Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 7 MARS
2006
PS: la synthèse...
Avec Liêm Hoang
Ngoc, économiste, membre du Conseil National du Parti
Socialiste, délégué national à l'économie. |
Pascale Fourier : Alors la dernière fois qu'on vous avait reçu, Liêm Hoang Ngoc à Des sous, c'était juste après le référendum, pour lequel vous vous étiez plutôt pour le non. Et puis, à l'époque, vous ne nous aviez pas forcément dit du bien de vos petits camarades du Parti Socialiste, enfin en tout cas de ceux qui sont majoritaires. En suivant les débats au sein du PS, j'ai lu la motion numéro 5 qui a été présentée au congrès du Mans. J'ai apprécié la toute la première partie qui est une analyse de la mondialisation. On y trouve des choses étonnantes, la mise en cause de la libre concurrence par exemple. Et puis horreur, consternation, stupeur,: je m'aperçois finalement que vous avez voté la synthèse.... Il s'est passé de quoi, là ? Liêm Hoang Ngoc : La motion 5, pour que les auditeurs comprennent, est issue de la fusion de courants formant l'aile gauche du Parti Socialiste, courants qui étaient NPS, le Nouveau Parti Socialiste, et la plupart des militants de Nouveau Monde. Ces courants ont rédigé une contribution « alternative socialiste ». Avant les motions, il y a la phase des contributions... Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais la motion 5, c’était pour la première fois peut-être la tentative de constituer une aile gauche conséquente du Parti Socialiste, puisqu'elle a représenté 25 % des voix des militants. Et donc, avec un quart des militants, on pensait qu' il était possible de peser de façon importante sur la ligne politique du parti. D'ailleurs, chaque fois qu’un courant a pesé 25 %, c'est lui qui a fait le programme: Chevènement, dans les années 70, avec le CERES pesait 25 %, et c'est lui qui fait le Programme Commun. Le programme de Chevènement s'applique quasiment à la lettre en 1981, jusqu'en 83 où le virage, la parenthèse, fait que Chevènement démissionne . Et ensuite dans les années 80, c'est l'axe Rocard-Jospin qui pèse plus de 25 % et qui, si l'on y regarde de près, fait la ligne politique de la gauche plurielle, sans Rocard certes, mais avec sa philosophie entre 97 et 2002. Et là, la nouveauté, c'est qu'avec 25 %, ce qui vous a plu là dans la motion va peut-être pouvoir être incarné dans les faits en 2007. C'est un peu ça, l'enjeu du congrès. Dans un congrès, on définit une orientation politique, et on regarde si tous les courants qui se forment à partir de la rédaction des motions peuvent s'entendre pour former une direction commune, et mener le parti sur cette ligne-là. Toute la question était de savoir si les points que nous jugions importants dans la motion 5 pouvaient être l'objet d'un consensus suffisamment important dans le parti, pour que l'on puisse accepter - tout en y pesant avec 25 % - d'entrer dans la direction du parti pour appliquer cette ligne-là. Pascale Fourier : Pourtant, est-ce que ça veut dire pour autant que vous êtes en accord sur... j'allais dire le bilan mais il ne faut jamais dire ça avec des socialistes, ça fait pas beau... disons sur l'évaluation de la situation économique actuelle, en particulier de la mondialisation? Liêm Hoang Ngoc : Moi, je pense que mes camarades de la majorité, sans le dire, ont tiré un certain bilan du 29 mai. Il suffit de lire leur motion, la motion 1 : il y avait toutes les perches qui étaient tendues pour aller à la synthèse. Tout d'un coup, ils mettaient en cause la Banque Centrale Européenne, le pacte de stabilité, l'insuffisance du budget communautaire, l'absence d'harmonisation fiscale ! Tout d’un cou,p ils se sont prononcés pour l'impôt progressif, la hausse des salaires et un secteur public conséquent, tout ce à quoi ils n'étaient pas forcément favorables auparavant. Donc à partir du moment où ils ont tendu les perches et que nous on a enfoncé les clous... et que dans la synthèse, on a