Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 16 JANVIER
2007
La mondialisation financière, ou le "Nouveau mur de l'argent" 1/2
Avec François
Morin,
auteur de « Le nouveau mur de l'argent » |
Pascale Fourier : Et notre invité sera François Morin, auteur du « Nouveau mur de l'argent, essai sur la finance globalisée », aux Éditions du Seuil. François MORIN, nous l'avions déjà reçu à « Des Sous... », à propos de la fusion GDF-Suez, parce qu’il était ancien membre du Collège de la Commission de Régulation de l'Énergie. Et, ce qu'il faut savoir, c'est qu'il est aussi ancien membre du Conseil Général de la Banque de France et du conseil d'Analyse Économique. En somme, c'est une pointure pour tout ce qui concerne toute la finance. J'ai donc lu son
dernier livre « Le nouveau mur de l'argent », et c'était,
je l’avoue, assez ardu pour moi. Mais qu'importe, je sentais bien
qu'il y avait dans ce livre quelque chose de fondamental: François
Morin nous montre le poids croissant des sommes qui se déplacent
dans la sphère financière, des incidences que cela a sur
l'économie réelle, et insiste sur les risques grandissants
que cette sphère fait courir à l'ensemble de l'économie.
Je crois que ce sont les derniers propos qu'il m'a tenus qui éclairent
le mieux de quoi il est question dans les deux émissions que
j'ai faites avec lui. Hors micro, il m'a dit : « Je crains une
crise de 29 démultipliée ». Quand vous écouterez
ces deux émissions, gardez à l'esprit ses paroles. François Morin : Les marchés financiers, ce sont normalement des marchés qui permettent aux acteurs économiques de trouver la liquidité dont ils ont besoin. En général, ce sont des entreprises ou l'État. Ça peut être aussi des particuliers, mais pour l'essentiel ce sont des entreprises et les différents États. Ils viennent chercher la liquidité dont ils ont besoin. Cette liquidité est fournie sur ces marchés, tout simplement parce qu'il y a ce qu'on appelle des "investisseurs financiers" prêts à leur donner, moyennant un échange de titres financiers qui seront, pour l'essentiel - on résume - des actions et des obligations. Donc, par "marchés financiers", on entend des lieux où s'échange de la liquidité qui vient de la part de ces grands investisseurs financiers institutionnels, qui sont structurellement prêteurs, et qui, en échange de cette liquidité, reçoivent des titres des États - ceux qu'on appelle des "emprunts obligataires" notamment -, qui reçoivent des obligations. Ils peuvent recevoir aussi des actions des grandes firmes. Voilà. C'est ce lieu d'échange particulier de fourniture de liquidités pour des acteurs qui en ont besoin. Pascale Fourier : Des "liquidités", ça veut dire des sous ? François Morin : Alors, les liquidités se sont des sous, oui, c'est de l'argent. C'est de la monnaie. C'est ce qui arrive sur votre compte bancaire lorsque vous avez, par exemple en tant qu'entreprise, émis des titres pour financer vos investissements. Si vous êtes une entreprise, vous allez émettre des actions, par augmentation de capital, et contre ces actions - qui sont des titres, des titres financiers - vous allez recevoir du cash, de l'argent, de la monnaie qui arrive sur votre compte en banque. Voilà, les "liquidités", c'est ça. Pascale Fourier : En quoi c'est important, on pourrait presque dire pour les gens de base, ces histoires de marchés financiers? Parce qu’on entend bien ça à la radio, mais on ne comprend pas trop bien... François Morin : Les marchés financiers représentent ce qu'on appelle la "finance directe", par rapport à ce qu'on a longtemps appelé la "finance indirecte", c'est-à-dire en fait la finance qui permettait de se procurer des liquidités par le crédit des banques, les banques représentant un intermédiaire entre ceux qui pouvaient apporter leur épargne et ceux qui devaient investir dans cette épargne. Quel est l'intérêt
de la finance directe, c'est-à-dire de la finance par les marchés
financiers ou par les marchés monétaires ? Et bien évidemment,
c'est de permettre une relation plus directe entre prêteurs et
emprunteurs, entre ceux qui disposent de l'épargne et ceux qui
souhaitent investir, sans passer par l'intermédiaire des banques.
