Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 10 OCTOBRE
2003
Après Cancun...
Avec Raoul-Marc Jennar,
Chercheur à l'Urfig et à
Oxfam |
Pascale Fourier : Des sous et des hommes, une émission de Pascale Fourier et notre invité aujourd’hui est Raoul Marc Jennar, chercheur à l'Urfig. Raoul Marc Jennar, je l’ai coincé au retour de Cancun, et justement, Cancun, c’était la conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce qui s’était tenue du 10 au 14 septembre au Mexique. La première question que j’ai posée à Raoul Marc Jennar, c’est justement : « Réunion ministérielle de l’OMC d’accord, mais c’est quoi une réunion ministérielle ? ». Raoul-Marc Jennar : Une conférence ministérielle, c’est une conférence qui réunit des ministres, et ici c’est l’organe suprême, l’organe le plus important. En fait, il faut voir comment c’est l’OMC. C’est une organisation qui a son siège à Genève, et qui compte d’abord des services pour suivre l’application de tous les accords que gère l’OMC, et à la tête de cette organisation, il y a un Directeur Général. Au-dessus de lui, il y a ce qu’on appelle le Conseil Général, qui est la réunion des ambassadeurs des 146 pays membres de l’OMC. Donc chaque pays qui est membre de l’OMC doit, en principe, envoyer un ambassadeur à Genève qui va participer aux réunions du Conseil Général. Et il y en a tout le temps. Et il va aussi participer à des réunions de groupes de travail. Il y a, en fait, une quarantaine de réunions par semaine à l’OMC, de différents groupes de travail, plus les réunions du Conseil Général. Ce sont eux qui discutent entre eux de l’application des différents accords et des problèmes que ça pose. Mais ils ne peuvent pas décider de modifier les textes existants, de la compliquer, de les supprimer. Ceux qui peuvent modifier les textes existants et en adopter de nouveaux, ce sont les ministres, qui se réunissent ensemble dans ce qu’on appelle une « conférence ministérielle », et des conférences ministérielles, il y en a une tous les deux ans. Depuis que l’OMC a été créée le 1er janvier 1995, il y a eu une conférence ministérielle à Singapour, une autre à Genève, une troisième dont on a beaucoup parlé à Seattle, la suivante à Doha en novembre 2001 et on vient d’avoir la cinquième, du 10 au 14 septembre à Cancun au Mexique. Donc la conférence ministérielle, c’est l’organe suprême qui peut très bien, on peut rêver une seconde, supprimer les 22.500 pages des accords de Marrakech ou bien en ajouter 10.000. A Cancun, comme ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord, ils n’ont rien ajouté du tout… ils n’ont rien supprimé non plus. Pascale Fourier : Quand vous dites que c’est la réunion des ministres, mais des premiers ministres ou des… Raoul-Marc Jennar : Non, c’est la réunion des ministres du commerce. En fait des ministres qui ont en charge le commerce international, car d’un pays à l’autre, ça diffère un peu. Parfois c’est le ministre des affaires étrangères qui a dans ses attributions le commerce international, parfois c’est le ministre de l’économie et des finances, et parfois, comme c’est le cas en France, il y a un ministre en charge du commerce extérieur. En France dans l’actuel gouvernement, c’est monsieur Loos. Mais donc, ce sont les ministres qui ont en charge le commerce international. Pascale Fourier : Et là on a parlé d’échec de Cancun… alors c’est un échec ? Raoul-Marc Jennar : Ah tout à fait! En fait c’est un échec pour ceux qui souhaitaient qu’un texte soit adopté. Un texte qui était en discussion et qui donnait une orientation à la manière dont on applique les accords existants, et qui voulait aussi ouvrir des négociations sur des nouvelles matières. D’ailleurs, c’était très important puisque, encore une fois, à l’initiative de l’Union Européenne, on voulait commencer des négociations sur le contenu de ce qui était autrefois l’accord multilatéral sur l’investissement qui a été abandonné en 1998 et que, sous la pression des milieux patronaux, l’Europe veut voir remises sur la table des négociations dans le cadre de l’OMC. C’est un échec parce que, ni sur ce sujet-là, ni sur les autres sujets, la conférence ministérielle n’a été capable d’aboutir à un accord. Et donc faute de trouver un accord, les ministres