Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 11 AVRIL 2006
Pour soigner les malades, encore faut-il
faire le bon diagnostic...
ou
les causes du chômage...
Avec Jacques Nikonoff,
Président du mouvement Attac. |
Pascale Fourier : En ces temps de contestation du CPE, on se met à nous parler de l'emploi des jeunes, de la difficulté qu'ont ceux-ci à s'intégrer dans le « marché de l'emploi » comme on dit actuellement. Or il y a quelque chose qui m'étonne toujours, c'est qu'en réalité ni les centrales syndicales, ni les partis de gauche ne semblent réellement poser la question du chômage dans son entier - et pas seulement celle du chômage des jeunes. Ils apportent peu d'explications sur les causes du chômage, et donc du coup semblent se couler dans la pensée libérale. Quelles autres explications du chômage que celles que proposent les libéraux pourrait-on justement donner ? Jacques
Nikonoff :
Assurément il y a un problème d'emploi des jeunes, mais
il y a surtout un problème général d'emploi. Les
jeunes ont des problèmes d'emploi, mais aussi les femmes, les
immigrés, les personnes de plus de 50 ans... Bref, tout le monde
a un problème d'emploi. La preuve a été faite ces
vingt-cinq dernières années que les politiques « ciblées »,
comme on les appelle, ciblées sur des catégories particulières
ne fonctionnent pas: on change l’ordre dans la file d'attente,
tout simplement. Tout ça, c'est de la propagande. Car c'est cela, la mondialisation: réorganiser le travail à l'échelle planétaire, parce que ça permet aux grandes entreprises, en supprimant toutes les barrières, de trouver une main-d’œuvre docile, de qualité dans certains cas, et en tout cas à un coût défiant toute concurrence dans des pays dans lesquels on est assuré que les travailleurs ne pourront pas se syndiquer et revendiquer des augmentations de salaires. On voit très bien que vider les entreprises des pays industriels pour aller installer les entreprises dans des pays pauvres, bien souvent des dictatures, est un choix politique qui vise à rediscipliner le salariat occidental. Et c'est cela qu'il faut retenir dans le chômage: c'est un choix politique qui vise à rediscipliner le salariat. Evidemment, ce n'est pas avouable comme cela, parce qu'il y aurait des conséquences terribles de reconnaître cet état de fait. Mais il faut se rendre à l'évidence: le chômage est une construction patiente, qui a été installée depuis une trentaine d'années et dont on voit le résultat aujourd'hui. Je pense que la pression médiatique permanente pour donner des explications au chômage, toujours plus simplistes ou ésotériques, peut troubler la réflexion d'un certain nombre de citoyens, qui se disent : « Oui, eh bien, après tout, il faut s'adapter, il faut de la flexibilité, etc » . Non, pas du tout. Je pense qu'il y a un débat national à avoir sur les causes du chômage parce que c'est la condition pour trouver des solutions. C'est évident: on ne peut pas résoudre un problème dont on ne connaît pas les causes. Les causes du chômage sont politiques: l'économie n'a rien à voir, ou quasiment rien à voir avec le chômage! C'est de la politique. C'est ce que certains économistes appellent eux-mêmes le chômage comme « variable d'ajustement » de l'économie. Alors quelques mots sur les causes du chômage, comme choix politique. L'organisation du chômage a était mise en place pour reprendre la main sur le salariat, après les grandes luttes sociales des années 60 et 70. Il faut savoir qu'à cette époque, entre la fin de la guerre froide et la période de la fin des années 70, trois phénomènes se sont conjugués, qui ont tous contribué à une évolution du rapport des forces international favorable au monde du travail. Le premier phénomène, c'est l'isolement croissant des États-Unis, symbolisée par la découverte de la pauvreté, par l’apartheid, et par la défaite américaine au Vietnam, qui était au-delà d'une défaite militaire pour la première puissance mondiale une défaite symbolique très forte: le mythe américain se brisait. Et ce mythe qui se