Ce qu'il faut ajouter, c'est que les marchés monétaires et financiers se sont particulièrement développés avec les mouvements de libéralisation propres au développement de ces marchés, libéralisation qui est intervenue dans les années 70 et 80, pour toute une série de raisons qu'on peut analyser. Je crois que la principale raison de libéralisation de ces marchés, ça a été de permettre aux épargnants, ceux qui disposent de liquidités, de pouvoir, finalement, avoir une rémunération supérieure à ce qu'ils pouvaient prétendre avoir dans un système qui était intermédiaire - le système de finances indirectes dont je parlais tout à l'heure. Et l'objectif principal des mouvements de libéralisation de ces grands marchés, ça a été de permettre, en effet, à l'épargne de jouer un plus grand rôle qu'elle ne jouait précédemment. Avec l'idée - toujours la même - qui consiste à dire, de la part des économistes libéraux - ceux qui prétendaient que la libéralisation devait apporter un plus à l'économie - que lorsque l'épargne se développe, lorsque que l'épargne peut être correctement rémunérée, l'afflux d'épargne qui en résulte permet un investissement propice à la croissance et un investissement supérieur... dans la mesure où, encore une fois, cette croyance repose sur l'idée que l'investissement naît de l'épargne, au contraire de la croyance keynésienne qui affirme exactement le contraire : que ce sont les crédits, qui finalement, permettent l'investissement, et par retour créent l'épargne, qui résulte de l'investissement. Donc, là on a deux schémas de pensée qui s'opposent complètement : le schéma libéral et le schéma keynésien. D'un côté, l'épargne qui favorise l'investissement, et de l'autre côté c'est l’investissement qui crée l'épargne, en définitive. L'objectif des économistes libéraux et néolibéraux, a consisté à libérer l'épargne des contraintes dans lesquelles celle-ci pouvait se trouver avant le mouvement de libéralisation, afin de permettre à la sphère financière de se déployer plus largement, dans la croyance - encore une fois - que ce développement de la finance par l’épargne allait favoriser l'investissement…et donc la croissance, et donc l'emploi. Pascale Fourier : « Des Sous... et Des Hommes », toujours en compagnie de François MORIN. Alors, notre entretien continuait, mais, souvenez-vous : « Je crains une crise de 29 démultipliée ». François MORIN va arriver, déjà à la fin de cette plage d'entretien, au problème des crises financières. Ce n'est pas encore une nouvelle crise de 29, mais ça donne le ton. Vous disiez tout à l'heure que les libéraux pensaient que l'épargne favorisait les investissements, qui favorisaient la croissance. Est-ce que c'est finalement ce qu'on a observé ? Est-ce qu'il y a eu effectivement cette divine spirale après la libéralisation des mouvements des capitaux ? François Morin : Ce qu'on a observé, c'est la chose suivante : premièrement, l'épargne a en effet été libérée. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ? Ça veut dire que pour cette libéralisation, il a fallu en fait favoriser l'accroissement des taux d'intérêt. Pendant les années 70, et même avant, en période d'encadrement du crédit notamment, les taux d'intérêt étaient en fait sous la tutelle des autorités monétaires, et, de façon générale, de l'État. Pour favoriser l'arrivée de l'épargne sur les marchés, les économistes libéraux on dit : «Il faut que les taux d'intérêt réels deviennent positifs », car ils étaient négatifs dans cette phase d'encadrement de toutes sortes. Et effectivement, à partir du moment où les taux d'intérêt étaient maintenus de façon négative - à cause de l'inflation, bien entendu - les taux nominaux d'intérêt étaient tels qu'avec inflation, l’épargnant, finalement, perdait de l'argent. En libérant les taux d'intérêts, ceux-ci ont monté mécaniquement. On a observé un peu partout, du reste, à la fin des années 80, après cette période de libéralisation, que les taux d’intérêts sont devenus positifs, et même largement positifs, puisque que, dans certains pays - et notamment en France, à la fin des années 80 - en termes réels, ils peuvent atteindre des montants de l'ordre de 7 à 8 %, ce qui est tout à fait considérable - alors qu'ils étaient négatifs dix ans avant. De ce point de vue-là, on peut dire qu’un des objectifs de la libéralisation financière a été atteint, puisque, les taux d'intérêt redevenant positifs, on a