend souvent parler de la "mondialisation libérale", mais un autre terme qu'on entend dans les débats, c'est celui de "libre-échange". Et moi, ce que j'aurais voulu comprendre, c'est quelle est l'articulation entre les deux termes, et le poids de l'un dans l'autre peut-être.

Alors d'abord, première question, qu'est-ce que c'est que le libre-échange?

Gérard Duménil : Le libre-échange est un principe qui est très ancien dans l'histoire du capitalisme, qui est une revendication, pas permanente, mais qui est très fréquente, et qui surtout est au centre de ce qui se passe actuellement dans le monde. Par exemple l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est une organisation libre-échangiste. C'est le principe fondamental, numéro 1, qui justifie en fait, l'existence de cette institution. Qu'est-ce que cela veut dire? Ce principe dit : si l'on ouvre les frontières très largement, frontières commerciales pour les biens et pour les services, c'est-à-dire si l'on peut exporter et importer des biens et des services, si l'on peut vendre ou acheter dans d'autres pays, tout le monde y gagnera. Par exemple, et ceux qui ont mon âge comprendront ce que je veux dire, dans les années 50 ou 60, les français avaient envie d'acheter des appareils photos allemands, parce qu'ils étaient meilleurs que les appareils photos français. Ça n'était pas possible, ou si ça l'était, il fallait payer des droits de douane. Donc à ce moment-là, ils étaient peut-être bons, mais ils étaient chers. Les tenants du libre-échange vont dire :"Ouvrez toutes les frontières, tous les consommateurs vont y gagner, on va pouvoir acheter ces appareils photos à un bon prix". Ce principe a l'air complètement évident, et surtout, dans le néo-libéralisme, il revêt une forme absolument totalitaire. C'est un principe indiscutable. Il faut tout ouvrir, à des très petites nuances près, et tout le monde va y gagner. On peut comprendre que ce principe est l'expression d'un principe beaucoup plus général, qui est l'expression de l'idée de libre-marché, qui dit que si tout le monde est libre d'acheter, de vendre, de transacter, etc …, tout le monde va y gagner. L'explication bébête, c'est de dire "si deux individus font une transaction, c'est qu'ils sont d'accord entre eux; donc ça veut dire que, d'une certaine façon, ils en profitent tout les deux". Donc laissons faire tout librement comme ça dans le monde.

Là où ça cloche, ce qui me permet de passer aux conséquences, c'est que les choses sont beaucoup plus compliquées que ça. Parce qu'évidemment, le problème derrière, c'est que les individus ne sont pas que des acheteurs. Ils sont aussi des producteurs. Voyons maintenant les choses d'une autre façon. Prenons une femme qui tisse du tissu en Inde - là je suis au XIXème siècle, mais c'est toujours vrai de nos jours - , et puis tout d'un coup, on importe en Inde la toile qui vient de Manchester. Cette toile est fabriquée sur des machines, tandis que cette femme travaille sur son métier à tisser. Va-t-elle y gagner ? Le problème, c'est qu'elle va perdre son job. Et donc si elle perd son travail, alors on va lui dire: "Ah oui mais cette toile qui vient de Manchester, (il faudrait parler des taux de change, c'est très compliqué), elle va être moins chère, puisqu'elle est fabriquée de manière très efficace, elle incorpore très peu de travail, etc …" Donc effectivement, elle va être moins chère, mais le problème, c'est qu'elle s'en fout que ce soit moins cher, car elle n'a plus de fric!! Elle est une consommatrice potentielle très très efficace, sauf qu'elle meurt de faim... Donc il faut bien comprendre que le libre-échange, c'est beaucoup plus compliqué que ça.

