Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 20 DECEMBRE 2005

Omc - Hong Kong: quels enjeux?

Avec Raoul-Marc Jennar, Chercheur à l'URFIG et OXFAM.

 

Pascale Fourier : Du 13 au 18 décembre va se tenir une conférence ministérielle de l'OMC à Hong-Kong. On en entend très très peu parler dans les médias. Finalement les décisions devraient porter sur quoi ?

Raoul-Marc Jennar : Je voudrais d'abord dire que c'est bien vrai qu'on entend très peu parler de la conférence ministérielle de l'OMC dans les médias classiques. Et c'est d'ailleurs un des grands problèmes que posent aujourd'hui les médias classiques : ils ne s'intéressent pas aux lieux de décisions essentielles. Aujourd'hui, c'est quelque chose dont tout le monde devrait être conscient, nos gouvernements décident, mais ne décident pas au niveau national ; ils décident au niveau européen ou au niveau mondial. Et quand ils se retrouvent au niveau national, ils ne sont plus que les exécutants des décisions auxquelles ils ont participé au niveau de l'Europe ou au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce par exemple. Et c'est bien ça le problème : la privatisation de la SNCF, dont on commence à parler aujourd’hui en France, a été décidée notamment au niveau européen avec le traité de Maastricht et puis par une directive européenne adoptée par nos gouvernements. La bataille qui intervient ensuite au niveau national n'est plus qu'une bataille d'arrière-garde. Et si les médias ne parlent pas de cela, c'est que sans doute qu'ils souhaitent que nos vies au quotidien soient décidées dans la plus totale opacité.

Alors, qu'est-ce qu'on décide dans une conférence ministérielle de l'OMC ? On prend des décisions sur les matières dont relève l'OMC, qui sont, contrairement à ce que son nom indique (Organisation Mondiale du Commerce) bien plus vastes que le commerce au sens stricte du terme, c'est-à-dire l'échange des biens et des marchandises puisque l'OMC s'occupe d'agriculture - alors que seulement 10% de la production agricole mondiale font l'objet d'échanges internationaux - , que l'OMC s'occupe des droits de propriété intellectuelle (les copyrights, les droits d'auteur, les brevets) et que l'OMC s'occupe des services qui sont des activités auxquelles du matin au soir tout un chacun fait appel. On le voit, l'OMC traite de  matières qui concernent notre vie au quotidien et donc de choix de société. D'où l'importance des conférences ministérielles. Ce sont des réunions qui se tiennent tous les deux ans, qui réunissent au niveau des ministres les représentants des 148 Etats qui en font partie (on va bientôt être 149 avec l'arrivée de l'Arabie saoudite). Et ce sont des réunions dont les décisions sont contraignantes, d'où leur importance.

Pascale Fourier : Et là en l'occurrence, à Hong-Kong, les négociations vont porter sur quoi plus spécifiquement ?

Raoul-Marc Jennar : Alors il faut se rappeler que depuis 10 ans (l’OMC est entrée en activité depuis 1995), les pays industrialisés, les pays riches veulent accroître les pouvoirs de l'Organisation Mondiale du Commerce en négociant des accords soit dans des matières existantes, soit dans de nouvelles matières. Et depuis 10 ans, ils n'ont pas cessé de demander un nouveau programme de négociations. C'est d'ailleurs la raison de l'échec de la conférence de Seattle qui est restée dans les mémoires de tout le monde. Le programme de négociations que voulaient imposer les pays riches à l'ensemble de la planète s'appelait - on était à la veille du changement de siècle et de millénaire – « le millenium round » (le cycle du millénaire). Ca n'a pas marché à Seattle mais, par contre, à Doha, ça a marché, mais dans un contexte exceptionnel : d'ailleurs le directeur général de l'époque de l'OMC reconnaissait que s'il n'y avait pas eu le 11 septembre, il n'y aurait pas eu de décisions à Doha parce qu'on était effectivement dans un climat tout à fait particulier où le représentant de l'Union Européenne comme le ministre américain du commerce disaient qu'un accord à Doha contribuerait à la lutte contre le terrorisme, ce qui signifiait une formidable pression sur tous ceux qui n'étaient pas prêts à accepter les propositions des pays riches.