brisait ouvrait des espaces à de nombreux peuples, à de nombreuses luttes qui étaient contraintes par la peur jusque-là. Ce phénomène a été très important. Le deuxième phénomène, c'est celui de l'émergence du mouvement des pays non alignés dans la foulée de la décolonisation. Une centaine de pays se sont peu à peu regroupés pour chercher d'autres voies de développement qui ne soient pas calquées sur le modèle soviétique ou le modèle occidental. Et c'est de là qu’est née, par exemple, l'idée d'un nouvel ordre international. Sur le plan politique, ces pays se sont érigés en sujets politiques, et sur le plan économique, ils ont revendiqué, par exemple, 1 % de l'aide publique au développement et le maintien des termes de l'échange, la souveraineté de leur pays sur le plan de l'agriculture, sur le plan industriel, sur le plan des politiques économiques. Ce mouvement a joué un rôle très important dans le rapport des forces et a contribué aussi à isoler les puissances dominantes, les puissances américaines et occidentales. Le troisième phénomène, ce sont les luttes dans les pays occidentaux dans les années 60 et 70, très puissantes, les luttes du mouvement syndical qui ont abouti à la satisfaction de revendications considérables. Par exemple, il faut rappeler la loi dite « des 90 % » : en France, en 1974, les syndicats obtiennent que l'allocation chômage soit de 90 % du salaire brut pendant un an. Vous voyez, la différence avec la situation actuelle qui s'est considérablement dégradée.... Et donc, à cette époque se constitue un véritable statut des salariés, en France, en Allemagne, en Belgique, en Italie, au Japon... Les luttes concernent tous les pays occidentaux... La situation, sur le plan politique et économique est très délicate pour les élites, pour les forces dominantes, parce que les luttes, et notamment 68, remettent en cause le capitalisme au-delà des revendications syndicales classiques. Et puis, sur le plan économique, les profits et la productivité baissent. On se retrouve donc, au début des années 70, avec une situation économique, sociale, et politique très dégradée du point de vue des forces dominantes qui craignent de perdre, - et elles perdent de fait - , en termes de rapports de force. Je ne développe pas une énième théorie du complot, mais c'est à ce moment que se forme progressivement l'idée de reprendre la main sur le salariat, et de passer à la contre-offensive. Et c'est ce qu'on l'appellera la révolution conservatrice. Pascale Fourier : Tout à l'heure, vous avez parlé quasiment d'un choix délibéré du chômage. Je suis un peu stupéfaite... et j'ai même presque tendance à ne pas vous croire.... Jacques Nikonoff : Eh bien écoutez, alors faites un test que tout le monde peut faire. Allez sur un moteur de recherche sur Internet et tapez ces cinq lettres : NAIRU. Le Nairu c'est l'acronyme d'une expression américaine qui signifie « le taux de chômage qui n'accélère pas l'inflation ». C'est une théorie monstrueuse, inventée par un des pères fondateurs de la théorie néolibérale, Milton Friedman, qui explique qu’il existe, à chaque moment et dans chaque pays, un taux de chômage dit « naturel », qui permet d'éviter l'inflation. En France en ce moment, par exemple, le Nairu est de 8 %, c'est-à-dire que la Banque Centrale en France, et plus encore en Europe, le ministère des finances, les économistes de cour, et les journalistes qui prétendent faire de l'économie, vont considérer qu'il ne faut pas que le chômage passe sous la barre des 8 % parce que s'il y avait trop d'emplois et pas assez de chômeurs, l'inflation repartirait. Quel rapport existe-t-il entre l'inflation et le chômage? Prenez l'exemple de la fin des années 60, où il n'y a pas de chômage, L'employeur, public ou privé, qui veut recruter quelqu'un, comment fait-il ? Il ne peut pas recruter des chômeurs, il n'y en a pas. Donc il va essayer de recruter quelqu'un qui est déjà en emploi. Mais pour convaincre cette personne de quitter son emploi pour venir chez lui, il va bien falloir lui promettre quelque