Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 18 FEVRIER
2008
Le Parti Socialiste … 1/3
Avec Liêm
Hoang Ngoc, maître de conférences à l’université
Paris I, délégué national à l’économie
au Parti Socialiste |
Pascale Fourier : Notre invité aujourd’hui sera Liêm Hoang Ngoc, maître de conférences à l’université Paris I, délégué national à l’économie au Parti Socialiste et membre de la boîte à pensées « La Forge ». Les auditeurs attentifs se seront aperçus que j’ai une estime particulière pour Liêm Hoang Ngoc. En somme, c’est comme ça, on s’entend bien, et quand je suis avec Liêm avant ou après les émissions, on cause... On cause hors micro d’ordinaire mais, là, je lui avais dit que j’avais plein de questions à lui poser sur le Parti Socialiste, plein de questions en vrac auxquelles je voulais qu’il réponde d’une façon un peu débridée devant les micros. Je lui avais balancé, autour d’un café, après l’émission de la semaine précédente, toutes mes questions sur l’attitude du Parti Socialiste lors du Congrès de Versailles à propos du traité de Lisbonne, sur la conversion du Parti Socialiste au libéralisme, sur la deuxième gauche, sur le PS et l’Europe … Cela donne une heure trente de réponses, sans beaucoup de questions de ma part, ce qui est un euphémisme, mais bon … On ne peut pas boire les paroles de quelqu’un - parce qu’on est content d’apprendre – et poser plein de questions en même temps. Alors, premier set de cette série d’émissions avec Liêm Hoang Ngoc.
Là, le Parti Socialiste nous en a fait une bien bonne avec l’affaire
du referendum concernant le traité de Lisbonne. Officiellement,
il était pour un referendum, mais il n’a absolument rien
fait pour que ce referendum ait lieu. Liêm Hoang Ngoc : La responsabilité incombe en premier lieu au Président de la République qui a négocié un nouveau traité et qui vient à la télévision dimanche nous expliquer que – et là, je le cite textuellement – « Il fallait qu’en cas d’accord nous nous engagions à le faire approuver par voie parlementaire ». Cela veut dire qu’il s’est engagé auprès de ses partenaires européens à faire adopter le traité sans consulter le peuple. C’est ça le premier déni de démocratie. Non pas que la démocratie parlementaire doive être fustigée ici, mais nous sommes quand même sur une affaire constitutionnelle. C’était un traité constitutionnel. Le traité de Lisbonne ne contient certes plus le terme « constitutionnel », mais il nécessitait une révision constitutionnelle signifiant qu’il y avait des transferts de compétence si importants qu’il fallait en passer par une révision de la Constitution pour le faire adopter. Donc, comme il s’agissait – personne n’est dupe - du même texte que le traité constitutionnel, il fallait naturellement que ce que le peuple a refusé lui soit à nouveau soumis et qu' il décide à nouveau s’il disait à nouveau NON ou s’il décidait, cette fois, d’approuver le texte. Mais comme vraisemblablement – les gens ne sont pas des idiots et savent que c’était le même texte – ils auraient voté NON, Sarkozy s’est engagé d’emblée dans la négociation internationale à ne pas consulter le peuple. C’est ça le premier déni de démocratie. Ensuite, qu’il y ait de la duplicité au sein de notre camp, c’est une chose maintenant avérée. Beaucoup de gens n’ont pas digéré leur défaite du 29 mai 2005. Ils n’ont pas digéré que le peuple, qu’ils jugent comme étant immature, se soit prononcé contre ce qu’ils estimaient être la seule politique possible. Et, de ce point de vue-là, dès le soir du 29 mai, on pouvait sentir qu’un certain nombre de personnes feraient tout, par n’importe quel moyen, pour que ce texte repasse. Et il y a eu véritablement une duplicité. Si j’étais au café du commerce, et extrêmement vulgaire, je dirais que certains nous ont pris pour des cons. Lorsqu’ils disent officiellement qu’ils veulent un référendum et qu’ils vont à Versailles, là où on décide pour savoir s’il y a ou non une procédure de ratification par voie parlementaire, et qu’ils appellent à s’abstenir, ils nous prennent pour des abrutis. Parce qu’ils savent très bien qu’il fallait les trois cinquièmes des suffrages exprimés pour que le texte passe. Et si vous vous abstenez, ce n’est pas un suffrage exprimé. Ils le savent très bien. On ne va pas nous la faire trois fois. Du coup, la manœuvre était tellement grosse que, même parmi les partisans de la ratification du traité, il y a des gens qui, très honnêtement, ont voté NON à Versailles pour que le referendum puisse avoir lieu, c'est-à-dire pour que le Président de la République, essuyant un NON, ait à proposer une nouvelle révision constitutionnelle appelant cette fois-ci au referendum. C’aurait été ça, le résultat d’un NON au congrès de Versailles. Contrairement à ce qu’annonçait Pierre Moscovici, le Président était condamné, dans ces conditions, s’il voulait que le texte repasse, à consulter le peuple par une autre voie que la voie parlementaire. Et il aurait fallu, naturellement, une autre révision constitutionnelle pour en appeler, cette fois-ci, à un referendum. Il y a eu là, manifestement, une mauvaise foi de la part de certains de nos dirigeants, et ils vont au-devant de graves difficultés s’ils continuent à prendre les électeurs pour des imbéciles, et je ne leur souhaite pas de subir la sanction lors de prochaines échéances électorales.
