Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 25 SEPTEMBRE
2007
"Refonder la Gauche", disent-ils.....
Avec Liêm
Hoang Ngoc, maître de conférences à l’université
Paris I, délégué national à l’économie
au Parti Socialiste |
Pascale Fourier : Au lendemain du 6 mai, on a entendu des appels venant de toutes parts appelant à refonder la gauche, ou même mieux, à réfléchir à ce qu'était « être de gauche ». Appels parfois inquiétants quand ils venaient de Dominique Strauss-kahn ou des Gracques, et étaient amplement relayés par les médias classiques. La gauche est dans un tel état de déliquescence qu'elle ne sait même plus ce qu'elle est ? Liêm Hoang Ngoc : Etre de gauche ou être de droite, c'est un vieux débat. Il y a toujours eu dans l'Histoire ceux qui pensent qu'on peut faire un petit peu mieux que la situation dans laquelle on vit, et ceux qui pensent que c'est trop risqué de faire mieux et qu'il vaut mieux conserver les choses en l'état. Donc, conservateurs et progressistes ont toujours existé dans l'histoire politique depuis la nuit des temps.
Donc, il est faux de dire que, depuis 25 ans, ce sont les minorités archaïques - comme le disent les rénovateurs - qui dirigent le parti socialiste et qui influencent la gauche. On a l'impression en écoutant les journalistes, de nombreux observateurs, que depuis 25 ans, ce sont des idées qui prônent l'État ( il y aurait trop de dépenses aujourd'hui, il y aurait trop d'impôts, il y aurait trop de charges, trop de rigidités...), on a l'impression que ce sont les idées de la première gauche, de la gauche montagnarde, qui auraient mis la France « en faillite », comme le dit l'actuel premier ministre. Il a oublié quand même que, depuis 1983, ce sont plutôt les idées libérales qui ont triomphé, que c'est plan de rigueur sur plan de rigueur qu'on a vu défiler, que ce sont des mouvements de retrait de l'État dans de nombreux domaines de l'économie, que c'est le recul de l'impôt républicain, que c'est le recul du droit du travail. Et le vrai enjeu aujourd'hui, me semble-t-il, à écouter les uns et les autres, c'est qu’on assiste à une offensive sociale généralisée pour remettre en cause l'idée-même de redistribution dans notre pays. L'offensive libérale a commencé par détricoter les chiffres du contrôle public de l'investissement. Avec les différentes vagues de privatisations, 86, 93, 97, on a confié aux intérêts privés le contrôle des industries stratégiques de notre pays. On a commencé à détricoter la redistribution avec la réforme des retraites en 93 et en 2003. Mais aujourd'hui, on veut aller plus loin. On veut revenir définitivement sur l'un des piliers du compromis de 1945 qu'est la Sécurité sociale, non seulement avec l'achèvement de la réforme des retraites à travers le symbole de la fin des régimes spéciaux, mais aussi avec la montée en puissance des franchises médicales, qui vont être annoncées demain et qui seront sans doute remboursables par les assurances complémentaires. Donc, il y a ce pilier du compromis de 1945 qui est mis en cause. Il y a, et c'est un fait nouveau, le chantier de la réforme du droit du travail qui va arriver - droit du travail qui est un autre pilier du compromis de 1945, qui s'était ordonné autour du contrat à durée indéterminée. Là, l'idéeest celle du contrat unique où il faudrait revenir carrément en arrière par rapport au progrès qu'a constitué le CDI vis-à-vis du travail journalier qui était la norme qui prévalait au début du XXe siècle.
Et ceux qui, aujourd'hui, prônent une certaine opposition constructive ne font qu'entériner les thèmes que la droite néo-conservatrice a mis sur le tapis. Et une opposition constructive reviendrait, à partir de ce moment-là, simplement à amender le programme des néo- conservateurs. Le vrai débat, il est là aujourd'hui : est-ce que la gauche a un projet de société alternatif à opposer à celui de la droite néo-conservatrice qui a résolument rompu avec le gaullisme, malgré certains accents gaulliens qui arrangent fortement Nicolas Sarkozy lorsqu'il faut s'occuper de la question sociale, symboliquement tout du moins - mais c'est une droite qui a rompu avec le compromis dont le général de Gaulle était l'incarnation en 1945.