chose de plus, soit en termes de salaire, soit en termes d'intérêt du travail, de promotion, etc. Et donc, mécaniquement, une situation de plein emploi favorise le monde du travail, favorise le salaire, et défavorise le profit. Par conséquent, les employeurs, dans une situation de plein d'emploi sont en situation de rapport de force difficile; ce sont les travailleurs qui ont la main parce que le chantage au chômage ne fonctionne pas et parce qu'ils comprennent parfaitement bien que les luttes peuvent permettre d'obtenir des augmentations de salaires. Une situation de plein-emploi signifie une limitation des profits. C'est la raison pour laquelle les grands employeurs, - je parle des grands, je ne parle pas des petits bien sûr -, les grands employeurs préfèrent le chômage, tout simplement parce qu'avoir du chômage permet de peser sur les salaires, et donc par conséquent d'augmenter les profits. Evidemment, sur le plan macro-économique, on voit bien l'absurdité de cette position, puisque plus il y a de chômage, moins il y a de pouvoir d'achat, et moins il y a de pouvoir d'achat, moins il y a de gens qui peuvent acheter les produits fabriqués par les entreprises. Qu'à cela ne tienne! Ils vont décider d'exporter. C'est pour cela que parallèlement à la mise en en place de cette politique, ils vont développer tout la propagande autour des exportations: c'est parce qu'on limite les débouchés dans les différents pays qu'on se tourne vers les exportations. Mais c'est une politique qui est tout aussi absurde, puisque tous les pays cherchent à exporter. On voit bien par cet exemple qu'il y a un intérêt je dirais « micro-économique » au chômage et également macro-économique sur le plan politique, puisqu'au lieu de faire exploser la société, la société a accepté globalement, - en souffrant terriblement - , mais a quand même accepté le chômage, même si on voit qu'aujourd'hui il y a des luttes contre la précarité qui progressent dans la compréhension des causes du chômage, et des solutions à y apporter. Pascale Fourier : Il y a un petit truc qui m'étonne.... La droite doit elle-même voir qu'un chômage excessif crée des difficultés sociales énormes, un sentiment éventuel même de révolte. Cela semble donc assez incohérent qu'ils cherchent à ne pas faire tout ce qui est en leur pouvoir pour lutter contre le chômage ? Jacques Nikonoff : On pourrait se dire cela, mais finalement ce sont les mêmes politiques qui sont menées depuis vingt-cinq ans, à quelques exceptions près - je ne veux pas mélanger la gauche et la droite: il y a évidemment des différences - , mais les politiques économiques qui ont été menées par les uns et les autres ont été très proches. Le résultat est le même: on s'aperçoit que la société souffre, les individus souffrent, mais ce n'est pas pour autant qu'il y a conscience claire des causes de la situation et des perspectives, ce qui fait que les gouvernements qui se succèdent n’ont pas véritablement de programmes d'éradication du chômage et considèrent que la mondialisation est une situation inéluctable, face à laquelle on ne peut rien faire. Tant qu'il y aura cette conception, on ne pourra pas s'en sortir. Et il y a en même temps beaucoup de citoyens qui le sentent: l'abstention par exemple est une manifestation d'un comportement politique, non pas d'un désintérêt politique pour beaucoup de gens qui s'abstiennent; c'est l'expression du sentiment que les responsables politiques ne font pas du tout l'affaire. Sur l'installation du chômage, il y a quelques dates principales qu'il faut avoir en tête pour comprendre comment les choses se sont installées. On peut les évoquer, mais tout cela est lié à la domination des marchés financiers. On peut dater la globalisation financière de 1971, c'est-à-dire de la fin du système dit « de Bretton Woods » du nom de cette petite ville des États-Unis où, en 1944, avait été mis en place la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International, avec un système de parités de changes fixes. Il y avait un équilibre monétaire