Donc on a un programme de négociations qui a été adopté à Doha. Mais c’est un programme de négociations ; ce ne sont pas des décisions. Ca veut dire qu’à partir de novembre 2001, on a commencé à négocier dans les matières de ce programme. Or ce programme étant voulu par les pays riches contenait des matières et des orientations pour la négociation favorables aux pays riches. La conséquence quasi-automatique, c’est que le reste de la planète et les pays en développement en particulier n’ont pas accédé aux attentes des pays riches, même si ce programme s’appelle « Un agenda de Doha pour le développement ». Mais il faut bien se rendre compte - et là aussi les médias classiques font de la désinformation - qu'il y a une rhétorique hyper-abondante sur ce que fait l'OMC à propos du développement, mais ce ne sont que des mots! Les choses concrètes, les propositions concrètes, les échéances en termes de quantité ou de calendrier, cela, ça concerne ce pour quoi les pays riches sont demandeurs. Résultat des courses : depuis Doha, les négociations ont bloqué sur tous les sujets, tous. On ne peut pas dire qu'il y ait un accord qui soit intervenu sur tous les sujets depuis 2001 - avec l'échec retentissant qui est intervenu à la conférence ministérielle suivante à Cancun, et avec les perspectives pour Hong-Kong qui se présentent plus sous forme de points d'interrogation que de certitudes. Je voudrais faire une toute petite parenthèse pour qu'on ne dise pas que j'oublie un accord : c'est vrai que le 30 août 2003 est intervenu un accord transitoire, provisoire sur l'accès aux médicaments essentiel. C'est un problème qui est posé par l'existence d'un des accords de l'OMC : l'accord sur les droits de propriété intellectuelle, avec sa partie brevet, dont les conséquences sont l'augmentation catastrophique du prix des médicaments. Mais l'accord de 2003 n'est qu'un accord provisoire qui n'a pas été encore mis en application parce qu'en fait il est impraticable. Mais si on met cet accord provisoire entre parenthèses, sur tous les autres dossiers - et je pense en particulier à l'agriculture, à ce qu'on appelle « l'ouverture des marchés aux produits non-agricoles » (c'est-à-dire les produits manufacturés ou les matières premières) et les services qui sont les trois grands dossiers de Hong Kong -, il n'y a à ce jour aucun accord, à telle enseigne que, fait tout à fait nouveau, sur l'agriculture et sur l'ouverture des marchés aux produits non-agricoles, le directeur Général de l'OMC présente quelque chose qui ressemble plus à un rapport sur l'état des négociations qu'à un projet de déclaration ministérielle. Il faut savoir que c'est à l'OMC, à Genève, qu'on prépare le texte qui va être soumis aux ministres et sur lequel ils vont devoir discuter. Aujourd'hui, le secrétariat de l'OMC est obligé de présenter un texte qui, sur l'agriculture et sur l'ouverture au marché des produits non-agricoles, ne propose pas de décisions mais fournit un catalogue de propositions contradictoires qui tantôt reflètent les attentes des pays industrialisés, tantôt celles des pays en développement ou de différentes catégories de pays en développement. Il n'y a que sur les services que le texte présenté par le Directeur Général de l'OMC a toutes les apparences et la forme d'un projet de déclaration ministérielle, c'est-à-dire d'un catalogue de décisions à prendre.

Pascale Fourier : Sur l'agriculture, malgré les lectures que je peux faire dans « Le Monde » ou d'autres journaux, je n'ai jamais réussi très bien à comprendre quelles sont les positions des uns et des autres : pourquoi le Sud demande la possibilité de commercer plus amplement avec les pays riches, pourquoi on demande l'arrêt des subventions des pays riches ? Ce n'est pas très clair pour moi tout ça...

Raoul-Marc Jennar : C'est vrai que c'est un dossier extraordinairement complexe mais important parce que l'agriculture, c'est l'alimentation des gens, et c'est aussi pour un certain nombre de pays qui peuvent exporter - je pense à ceux qui peuvent exporter du riz, mais aussi à ceux qui peuvent exporter du blé - des ressources. Alors on est dans des situations extraordinairement contradictoires . La théorie générale des accords de l'OMC, c'est le libre-échange ; donc la logique qui est poursuivie, c'est d'ouvrir les marchés de tous les pays à tous les produits agricoles, sans plus d'obstacles. Qu'est-ce qu'on appelle des obstacles ? Dans le jargon, c'est ce qu'on appelle des « barrières tarifaires et non-tarifaires ». C'est quoi des « barrières tarifaires » ? C'est des droits de douane. Des « barrières non-tarifaires », c'est des réglementations ou des politiques qu'un pays peut mener par exemple en subventionnant ses exportations ou en soutenant la production chez lui. Ca, ce sont des « barrières non-tarifaires ». A partir du moment où vous avez des barrières tarifaires et non-tarifaires, vous avez des obstacles ; vous n'avez pas l'ouverture des marchés et le libre-échange... Ce à quoi pousse l'OMC, c'est de supprimer les obstacles.