se sont séparés sans adopter le moindre texte. Ce qui veut dire qu’on n’a pas fait de nouvelles avancées, mais ce qui veut dire aussi que les textes existant demeurent avec tous leurs potentiels. Le problème, c’est qu’il y a sur l’application d’un certain nombre de ces accords une absence de décision pour le moment, ce qui créé une situation de crise à l’intérieur de l’OMC, parce qu’on se pose la question de savoir dans quelle orientation on va interpréter un certain nombre de textes. Pascale Fourier : Certains journalistes, en particulier du Monde, parlaient d’un échec qui avait porté tort aux pays du Sud, alors que l’échec est lié, à l’intervention, aussi, des pays du Sud... Alors ça m’étonne un petit peu. Et en particulier on insiste sur le fait que cet échec de l’OMC, c’est en partie un échec du multilatéralisme. Raoul-Marc Jennar: Alors ça, ça procède du discours dominant, et de ceux qui fabriquent ce discours dominant. Après Seattle, qui avait été aussi un échec, il y avait un grand hebdomadaire britannique, The Economist pour ne pas le citer, qui avait fait une page de couverture toute noire avec au milieu une petite photo d’un enfant du Tiers-Monde affamé, manifestement affamé, et on avait mis en dessous: « La première victime de l’échec ». Et aujourd’hui on a aussi tous ceux qui fabriquent l’opinion, et notamment dans un certain nombre de grands médias, ce discours: «Les premières victimes de l’échec de Cancun seront les pays sous-développés eux-mêmes qui sont responsables de cet échec ». C’est une lecture qui est complètement erronée, mais c’est une lecture, de mon point de vue en tous les cas, qui participe de cette mentalité que nous avons encore très fortement en Europe de savoir ce qui est bon pour le bonheur des autres. C’est ce qui nous vient du colonialisme, ou de cette idée que nous avons des valeurs supérieures à toutes les autres, et que ces valeurs doivent s’imposer aux autres. Je crois quand même que les pays en développement sont les mieux placés pour savoir ce qui est bon pour leur développement et que, quand les Européens, qui ne sont quand même pas tout à fait dépourvus d’avoir des intérêts, viennent dire: « Ce sont les premières victimes », ceux qui sont aujourd’hui les victimes de cet échec, ce sont ceux qui ont voulu imposer au reste du monde des règles, et qui doit bien constater que le reste du monde les a refusées, et en l’occurrence ce sont les Européens. Alors on nous avance ce discours sur l’échec du multilatéralisme, mais là aussi il y a une perversion dans l’usage du mot. C’est vrai que le multilatéralisme, c’est un autre mot pour parler de l’internationalisme, c'est-à-dire le dialogue des peuples et le dialogue des Etats, ce qui est infiniment meilleur d’ailleurs que la guerre… là personne ne le conteste. Mais c’est un outil, un instrument, qui doit être au service d’un projet. Alors si le multilatéralisme sert à imposer la dérégulation dans les pays, moi je pense que ce n’est pas un multilatéralisme pour le bien des peuples. Or c’est vraiment ça le multilatéralisme à l’intérieur de l’OMC. On nous dit, à satiété, qu’il s’agit de réguler le commerce mondial, d’encadrer la globalisation, la mondialisation néo-libérale, mais c’est faux ! Si c’était vrai, on trouverait dans les 22.500 pages des accords de l’OMC des dispositions sur les zones franches, sur les paradis fiscaux, sur les multinationales, des dispositions qui encadreraient la liberté d’action des entreprises privées, or il n’y a pas un mot, il n’y a pas une ligne dans les 22.500 pages des accords de l’OMC qui concernent les entreprises privées. Tous les accords de l’OMC concernent les Etats et leurs législations à tous les niveaux de pouvoir. Donc il s’agit pas de réguler le commerce mondial, il s’agit de déréguler les législations de chacun des Etats-membres. Ce multilatéralisme-là n’est pas fait pour le progrès des peuples, pour le développement, et certainement pas pour le développement durable. Un multilatéralisme qui organiserait véritablement le commerce mondial n’était pas à l’ordre du jour, ni à Cancun, ni aux précédentes conférences ministérielles de l’OMC, et c’est pour ça qu’on peut se réjouir de cette impossibilité de décider qui a terminé la conférence de Cancune.
