Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 10 OCTOBRE
2006
La fusion GDF/SUEZ 1/2
Avec François
Morin, porofesseur
d'économie à Toulouse, ancien membre du collège
de la Commission de Régulation de l'Energie. |
Pascale
Fourier
: Et notre invité aujourd'hui sera François Morin,
professeur d'économie à l'université de Toulouse
I, auteur du « Nouveau mur de l'argent », aux
éditions du Seuil et surtout, ancien membre du Collège
de la Commission de Régulation l'Energie. On entend actuellement parler dans les médias, d’une fusion G.D.F-Suez qui a l'air d’ailleurs d'avoir été votée par le Parlement … François Morin : Elle a été votée par le Parlement, pour l'instant par l'Assemblée Nationale seulement: il va y avoir une navette avec le Sénat. Pascale Fourier : ... et moi, je n'ai pas très très bien réussi à comprendre toute l'histoire. Parce que quand j’étais petite, on avait G.D.F, E.D.F, qui chacun avait une spécialité, mais dont le but était de servir la population française. Après, j'ai comme un espèce de blanc historique entre cette douce période de mon enfance et maintenant. Qu'est-ce qui s'est passé ? François Morin : Eh bien tout a commencé en faità la fin de l'année dernière, et au début de cette année, avec l'annonce d'une O.P.A, une offre publique d'achat sur le groupe Suez de la part de l'italien Enel. C'est ça le début de l'histoire. Le groupe Suez est un groupe à capitaux européens, essentiellement français et belges. Le groupe italien était intéressé par cette prise de contrôle de ce groupe dans la mesure où Enel est un groupe énergétique produisant de l'électricité, et Suez est également un groupe dont une partie de l'activité, très importante, consiste à produire de l'électricité en Belgique. Enel avait des visées européennes puisqu'avec l'ouverture des marchés aujourd'hui il est clair que chaque groupe essaie d'avoir des parts de marché européennes. Et donc, dans cette perspective, Enel annonce son intention de prendre le contrôle de Suez, car très intéressé par les actifs belges. Cette annonce s'est passée à la fin de l'année dernière, , et du coup, comme Suez historiquement relevait de capitaux français, essentiellement français, et un peu belges maintenant, eh bien l’établissement financier et industriel français s'est ému de cette volonté de prendre le contrôle de ce grand groupe. D'où la parade, qui a été montée assez rapidement, qui consiste à dire qu'il faut renforcer le poids des actionnaires français dans Suez, car actuellement ce poids est très menacé. L’idée est de dire que Gaz de France va fusionner avec Suez. Dans cette mesure-là, évidemment, l'État va se retrouver avec une participation de Suez importante, puisqu'il la fixe aujourd'hui du reste à 34 %, ce qui donne des possibilités pour l'État français de contrôler l'ensemble fusionné Suez-G.D.F. Donc ça, ça a été, dans un premier temps, très rapidement, la réponse du gouvernement à cette annonce de l'italien Enel. Pascale Fourier : Quel était l'intérêt de vouloir sauver Suez ? François Morin : Eh bien Suez est un très grand groupe. Et, on est encore dans une période disons de "patriotisme économique", c'est-à-dire qu’on considère dans certains milieux français que ce groupe fait partie du patrimoine de l'économie nationale. Effectivement, si on remonte, alors cette fois-ci, peut-être au-delà de votre enfance, Suez a été constitué en 1956 avec l'indemnisation du canal de Suez. Parce que le canal a été repris par les autorités égyptiennes, il y a eu une indemnisation. Et à partir de ce moment-là, Suez est devenu un groupe financier très important en France, avec beaucoup d'actifs au départ très diversifiés, la Compagnie Financière de Suez. Et, cette indemnisation, a permis d'un seul coup à Suez, d'avoir, durant les années 60, une dimension très importante, concurrente à celle, à l'époque, de Paribas. Suez et Paribas étaient deux grandes compagnies financières, qui se sont opposées assez périodiquement dans la construction du capitalisme français. Et donc, à l'instar de Paribas, Suez était considéré par les milieux financiers français, les milieux industriels, et les grands commis de l'État, comme faisant partie du patrimoine national.