On a l’impression
d’un autisme profond du Parti Socialiste… On a l’impression
qu’ils font absolument tout pour qu’un nouveau 2002 soit
possible. Après 2002, ils ont été sourds à
ce qu’avait dit le peuple, d’une certaine façon.
En 2005 aussi. Et puis là, finalement, quitte à être
vulgaire, c’est le conchiement total du peuple et, malgré
tout, ils espèrent qu’on va voter pour eux... Ils jouent
avec le feu, non? Liêm
Hoang Ngoc :
Manifestement les leçons de 2002 n’ont pas été
tirées. On continue comme avant. On pense que, au fond, il n’y
a pas d’autre politique possible, et que le peuple ne le comprend
pas, sur la question européenne comme sur les autres questions. Une première gauche qui l’avait emporté provisoirement en 1981. En 1981, c’est le programme, grosso modo, du CERES de Jean-Pierre Chevènement, qui est un aménagement du programme commun de la gauche signé avec le Parti Communiste en 1974 - que le PC a rompu en 1977 – mais c’est ce programme qui s’applique, grosso modo, dans les 101 propositions de François Mitterrand en 1981, et il est faux de dire que la gauche n’a jamais appliqué son programme. En 1981, elle a appliqué quasiment le programme commun au cours de ces deux années 1981 – 1983 avant d’opérer le fameux tournant de la rigueur, qui a inauguré l’avènement progressif des politiques d’inspiration libérale, dans le cadre de ce que j’ai pu appeler « la pensée unique » avec mes collègues de l’appel des économistes contre la pensée unique. Cette pensée unique a été portée par la deuxième gauche qui a pour dirigeant historique Michel Rocard et, en 1997, c’est le programme de Rocard sans Rocard qui s’applique, avec Jospin comme caution de la première gauche puisque Jospin vient de la première gauche. Et la deuxième gauche n’a pas les mêmes traditions que la première.
La première gauche est une gauche qu’on qualifie volontiers
de « Jacobine » au sens où elle croit à
l’unité de la République et en le rôle important
de la puissance publique. La deuxième gauche est une gauche plus
décentralisatrice, qui se méfie du poids excessif de l’état,
qui pense qu’un grand nombre de problèmes sont des problèmes
d’ordre technique plus que d’ordre politique. Donc vous avez ces deux familles-là, qui ensuite se sont agrandies, la première gauche incluant de fortes influences marxistes au 19ème siècle, et la deuxième gauche subissant l’influence des idées saint-simoniennes, d’où son penchant pour considérer que, avec le progrès, nombre de problèmes sont plus des problèmes techniques que des problèmes inhérents à la lutte entre les classes sociales qui s’affrontaient à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Donc vous avez
ces deux familles-là au Parti Socialiste : Première
gauche qui l’emporte en 1981, qui l’emporte au congrès
de Metz en 1979 contre Rocard lors du congrès d’investiture
de François Mitterrand qui s’appuie sur la première
gauche contre la deuxième pour écarter Michel Rocard.