trouvé des choses très à gauche, par rapport à ce qui se disait dans ce parti jusqu'alors, on aurait été idiot de ne pas chercher à rassembler la gauche sur cette ligne-là. Parce que, le véritable enjeu, c'était quoi ? Il y avait deux possibilités, après la victoire du Non. C'était soit s'orienter vers la présentation d'un candidat du Non à l'élection présidentielle.... Et dans ce cas-là, le scénario, ça aurait été une scission du Parti Socialiste, et l'aventure d'une recomposition de la gauche autour d'un pôle du Non. Mais c'est une aventure dont on ne sait qu'elle aurait été l'issue immédiate. Ca supposait, à tout le moins, qu'on perde en 2007. Une gauche divisée, face à une droite arrogante, c'était à coup sûr, une défaite, et le pari de l'avenir, mais un pari sur une durée longue, et une durée pendant laquelle la droite au pouvoir entre 2007 et 2012 aurait saccagé le pays... On ne sait pas dans quel état on l'aurait retrouvé. Et, on ne sait pas quelle aurait été la gauche, en face de cette droite-là, en 2012: elle aurait pu être complètement blairisée, comme l'a été la gauche britannique dans les années 80. Donc, nous la réflexion qu'on a eue, c'est puisque l'on a pu enfoncer les clous, puisque grosso modo tout le monde reconnaît que le 29 mai il y a eu un malaise populaire qui s'est exprimé dans les urnes, et qu'il faut peut-être y répondre, si on arrive à rassembler la Gauche sur un minimum d'éléments programmatiques tout à fait simples.... Que demande l'électorat de gauche aujourd'hui ? Il demande tout simplement qu' on s'entende sur un candidat qui nous évite la division du 21 avril, et que ce candidat soit porteur d'un programme qui contienne des mesures symboliques, de Gauche tout simplement, comme la défense des Services Publics, le pouvoir d'achat, l'emploi, une fiscalité plus juste, et puis peut-être la relance du débat européen avec une Europe qui ne soit plus une Europe libérale. Sur ces points essentiels qu'on a réussi à faire mettre dans la motion de synthèse, je pense qu' il y a matière à rassembler la Gauche, et à trouver des accords avec nos partenaires faisant que le 21 avril il se déroule à droite la prochaine fois ce qui s'est passé en 2002 à Gauche - parce que ils vont se déchirer à deux ou trois candidatures à chaque élection - et que la Gauche puisse être unie autour de ce programme-là.
Liêm Hoang Ngoc: Mais, il faudrait être aveugle, pour ne pas avoir vu la composition sociologique du vote du 29 mai. Ce sont d'assez fins politiques pour observer que, dans les bureaux de vote populaire, où d'habitude les partis de Gauche font le plein, ça a voté Non. Ils sont obligés d'en tenir compte, parce qu'il y a derrière le suffrage universel. Maintenant, on ne peut pas reconnaître, quand on est à leur place, qu'on s'est trompé, alors ils le dissent autrement... Le premier réflexe de tous les militants quand il ont lu les motions du congrès, ca été de se dire que finalement toutes les motions se ressemblaient. Et moi j'ai beaucoup de mes camarades de l'aile gauche du parti qui se sont amusés à mettre les arêtes dans les débats de congrès, à dire: « Voilà, on n'est pas d'accord sur ça, ça, ça, et ça ». Moi, j'avais plutôt tendance à leur dire : « Mais c'est une très bonne chose que les gens de la majorité reprennent nos thèmes parce que le travail qu'on fait depuis des années est en train de payer. Nous sommes devenus la boussole de ce parti, et nous pesons, nous pouvons peser très fortement avec un quart du parti. Et le fait que l'on reprenne au thème est plutôt un bon signe » . Alors après, est-ce qu'on va à la synthèse ou pas ? Toute la question, c'était de savoir si tactiquement on décidait d'aller rassemblés aux élections, en sachant que jusqu'alors on avait offert un spectacle assez lamentable au yeux de l'électeur de Gauche qui ne comprenait pas pourquoi les socialistes continuaient à s'empailler pour les présidentielles, pourquoi il y avait autant de