Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 12 FEVRIER
2008
Le rapport Attali
Avec Liêm
Hoang Ngoc, maître de conférences à l’université
Paris I, délégué national à l’économie
au Parti Socialiste |
Pascale Fourier :Le rapport Attali, on peut le retrouver dans toutes les bonnes librairies... mais aussi sur le site de l’Humanité et je vous invite, vivement plutôt à utiliser ce biais puisque l’on peut être informé de ce qui va nous tomber dessus de façon gratuite, et là, vous verrez, c’est un grand moment. Ce rapport commence par un résumé. Les premières phrases sont : "Ceci n’est ni un rapport, ni une étude, mais un mode d’emploi pour des réformes urgentes et fondatrices. Il n’est ni partisan, ni bi-partisan, il est non-partisan". Alors Liêm ? Il est "non partisan", ce rapport ?
Liêm Hoang Ngoc : Bien tout d’abord, je voudrais remercier Aligre d’avoir organisé cette émission sur le rapport Attali, parce que c’est à peu près le seul média qui organise la controverse. Il faut savoir que Jacques Attali pendant deux semaines a fait un lobbying effréné auprès du Parti Socialiste notamment pour que celui-ci ne prenne pas position sur son rapport, ce qui explique le silence du Secrétaire général chargé à l’économie en ce moment sur cette question-là. Il a quasiment fallu lui forcer la main pour qu’il prenne en charge un communiqué. Attali a dû faire un même lobbying auprès de toute la presse, ce qui explique que, mis à part le moment de l’annonce de ses 316 propositions, personne n’a eu la parole pour contester fondamentalement ses propositions de fond, mis à part peut-être les chauffeurs de taxi que l’on a très rapidement satisfaits parce que c’est la clientèle de Sarkozy, sans doute. Mais plus généralement sur des questions de fond, il n’y a pas eu de débat. Tous les textes de la sorte qui ont été commandés par les gouvernements au cours de ces quinze dernières années prétendent ne pas être partisans. On peut citer toute une série de rapports qui ont été remis au nom de l’expertise a-idéologique. Il y a eu le rapport Minc en 1994, le rapport Boissonnat en 1995, le rapport Camdessus et le rapport Virville en 2004. Et puis il y a eu toute une série de rapports du Conseil d’analyse économique, réputé là aussi un haut lieu du débat scientifique en économie... Tous ces rapports se prétendent complètement neutres, or ils ont pour dénominateur commun d’avoir brassé l’air du temps de ces 10 ou 15 dernières années, en propageant l’idée qu’il n’y avait pas d’autres politiques possibles que celles qui étaient menées. Quand vous lisez le rapport Attali, vous êtes frappés de considérer que dans l’exposé des motifs de ces propositions, il y a l’idée que nous serions encore dans la France, (et là je cite le rapport), "héritier du modèle de l’après-guerre", comme si nous vivions encore sous le joug de la France du Général de Gaulle dont Attali fustige les corporatismes, les privilèges, etc… C’est quand même oublié que ce que l’on appelle le "modèle social hérité du compromis de 1945" a largement été détricoté depuis au moins une décennie, si ce n’est plus, et le rapport Attali, comme les autres rapports que j’ai cités, ne font que demander aux pouvoirs publics d’accélérer le rythme des réformes qui ont déjà eu lieu et dont on a échoué à établir un premier bilan. Je pense qu’une mission salutaire d’un rapport sur les freins à la croissance aujourd’hui en France aurait pu dresser un bilan d’étape d’une politique qui est conduite depuis maintenant plus que le moyen terme. Si l’on regarde le cœur des propositions du rapport Attali, c’est quoi ? C’est qu’au