Pascale
Fourier :
Les auditeurs auditeurs attentifs Des Sous, vous connaissent bien, Liêm
Hoang Ngoc, puisque certains ont même été jusqu'à
remarquer que vous étiez mon invité par excellence, celui
qui est venu le plus grand nombre de fois, avant Jacques Nikonoff, paraît-t-il....
Alors là je vous fais venir par ce que vous avez écrit
un livre qui va paraître, donc que je n'ai pas lu, qui s'appelle
: « 10 questions sur la dette » aux éditions
Michalon. Il s'agit d'un entretien qui est conduit par Pierre-Luc le
Séguillon qui vous pose donc 10 questions. Ce thème-là
m'intéressait bien parce, que pendant la campagne électorale,
j'ai eu la surprise d'entendre Ségolène Royale parler,
elle aussi, du « problème de la dette ».
Et je me suis dit: « Décidément, tout le monde
est d'accord à gauche, à droite, tout le monde est d'accord:
la dette, c'est réellement un problème ».
Liêm Hoang Ngoc
: Oui, tous les candidats à la présidentielle ont fait
de la lutte contre la dette leur cheval de bataille, autant Ségolène
Royal que Nicolas Sarkozy ou François Bayrou, qui est resté
d'ailleurs sur ce créneau puisque Nicolas Sarkozy a mis en veilleuse
son discours sur la dette. Il faut savoir que l'UMP au Sénat
a enterré en catimini le rapport Pébereau, dont on va
parler dans un instant, qui est le rapport officiel ayant attiré
l'attention du grand public sur le problème de la dette.
Un discours relativement orthodoxe, comme le disent les économistes,
orthodoxe au sens où les économistes néolibéraux
considèrent aujourd'hui que la dette est un problème parce
qu’elle va peser sur les générations futures et
notamment sur leur capacité d'épargne. C'est-à-dire
que si l'État dépense trop, fait des déficits,
il faudra prélever par l'impôt sur les générations
futures et, dans ce cas-là, celles-ci auront moins de capacité
d'épargne et moins d'épargne, c'est moins d'investissements
pour les entreprises et moins de dynamisme économique.
D'où le discours sur la réduction de la dette, pour pouvoir
réduire les impôts et favoriser le dynamisme de l'offre.
C'est un peu le discours officiel qui a même été
repris par la candidate socialiste, puisque je me souviens que, lors
de son discours à Villepinte qui était censé lancer
sa campagne, son pacte présidentiel, elle a tout articulé
ce discours sur la question de la dette. Elle a commencé sur
la dette en expliquant qu’il fallait la réduire et qu'il
fallait réformer l'État, excessivement jacobin et centralisateur,
en poursuivant sur l'autonomie des universités, etc. Ce sont
des thématiques que François Bayrou aurait pu reprendre,
et d'ailleurs a repris. La droite, par le biais de Nicolas Sarkozy,
a fait une campagne de même type avec, au centre de l'argumentaire,
la nécessité de réduire de moitié les effectifs
de la fonction publique. Et ils ont commencé d'ailleurs à
le faire cette année. Et, ensuite, les cadeaux fiscaux qui ont
été faits au cours de cet été - 15 milliards
d'euros - font qu’ils ont vidé les caisses. Ce qui explique
que Sarkozy a mis en veilleuse son discours sur la dette, en disant
même aujourd'hui qu’il était extrêmement critique
à l'endroit du pacte de stabilité et des contraintes européennes
et que son volontarisme le conduisait à utiliser le budget de
l'État.
Pascale Fourier
: Pourquoi la dette ?
Parce que l'État est trop dispendieux ? Ce n'est pas venu comme
ça ? Subitement l'État s'est décidé à
faire plein de choses et a dépensé beaucoup d'argent...
et donc du coup il s'endette ? C'est ça le problème ou
ça ne marche pas comme ça ? ...
Liêm Hoang Ngoc
: L'ouvrage attire l'attention sur ce que j'appelle le paradoxe de la
dette. C'est que, contrairement à ce qu'on pense, lorsque l'État
intervenait massivement dans l'économie au cours des Trente Glorieuses,
et même si on prend l'épisode 81-83, qui est le prolongement
des Trente Glorieuses, les taux d'endettement n'ont jamais excédé
20, 23 % en 83. Pendant les Trente Glorieuses, le taux d'endettement,
c'était 18 %. Et là, tout d'un coup, ça explose.
Ca explose très précisément à partir de
93.