eu une économie où les épargnants ont joué, finalement, le premier rôle, ce qui n'étaient pas le cas précédemment. Certains on dit qu'on était rentrés dans une économie de rentiers, à partir de ce moment-là. Ce qui est vrai, c'est que l'épargne a été favorisée par cette libéralisation des marchés, et donc du prix qui se forme sur ces marchés, en l’espèce le taux d'intérêt. Est-ce que ça a favorisé la croissance économique ? Est-ce que l'investissement a été, de ce fait, favorisé avec l'arrivée de l'épargne ? Là, on entre dans une discussion qui est forcément difficile puisque la période qui s’ouvre durant les années 90 est une ériode qui va être très très complexe du point de vue de la croissance économique. Il y a eu, à partir de 91-92, une véritable croissance, par exemple américaine. Mais, dans le reste du monde, on est entré dans l’ère de ce que l’on peut appeler « les grandes crises systémiques », avec la crise du S. M. E en 92 et 93. Il y a eu trois grandes crises du système monétaire européen au début des années 90, qui ont eu des effets négatifs sur la croissance économique. Et puis, très vite, dans le Tiers-Monde, à partir de 94, on a eu les premières grandes crises, qui ont touché le Mexique, qui ont touché les pays du Sud-Est asiatique, qui ont touché la Russie, le Brésil, puis l'Argentine, la Turquie... Bref, la croissance est devenue chaotique, en quelque sorte, dans la mesure où le système financier lui-même est devenu de plus en plus instable à partir, justement, de ces mouvements de libéralisation, qui ont touché non seulement la sphère des marchés financiers en tant que telle - on l’a rappelé tout à l'heure -, mais aussi, qui ont touché la sphère des échanges internationaux, les marchés des changes notamment, avec la libéralisation des taux de change. Et donc, les années 90 ouvrent une nouvelle période, où on a à la fois une croissance économique, bien sûr, mais des crises, qui deviennent de plus en plus graves pour l'ensemble de l'économie mondiale, avec le développement de ces crises systémiques. Pascale
Fourier : « Des Sous... et des Hommes »,
sur Aligre FM. Moi, ce qui m'intéresse toujours, c'est le rapport
entre l'économie et la vie des simples gens. Si les acteurs financiers
échangent des titres entre eux, jouent dans une sphère,
quasiment seuls, et sans lien avec l'économie réelle,
qu'importe... Mais, on pourrait se dire : "Crise… Mais est-ce que ça a touché les gens ? » François Morin : Eh bien oui. Dans certains pays… les images qui viennent à l'esprit, c'est ce qui s'est passé en Russie, c'est ce qui s'est passé aussi en Argentine, en Turquie, avec des paniques financières et bancaires terrifiantes, avec brutalement l'accroissement du chômage dans ces pays… Alors, ça c’est pour, les pays émergents ou les pays en voie de développement. Dans nos pays, je pense qu'on a affaire à un autre problème beaucoup plus redoutable, c’est le poids pris progressivement – à cause de cette libéralisation – de cette finance très concentrée, globale, qui, par l'intermédiaire des investisseurs institutionnels, fait peser sur le monde de l'entreprise des exigences financières, des exigences de rentabilité, qui modifient complètement la façon de travailler dans les entreprises. Là, on entre dans un autre domaine, qui est celui qu'on appelle « la nouvelle gouvernance des entreprises », qui surgit aux États-Unis à la fin des années 80 et dans le monde entier durant les années 90, en Europe au milieu des années 90. On voit le marché du travail, l'organisation du travail, dans les entreprises, être complètement bouleversés par les nouvelles normes qu’imposent ces investisseurs dans la gestion des entreprises. C’est aussi une révolution complète qui s’engage à ce moment-là, qui vient très récisément de ce monde de la finance globalisée, et qui se concentre de plus en plus. On peut rentrer dans les détails si vous le souhaitez, mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'à la source, à partir du moment où on libéralise les marchés financiers, on donne la possibilité à de très grands acteurs d'avoir un poids très important vis-à-vis des plus grandes entreprises. Et ce poids s'est manifesté évidemment par la présence de ces grands investisseurs dans le capital des plus grandes firmes, de l'épargne en tous les cas. Et c'est par ce biais-là que ces grands investisseurs ont pu exprimer leurs exigences en matière de gouvernance, de