et financier international, un système qui fonctionnait très bien. Et c’est la décision des États-Unis en 1971 de renoncer à ce système de changes fixes qui a provoqué la déstabilisation du système financier. On peut dater donc de 71 la globalisation financière. Ça n'a rien à voir avec l'économie, c'est un choix politique de M. Nixon à l'époque, tout simplement parce que la guerre du Vietnam et l'entretien des bases américaines dans le monde coûtaient beaucoup d'argent, qu'il a fait fonctionner la planche à billets, et que, comme le dollar était la seule monnaie au monde à être gagée sur l'or, les gens qui voulaient échanger leurs dollars contre de l’or ne pouvaient plus avoir suffisamment d'or puisqu'il y avait plus de dollars que d’or. Cela n'a donc rien à voir avec l'économie: c'est le choix politique de faire la guerre du Vietnam et de développer les dépenses militaires américaines pour contrer l'Union soviétique qui a provoqué ce phénomène. C'est de la politique, ce n’est pas de l'économie. Après, il y a eu des choix tout à fait considérables. En 1979, à Tokyo, les pays du G5 décident d'abandonner les politiques keynésiennes, de changer les politiques monétaires, et de passer des politiques monétaires restrictives. Nous sommes au moment du deuxième choc pétrolier, et contrairement à ce qui s'est passé lors du premier choc pétrolier, qui avait été supporté par les entreprises grâce à l'échelle mobile des salaires et des prix, là ils veulent changer complètement la donne et faire supporter l'augmentation des prix pétroliers par les salariés. C'est donc aussi une date tout à fait importante pour comprendre comment le chômage s'est installé. Les hommes politiques qui prennent cette décision à l’époque expliquent qu'il faut « refroidir l'économie » . « Refroidir l'économie », cela se fait en augmentant les taux d'intérêt par les banques centrales, tout simplement parce que quand l'argent est cher, quand on augmente les taux d'intérêt, on réduit l'investissement. Et si on réduit l'investissement, il y a moins d'emplois. C'est le choix qui a été fait pour réduire la facture pétrolière: il fallait qu'il y ait moins d'activités économiques. Les choses sont assez simples en fait; elles sont datées ! Il y a des enchaînements après qui se font entre cette période de 79, les plans d'austérité en France de 1982/ 1983, l’accentuation des politiques libérales en Europe avec l'Acte Unique en 1984 qui installe le néolibéralisme en Europe, la chute du monde soviétique en 1989 qui libère des espaces tout à fait considérables pour le marché. Depuis, on peut aussi citer la crise asiatique de 1998, qui résulte d'une orgie de spéculation, et qui se traduit par des millions de chômeurs en Asie. Tout cela, c'est de la politique, ce n'est pas de l'économie: ce sont des choix, pour certains conscients, pour d'autres inconscients, pris par des gens qui ont une vue à court terme, une vision tournée uniquement vers les affaires, vers l'égoïsme des affaires, ce qui fait qu’au total le chômage est un choix politique. Certains considèrent qu'on ne peut rien faire, et qu'il vaut mieux avoir un certain pourcentage de chômeurs, aux alentours de 8 - 10 %, parce que cela permet de rediscipliner le salariat et de faire peur aux gens. On voit combien dans les entreprises privées tout cela a fonctionné, malheureusement. Le mouvement syndical a été très affaibli dans les entreprises, et quand il y a des grèves, on le voit en ce moment, eh bien les grèves sont faibles, beaucoup plus faibles qu'avant: le nombre de jours de grève s'est écroulé dans les pays occidentaux, ces 30 dernières années... C'était l'objectif recherché. Pascale Fourier : Ce que vous dites est absolument contradictoire avec tout ce que je peux entendre dans les medias... Encore ce matin, j'entendais un homme politique qui disait qu'il y avait une espèce d'évidence pure contre laquelle on ne pouvait pas aller: c'était qu'on était dans une économie ouverte, que la mondialisation était là, que puisque la mondialisation était là, on avait