Et, ensuite, la deuxième gauche a vu ses idées triompher
au cours des années 90 où, là encore, la gauche
applique le programme de la deuxième gauche. On ne peut pas dire
que, entre 1997 et 2002, cette gauche-là se renie. Simplement,
elle ne met pas en place le logiciel – comme on dit aujourd’hui
- de la première gauche. Elle met en place le logiciel de la
deuxième gauche, qui baisse l’impôt, qui met en place
l’épargne salariale, la prime pour l’emploi, les
décentralisations, etc. Là où les deux projets se distinguent, c’est que la première gauche qui subsiste au PS pense, grosso modo, qu’il est possible de faire de l’Europe la France en plus grand, pour faire simple, bref qu’il est possible de construire un contrat social européen, avec un pouvoir politique qui, démocratiquement, s’impose sur la tyrannie de l’économie. De ce point de vue, le traité constitutionnel était insuffisant. La deuxième gauche se satisfait plus d’un traité libéral, dans le sens où elle considère que la sphère de la puissance publique ne doit pas trop s’étendre. Donc il n’est pas gênant que la puissance publique ne s’occupe pas trop de monnaie, ni de budget. Vous voyez qu’on retrouve assez facilement les raisons pour lesquelles, sur le fond, chacune des familles de la gauche s’affronte aujourd’hui par personnes interposées au Parti Socialiste. Sur l’histoire de la souveraineté populaire, la deuxième gauche, dont les idées ont triomphé au cours des quinze dernières années, est sans doute moins soucieuse de la souveraineté populaire, justement en raison de ses influences saint-simoniennes. On a beaucoup épilogué sur le rôle des « technos », mais si l’on considère que les problèmes sont d’ordre technique et non pas politique, il est logique qu’on s’en remette aux « compétents », aux techniciens et, de ce point de vue-là, la deuxième gauche n’a jamais vu d’inconvénient à réunir les compétences des deux rives. Le dialogue avec le centre, avec des gens de l’autre bord qui, sur des questions prétendues techniques, pensent la même chose, n’est pas une hérésie. Dans ce schéma de pensée, on peut parfaitement le concevoir. Par contre, dans la première gauche, dont l’influence marxiste reste prégnante, on pense que le vrai clivage qui subsiste dans le débat politique est un clivage entre une gauche - qui doit être soucieuse des intérêts des salariés - et une droite qui, malgré ses divergences, finit par se ranger du côté de la fraction du capital qui domine, aujourd’hui le capital financier, hier le capital industriel. La droite d’hier n’est d’ailleurs pas fondamentalement la même que la droite d’aujourd’hui. Au sein même de la famille bonapartiste, le bonapartisme du Général de Gaulle est fortement socialisant dans le cadre du capitalisme d’Etat des Trente glorieuses - dans un contexte où l’assistance joue un faible rôle et le capitalisme français est très affaibli au sortir de la deuxième guerre mondiale - alors qu’aujourd’hui, l’UMP de Nicolas Sarkozy adopte explicitement le programme de « refondation sociale » du MEDEF. Voilà, grosso modo, comment on peut lire le paysage politique français si on essaie d’aller plus loin que : « Ils sont pourris. Ils ont trahi … »
Je n’arrive
pas clairement à voir en quoi la deuxième gauche serait
différente des libéraux. Parce que, à moins que
le livre de Michéa, que j’ai lu, qui s’appelle « L’empire
du moindre mal », dise faux, on retrouve chez les libéraux
des choses que vous avez dites là, le fait de penser que l’Etat
a un poids excessif, le fait de voir les choses comme relevant non pas
du politique mais du technique, ça ressemble ! Liêm Hoang Ngoc : Mais les libéraux ne sont pas tous de droite ! Là aussi, il faut sortir des lieux communs. L’un des fondateurs de la pensée économique libérale, Léon Walras, était socialiste. Il y a toujours eu une tradition libérale à gauche, et au–delà des familles socialistes. Si vous prenez le champ de l’économie sociale par exemple, le projet de l’économie sociale est fondamentalement libéral. Il consiste, au sein du marché, à démontrer que les organisations démocratiques, les associations, les mutuelles, les coopératives, peuvent rivaliser avec les entreprises privées capitalistes. Le projet autogestionnaire est un projet libéral. C’est un socialisme libéral que le projet autogestionnaire, qui consiste, dans une démarche de marché, à faire gérer les entreprises par les travailleurs. Mais le mode de coordination, dans ce