fond la France souffre d’un poids de l’Etat excessif: donc il faudrait réduire la part des dépenses publiques de un point par an, à l’horizon 2012; la France souffrirait de rigidité du marché du travail : il faudrait flexibiliser le contrat de travail, le contrat à durée indéterminé en particulier, et puis asseoir ce que l’on appelle dans les textes européens la "flexi-sécurité"; le modèle français souffrirait aussi d’une insuffisance d’ouverture à la concurrence et donc il faudrait achever l’ouverture à la concurrence sur tous les marchés, en allant même jusqu’à ( le seul élément qu’ont retenu les journalistes ) déréglementer les taxis, les coiffeurs et les pharmaciens -c’est pour l’anecdote, mais il y a plus généralement un plaidoyer en faveur de l’ouverture à la concurrence qui est le lot de nombreux textes et de rapports qui sont remis maintenant depuis une quinzaine d’années. Voilà grosso modo la philosophie du rapport. Moi, je la juge en bloc parce qu'Attali demande d’ailleurs que l’on juge les 316 propositions en bloc dans leur cohérence. On peut toujours en trouver une ou deux qui puissent être discutées, mais si on essaie d’avoir un aperçu global du rapport, c’est ça, sa philosophie: il faut accélérer, au fond, les mesures qui sont en cours depuis une quinzaine d’année et qui sont menées notamment en application de ce que l’on appelle en Europe la "stratégie de Lisbonne", celle qui a été entérinée par les gouvernements au Conseil européen de mars 2000 au Portugal, stratégie qui a été renouvelée en 2005 - on appelle ça désormais la "stratégie de Lisbonne renouvelée", comme quoi elle est bien en application et comme quoi les instances européennes en ont déjà tiré un bilan, un plan révision. Les gouvernements sont d’ailleurs tenus de remettre un rapport intitulé « programme national pour l’emploi » dans le cadre de cette stratégie. Dans ces programmes gouvernementaux, vous retrouvez la substantifique moëlle du rapport Attali. On aurait donc pu dresser un premier bilan de ces politiques, et moi je rappellerais que, contrairement à ce que pense le grand public, ces politiques sont un échec. L’Europe aujourd’hui est la zone de croissance la plus faible du monde. C’est la zone où la moitié des pays membres de l’Eurogroupe sont incapables de respecter le pacte de stabilité, c’est-à-dire de respecter les critères devant tendre vers l’équilibre budgétaire. C’est une zone où, exceptée l’Allemagne, de nombreux pays subissent un déficit commercial chronique, et c’est une zone où les inégalités se sont considérablement accrues, particulièrement en France où le chômage est persistant. Donc il va bien falloir tirer un jour le bilan d’une politique qui, conduite depuis ces quinze dernières années, nous mène carrément dans le mur. Le rapport Attali ne le fait pas. Il propose, au contraire, de serrer la corde autour du cou du pendu alors que le pendu ne respire déjà plus.
Pascale Fourier : Des Sous... et des Hommes, on est toujours en compagnie de Liêm Hoang Ngoc qui est économiste et membre du Parti Socialiste. Moi j’aime bien en réalité être très attentive à ce qui se dit dans les médias, enfin les autres médias. La tendance que j’aurais, ce serait de me dire : « Attali a raison ». Tout à l’heure, vous disiez que finalement, si on faisait un bilan, on s’apercevrait que ce n’est pas si terrible ce qui a déjà été fait et qui va dans la même direction que ce que propose Attali: eh bien justement, c'est peut-être que l’on n’a pas fait assez de réformes... On n’a pas été assez loin ! C’est ce que l’on entend classiquement dans les médias classiques.
