Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 25 OCTOBRE
2005
Directive Bolkestein,le retour....
Avec Raoul-Marc
Jennar,
Chercheur à l'Urfig et à
Oxfam. |
Pascale Fourier :Et notre invité aujourd'hui sera Raoul Marc Jennar chercheur à l’URFIG et à OXFAM..... Je vais vous faire rire, mais la directive Bolkenstein, celle qu’on nous avait dite pour ainsi dire morte et enterrée en mai dernier, quand on voulait nous faire voter « oui » au référendum sur le Traité constitutionnel, la directive Bolkenstein donc a ressuscité !!! Si si! « ressuscité »!! Enfin plus exactement, elle n'était pas morte du tout!....On avait voulu nous le faire croire, mais c'était un gros mensonge, et elle est en fait en discussion au Parlement européen, très démocratiquement, bien sûr, puisque que les médias « oublient » de nous en parler……….. Alors, certains se mobilisent et j'ai appris que le lundi 10 octobre se tenait une réunion d'information, à la Mutualité à Paris. Je savais que Raoul-Marc Jennar devait s'y rendre, et je l'y ai coincé... Je lui ai dit que je ne comprenais pas , puisqu' en fait tous les partis politiques nous avaient dit et soutenu mordicus, en mai dernier, que la directive Bolkenstein était enterrée.. J'étais donc un peu étonnée... Voici sa réponse... Raoul-Marc
Jennar :
Je voudrais corriger : tous les hommes politiques qui défendaient
le Oui et qui ont commis un énorme mensonge donc, qui ont voulu
tromper, (mais sans doute, est-ce une façon de faire), parce
que jamais, depuis le 13 janvier 2004, date à laquelle la proposition
a été présentée par la Commission, jamais
un gouvernement n'a demandé son retrait. À aucun moment!.
Pascale Fourier : Mais là elle est devant le Parlement? Raoul-Marc
Jennar :Elle
est devant le Parlement, dans une procédure qui suit son cours,
c'est-à-dire qu' elle a été examinée par
les commissions parlementaires qui ont un droit de regard dessus parce
que tel ou tel aspect de la proposition les concerne, et principalement,
par la Commission du marché de l'intérieur ( puisque c'est
le titre officiel de cette proposition, cette proposition de directive
relative aux services dans le marché intérieur). Il résulte
de cet examen qui n'est pas terminé, que 1152 amendements ont
été déposés, le premier étant (parce
qu'on commence toujours par le plus radical) la demande formulée
de rejeter le texte. Pascale Fourier : On pourrait se dire que, puisque ce que ce sont des parlementaires européens qui, à terme, vont discuter sur ces amendements, et qu’ ils sont les représentants de la volonté des peuples européens, on pourrait dire, donc, qu’ils ne peuvent faire que des bonnes choses, et qu’ils vont repousser cette directive Bolkenstein dont on a vu qu'elle n'avait pas l'assentiment des peuples, non.... Raoul-Marc Jennar :C'est une déduction un peu hâtive, quand on se souvient que s’il n’y avait pas eu de référendum sur la Constitution en France, 80 % de la représentation parlementaire se préparaient à dire « oui », et que, quand le peuple s'est prononcé, il a donné une réponse différente. Et les parlementaires, et en particulier les membres du Parlement européen peut-être plus que les parlementaires nationaux encore, sont sous la pression des lobbies. Ils sont aussi porteurs d'une idéologie ou d'une autre, et il se trouve aujourd'hui que le paysage politique du Parlement européen fait qu'il y a une très forte majorité à l'extrême-droite, à droite, et au centre droit, plus un certain nombre de libéraux de gauche, qui adhèrent aux principes fondamentaux de la proposition dite Bolkenstein. Donc, les protestations, les manifestations seront, sans doute, prises en compte par un certain nombre de parlementaires qui sont soucieux d'écouter leurs électeurs, mais j'ai envie de dire, seulement dans les pays où un travail de sensibilisation et d'information, aura été fait, ce qui est le cas en France, ce qui est le cas en Belgique, ce qui est le cas au Grand-Duché du Luxembourg, ce