Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 2 MAI 2003
La croissance 2/3
avec Gustave
Massiah, président du CRI.(Centre de recherche et d’information
pour le développement) |
Alors, la dernière fois, Gus Massiah nous disait que le capitalisme n’aime pas les limites et qu'actuellement, on croyait à la nécessité, pour assurer la croissance, d’ouvrir largement l’accès au marché mondial.Alors moi je lui ai demandé comment ça marchait avant!.. Gustave Massiah : Avant les années 80, on croyait à la croissance, mais pas vraiment à la croissance du marché mondial, on croyait beaucoup plus à la croissance des marchés intérieurs. Pourquoi ? Parce qu’on était tout à fait dans une autre idéologie, dans une autre représentation : celle du marché intérieur, c’est-à-dire de la frontière sociale. C’était l’idée de Ford, qui avait été théorisée par Roosevelt avec le New Deal, une idée assez extraordinaire : « Si j’augmente le salaire de mes ouvriers, ils pourront acheter mes voitures ; et s’ils achètent mes voitures, j’aurai une augmentation du marché des voitures et donc je pourrai baisser le prix de mes voitures et mes ouvriers pourront acheter encore plus de voitures… » Un cercle vertueux entre salaires et marché et consommation, et profits finalement. C’était une rupture avec la représentation du XIXème siècle que l’on résumait en général par la loi d’airain des salaires, qui ne peuvent que baisser, car si les salaires ne baissent pas, les profits n’augmenteront pas, et c’était donc la guerre entre les salaires et les profits. Là, justement, Ford trouve un contrat social. En contrepartie, il dit que pour qu’il puisse réellement augmenter les salaires de ses ouvriers et baisser les prix de ses voitures en même temps – ce qui paraît impossible quand on raisonne de façon un peu statique comme dans la période précédente –, il dit qu’il faut augmenter la productivité, introduire plus de progrès technique et qu’il faut que les ouvriers acceptent d’organiser le travail scientifiquement, de travailler sur de nouvelles machines et d’avoir moins de libertés dans l’entreprise.
Pascale Fourier : Mais la politique keynesienne, ça marche ? Gustave
Massiah : Ca
marche si l’économie est fermée. Parce que si l’économie
est ouverte, ça s’enfuie, comme ça s’est passé
en 1981 avec les socialistes qui ont dit : « On va relancer la
machine par de l’inflation et de la consommation ». Comme
l’économie était ouverte, tout l’argent est
parti et il n’y a pas eu réellement d’anticipation,
ça n’a pas fonctionné. Mais effectivement, pendant
toute une période historique, de 1947 à 1980, ça
a très bien marché et, évidemment, ça a
créé le plein-emploi (dans les pays du Nord, pas dans
l’ensemble du monde). Ces revenus étaient donc créés
par l’Etat et l’Etat a proposé, à ce moment-là,
un contrat social plus large encore que celui que Roosevelt avait proposé
avec le New Deal, qui était le contrat fordiste. Avec Keynes
arrive en effet une idée formidable : finalement, on augmente
les salaires, pas seulement sur de la consommation individuelle mais
sur de la consommation collective (l’éducation, la santé,
les services publics, l’eau…) On va donc créer un
secteur public et un salaire indirect : c’est un salaire qu’on
ne vous versera pas mais vous bénéficierez de ses fruits.
C’est ce qui explique pourquoi, y compris au niveau populaire et pas seulement au niveau des dirigeants, il y a cette idée que la croissance, c’est la condition nécessaire -ce n’est peut-être pas forcément la condition suffisante, mais c’est la condition nécessaire- pour avoir accès à des consommations et à des droits. Donc, c’est quelque chose qu’il faut défendre à tout prix et on n'a pas de solution si on n'a pas de croissance! On intériorise aussi l’idée que, si l’économie est en crise et qu’il y a une décroissance, tout le monde paie! (Ce qui permet d’évacuer la question des inégalités : quand il y a une crise, pourquoi tout le monde devrait payer et pas seulement ceux qui ont le plus de moyenspar rapport à ceux qui en ont le moins?) Pascale Fourier :Certes, on pense tous que la croissance est nécessaire, bénéfique… mais bon, on voit bien qu’il y a des limites, des problèmes... alors qu’est-ce qui a fait que l'idée de croissance a commencé à poser question? Gustave
Massiah : Il
y a trois facteurs qui font que ça entre en crise. Ca, évidemment, ça remet en cause la croissance, parce que ça pose la question de la nature-même de la croissance. C’est-à-dire qu’il faut se poser la question du modèle de consommation et donc, à partir d’une nouvelle consommation, se poser la question des modèles de production. Il faut lier – c’est ça que disent les révolutions des années 60 – la question des modèles de croissance avec la question des modes de production et des modes d’autorité dans la société. Là, on arrive à un point de crise. Il y a une liaison entre les formes d’organisation politique-c’est la question de la démocratie, en quelque sorte; non pas la question « Démocratie ou pas démocratie », comme ça apparaît pendant très longtemps à cause de l’échec de ce que Samir Amin appelle très joliment le soviétisme, pour ne pas dire le socialisme, c’est-à-dire l’incapacité d’avoir compris l’importance de la démocratie par rapport au développement. Evidemment, jusqu’en 89 (enfin, à partir des années 80, tout est joué d’ailleurs, on sait que ce système s’écroule), ce n’est pas seulement la comparaison entre les deux systèmes, et notamment, l’utilisation par l’homme occidental de ce que Miguel Benassayag appelle "l’idéologie spectaculaire des droits de l’Homme", ce n’est pas seulement cela, c’est aussi la question des modes d’organisation sociale. (A suivre dans la troisième et dernière partie)
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 2 Mai 2003 sur AligreFM. Merci d'avance. |