candidats, pourquoi ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur des choses aussi bêtes que ce que demandent les gens aujourd'hui : l'emploi, le pouvoir d'achat, les Services Publics, un Non à l'Europe libérale. Enfin c'est quand même assez facile d'y répondre !! Si vous regardez en détail la motion de synthèse, il y a des points qui sont quand même assez forts. A été intégrée l'idée d'un tarif extérieur commun qui était rejeté jusqu'alors par la majorité du parti. Un tarif extérieur commun est un instrument de lutte contre les délocalisations. Il y a la mise sous contrôle de la Banque Centrale Européenne par le Parlement. Il y a la réforme du pacte de stabilité, et j'ai réussi à faire introduire quelque chose que personne n'a relevé qui est le fait que on sorte du calcul des déficits publics les dépenses d'investissement et de recherche. Ca, c'est le truc keynésien par excellence, qui permet de relancer la politique industrielle sans qu'on soit contraint par le pacte de stabilité. C'est quand même un point essentiel ! Au passage les Britanniques le font. Ils ne le disent pas, mais ils le font. Nous, on a toujours eu scrupule à le faire, mais là on va le faire. Ensuite, comme je vous l'ai dit sur la question des impôts, tout le monde aujourd'hui est pour l'impôt progressif. Tout le monde paraît être d'accord – ce n'est pas écrit comme ça..., mais tout le signifie dans les motions – sur l'idée qu'il faut supprimer la prime pour l'emploi qui est un impôt négatif visant à remettre en cause l'architecture de la négociation salariale et du système d'indemnisation du chômage. Tout le monde aujourd'hui est pour les augmentations de salaires , pour la nationalisation d'EDF, la relance de la politique industrielle, etc. Donc, à partir du moment où on s'entendait sur cette matrice-là, sur laquelle nombre de nos partenaires de gauche seraient et seront, je le pense, d'accord, on avait la possibilité d'être le moteur, peut-être, de la future union de la gauche. Et c'est pour ça qu'on a fait la synthèse.
Liêm Hoang Ngoc : Alors, ceci est une thèse, parfois défendue par mes amis d'extrême-gauche, qui ont une lecture très soviétique de la vie politique française...au sens où, pour eux, il y aurait les gentils révolutionnaires bolcheviques, et puis les méchants bolcheviques réformistes, qui une fois qu'ils sont pouvoir finissent par trahir. C'est un petit peu court, et si vous regardez l'histoire politique de près, vous vous rendez compte que la Gauche a toujours appliqué son programme. En 1981, la gauche a appliqué son programme: comme je l'ai dit tout à l'heure, c'était le programme de la « première gauche », celle du CERES et du Parti Communiste. En 1983 a été fait le choix d'ouvrir une parenthèse en 1983, mais entre 1981 et 83, on a appliqué notre politique. En 1997, la Gauche a appliqué sa politique: c’était une gauche inspirée par le programme de la « deuxième gauche » de Michel Rocard, sans Michel Rocard qui avait été évincé peu avant. Mais, c'est l'axe Rocard-Jospin qui tient le parti, et si vous regardez la période 97-2002, la gauche applique le programme de la deuxième gauche. Et puis, elle tient ses promesses: elle fait les emplois jeunes, les 35 heures, la CMU. Elle fait des choses que défendait la deuxième gauche, et que nous n'avions pas dit que nous ferions: des choses telles que les baisses d'impôts, l'épargne salariale, les privatisations etc.. Mais c'est le programme de la deuxième gauche. Aujourd'hui, je pense que ceux qui seront aux affaires en 2007, s'ils sont de gauche, seront un petit peu tenus quand même par les accords qu'on aura passés avec nos partenaires et par l'engagement pris auprès de nos militants d'appliquer un certain nombre de choses. Charge à nous, ensuite, en nous appuyant sur nos partenaires du mouvement social et les syndicats, de construire le rapport de forces qui fasse que, contrairement à d'autres périodes, eh bien la Gauche ne change pas de cap.