Pascale Fourier : Des sous et les hommes, sur Aligre FM, et on est toujours en compagnie de Liêm Hoang Ngoc, qui est délégué national au parti socialiste, et proche d'Emmanuelli et de Hamon. Tout de suite je me disais : "Ah la la, Liêm, il est vraiment ringard ! Il a l'air de regretter les 30 glorieuses, il nous parle du compromis de 45. Mais le compromis de 45 c'était un compromis national ! Or là, maintenant, la nation est insérée dans l'Europe d'une part et la mondialisation d'autre part. Enfin en somme, on est carrément dans une autre dimension". Donc, qu'est-ce qu'on fait là ? Qu'est-ce que vous proposez ? Liêm Hoang Ngoc : Tout l'enjeu précisément est de conférer à l'Europe les contours politiques de ce qu’on a pu faire à une certaine époque à l'échelle nationale. Si on estime que l'Europe est le niveau pertinent de résistance à la mondialisation libérale, il faut doter dans ce cas l'Europe d'institutions politiques qui nous permettent de domestiquer les effets pervers de la mondialisation néolibérale. Ce sujet est tabou parce que les partisans de l'interventionnisme politique se replient généralement sur des positions caricaturées de souverainistes. Et, de ce fait, ils refusent généralement le débat sur l'extension des institutions politiques à l'échelle européenne, qui donneraient naissance à une Europe à leurs yeux trop fédérale, au nom du fait que c'est la Nation qui serait le terrain absolu sur lequel la politique pourrait se faire. Et c'est là que nous avons au parti socialiste un certain nombre de divergences avec nos amis chevènementistes, par exemple, qui ne sont plus au parti socialiste. Eux pensent que l'Europe politique est une utopie. Mais ils ne disent pas, parce qu'ils ne tirent pas les conséquences de leur positionnement que, dans ce cas, il faut faire campagne pour un retour au Franc. A partir du moment où on a fait l'€uro, et que l’on essaie de remplir une bouteille à moitié pleine, l'enjeu, c'est de doter l'Europe d'institutions politiques qui aujourd'hui font défaut pour faire fonctionner l'€uro d'une façon non-libérale.
Pascale Fourier : Mais les rapports politiques internes à l'Europe ne sont pas favorables à une Europe dite "sociale" ou en tous les cas non libérale, y compris à l'intérieur de l'Euro-groupe, c'est-à-dire des pays qui participent à l'€uro... Liêm Hoang Ngoc : Oh, les choses sont plus compliquées qu'on ne le croit. Des personnalités telles que Valéry Giscard d'Estaing ont récemment déclaré qu'elles avaient tiré les leçons de la dernière séquence où l'Angleterre, une nouvelle fois, avait affirmé son refus d'aller plus loin dans l'inclusion de certains domaines dans le champ de la majorité qualifiée, la fiscalité, mais aussi la politique extérieure, etc. Et il y aurait un consensus assez large - incluant y compris un certain nombre de centristes, sur la question européenne j'entends - pour repartir de l'euro-groupe, donc à 13 et non pas à 27 et ressaisir la perche que l'ancien ministre des affaires étrangères allemand Joshka Fisher nous avait tendue, de faire l'Europe politique avant de faire l'élargissement. Pascale Fourier : Finalement vous nous proposez de resserrer l'Europe autour d'un noyau de quelques pays? Liêm
Hoang Ngoc :
D'un noyau dur, oui, tout à fait, pour montrer l'exemple, avec
un vrai budget qu'on pourrait financer par l'emprunt. Jacques Delors
proposait, dans le Livre blanc de la commission européenne, le
lancement d'un emprunt pour un programme de grands travaux: cela signifie
que pour la première fois on pourrait financer le budget communautaire
par l'emprunt. Pascale Fourier : Les socialistes, d'une façon générale, seraient aussi d'accord sur ce schéma ? Parce j'ai quelques souvenirs d'un Oui au traité constitutionnel qui ne semblait pas s'orienter vers la possibilité d'avoir des politiques privilégiées à plusieurs. Liêm Hoang Ngoc: Oui, mais les partisans du Oui s'inscrivaient dans une situation où l'élargissement avait été décidé et où, à 27, effectivement on ne peut pas obtenir un meilleur texte. À 27, vous ne pouvez pas avec les Polonais, les Britanniques, et les positions qu'ils défendent, obtenir un meilleur texte, au sens d’un texte politique, que le traité constitutionnel qu’on nous a servi. Mais si on le fait à 13, la situation est différente. Les 13 sont dans l'€uro, ils ont un vécu commun et des intérêts pour que se déploient un budget et une harmonisation fiscale. Après reste ensuite à discuter dans ce cadre-là du pacte de stabilité et du rôle de la banque centrale européenne. Mais le débat me paraît aujourd'hui ouvert. Pascale Fourier : Et quelle place à ce moment-là pour la démocratie, réellement, au sein de l'Europe ? C'est toujours quelque chose qui me pose problème... Liêm Hoang Ngoc : Écoutez, quand on est passé des différentes régions / provinces françaises à la République, on a fait l'unité française sans trop de problèmes au bout de quelque temps, même