Pascale Fourier : Pour G.D.F, comment s’est faite l'évolution, de ce groupe qui était au service des Français au départ jusqu'à maintenant? François Morin : L'évolution de G.D.F est récente puisqu'avec l'ouverture des marchés le gouvernement actuel a considéré qu'il était nécessaire d'ouvrir le capital de G.D.F, de changer son statut à partir de 2004. C'est à ce moment-là qu'une loi est intervenue qui a permis à l'GDF de passer d'un établissement public qu'il était à une société anonyme, avec la possibilité d'ouvrir le capital - ce qui a été fait en partie, puisque que les salariés détiennent une partie du capital maintenant, et un certain nombre d'investisseurs institutionnels. Aujourd'hui du coup, l’Etat ne conserve plus que 80 % du capital de Gaz de France . Et ça c'est une évolution qui a eu lieu depuis les deux dernières années.
Pascale Fourier : Et pourquoi avoir envie, besoin, d'avoir des alliances au niveau européen ? François
Morin :
C'est l'idée que, avec le marché unique, donc un marché
beaucoup plus vaste que les marchés proprement nationaux, - le
marché unique s’adresse à l'ensemble des pays appartenant
à l’Union Européenne - , les acteurs doivent se
mettre à cette échelle-là, doivent donc grandir
en taille; et que, s'ils n'arrivent pas directement à grandir
en taille, à taille suffisante à l'échelle du marché
européen, ils doivent pouvoir conclure des alliances avec d'autres
groupes, pour atteindre avec des ensembles alliés des taille
qui apparaîtraient suffisamment critiques pour agir à ce
niveau-là. Pascale Fourier : Je dois être un peu obtuse: je ne comprends pas quand même l'intérêt de cette ouverture européenne. Parce que, se mettre à l'échelle européenne, oui... et puis pourquoi pas, je ne sais pas, pourquoi pas aller jusqu'en Asie... Je ne vois pas la nécessité… François Morin : Parce que l'Union Européenne a décidé de construire un marché unique de l'énergie. C'est une décision bruxelloise, à laquelle les Etats ont décidé de participer. Il faut remonter pratiquement au milieu des années 80 pour comprendre toute l'histoire de la construction de ce marché, à partir de l'acte unique, d'une part, et d'autre part des premières réflexions sur l'ouverture des marchés énergétiques qui datent du début des années 90. Il y a eu une réflexion sur ce que pourrait être des directives européennes en la matière, concernant ce marché européen de l'énergie. Et les premières directives sont apparues en 1996 pour l'électricité, et 1998 pour le gaz. Ces directives prévoyaient très explicitement toute une série de dispositions pour ouvrir les marchés nationaux, parce que ces marchés nationaux été très largement subordonnés à des grands opérateurs historiques du type Gaz de France ou EDF. Donc, il agissait d'ouvrir les marchés, sans toucher forcément à la propriété du capital des firmes, mais ouvrir les marchés.
Pascale Fourier :J’ai bien compris l’histoire de l'ouverture à la concurrence. Seulement, je ne vois toujours pas l'intérêt de l'ouverture à la concurrence... On va peut-être me dire que comme cela je paierai moins cher... Mais on saità la limite, par expérience, qu'en particulier pour l'électricité, c’est faux. Pourquoi les gouvernements continuent-ils donc d'aller dans cette direction d'ouverture à la concurrence, alors qu’on voit que pour le simple consommateur, c’est une catastrophe ? François Morin : Vous avez complètement raison sur l'analyse. Mais le raisonnement de départ évidemment de la commission européenne, et ensuite des autorités nationales, et notamment française, c'était bien ce raisonnement là, c'est-à-dire "l'ouverture des marchés va favoriser la concurrence". La concurrence une fois établie doit favoriser une baisse des prix, à la fois dans le domaine électrique, et aussi dans le domaine gazier. Alors,
évidement cette situation
et très paradoxale. Et on peut se demander, comme vous le faites,
pourquoi on s'acharne à poursuivre ce processus. Tout simplement
parce que c'est un processus qui vient de loin - ça fait vingt
ans qu'il a été engagé, pas simplement dans le
secteur de l'énergie, mais dans d'autres industries de réseaux
- et que là- dedans il y a une forte dose d'idéologie,
d'idéologie libérale, qu'on connaît bien, et qui