Liêm Hoang Ngoc : Il faut savoir que l’aile droite du parti n'était pas forcément farouchement favorable à la synthèse. Certains d'entre eux réclamaient une clarification qui serait allée jusqu'au bout et aurait posé la question de savoir s'il faut définitivement rompre avec l'esprit d'Epinay ou pas. La position de certains, dans la motion majoritaire, c'était celle-là: c'est Épinay, c'est terminé, c'est ringard, c'est le vieux logiciel de la première gauche, il faut rejeter. D'autres pensaient au contraire qu'il fallait un nouvel Épinay et une nouvelle union de la gauche autour d'un retour à des valeurs auxquelles le « peuple de gauche » comme on dit est plutôt attaché, et qui s'est exprimé le 29 mai. Maintenant comme je vous l'ai dit, si on veut gagner en 2007, on ne peut pas rester divisés entre nous et même avec nos partenaires avec qui il y a encore plus de nuances que ça. Donc ne pas faire l’impasse sur 2007, ça voulait dire prendre la perche d'être les moteurs de la synthèse, puis de l'union, sur des valeurs et des éléments de programmes qui pouvaient être justifiés tels que la remise en cause d’un certain nombre de révisions auxquelles nous avions adhéré pendant la période 97-2002. Il y a eu des dérives libérales ! A partir du moment où, implicitement, on reconnaît que ça a conduit à une certaine ambiguïté auprès de nos électeurs, qu' on peut rectifier le tir, on aurait été incohérent de ne pas accepter la synthèse.
Liêm Hoang Ngoc : Écoutez, moi, je vais vous surprendre, le candidat pour 2007 m'est indifférent. Ce qui m'intéresse, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, c'est de pouvoir peser sur le programme, c'est que, quel que soit le candidat, il soit tenu d'appliquer un programme tout comme François Mitterrand, qui peut-être ne croyait pas fondamentalement en Programme Commun, a été tenu d'appliquer le les 101 propositions, carrément dérivées du programme commun, d’ailleurs entre 80 et 83, et tout comme Lionel Jospin a appliqué des choses auxquelles il ne croyait peut-être pas. Lui, qui ne peut pas être soupçonné d'être un tenant de la deuxième gauche, a quasiment appliqué le programme de Rocard entre 97 et 2002. Alors quel que soit le candidat, moi j'espère qu’il soit le plus proche possible des idées que défend la gauche du parti. Je ne sais pas si nous aurons un candidat d'ailleurs, on verra, le moment venu, quel est le meilleur moyen de faire en sorte que nos idées deviennent majoritaires dans ce parti. Elles sont en passe de le devenir, comme on l'observe dans la synthèse. A partir du moment où le parti et les accords avec nos partenaires se font autour d'un programme de gauche, je ne vois pas pourquoi on cracherait dans la soupe. Après, c'est pas une question de personne. Moi, je ne fais pas de la politique pour des personnes, quelle que soit la personne, j'espère qu'elle sera tenue de respecter son mandat.
Liêm Hoang Ngoc : La pression sociale tout simplement. Moi, j'ai commencé à militer dans Attac et j'avais fait l'Appel des économistes pour sortir de la pensée unique parce qu’il me semblait que nous avions perdu une bataille idéologique au cours de ces vingt dernières années. Les libéraux l'ont emporté parce que, entre autres, ils ont entrepris un lobbying incessant auprès des autorités politiques: ça s'est fait par le MEDEF, ça c'est fait par les fondations idéologiques, ça c'est fait par des pressions médiatiques. Et, cette bataille-là, idéologique, on l'a perdue en même temps que la bataille sociale. Et donc, c'est toute une bataille idéologique et sociale qu'il faut reconstituer. Et il faut un rapport de forces qui fasse en sorte que, quand des choix décisifs pour le pays sont en présence des pouvoirs publics, ils puissent s'appuyer ou tenir compte de ce rapport de force. Je pense que, en 1983, si les syndicats et le peuple de gauche avait beaucoup plus manifesté son soutien et son attachement en direction de la politique menée en 81, il n'y aurait pas eu la parenthèse libérale de 83. Et tout l'enjeu maintenant, c'est de fermer cette parenthèse, et il faut que chaque citoyen, chaque militant syndical et associatif, donne de la voix.
A la semaine prochaine !
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 7 Mars 2006 sur AligreFM. Merci d'avance. |