93 pour ceux qui s'en souviennent, c'est le moment où Édouard
Balladur est nommé Premier Ministre et où, dans le parti
majoritaire à droite, le RPR, l'aile libérale - à
laquelle appartient déjà Nicolas Sarkozy à l'époque
- prend le pas sur l'aile gaulliste. Balladur-Sarkozy (Sarkozy était
ministre du budget à l'époque) arrivent au gouvernement
avec un programme résolument libéral, moins résolument
qu'aujourd'hui mais on commence à enfoncer le clou sur un certain
nombre de thématiques. On met en place une 2ème vague
de privatisations, on commence à baisser l'impôt sur le
revenu en réduisant le nombre de tranches d'imposition, on met
en chantier la réforme des retraites, on promeut un plan quinquennal
pour l'emploi qui fait de la baisse du coût du travail l'alpha
et l'oméga de la politique de l'emploi, etc.
Et le paradoxe, c'est que ce sont les politiques censées réduire
le poids de l'intervention de l'État dans l'économie qui
sont concomitantes avec la montée de la dette. C'est à
partir de 1993 que la dette explose. Et je rappellerai que c'est ce
prétexte-là - le fait que le taux d'endettement a quasiment
atteint les 60 % du PIB autorisé par le traité de Maastricht
– qui, en 1996, a conduit Dominique de Villepin, qui était
secrétaire général de l'Élysée, à
préconiser la dissolution de l'Assemblée Nationale parce
qu’il pensait qu'il fallait augmenter l'impôt pour rentrer
dans les clous des 60 % du PIB pour se qualifier pour l'euro. La dette
publique, c'était 38 % du PIB en 93; c'était 58 % en 1997.
Pascale Fourier
: Là, tout de suite, vous avez dit « concomitante ».
C'est « concomitante » ou « explicative »,
on pourrait dire ? Est-ce que ce sont les politiques libérales
qui ont été mises en place qui expliquent le déficit,
la dette ?
Liêm Hoang Ngoc
: Ma thèse est que oui. C'est-à-dire que, paradoxalement,
ce sont des politiques qui avaient pour objectif de réduire la
dette. La politique menée par Juppé en 95, c'était
une politique dite « de réduction des déficits ».
Mais, malgré la compression des dépenses publiques, des
dépenses sociales, et les privatisations, ces politiques ont
creusé la dette.
Alors le grand public n’y comprend rien. Comment se fait-il que
des politiques censées réduire la dette ont creusé
la dette ?
Tout simplement parce qu’elles ont cassé la croissance,
elles n'ont pas été à même de soutenir la
croissance, elles ont plombé la consommation sans relancer l'investissement.
Tout bon étudiant de sciences économiques sait que la
croissance, c'est la consommation et l'investissement en premier lieu.
Donc moins de croissance, c'est moins de rentrées fiscales. Et
quand vous faites des projets de budget avec des objectifs de croissance
de 3 %, et que votre croissance est inférieure à 1 %,
vous avez des rentrées fiscales qui font défaut et des
déficits qui, mécaniquement, se creusent. Donc c'est l'inefficacité
des politiques libérales qui est responsable de la faiblesse
de la croissance. Et on peut comparer ça avec le fait que, dans
la période précédente, les politiques où
l'État était réellement volontariste, où
l'État dépensait, cela n'a pas conduit, contrairement
à ce que l'on pense, à endetter la France.
Pascale Fourier : Des sous et Des Hommes sur Aligre FM 93.1. Et
on est en compagnie de Liêm Hoang Ngoc, qui a écrit un
livre qui s'appelle « 10 questions sur la dette »
aux éditions Michalon, et qui va sortir tout bientôt.
Décidément, il y a un petit truc que je ne comprends pas
dans ce que vous dites. Vous avez dit tout à l'heure, juste avant
la musique, qu'en fait c'étaient les politiques de droite qui
étaient cause, d'après vous en tous les cas, de la dette.
Cependant je n'arrête pas d'entendre des appels à lutter
contre cette dette, à la réduire. Ils sont schizophrènes,
ces pauvres gens de droite ?
Liêm Hoang Ngoc : Ils sont conscients que les cadeaux fiscaux
vont creuser les déficits. Un vrai libéral dirait :
« Le choc fiscal créé par les 15 milliards
du paquet fiscal va relancer la croissance et donc réduire la
dette », mais ils n'y croient même pas. Ils n'y croient
même pas. Tous leurs conjoncturistes leur disent que la croissance
cette année, ça va être dur d'atteindre les 2 %
alors qu'ils ciblaient leurs projections sur 2,25 à 2.50.
Donc, ils savent très bien que ça va creuser les déficits.
En clair, au-delà du débat techno, ça veut dire
qu'ils n'ont pas confiance dans l'impact de leur politique sur la croissance
et qu'ils savent que les 15 milliards vont creuser le trou.
Mais cela dit, moi, je suis de ceux qui pensent que l'obsession de la
dette doit être relativisée. J'ai fait ce bouquin contre
le rapport Pébereau pour bien indiquer que, dans le contexte
actuel, il n'y a pas de problème de dette. Il y a un problème
de gaspillage des marges de manoeuvre budgétaire qu'autorise
la dette publique.