si, au début, il y ait toujours des résistances, vendéennes, etc. Là, c'est pareil. Si on veut réaliser véritablement l'unité européenne, à 15 cela me semble beaucoup plus réaliste, y compris sur le plan de l'attachement des habitants de ces 15 pays-là à l'idée européenne, qu'à 27 Pascale Fourier : On pourrait vous dire qu'à l'époque le mode de décision politique, c'était la négociation démocratique par l'intermédiaire du vote. Tandis qu'au niveau de l'Europe les choses se font... Liêm Hoang Ngoc : Oh ! Vous savez, ce n'est pas aussi idéal que ça. À l'époque, c'était le suffrage censitaire, quand même. La première constitution, c'était le suffrage censitaire, le peuple n'avait pas grand-chose à dire. Ici - j'ai parlé d'assemblée constituante tout à l'heure - rien n'interdit d'imaginer un scénario de ce type si l'on pense à une véritable Europe politique. Pascale Fourier: Des sous des hommes, toujours en compagnie de Liêm Hoang Ngoc, qui décidément me déconcerte... Si j'ai bien compris, être de gauche, c'est faire passer le projet politique par l'Europe. Oui mais, le problème, c'est qu'on est quand même au minimum 13, disiez-vous, et les autres ne vont pas forcément être tout à fait d'accord pour nous suivre comme ça sur un chemin progressiste si tant est qu'on réussisse en tant que Français à aller dans cette direction. On fait quoi dans ce cas-là ? Si ça ne passe pas par ça ? Liêm Hoang Ngoc : À partir du moment où on a fait l'euro, il faut explorer le scénario jusqu'au bout et ne pas rester au milieu du gué. Si ce scénario n'arrive pas à son terme, s'il échoue - et il peut échouer si on le laisse en l'état - à supposer qu'on le dote d'un traité simplifié qui maintienne les choses en l'état, moi je vois mal la situation perdurer comme cela à 27. Si ça échoue il faudra en tirer les conséquences. Et pour moi, l'euro est un instrument. Ce n'est pas une fin. Si cet instrument ne sert pas à faire avancer le progrès économique et social, il faudra en utiliser un autre. Le franc a été un instrument pendant une période. Et si nos partenaires ne veulent pas se doter d'instruments qui permettent de faire fonctionner correctement l'€uro - permettant une harmonisation fiscale et permettant de déployer le budget communautaire - l'Europe s'engagera dans les affres d'un dumping social dont on voit déjà les résultats et les conséquences néfastes sur le plan économique et social. Donc, dans ce cas-là, il faudra une monnaie nationale. Mais avant que d'ouvrir ce débat-là, je pense que, puisque le choix de l'€uro a été fait, il faut essayer jusqu'au bout, si l'on est progressiste, de faire en sorte que la solution internationaliste prévale et que les citoyens européens se dotent à la fois d'une monnaie et d'institutions politiques permettant de faire vivre tout le monde ensemble. Pascale Fourier : Pour revenir un petit peu au thème du débat, qui était au départ réformer la gauche, il y a vraiment des possibilités à terme qu'il y ait justement un rapport de forces internes à la gauche favorable au fait d'aller dans une autre direction, qui serait approximativement la vôtre ? En tous les cas progressistes... Liêm Hoang Ngoc : Il faut dépassionner le débat parce que j'entends beaucoup de gens réclamer une scission du parti socialiste, autant à la gauche qu’à la droite du parti socialiste. Parce que, quand les uns et les autres appellent à la clarification, ça veut dire que, si on clarifie une ligne, ceux qui ne sont pas d'accord avec cette ligne s'en vont. Et les rénovateurs, aujourd'hui, enfin ceux qui se nomment rénovateurs et qui réclament la clarification, verraient d'un bon oeil le départ de l'encombrante aile gauche du parti socialiste.
Donc si c'est ça que veulent ceux qui se proclament aujourd'hui socio-démocrates ou rénovateurs, ce n'est pas forcément la meilleure solution pour le camp du progrès. C'est la raison pour laquelle nous essayons d'être unitaires pour deux si vous voulez. Quand je dis nous, ce sont ceux qui essaient de conserver une certaine boussole à gauche, et notamment dans le parti, le seul qui aujourd'hui puisse servir de parti d'alternance. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas dans un scénario de division et de scission des socialistes. Nous essayons de préserver l'unité de la gauche le plus longtemps possible, quitte à faire en sorte que la boussole soit mise en avant pour qu’on retrouve la bonne direction.
Pascale Fourier : C'était Des Sous des Hommes en compagnie de Liêm Hoang Ngoc, qui vient juste de publier, je vous le rappelle, « 10 questions plus une à Liêm Hoang Ngoc sur la dette ». C'est un livre qu'il faut impérativement lire pour contrecarrer l'idée que diffusent à l'envi les médias classiques selon laquelle la dette française serait une véritable catastrophe. Voilà. A la semaine prochaine. |
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 25 Septembre 2007 sur AligreFM. Merci d'avance. |