A l'intérieur de la mondialisation néo-libérale, le néo-libéralisme a beaucoup de facettes à l'intérieur de chaque pays: ce n'est pas simplement le commerce international. Je n'ai pas le temps d'expliquer ici, puisque ça n'est pas le propos de notre entretien, mais il y a une dimension internationale très importante. Cette dimension internationale a deux volets principaux. Le premier, c'est "ouverture des frontières commerciales", au commerce des biens et services. Le principe du libre-échange, c'est d'ouvrir, d'ouvrir tant qu'on peut. Et là, on peut dire qu'ils l'ont fait de façon totalement écrasante, par la volonté de chaque pays, en signant des accords, qui peuvent être soit des accords multilatéraux, qui mettent en jeu un ensemble de pays comme au sein de l'Organisation Mondiale du commerce, ou des accords bilatéraux entre deux pays. Donc on ouvre. C'est un des piliers du néo-libéralisme, au plan international. Le deuxième pilier au plan international, auquel il faut le lier très étroitement, c'est celui de la mobilité des capitaux : un investisseur est libre de faire les investissements qu'il veut, d'acheter des actions, de construire des usines, d'acheter des entreprises qui souvent existent déjà dans un pays étranger. Il faut vraiment mettre les deux choses en parallèle dans le monde actuel. Quand on parle du libre-échange, strictement parlant, on parle du commerce des biens et des services. Mais la liberté des capitaux, la libre circulation des capitaux, la liberté d'investir en est le corrolaire, d'une certaine façon.

Pascale Fourier : Justement pourquoi ? Quel est le lien entre l'ouverture des frontières et la mobilité des capitaux ?

Gérard Duménil : Je parle de l'ouverture des frontières financières. Placer des capitaux, faire des investissements dans n'importe quel pays doit être autorisé selon les règles de la mondialisation néo-libérale. Ceci n'existait pas avant le néo-libéralisme. Avant le néo-libéralisme, il y avait un système qu'on appelait le "contrôle des changes". Un Français qui voulait investir aux États-Unis, il lui fallait des dollars. Il devait donc demander l'autorisation d'obtenir ces dollars. Cette autorisation pouvait lui être accordée. Dans d'autres circonstances, elle pouvait lui être refusée. C'est un robinet que l'on ouvrait plus ou moins selon le fonctionnement de l'économie française. Par moment il était grand ouvert, par moment il était pratiquement fermé.

Pascale Fourier : Et pourquoi on pouvait fermer le robinet ? Quel était l'intérêt ? Qu'est ce qu'on cherchait ?

Gérard Duménil : Eh bien dans de la France de l'après-guerre, c'était très lié au problème de l'inflation. Il y avait plus d'inflation en France que dans des pays comme l'Allemagne ou les Etats-Unis. C'est quelque chose qui est dangereux du point de vue du commerce français, parce que ça voulait dire que, étant donné le taux de change du franc contre le mark, si les prix français montaient plus que les prix allemands, les produits français devenaient chers. Donc la dévaluation survenait. C'est comme ça que l'on s'ajustait. On allait dévaluer la monnaie, c'est-à-dire diminuer brutalement le taux de change, puisque ça marchait comme ça. Mais le problème, c'est que ce qu'on appelle les marchés financiers, c'est-à-dire la finance internationale, tous les crabes qui sont là dans le monde à épier les opportunités, voyaient bien qu'il y avait plus d'inflation en France qu'en Allemagne, donc ils se disaient que le franc allait se dévaluer. Ils commençaient à se débarrasser de leurs francs, en les changeant contre des marks ou contre des dollars. A ce moment-là, on disait "les réserves de change de la France dégringolent", parce que quand ils vendaient leur francs, il fallait bien leur donner des dollars en face. Et c'était la banque centrale qui fournissait au système bancaire les dollars qu'elle avait accumulés pour servir à ça.

Ce sont des mécanismes un petit peu compliqués, mais l'idée générale est simple. Ça fonctionnait comme ça: en France régulièrement, compte-tenu de l'écart d'inflation avec d'autre pays, les marchés financiers, c'est-à-dire la finance, les grandes banques au plan mondial, et même des entreprises privées, pressentaient qu'on allait changer les taux de change pour rétablir l'équilibre. Donc ils commençaient à se débarrasser de leurs francs. Donc ça vidait toutes les caisses de la Banque centrale qui détenait des dollars ou des Deustch Marks, et là il fallait absolument intervenir. Que faisait-on alors ? On durcissait le taux de change. Au lieu de dire: "Vous voulez des dollars, on vous les donne", on commençait à restreindre énormément. On restreignait pour les transactions financières, on donnait peut-être pour faire certains investissements en machine, etc … : on était de plus en plus restrictif. Et à un moment-même on ne donnait plus rien. Ça se produisait en général le vendredi. Samedi, dimanche, on dévaluait la monnaie. Parce qu'il leur arrive de travailler pendant le week-end. On se retrouvait le lundi, le taux de change était encore bien contrôlé, et puis au bout de trois semaines on était revenu à un fonctionnement libéral.