Liêm Hoang Ngoc : Bon écoutez ! Jacques Attali se trompe d’époque et d’ailleurs on peut se demander ce qu’il a fait pendant quinze ans lorsqu’il était conseiller spécial à l’Elysée. Pourquoi n’a-t-il pas appliqué les réformes qu’il préconise aujourd’hui ? En vérité, ces réformes sont déjà appliquées depuis, comme je l’ai dit, un moyen terme, dix /quinze ans. L’ouverture à la concurrence est en passe de s’achever dans tous les secteurs et notamment les principaux secteurs stratégiques. Dans le secteur de l’énergie, pas la peine de vous faire un dessin: cela se traduit par la privatisation d’EDF et de GDF. Il n’y a plus de champions nationaux aujourd’hui. L’ouverture à la concurrence, les privatisations ont quand même été conduites depuis 1993, à grand train. Aujourd’hui, la structure du capitalisme français n’est plus celle des années 80. Elle ressemble de plus en plus à la structure du capitalisme anglo-saxon, avec des noyaux durs qui sont réduits de plus en plus. Dans le monde anglo-saxon, les noyaux durs, ce que l’on appelle les noyaux stables d’actionnaires qui tiennent les entreprises représentent moins de 10% du capital des entreprises. En France, on est descendu en-dessous de vingt et la place de Paris est tenue à 50% par les fonds de pension anglo-saxons. Donc en matière industrielle, les réformes ont été faites. Alors il reste les taxis, les coiffeurs, etc, mais bon ! Ca, c’est fait pour amuser la galerie, si vous voulez. La grande distribution, là encore, on pourrait en parler: est-ce que l’ouverture à la concurrence dans la grande distribution est la solution pour relancer le pouvoir d’achat alors qu’on ne parle absolument pas des salaires et que l’on sait que dans la grande distribution vous avez six grands groupes qui ont le beurre et l’argent du beurre parce qu’ils sont en position de quasi-monopole par rapport à leur clientèle et en position de force de quasi-monopsone, c’est-à-dire qu'ils sont un seul demandeur ou très peu de demandeurs face à une multitude de fournisseurs, notamment de petits fournisseurs. Donc ouvrir à la concurrence, c’est ici renforcer le pouvoir du loup dans la bergerie, surtout si on déréglemente les installations de supermarchés dans les villes. Si on fait la liste des réformes... Le système des retraites a quand même été réformé et il va continuer à l’être. On va passer de 41 à 42 années de durée de cotisation. C’est programmé dans le prochain rendez-vous. L’assurance-maladie a fait l’objet de la fameuse réforme de Douste- Blazy de 2004, qui poursuit les déremboursements et fait peser sur les ménages le financement de la Sécurité Sociale. Et là, on va continuer, puisque le panier de soin va exclure de plus en plus de biens remboursables et les affections de longue durée vont y passer ( pour l’instant, elles sont remboursées à 100%). La prochaine fois, ça va être une privatisation partielle du financement de ce type de soins. Le marché du travail, il est devenu extrêmement flexible, notamment en matière salariale. La France est quand même le pays où la déformation du partage des revenus au détriment des salaires a été la plus forte parmi tous les pays industrialisés. Dans aucun pays vous n'assistez à un déplacement de 10 points de partage de la valeur ajoutée en faveur des profits. L’emploi est extrêmement flexible. Il faut savoir que la flexibilité de l’emploi est plus forte en France, contrairement à ce que l’on pense, qu’au Danemark qui est le pays de la flex-sécurité. En France, vous avez quatre travailleurs sur dix qui changent d’emploi dans l’année contre trois travailleurs sur dix au Danemark. Pour cause... : on a déjà des dispositifs très souples. On a du CDD, on a de l’intérim et puis le contrat à durée indéterminée est en voie d’assouplissement dans les récentes négociations. Donc vous voyez que les réformes sont déjà en cours. On parle du poids de l’Etat dans l’économie, mais là, on raconte beaucoup de bêtises. La part des dépenses publiques dans le PIB n’a pas augmenté. Elle est restée strictement la même depuis 1983. Et ce que ne savent pas les Français, c’est que la part de dépense de l’Etat a même baissé de deux points. Ce qui a augmenté, ce sont les dépenses sociales (Sécurité sociale, retraite, assurance-maladie). Mais les dépenses de l’Etat ont baissé de deux points et au sein de ces dépenses de l’Etat, les dépenses de fonctionnement qui sont la cible des néo-libéraux, c’est-à-dire les dépenses de santé, d’éducation notamment, que certains voudraient voir privatiser, eh bien elles ont baissé de cinq points. Donc la rigueur budgétaire a déjà fait fureur dans notre pays. La hausse de la dette aujourd’hui n’est pas due au fait que l’on dépense trop, au contraire, les dépenses ont baissé. La hausse de la dette est due à la baisse des recettes qui