une économie qui était un peu en flux tendu, que les échanges se faisaient de façon toujours plus rapide, etc., etc. Et que du coup, il fallait une main-d’œuvre plus flexible, il fallait qu'on s'adapte, il fallait s'adapter à la mondialisation. Je ne sais pas si la mondialisation est une explication du chômage, mais en tous les cas, elle est là, et on ne peut pas augmenter les salaires, en France par exemple, ou employer plus de gens, parce que ça ferait augmenter les prix, et on ne serait plus compétitif. Il y a quelque chose de cet ordre-là! C'est du moins ce que l'on nous dit dans les médias... Jacques Nikonoff : Oui, c'est le discours standard qu'on entend tous les jours depuis des années, et qui ne nécessite aucune compétence, aucun travail, aucune lecture, aucune réflexion: il suffit de répéter à l'infini, comme un disque rayé, ce genre de choses. Les gens qui tiennent ces discours sont les gens qui sont responsables du chômage! Ce sont eux les responsables, et ils doivent en porter la responsabilité ! La situation s'explique!! Elle a des causes! On ne peut pas dire que la mondialisation est là, sans réfléchir à ses causes: c'est absurde, cela relève de la croyance pure et simple, c'est un retour à avant les Lumières ! C'est vraiment quelque chose d'extrêmement étrange comme façon de raisonner.
Alors si on ne peut pas le faire dans le système actuel, eh bien il faut remettre en cause le libre-échange. La remise en cause du libre-échange signifie que chaque pays doit avoir, comme nous le disons avec la Confédération Paysanne en matière agricole, la souveraineté alimentaire, c'est-à-dire décider de ce que l'on cultive, de ce qu'on l'on mange, sans se faire imposer par des firmes multinationales l'alimentation que l'on va avoir. Mais il faut aussi la souveraineté en matière industrielle, en matière de services, en matière sociale. Il faut faire en sorte que l'on consomme sur place ce que l'on produit sur place: c'est la première chose à faire. Et cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire de commerce international, bien entendu. Nous aimons en France manger des ananas, des bananes, des produits exotiques, des tas de choses, il faut se les procurer; et en échange il faut nous aussi proposer des produits utiles aux pays producteurs de produits exotiques, pour ne prendre que cet exemple. Mais ce n'est pas comme cela qu'on développe les pays pauvres, ni qu'on améliore la situation de l'emploi. La preuve est faite que le libre-échange a provoqué à la fois une aggravation des écarts entre les pays pauvres et les pays riches, et à l'intérieur de ces pays, l'aggravation des inégalités entre les élites locales et la masse des populations. Le système du libre-échange, c'est une guerre commerciale internationale à laquelle il faut mettre un terme. Et ce système doit être remplacé par un système de coopération internationale, qui permette tout simplement aux Etats de commercer de manière équilibrée: « Je te vends autant que je t'achète ». Il n'y a aucune raison pour que tel ou tel pays conserve un excédent commercial vis-à-vis d’un autre. Pascale Fourier : Vous voulez remettre des protections tout autour du pays !!!??? Jacques Nikonoff : Bien entendu ! Pourquoi ne faudrait-il pas se protéger quand des emplois disparaissent, quand la souffrance sociale se développe, quand des jeunes n'ont pas d'emploi, que des moins jeunes n'en ont pas plus,?? On voit bien que ce système ne fonctionne pas. Il faut, évidemment, du protectionnisme, il faut une dose de protectionnisme, même si ce mot a été diabolisé par les libéraux - et on le comprend puisqu'ils veulent que la mondialisation soit une réorganisation du travail à l'échelle planétaire. Dès lors que l'on entrave cette réorganisation, c'est-à-dire que l'on empêche les délocalisations, les mouvements de capitaux, etc., ce sont des protections. Bien entendu qu’il faut se protéger! Et si on ne se protège pas, on va continuer dans la situation actuelle, avec des millions de chômeurs, et un avenir bouché pour les jeunes.