Alors ça, c'est tout ce que le néo-libéralisme déteste, parce que cela veut dire intervention de l'Etat, contrôle de l'Etat, que l'Etat est vraiment en train de guider l'économie. Cela implique la possibilité de tolérer l'inflation, ce qu'ils détestent par dessus tout, parce que ça les ruine. Donc le néo-libéralisme interdit complètement ce type de pratiques. On voit d'ailleurs, dans ce que j'expliquais sur les dévaluations et le commerce international, les liens très étroits qu'il y a entre le problème du commerce des marchandises et le problème des transactions financières, et en particulier des transactions sur les monnaies. Le néo-libéralisme proscrit complètement tout ça.

Pascale Fourier : Je n'ai pas bien compris quelle était l'articulation justement entre le libre échange et la mondialisation libérale. Quel est le lien ?

Gérard Duménil : Mais c'est ça, la mondialisation libérale ! Elle a deux aspects fondamentaux: le libre commerce, c'est-à-dire le libre-échange, et la libre circulation des capitaux, c'est-à-dire la liberté d'investir, de déplacer ses fonds. Donc ça veut dire liberté de changer ses devises évidemment, puisque quand on passe d'un pays à l'autre, il faut changer. Quand les américains veulent investir en Chine, ils leur faut de Yuans, la monnaie chinoise. Ils se tournent alors vers la Banque centrale pour demander des Yuans. Et donc la Banque centrale, ce qu'elle fait d'ailleurs en ce moment, accumule des dollars. Avec ces Yuans, ils vont acheter ce qu'ils veulent. Ils vont en particulier payer les salaires, etc … en Chine.

Pascale Fourier : Et ça n'est pas autre chose la mondialisation libérale ? Ça n'est que ça?

Gérard Duménil : Alors non. Ça, ce sont deux aspects de la mondialisation libérale, vous avez raison d'insister. Evidemment, il y a un autre aspect très important, qui est la mondialisation de la production, c'est-à-dire bien sûr celle des grandes sociétés américaines ou françaises. Tout ça se passe à travers des intermédiaires, en particulier à travers ce qu'on appelle les paradis fiscaux. Ça vient très peu directement. Tout ça passe par un paradis fiscal, deux paradis fiscaux. C'est un itinéraire, mais on s'en moque parce que le résultat est là. Les sociétés transnationales vont investir par exemple en Chine. On a une mondialisation de la production. Une nouvelle division, comme on dit, du travail ou de la production à échelle mondiale qui se met en place. Mais justement, vous faites bien de me rappeler à l'ordre là-dessus, parce que j'ai dit "deux piliers", j'aurais dû dire trois, parce que celui-là, c'est le pilier en dur. On voit que la libre mobilité des capitaux, que la liberté de change, que le libre commerce, etc … sont évidemment les conditions de la possibilité pour eux d'investir et de produire dans d'autres pays. C'est quelque chose de colossal. Par exemple en Chine, actuellement, le commerce extérieur de la Chine, ses importations et ses exportations, qui sont à peu près égales, représentent 25%, c'est-à-dire le quart de la production de l'année. Ça veut dire que en Chine le quart de la production est exporté. Mais il y a aussi un quart d'importations. C'est donc quelque chose d'absolument énorme. Et dans ce commerce-là, la moitié est le commerce des sociétés transnationales.

Pascale Fourier : Vous voulez dire quoi ?