sont dues aux baisses d’impôts qui ont été réalisées depuis quinze ans, baisses d’impôt sur les hauts revenus, et cela s’est fait dans le cadre de politique qui se sont révélées incapables de soutenir la croissance. Vous avez des impôts en moins et vous avez des politiques qui ne relancent pas la croissance : donc vous avez au bout du compte des recettes fiscales qui se tarissent et une dette publique qui finit par se creuser, si bien que ces politiques sont vraiment un échec. Elles n’ont pas relancé la croissance. Elles ont creusé la dette. Elles ont creusé les inégalités, en flexibilisant le marché du travail, et elles ont été incapables de ramener l’économie au plein emploi. Le vrai problème dont souffre l’économie française, ce n’est pas ce que raconte Attali, ce n’est pas une insuffisance de flexibilité du marché du travail ou le poids excessif des dépenses de l’Etat qui plomberaient le dynamisme des investissements des entreprises, en vérité, ce dont souffre la France, c’est qu’aujourd’hui les entreprises, et notamment les grandes entreprises cotés, peuvent investir et ne le font pas. Elles ont des bénéfices record malgré la crise qui sévit. Il y a encore 96 milliards de bénéfices parmi les entreprises du CAC 40 aujourd’hui, et quand vous regardez ce que font les entreprises de leurs bénéfices, vous vous apercevez qu'elles ne les investissent pas. C’est ça, le vrai problème ! Elles les distribuent sous forme de dividendes. Les dividendes alimentent la bulle boursière qui est en train de d’éclater. Les dividendes alimentent aussi la spéculation immobilière qui se fait au détriment de tout un chacun. On a une économie qui est véritablement en panne d’investissement parce que l’abandon de la politique industrielle en 1993 revient à confier aux fonds de pension et aux actionnaires dont l’œil est rivé sur le court terme la gestion de nos grandes entreprises stratégiques. C’est ça, les conséquences de l’ouverture à la concurrence; et la contrepartie du fait que l’on a gonflé la part des profits au détriment de la part des salaires, c’est qu'on a une consommation qui, de l’autre côté, se retourne et que l’économie est uniquement tirée aujourd’hui par la consommation des classes riches. Ce qui est insuffisant pour que l’économie atteigne son taux de croissance potentiel qui est aujourd’hui supérieur à 3%. On est entre 1.5 et 2. On n’a pas assez de consommation, on n’a pas assez d’investissement, d’exportations parce que l’on n’a pas assez investi : on n’est pas compétitif. On est dans une situation où le commerce extérieur affiche encore un déficit record de 39 milliards d’euros. Alors on peut continuer ça pendant des années. L’Europe, dans tous les pays, nous invite à continuer dans cette voie-là. Mais comme dirait l’autre : « On va droit dans le mur" et il va bien falloir un jour en tiré le bilan. Surtout s’il faut préparer l’alternance... Pascale Fourier : Des sous et des hommes, j’écoutais attentivement et je me disais : « mais finalement, pourquoi il a fait un rapport, Attali » puisque tout est déjà sur les rails ? Il n’y avait plus qu’à continuer comme ça. Il n’y avait pas besoin de rapport ! Liêm Hoang Ngoc : Sarkozy a sans doute besoin de légitimation idéologique. L’ouverture a cette fonction de conforter les choix qui sont fait au nom de l’intérêt général. Donc, en plus, Sarkozy sait flatter les ego, donc cela ne mangeait pas de pain d’aller débaucher l’ancien sherpa de François Mitterrand, pour mieux enfoncer le clou dans une gauche qui ne répond pas tellement. Pascale Fourier : Oui mais cela pouvait invalider les propos d’Attali, en même temps. Liêm Hoang Ngoc : Oui, mais vue la composition de la commission Attali, vous aviez tout de même des gens comme Jean Marc Sylvestre ou Eric Le Boucher, qui sont membres du lobby néo-conservateur qui sévit dans la presse quotidienne, dans les presses quotidiennes. Il n’y avait pas tellement de risques. Il y avait également Mario Monti, l’ancien commissaire européen qui s’est opposé à l’époque à la recapitalisation d’Alsthom, et puis une brochette de dirigeants d’entreprise dont on pouvait supputer qu’ils poussent dans la direction que suit actuellement le président de la république. Pascale Fourier : Que du beau linge alors ? Liêm Hoang Ngoc : Que du beau linge ! Trois économistes seulement, pour parler de la croissance, c’est un peu paradoxal. Christian de Boissieu, président du conseil d’analyse économique, Jean Philippe Cotis ancien économiste en chef à l’OCDE, qui est maintenant directeur de l’INSEE, et puis Philippe Aguion qui est un économiste académique, émigré aux Etats Unis, qui aime bien Ségolène Royal. Pascale Fourier : Que des gens neutres....
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 12 Février 2008 sur AligreFM. Merci d'avance. |