Qu'est-ce qui se passe ? Ca me permet une réflexion : c'est que le libre-échange entre des pays qui sont de niveau de développement totalement différent pose énormément de problèmes qui sont sans doute à l’origine du blocage des négociations. Je vais prendre l'Union Européenne (dont la politique en matière agricole s'appelle la Politique Agricole Commune) - qui, pendant 30/40 ans était extrêmement productiviste, c'est-à-dire qui poussait à la culture intensive pour exporter. L'argument officiel, c'était assurer à l'Europe l'autosuffisance alimentaire, mais on n'a jamais encouragé par exemple la culture des oléagineux, et aujourd'hui l'Europe est complètement dépendante notamment de l'Amérique du nord pour les oléagineux. Mais ce qu'on voulait, c'était pouvoir vendre et donc on a financé la vente du blé européen sur le marché mondial tout en protégeant nos propres marchés contre le blé d'Amérique du Nord ou d'autres pays. Ca, c'est un peu ce qu'on a fait. On ne va pas parler de la Politique Agricole Commune maintenant. Moi, je suis personnellement très hostile à ce qui s'est fait parce qu'on a développé un modèle d'agriculture très industrialisé qui s'est traduit par des destructions de centaines de milliers d'emplois, par des catastrophes écologiques et par des catastrophes sanitaires (mais ça, c'est un autre dossier). Enfin, je trouve que la Politique Agricole Commune ne devrait pas servir de modèle pour un pays comme le Brésil par exemple.

Alors qu'est-ce qu'on a dans les pays du sud ? On a des pays qui voient une chose, c'est que les politiques européennes sur le blé, mais aussi les politiques américaines ( les américains ont d'autres techniques, mais font la même chose) soutiennent la production intérieure et soutiennent les exportations. Quand vous soutenez des exportations, ça veut dire que vous pouvez alors vendre le riz américain ou le blé européen moins cher. Et c'est ce qui se passe : aujourd'hui le riz américain arrive sur le marché thaïlandais par exemple moins cher que le riz thaïlandais ; le blé européen arrive sur le marché de l'Argentine moins cher que le blé argentin. C'est une concurrence qui est déloyale dans un système qui se veut de libre concurrence. Et donc les pays du sud disent ceci : « Nous demandons aux pays du Nord, aux pays riches exportateurs de cesser de subventionner leurs exportations ». Et ils demandent aussi, pour que le jeu soit égal, que les pays du nord ouvrent leur marché aux produits agricoles des pays du Sud.

Le gros blocage, c'est celui-là : c'est que finalement tous les pays voudraient que les autres ouvrent leur marché tout en gardant des protections pour leur marché à eux. Et c'est là qu'on est quasiment devant la quadrature du cercle parce qu'on a des attentes qu'on ne parvient pas à se faire rencontrer (c'est un résumé très général du dossier agricole qui est d'une complexité technique extraordinaire, mais je ne vais pas entrer là-dedans). Maintenant, ça, c'est la négociation dans les termes tels qu'elle est posée par l'OMC, parce que l'OMC a décidé qu'il y avait un mot qui était aujourd'hui interdit, c'est le mot « protection » : est-ce qu'on a le droit ou pas de protéger son propre marché, ses propres entreprises, ses propres activités agricoles ? Il y a tout un discours à forte connotation idéologique qui se résume dans un véritable slogan : « Le protectionnisme, c'est la guerre ». D'ailleurs dans le matériel de propagande de l'OMC, vous avez un petit film qui a l'air de nous montrer que s'il n'y avait pas eu le protectionnisme, on n'aurait pas eu la deuxième guerre mondiale.

Pascale Fourier : Est-ce qu'on risque de parler encore d'échec de Hong Kong comme on a parlé d'échec de Cancun ? Ou dit autrement, est-ce qu'il y a de réels risques qu'un accord se fasse réellement à cette conférence ? Ou est-ce qu'il faut qu'on se dise : « Tranquille... » ?