Gérard Duménil : La moitié du commerce extérieur de la Chine, importation et exportation, est fait par les sociétés transnationales. Qu'est ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'elles importent par exemple des pièces détachées, puisque la Chine est un pays intéressant pour la main-d'œuvre, parce que c'est très bon marché. Donc ils vont importer des pièces détachées: ça va compter dans les importations des transnationales et du pays. Ensuite, quand l'iPod®, la télé ou je ne sais pas quoi est monté, il est réexporté. Entre les deux, il y a du travail qui a été ajouté, et ça fait des exportations. Donc on peut dire qu'on sait que la moitié du commerce extérieur chinois correspond à ces transactions des sociétés multinationales. Donc on voit très bien d'ailleurs que le libre-échange, c'est un des piliers bien sûr de la stratégie des sociétés multinationales.

Pascale Fourier : J'ai lu justement qu'au niveau du commerce international, la part qui se fait entre les branches d'une même entreprise, d'une même multinationale, est absolument énorme.

Gérard Duménil : Absolument oui …

Pascale Fourier : Et pourtant on essaye de justifier le commerce par presque on pourrait dire des liens entre les peuples.

Gérard Duménil : C'est ça, l'intérêt des consommateurs....

Pascale Fourier : Il en est quoi, finalement ?

Gérard Duménil : Eh bien comme je le disais, ça fait partie de cette division internationale du travail. Cette division internationale du travail, de la production, elle a ses effets directs, c'est-à-dire que ça va permettre à des grandes sociétés transnationales d'aller faire leur production là où ce n'est pas cher. Ça coûte des transports, mais les transports ne sont pas très chers. Ça pollue énormément bien entendu, il faut traverser le Pacifique, ce qui n'est pas rien, mais ils y vont pour ça. C'est un premier aspect des choses. C'est l'effet direct. L'effet sur les peuples, c'est de dire "c'est bien pour les américains", puisqu'ils vont avoir des téléviseurs qui ne sont pas chers. Il suffit de lire la première page des rapports de l'OMC. Ils vont toujours nous asséner la même histoire: c'est formidable parce que vous allez avoir des produits qui vont être mieux et moins chers. Donc on parle de l'intérêt du consommateur. Des gens quoi ! Parce "les peuples", c'est un grand mot..."Votre intérêt", parce que vous allez avoir les choses pas chères.

Mais le problème, c'est celui que je signalais tout à l'heure, c'est le problème du travail réalisé localement. Parce que ça, ça s'appelle la délocalisation. Ca veut dire que si les chemises sont fabriquées ailleurs, elle ne sont plus fabriquées là. C'est pour ça que les Etats-Unis par exemple sont actuellement en train de se débattre, parce qu'ils avaient une industrie textile, et puis manque de chance, maintenant que l'accord dit "accord multi-fibres", qui était l'accord sur le textile, est venu à terme, ils ont demandé des protections supplémentaires pour trois ans. Parce que ça va foutre en l'air le textile américain, et ils n'aiment pas ça. Du moins il y a des gens qui se défendent. Prenons par exemple la société GAP, dont on a beaucoup parlé, tout le monde connaît les petites chemises mignonnes etc ... Ce truc-là va être fabriqué au Guatemala, un pays que je connais, par des femmes qui travaillent dans ce que l'on appelle les "maquiladoras". On amène le tissu, elle sont là sur les machines à coudre, dans des hangars absolument gigantesques parce qu'elles sont des milliers, dans des conditions d'hygiènes absolument abominables et avec des chefs qui sont de véritables fascistes. Elles vont travailler cinquante heures par semaine pour un salaire de 60$. Là-bas, il ne faut pas croire que tout est donné. Un litre de lait peut valoir 1$. Ca n'est pas un salaire qui représenterait un pouvoir d'achat formidable parce que les prix seraient vraiment différents. Alors ces petites chemises arrivent à Paris, à New-York, elles sont très bien, elles sont bon marché. Evidement entre les deux, d'abord les entreprises vont réaliser des profits énormes: elles peuvent réaliser des profits énormes et les vendre un peu moins chères que la concurrence... Donc c'est bon pour eux. Il y a un certains nombre d'années à Boston, il y a eu des mouvements radicaux comme on dit là-bas, des mouvements de gauche, qui ont organisé des manifestations contre ça en disant: "Vous êtes content avec une petite liquette, elle est pas chère, vous allez en acheter dix par an. Mais il faut bien que vous voyez que vous êtes complice dans une division du travail". Et il faut dire que ces maquildoras, ces usines qui font ces montages au Guatemala, généralement ne sont pas des entreprises états-uniennes. Ce sont par exemple des entreprises taïwanaises. Parce que c'est beaucoup plus intéressant de faire faire le sale boulot par les autres. Donc GAP va contracter avec une multinationale taïwanaise, qui va faire transpirer ces pauvres femmes dans ces ateliers; ensuite un contrat est passé pour acheter ces chemises à la sortie - c'est la sous-traitance du sale boulot -, ces chemises vont aller ensuite à Boston, et les jeunes de ce pays vont se balader avec leur belle petite liquette... Mais ils n'ont pas conscience probablement qu'ils sont dans ce système. Après il suffit d'ajouter un slogan sur le truc "United colors of Beneton®", et puis on a l'air éminemment progressiste.