Je m'explique. Aujourd'hui on est dans une situation où il y
a dans ce pays une épargne abondante. Plus de 15 % du PIB est
consacré à l'épargne. L'épargne, c'est quoi ?
Ce sont les placements financiers, pour aller vite. En théorie
ça sert à quoi l'épargne ? L’épargne,
ça sert à faire en sorte que les entreprises qui veulent
investir disposent de fonds propres pour l'investissement, ce qui leur
permet par ailleurs de s'endetter puisque, quand vous avez des fonds
propres importants, vous pouvez vous endetter pour investir.
Le gros problème de l'économie française aujourd'hui,
c'est qu’on a des entreprises qui ont des fonds propres importants,
qui ont des marges d'autofinancement fortes, mais qui n'investissent
pas. Aujourd'hui, entre 50 et 80 % des profits sont distribués
sous forme de dividendes, et les entreprises, par ailleurs, n'investissent
pas. Ce qui fait qu'il y a une vraie panne d'investissement qui est
source de manque d'innovation et de perte de compétitivité
sur les marchés, faisant que le déficit du commerce extérieur
français est devenu chronique.
Et, par conséquent, dans un contexte où les entreprises
n'investissent pas, où la consommation est devenue le principal
moteur de la croissance et en particulier la consommation des classes
riches, qui bénéficient des baisses d'impôts, eh
bien, tout ça ne suffit pas pour faire en sorte que nous ayons
une croissance soutenue. D'où le fait que la croissance française
plafonne et est à la remorque de la croissance européenne
et mondiale.
Et donc dans ce contexte où l'épargne ne finance pas fondamentalement
l'investissement privé des entreprises, parce que celles-ci sont
sous l'emprise du court terme des fonds de placement, il est sain que
l'État prenne le relais et que cette épargne viennent
financer des dépenses de l'État, à condition que
ces dépenses de l'État soient porteuses d'avenir, qu’elles
portent sur l'investissement, la politique industrielle, la recherche,
l'innovation, etc.
Or, aujourd'hui, les dépenses de l'État ne portent pas
là-dessus. Ce sont des cadeaux fiscaux à des catégories
de revenus qui, en grande partie, sont des catégories que l'on
catalogue vulgairement parmi les « nouveaux rentiers ».
Et pourtant, il y a une épargne abondante qui aujourd'hui se
porte sur le financement de l'État.
L'épargne aujourd'hui est fortement demandeuse des obligations
du Trésor, ce qui fait que l'État peut se financer à
des taux d'intérêt extrêmement bas - ce qui fait
dire aux spécialistes que la dette est parfaitement soutenable
parce que les taux sont bas, parce qu’il y a une abondante épargne
qui a confiance dans la dette de l'État - et la dette de l'État
français est même devenue une valeur refuge par les temps
qui courent. Et donc, tout le problème, sachant qu'il n'y a pas
de difficulté de financement la dette, c'est que, aujourd'hui,
le gouvernement est en train de gaspiller les ressources qui sont drainées
par cette épargne dans d'inutiles baisses d'impôts.
Pascale Fourier
: Ça serait quoi des
mesures porteuses d'avenir, financées par l'État ? Je
ne vois pas trop...
Liêm Hoang Ngoc
: Ce sont par exemple des mesures en faveur de l'éducation, ce
sont des mesures en faveur de la recherche, ce sont des mesures en faveur
de la capitalisation de certaines entreprises publiques à condition
qu'on ne les privatise pas, c'est EDF, c'est GDF, c'est France Télécom,
c'est ce qu'on appelait jadis la politique industrielle, qu'on a aujourd'hui
confiée aux fonds de placement sur les marchés financiers.
Pascale Fourier
: Mais ça demanderait
une révolution copernicienne de mener à nouveau une politique
industrielle avec un vrai investissement de l'État dans l'économie
de la France, non ?
Liêm Hoang Ngoc
: Il faut tirer un bilan d'une politique qui, depuis 1993, revient quand
même à confier les rênes des principales entreprises
stratégiques aux fonds de pensions américains. La moitié
de la capitalisation boursière de la place de Paris est détenue
par ces fonds de placements. Les noyaux durs que Balladur avait lui-même
instaurés ont été progressivement défaits.
Et on a une structure des entreprises qui ressemble de plus en plus
à la structure des entreprises américaines, où
les fonds sont extrêmement spéculatifs. Même chez
Airbus, Lagardère n'a qu'une envie, c'est de se tirer. Donc,
on ne peut pas dire, d'un côté il faut relancer le volontarisme
de l'État en matière économique, et se contenter
de dire, et de prier, que les marchés rompent avec un court termisme
qui les caractérise avant tout.