cas, c’est le marché. Il n’y a donc pas tellement de contradiction à être formellement libéral et de gauche, en considérant que, au niveau décentralisé, l’invention de formes d’organisation originales peut remplacer ce que l’Etat ne peut pas faire. L’habileté de François Mitterrand en 1981 a été de concilier les deux projets. C’a a été de concilier une politique industrielle reposant sur les nationalisations des principaux secteurs stratégiques, et du système bancaire, avec le développement d’une économie sociale puisqu’on a créé à l’époque la délégation interministérielle à l’économie sociale, et on a mis Michel Rocard au plan pour dialoguer avec toutes les entreprises qui s’inscrivent dans ce type de projets, au sens large, autogestionnaires. Donc la gauche peut parfaitement tenir sur ces différents points. Où place-t-on le curseur ? Je pense qu’entre 97 et 2002, on l’a placé excessivement du côté du détricotage de l’Etat social. Je suis de ceux qui pensent qu’on a dit beaucoup de bêtises sur la contrainte extérieure de 1983 et sur l’inefficacité de la politique qui fut conduite jusqu’alors. Quand on considère le déficit extérieur aujourd’hui de trente neuf milliards d’€uros, ce n’est rien du tout, par rapport, le petit déficit commercial français, à l’époque, qui avait conduit au tournant de la rigueur. Quand on prend les fondamentaux de l’économie française à l’époque - la dette publique est très faible, la politique soutient la croissance, l’emploi, l’investissement, la consommation - un des grands chantiers de déconstruction de la pensée unique serait de revenir sur cette période et de montrer que, en vérité, le tournant libéral de la gauche dans les années 80 est lié à une défaite sociale idéologique beaucoup plus qu’à des problèmes d’ordre économique. Pascale
Fourier
: Justement, tout à l’heure, vous avez dit que c’est
la deuxième gauche qui avait gagné à un moment.
Comment « gagné »? La question est sans
doute un peu stupide… Quelqu’un qui est de la première
gauche ne peut pas se convertir à une pensée qui est intrinsèquement
antinomique… Liêm Hoang Ngoc : Dans les derniers ouvrages que j’ai publiés, j’utilise un terme très fort – certains le trouveront peut-être excessif – qui est le terme de « thermidor économique » pour caractériser ce qui se passe en 1983 en France, lorsque la gauche ouvre cette fameuse parenthèse libérale. Thermidor parce que, souvenons-nous que, lors de la chute de Robespierre, qui fut organisée par des gens supposés de sa famille, ce ne sont pas les royalistes qui ont la peau de Robespierre à Thermidor, ce sont les montagnards coupeurs de tête qui pensaient que leurs crimes allaient trop se voir. Et souvenons-nous qu’après la chute de Robespierre et Saint-Just, l’homme fort du Directoire qui a constitué le régime de transition entre la Convention et la prise de pouvoir de Bonaparte en 1799, l’homme fort du Directoire, c’est Barras. Barras étant un ancien Montagnard Jacobin également, qui a préparé toutes les réformes libérales en détricotant tous ce qui avait été fait par la Convention au cours de la période révolutionnaire. Après 83, ce n’est pas Rocard, mais ce sont beaucoup de présumés tenants de la première gauche qui adoptent la mode libérale. Rocard est Premier Ministre entre 88 et 90, et met en œuvre un certain nombre de réformes, mais c’est quand même entre 97 et 2002 que l’essentiel des privatisations est réalisé, par un gouvernement dont le chef est issu, c’est le moins qu’on puisse dire, de la première gauche. Vous voyez que ce n’est pas parce qu’on est des plus purs des purs qu’on ne subit pas nécessairement l’influence de l’air du temps. Et l’air du temps entre 97 et 2002, c’était la baisse des impôts, c’étaient les privatisations, et aussi bien Lionel Jospin que Laurent Fabius ont succombé, alors qu’ils venaient de la première gauche traditionnelle, aux sirènes de la deuxième gauche.
Pascale
Fourier : Et, intellectuellement, cela
ne leur posait pas de problèmes ? Liêm Hoang Ngoc : Vous savez, en politique, l’air du temps est très important. Le juge de paix, c’est le suffrage universel, et beaucoup d’hommes politiques pensent que, pour avoir l’aval du suffrage universel d’où ils tiennent leur légitimité, il faut épouser l’air du temps. Sauf que l’air du temps se retourne… Pascale Fourier : J’espère (dans un murmure)…
|
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 18 février 2008 sur AligreFM. Merci d'avance. |