Globalement, il faut quand même le dire beaucoup plus fortement que je ne l'ai dit jusqu'à présent, c'est que la conséquence de ce système-là est la mise en concurrence de tous les travailleurs du monde. Et c'est quelque chose de gravissime parce que ça nous tombe dessus. Mais pas simplement sur nous. Il y avait un accord multi-fibres sur le textile qui est terminé. Les Chinois sont maintenant supposés pouvoir faire le commerce qu'ils souhaitent, avec quelques mesures de transition : eh bien ce sont les femmes du Bangladesh qui sont ruinées. Ça n'est pas simplement le fait qu'il y a du textile américain qui ne pourrait plus exister. Cette mise en concurrence est donc quelque chose de gravissime. La Chine se développe à des taux formidables pour plusieurs raisons. Premièrement, elle est sortie de son ancien système. Ça a provoqué une libération, une explosion absolument formidable. Deuxièmement, c'est un peuple qui a un niveau culturel très élevé, qui a des traditions de connaissance, des traditions d'érudition, etc … très très fortes, qui a un système éducatif. Ensuite, je ne numérote pas parce que je vais en oublier, c'est un système dans lequel l'ordre règne. Il y a un parti "communiste" qui fait régner l'ordre à des niveaux de répressions qui sont extrêmement élevés, et ça, les capitalistes du centre adorent ça. Et puis ils se présentent sur le marché mondial avec une main d'œuvre très peu chère. Et en plus, leur monnaie est complètement sous-évaluée. Ce qui fait que si le salaire était de 100$ - ils ont une monnaie que est en fait à 20% de sa valeur -, et même sans entrer dans l'explication technique de la chose, ça veut dire que ce salaire se trouve considérablement diminué. Ce que je dis n'est pas tout à fait correct: si je dis que le salaire est de 100$, c'est déjà en tenant compte du taux de change de la monnaie. Il faut toujours penser qu'il y a deux aspects. Le pouvoir d'achat de celui qui travaille, et puis le taux de change qui est mis derrière. Alors ça c'est formidable pour les multinationales. C'est terrible pour le textile américain. Ils sont donc toujours dans un jeu de tension. Mais dans ce jeu de tension-là, c'est quand même finalement les multinationales qui l'emportent. Il y a quelques résistances, ça grince, parce qu'il y a toujours des gens qui peuvent être mis en danger avec ça.

Pascale Fourier : Eh oui, c'était donc Des Sous ... et des Hommes, et en compagnie de Gérard Duménil. Les auditeurs attentifs auront remarqué que c'est l'un de mes économistes préférés, et je suis persuadée que s'il est une série d'émission qu'il faut écouter avant toutes les autres pour justement les éclairer, c'est la série faite avec lui en décembre 2003, les numéros 69, 70 et 71, que vous pouvez retrouver sur le site de Des Sous ... http://www.des-sous-et-des-hommes.org/. On peut aussi écouter les émissions 128 et 132 qui ont été faites avec lui. Voilà, bonne écoute, et puis à la semaine prochaine, pour l'émission 149, et toujours avec Gérard Duménil.

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Émission Des Sous...et des Hommes du 19 septembre 2006 sur AligreFM. Merci d'avance.