pense que le marché est un mécanisme qui résout
essentiellement tous les problèmes d'efficacité, de performances,
que l’on peut rechercher dans ce genre d'activités. François Morin : C'est un argument qu'on entend souvent. Il faut augmenter la taille de Gaz de France, il faut que Gaz de France puisse s'allier - c'est dans l'exposé des motifs de la loi du reste qui vient d’être votée à l'Assemblée Nationale - , il faut que Gaz de France puisse jouer comme un acteur fondamental sur le marché mondial, donc il faut que Gaz de France grossisse. Et l'idée c'est bien sûr de dire que si Gaz de France acquiert une taille internationale, en tous les cas plus importante qu'elle ne l'est actuellement, cela lui donne des possibilités de négociations. Cet argument n'est pas faux. Mais quand on regarde les interlocuteurs actuels de Gaz de France, notamment Gazprom, on a affaire à des groupes, à des acteurs économiques qui sont incomparablement plus puissants que Gaz de France. Et jusqu'à présent souvent, les négociations, les contrats à long terme comme on dit, qui permettent l'approvisionnement du gaz en France, font souvent l'objet de discussions d'État à État, de discussions de type diplomatique. Et donc, que Gaz de France soit allié à Suez, ça ne change pas vraiment la nature des problèmes. Il y aura toujours des discussions d'État à État, étant donné le volume, l'importance stratégique des contrats à long terme qui sont conclus en matière d'approvisionnement de gaz. C'est un argument évidemment qu'on peut avancer, mais qui, à mon avis, ne joue pas réellement. Pascale Fourier : Et si la participation de l'État descend à 34 %, qui est je crois le chiffre auquel elle risque de descendre, est-ce qu'il y aura encore justement cette possibilité de négociation diplomatique ? François Morin : Bien évidemment, à ce moment-là, on a affaire à un groupe privé où l'État aura probablement moins son mot à dire. Surtout que quand on a 34 %, rien n'empêche qu'un opérateur puisse disposer de la majorité du capital. Et on connaît les velléités de Gazprom de descendre dans la filière gaz, et de prendre le contrôle d'entités en Europe. Donc on peut imaginer, - c'est un scénario qui existe - , on peut imaginer que Gazprom puisse un jour prendre une participation au capital de Gaz de France. Et même, puisque cette l'entreprise a largement les moyens de le faire, prendre la majorité du capital de Gaz de France. À ce moment-là, il est évident que l'État français perdrait toute maîtrise en matière d'approvisionnement. Pascale Fourier : C'est un risque réel ? C'est possible ? François Morin : C'est un risque possible, bien évidemment. C’est tout à fait possible. Gaz de France pourrait passer demain sous la coupe d’un actionnaire majoritaire, et le nom de Gazprom est régulièrement avancé quand on évoque cette hypothèse. Donc, demain, c'est-à-dire fin décembre, où l'année prochaine, peut-être plus tard, c'est le genre de scénario duquel on ne peut pas complètement exclure l'éventualité. Pascale Fourier : Vous voulez dire que la représentation nationale a voté, mardi dernier, la possibilité que le groupe G.D.F n'appartienne plus… François Morin : ... que G.D.F-Suez n'appartienne plus à des capitaux français, ou européens, mais russes par exemple, c'est évident. Qu'est-ce qui empêcherait Gazprom de lancer une OPA sur cet ensemble fusionné ? Rien, absolument rien. Pascale Fourier : Et bien c’était Des Sous et Des Hommes, en compagnie de François Morin, professeur d'économie certes, mais je le rappelle encore, ancien membre de la Commission de Régulation de l'Energie. On a un petit peu parlé hors-micro, vous l’imaginez bien, et François Morin m'a autorisé à dire ce qu'il m'a dit hors-micro. Et il m'a dit au cours de notre conversation que si les prix du gaz ont augmenté récemment, ça ne correspondait pas à une nécessité économique, c'était pour garnir le panier de la mariée G.D.F, pour qu'elle soit plus désirable... Moi, je suis contente d'avoir ainsi participé au bonheur à venir des actionnaires... Pas vous ? A la semaine prochaine, toujours en compagnie de François Morin. |
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 10 Octobre 2006 sur AligreFM. Merci d'avance. |