Pascale Fourier
: Des sous et des hommes, toujours en compagnie de Liêm Hoang
Ngoc. Ca discute ferme autour de la table puisque il y a des petites
questions qui ... En vérité, ça va être une
double question: débrouillez vous, Liêm ! La première
c'est : quel but est visé en fait par l'appel permanent
à réduire la dette ? Ça, c'est ma première
question et puis j'en ai une autre : ça doit bien servir quand
même quelqu'un qu'il y ait une dette, on doit bien payer des intérêts
sur la dette ... donc il y a quelqu'un qui est bien servi dans l'affaire
- et donc il faudrait augmenter la dette...
Liêm Hoang Ngoc
: Oui ! A qui profite le crime ?
Le discours officiel consiste à dire que, si l’on augmente
la dette, comme je l'ai dit pour commencer, ça va pénaliser
les générations futures qui vont payer des impôts,
et n'auront plus de quoi épargner et entreprendre. Et donc, à
travers ce discours, il y a le procès de l'État, et l'idée
que l'État engage des dépenses inutiles qui pourraient
être faites par le secteur privé, et à fortiori
des dépenses improductives parce que l'État entretient
une bureaucratie pléthorique à tous les niveaux, au niveau
central, et même dans les régions. Et donc, vous avez un
plaidoyer constant pour réduire ce que les technos appellent
les dépenses de fonctionnement, c'est-à-dire les dépenses
de personnel avant tout, de l'État central et des régions
et, à travers le thème de la dette, c'est le thème
traditionnel chez les libéraux du procès de l'inefficacité
de l'État qui est fait.
Alors, en vérité, à qui profite le crime ? On pense
que la dette et la dépense publique profitent traditionnellement
aux politiciens - j'utilise les termes des économistes libertariens
américains, qui raisonnent en termes de marché politique,
et qui pensent qu’il y a des politiciens qui veulent se faire
élire et qui construisent des programmes pour capter une clientèle
électorale et donc, pour ça, ils ont intérêt
à dépenser des deniers publics. Et dans une démocratie
représentative, d'après les économistes libertariens,
il y a une inflation des dépenses publiques parce que les hommes
politiques s'entendent pour distribuer de l'argent à leur clientèle
et ça creuse les déficits, ça pompe l’épargne,
et ça tue le dynamisme économique.
En vérité ce que j'essaie de montrer dans le bouquin,
c'est que pas du tout. Le crime ne profite pas à ceux que l'on
désigne habituellement du doigt. Le crime profite, en vérité,
très clairement aux rentiers. Pourquoi ? On a une situation où
l'État baisse les impôts. Ca profite en premier lieu aux
épargnants, aux revenus qui épargnent - et qui ont de
quoi épargner. Donc vers quoi se porte cette épargne?
Sur des actions naturellement, mais aussi sur des obligations, des obligations
d'État, en particulier, qui sont une valeur refuge. Donc on distribue
de l'argent à des gens qui épargnent, qui achètent
des obligations d'État, obligations d'État qui elles-mêmes
vont rapporter des intérêts aux mêmes épargnants.
C'est un cercle vicieux qui ne profite finalement absolument pas à
ceux auxquels on pense habituellement.
Pascale Fourier
: Je suis sidérée,
d'où le silence... Mais c'est assez fou, ce que vous racontez...
Liêm Hoang Ngoc
: J'ajouterai une chose, c'est que ce n'est absolument pas sur les générations
futures que ça pèse, cette affaire. En vérité,
c'est un problème de répartition des revenus aujourd'hui.
Aujourd'hui la dette est financée par l'épargne d'aujourd'hui,
la dette va soutenir ou ne pas soutenir une activité économique
aujourd'hui, qui va engendrer des recettes fiscales aujourd'hui, qui
vont payer les intérêts des rentiers d'aujourd'hui.
Et donc, c'est un problème de répartition des revenus
entre acteurs économiques d'aujourd'hui. Les générations
futures ne font que percevoir par transmission, par héritage,
etc. les créances et les dettes de leurs aînés.
Mais, c'est un problème d'aujourd'hui.
L'idéologie de la génération future, c'est en vérité
du pipeau.
Pascale Fourier
: Eh oui, donc c'était Des Sous et Des Hommes, première
émission de la septième année , avec Liêm
Hoang Ngoc, qui a écrit : « 10 plus une question à
Liêm Hoang Ngoc sur la dette ». C'est une série d'entretiens
sur la dette avec Pierre Luc Séguillon aux éditions Michalon.
Et ça va sortir bientôt, le 20 septembre, ce qui explique
que je ne l'ai pas lu.... Dès que je l'aurai lu, je réinviterai
Liêm, pour en savoir un peu plus parce que le sujet est vaste
et décoiffant, comme on aura pu le remarquer. En tous les cas,
je vais essayer de garder Liêm pour l'émission de la semaine
prochaine.
À la semaine prochaine.
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