gestion des grandes entreprises. Le fameux 15 %, qui est souvent évoqué en termes de rentabilité financière exigée de la part de ces investisseurs, naît précisément à partir des années 90, avec la formation de cette finance globale, qui a été libéralisée – en quelque sorte libérée – par ce mouvement d'ouverture des marchés auquel on a assisté durant les années 80. Pascale Fourier : C'est l'affaire LU, de la firme DANONE, par exemple, qui fermait une branche qui n’avait que 8 % de bénéfices, alors qu'ils attendaient plus ?François Morin : Oui, c'est ça. Donc, ça c'est un phénomène qu'on a observé partout. Des branches qui peuvent être considérées comme rentables de façon traditionnelle ne le sont plus vraiment aux yeux de ces investisseurs, si précisément cette rentabilité mythique – mais qui en réalité est entrée dans les faits progressivement - n'est pas atteinte. C'est pour cette raison aussi, qu’on a assisté, de plus en plus à ce qu'on a appelé les "licenciements boursiers", c'est-à-dire des licenciements qui font monter le cours de bourse de ces entreprises puisque, lorsqu'on supprime une branche qui n’est pas rentable ou pas suffisamment rentable, comme vous venez de le dire, les investisseurs financiers anticipent une rentabilité supérieure ensuite de la firme. À travers cette anticipation, les acteurs du marché estiment que la valeur de l'entreprise à venir va être supérieure. D’où l'augmentation du cours de la bourse. C’est le même raisonnement. C'est aussi à partir de cette révolution dans le comportement des dirigeants d'entreprise, que l'on a assisté, durant les années 90, à ce que l'on appelle le recentrage des firmes sur le cœur de leur métier, parce que, pour ces grands investisseurs, il est très important de savoir d'où vient la rentabilité. Si une entreprise s'est développée sur plusieurs axes, sur plusieurs secteurs d'activité, il peut y avoir ce qu'on appelle des subventions croisées, d'un secteur à l'autre, et l'investisseur financier ne sait pas exactement d'où vient la rentabilité de la firme. D'où l'exigence de leur part auprès des directions de firmes, de séparer leurs activités, de revendre celles qui sont les moins rentables, pour que la firme se centre, en effet, sur un secteur bien précis de son activité, afin que celle-ci puisse faire en permanence l'objet d'évaluation, d'un "benchmarking" comme on dit, à l'échelle internationale. Et donc, l’investisseur regarde l'activité des entreprises sur un secteur d'activité à l'échelle internationale, pour voir les entreprises qui sont les plus rentables et les moins rentables, pour savoir où placer les ressources dont il a le mandat de gestion. Mais, si une entreprise est un conglomérat, si elle a plusieurs activités, l’investisseur n'y voit plus clair, et donc exige que l'entreprise clarifie ses structures. Et si l'entreprise maintient plusieurs activités – ce qui peut arriver - à ce moment-là, l'investisseur va être beaucoup plus exigent en matière de rentabilité financière, va demander davantage de comptes à l'entreprise, peut laisser cette entreprise effectivement dans cet état-là ; mais, on le sait, l'entreprise devra fournir une information beaucoup plus complète aux investisseurs financiers sur son activité. Encore une fois, ce qui intéresse l'investisseur financier, c'est de connaître les marges qui peuvent être dégagées par une activité d'entreprise afin que cette information lui permette de savoir - par rapport aux autres entreprises du même secteur - lui permette de savoir si cette entreprise est finalement calée de façon correcte, par rapport à des exigences qu'on peut attendre d'elle dans ce secteur d'activité. Pascale Fourier : C'était « Des Sous... et Des Hommes », sur Aligre FM, en compagnie de François Morin, auteur de « Le nouveau mur de l'argent », sous-titre « Essai sur la finance globalisée », aux Éditions du Seuil. C'est un livre un peu compliqué, un peu complexe, mais pour des personnes qui s'y connaîtraient peut-être plus en économie que moi, c'est tout à fait lisible. Je crois que sa particularité, c'est de réussir à définir les sommes qui s'échangent sur les marchés financiers, un gros travail qu'a fait François Morin pendant plusieurs années, pour trouver les chiffres. Je vous propose donc de le retrouver la semaine prochaine. À bientôt!
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 16 Janvier 2007 sur AligreFM. Merci d'avance. |