Raoul-Marc Jennar : Je pense qu'on ne peut jamais se dire être tranquille avec l'OMC et avec les gouvernements qui participent à la décision. Parce qu'encore une fois il n'y a pas de décision à l'OMC sans l'accord des gouvernements. Et l'Histoire récente, l'histoire des dix dernières années de l'OMC prouve qu'on doit rester vigilant, qu'on ne peut pas s'endormir et faire confiance à nos gouvernements puisque chaque fois qu'ils en ont eu la possibilité, ils ont fait des avancées dans une reconstruction de la planète dont manifestement le but n'est pas le bien-être des peuples. Donc vigilance.

Maintenant, moi, je ne peux pas dire quel va être le résultat de Hong Kong. Je constate une chose - parce que tout le monde le constate - : on est très loin d'un accord possible sur l'agriculture ; on est assez loin d'un accord possible sur l'ouverture des marchés aux produits non-agricoles ; et il y a quand même de très sérieuses divergences sur la question des services même si là on assiste à des efforts importants de l'Union Européenne en particulier soutenue par les Etats-Unis pour avoir un accord. Et je pense - mais c'est un petit peu de la politique-fiction - qu'aujourd'hui, à quelques jours de la conférence de Hong Kong, le dossier des services (l'AGCS) pourrait jouer le même rôle que celui de l'investissement à Cancun. A Cancun, l'Union Européenne voulait à tout prix avoir un accord sur la libéralisation des investissements. En fait, ce que l'Union Européenne voulait, c'était mettre dans un accord à l'OMC ce qui avait été rejeté en 1998 et qu'on connaît sous le nom de l’ « Accord multilatéral sur l'investissement ». L'Union Européenne a fait preuve à Cancun d'une arrogance et d'une obstination telles que ça a provoqué l'échec. Si aujourd'hui Peter Mandelson, qui est le négociateur unique pour l'Europe, répète ce comportement-là, on aura un échec du type Cancun. C'est un échec pour ceux qui souhaitent qu'il y ait un accord! Moi, je dis : « Mieux vaut pas d'accord qu'un mauvais accord ». Et un bon accord est loin d'être envisagé. Je pense - encore une fois, dans l'optique des gens de l'OMC - que c'est le danger que perçoit aussi le Directeur Général de l'OMC, M. Pascal Lamy qui dit : « S'il y avait un nouveau Cancun, non seulement toute la dynamique de la négociation sur le programme de Doha serait probablement morte, mais même l'existence de l'OMC serait mise en question ». Donc il faut éviter cela.

Et nous avons un nouveau mot dans le vocabulaire de l'OMC qui fait florès depuis quelques semaines, c'est : « Il faut recalibrer Hong-Kong ». « Recalibrer Hong-Kong », ça veut dire quoi ? Ca veut dire réduire les ambitions, faire en sorte que si les ambitions ne sont pas atteintes, on ne pourra pas dire que c'est un échec. Alors comment peut-on y arriver ? En n’annonçant pas qu'on veut un accord, mais en présentant Hong Kong - et là on fait de la com' - comme une conférence d'Etat, une conférence où on évalue l'état des négociations, mais dont on n'attend pas au départ officiellement des décisions, simplement un état des lieux, avec peut-être, profitant de la circonstance qu'on réunit tous les ministres, quelques progrès dans le rapprochement des points de vue sans espérer déboucher sur un accord. C'est ça que signifie l'expression « recalibrer Hong Kong ». Et les dernières informations, qui viennent de Genève où s’est tenue les 1° et 2 décembre la dernière réunion de tous les ambassadeurs accrédités auprès de l'OMC, vont dans le même sens, c'est-à-dire  recalibrer, ne pas forcer la décision - parce que si l'on veut forcer la décision, ça mettra en péril le programme de négociation de Doha et l'OMC elle-même. En tout cas, ceux qui souhaitent que l'OMC continue de fonctionner comme elle fonctionne, ceux qui souhaitent que ce programme de Doha aboutisse, eh bien c'est ce à quoi ils poussent aujourd'hui.Moi, je souhaite qu'il n'y ait pas d'accord à Hong Kong car ça ne pourrait être qu'un mauvais accord, et s'il n'y a pas d'accord à Hong Kong, ça veut dire qu'on aura mis une nouvelle fois après Cancun, après ce qui s'est passé en France sur la Constitution européenne, un coup d'arrêt à la vague néolibérale, ce qui devrait encourager tout le monde à se mobiliser pour résister.


 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 20 Décembre 2005 sur AligreFM. Merci d'avance.