Raoul-Marc Jennar : Mais les pays du Sud, comme tous les pays du monde, ont besoin de ressources financières, et l’exportation est une manière de faire rentrer des devises. Et donc on leur a tellement bien appris la leçon de l’économie libérale qu’ils veulent eux aussi, comme les pays du Nord, faire entrer des devises. D’autant qu’en plus, pour un certain nombre d’entre eux, ils ont une dette à rembourser. On ne dit pas assez qu’ils ont déjà remboursé 6 à 8 fois cette dette selon les cas, et qu’aujourd’hui les flux financiers Sud-Nord sont plus importants que les flux financiers Nord-Sud en dépit de l’aide au développement que consacrent un certain nombre de pays du Nord. Pascale Fourier : Ca, ça veut dire que le Sud envoie plus de sous au Nord que le Nord au Sud??? Raoul-Marc
Jennar :
Exactement ! Et donc ils ont besoin de ressources. De toutes façons
ils en ont besoin pour pouvoir s’équiper, pour pouvoir
mettre en œuvre des politiques dans tous les domaines où
les pouvoirs publiques ont à intervenir, donc ils souhaitent
exporter, - et il ne faut pas oublier, quand même, que c’est
dans le Sud qu’on trouve le plus de matières premières,
et c’est dans le Sud que l’agriculture reste le secteur
d’activité principal. Il y a des pays où 80% de
la population active sont dans le secteur agricole. Donc il faut non
seulement qu’ils puissent se nourrir, mais il faut aussi qu’ils
puissent utiliser l’agriculture comme un secteur de ressources
pour le pays. Et là il y a un gros problème parce qu’il
y a, à l’OMC, un accord agricole, qui est un accord assez
bizarre et qui nous offre un exemple spectaculaire du fait que les accords
de l’OMC ont été écrits par les pays industrialisés
pour les pays industrialisés. En trois mots je résume
cet accord : Pascale Fourier : Parmi mes petites interrogations il y en a encore une autre. J’ai lu un article de monsieur Strauss-Kahn dans Le Monde, et il disait que, finalement, il y avait une notable avancée au sein de l’OMC car depuis quelques temps, par l’entrée successive de pays du Sud dans l’OMC, ils sont de plus en plus nombreux. Ils ont donc la majorité et à la limite, je ne sais plus exactement ses termes mais, en gros, il dit que potentiellement ils ont le pouvoir... Raoul-Marc Jennar : Oui c’est une vision complètement caricaturale de la réalité. C’est une vision qui s’appuie sur un texte… c’est vrai que dans l’accord qui créé l’OMC on a établi le principe « un Etat une voix », mais il y a aussi une disposition qui dit qu’on doit décider par consensus. Alors quelque part, ça veut dire que tout le monde soit d’accord, et ça, ça peut donner une capacité de blocage aux pays en développement dont ils viennent de se servir, mais par ailleurs on a trouvé des techniques pour complètement contourner l’égalité de tous devant la décision. Et je trouve que l’OMC incarne parfaitement cette fameuse phrase de l’écrivain anglais Georges Orwell, « Ils sont tous égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Parce qu’en fait, comme le constatait d’ailleurs dans un rapport qu’il a fait à l’Assemblée Nationale Française, le député Jean-Claude Lefort, l’OMC ne fonctionne pas sur la base de rapports de Droit, mais sur la base de rapports de force.
Pascale Fourier : Voilà. C'était Des Sous... et des Hommes en compagnie de Raoul-Marc Jennar, et, si vous voulez retrouver sa prose, je ne peux que vous conseiller d’aller sur www.urfig.org A la semaine prochaine!
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 10 Octobre 2003 sur AligreFM. Merci d'avance. |