Jacques
Nikonoff :
Non. Pour résoudre le problème du chômage, supprimer
le chômage et la précarité, il y a quatre choses
faire. Les choses si vous voulez sont assez simples: il faut, pour y parvenir, récupérer les richesses, redresser ce qu'on appelle le « partage de la valeur ajoutée », puisque je vous disais tout à l'heure que ce qui avait provoqué la révolution conservatrice, c'était la baisse des profits. Ils ont voulu reprendre en main le salariat avec cette révolution conservatrice; ils ont submergé les forces qui s’opposaient à eux, les forces de gauche, syndicales, sur le plan idéologique, et ils ont pu augmenter leurs profits au point que la valeur ajoutée s'est déformée en leur faveur de 10 % ces trente dernières années. Ils ont donc gagné sur ce plan. Et la solution, c'est exactement l'inverse: il faut faire baisser les profits, c'est-à-dire un partage de la valeur ajoutée qui soit beaucoup plus conforme à ce qu'il était il y a trente ans. Il faut donc faire déplacer 10 points de PIB pour être précis du capital vers le travail. Comment ? Eh bien, par du salaire! Point. C'est le salaire qui compte et quand vous regardez un peu sur le plan macro-économique, vous vous apercevez que les 10 % de masse salariale qui manquent, eh bien cela correspond exactement aux 5 millions de chômeurs. Donc voilà la perspective. Il faut que les partis qui postulent aux responsabilités expliquent comment ils vont - ça ne se fait pas du jour au lendemain - comment ils vont en cinq ans, en dix ans, redresser le partage de la valeur ajoutée en faveur du travail.
Jacques
Nikonoff: Non,
c'est un mythe ! Pas du tout! Dans les hôpitaux par exemple ,
quand vous êtes malade, il faut que l'infirmière, le médecin,
etc. soient là : il ne peut pas être en Chine. Les emplois
de médecins, d’enseignants, ceux qui concernent l'environnement,
le logement, etc., sont des emplois qui ne sont pas délocalisables.
La plupart des emplois ne sont pas délocalisables. Ce qui est
délocalisable, ce sont les emplois de fabrication d'objets pour
l'essentiel. Même s'il y a un peu de services qui partent, l'essentiel,
ce sont des objets de consommation courante et très consommateurs
de main d’œuvre. Mais nous avons besoin aussi de millions
d'emplois non qualifiés ou peu qualifiés, bien évidemment!
Et il faut simplement considérer que les entreprises n'ont pas
à avoir le droit exclusif de s'implanter où elles veulent:
il faut des autorisations... Il n'y a aucune raison pour que l'entreprise
décide comme ça d'aller s'implanter où elle veut.
Il faut qu'il y ait désormais des autorisations. Il est de la
responsabilité des gouvernements d'interdire aux entreprises
de faire n'importe quoi, parce que c’est à cause de ces
comportements qu'il y a les crises à répétition.
Ce sont des fauteurs de crise, ces gens-là. Il faut bien se rendre
à l'évidence, là aussi, et faire en sorte d'interdire,
quand c'est justifié, aux entreprises de se délocaliser.
On le fait pour les fusions, pour les acquisitions, et c'est ce qui
existait dans le passé... On a vu que la suppression de ces lois
avait ouvert ce qu'on appelle la libéralisation et provoqué
le chômage: si on s'aperçoit que cela provoque le chômage,
il faut résoudre le problème. Alors évidemment,
il y a un prix: le prix, ce sont les actionnaires qui le payeront. Oui,
nous sommes pour faire baisser la bourse, pour que les prix des actions
baissent, et pour que les revenus des actionnaires baissent: le choix
se fait là. Si on considère que nous sommes impuissants
face à la dictature des actionnaires et des marchés financiers,
en effet il n'y a plus rien à faire....
|
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 11 Avril 2006 sur AligreFM. Merci d'avance. |