qui n'est peut-être pas le cas dans tous les pays de l'Union Européenne, et notamment pas dans les nouveaux pays, dans les les pays qui viennent de nous rejoindre, pays où la connaissance des grands dossiers européens est encore très faible. Elle est, certes, encore et toujours très faible, dans nos pays, mais sur Bolkenstein, il y a eu une prise de conscience. Alors on va voir un peu quel va être l’impact, d'autant que pour les pays qui sont « les moins disants » sur le plan fiscal, sur le plan social, sur le plan environnemental, ils ont tout intérêtà cautionner cette proposition de directive Pascale Fourier : Les gens, maintenant, quand on leur dit la directive Bolkestein, disent: « plombier polonais ». Mais quel est le danger, finalement, de cette directive Bolkestein? Raoul-Marc Jennar :Je voudrais d'abord rappeler que l'expression vient de M. Bolkestein lui-même. Moi, je n'ai jamais parlé de plombier polonais, parce qu'en plus, je trouve que c'est une traduction erronée. Quel est l'objectif de cette proposition ? « Organiser la liberté d'établissement et de circulation des services ». Les services, c'est quoi ? C'est tout à la fois les fournisseurs de services et leur personnel. Comment définit-on les services ? De la manière la plus générale qui soit, c'est-à-dire toute activité économique qui donne lieu à une prestation qui elle-même justifie une contrepartie économique. Ne tombent pas sous l'application de la directive, les services transports, télécommunications, et financiers. Pourquoi ? Parce qu'ils font déjà l'objet d'une directive, déjà adoptée, est déjà en application. Comment organiser la liberté d'établissement et de circulation des services ? La proposition le dit : « en éliminant les obstacles ». C'est quoi les obstacles ? Ce sont les lois, ce sont des dérèglements, ce sont des arrêtés, ce sont des procédures adoptées par les pays chacun à leur manière, à tous les niveaux, aux niveaux national, régional, et local. Et d'ailleurs, dans un document introductif à la proposition, la Commission européenne dit que « le pouvoir des autorités locales est un obstacle à la libre- circulation des services ». Alors, on a une énumération assez fastidieuse, assez longue, de ces obstacles; ils sont énumérés dans le texte.C’est, par exemple, exiger d'un fournisseur de services qu'il adopte un statut juridique, qu'il s'enregistre, qu'il ait une adresse, qu'il ait une boîte postale, que son personnel dispose de documents sociaux, que son personnel bénéficie d'une autorisation de séjour, tout ça ce sont des obstacles!. Que, par exemple, il y ait des contraintes géographiques: on a des pays où la législation ne permet pas d’installer cinq officines pharmaceutiques dans la même rue ou cinq établissements hospitalier dans le même quartier; eh bien ça, ce sont des limitations géographiques, que la proposition interdira désormais si elle est adoptée.
Pascale Fourier : Quand je vous écoute, à la limite, il y a deux tendances dans mon esprit.... Soit je me dis: « Diantre! Je suis tombée sur un paranoïaque phénoménal qui voit le mal derrière la moindre directive »,…….. ou, d'un autre côté, je me dis : « C'est lui qui a raison, mais à ce moment-là, c'est ceux qui ont inventé cette directive-là qui sont quand même un peu étranges, parce que je ne vois même pas quel est l'iintérêt pour les peuples"... Je ne vois pas… Raoul-Marc Jennar :Depuis quand ceux qui sont les relais politiques des milieux d'affaires s'intéressent-ils, se préoccupent-ils de l'intérêt pour les peuples ? Je ne suis pas du tout paranoïaque! Il y a d'excellentes directives! Il y a d'ailleurs une directive de 1996 sur le détachement des travailleurs que la directive Bolkenstein vide de sa substance parce qu'il ne sera plus possible de l'appliquer. Donc, la question, c'est de savoir quel est le but poursuivi ? Le but poursuivi, c'est ce que l'on appelle le néolibéralisme, c'est-à-dire, la plus grande liberté possible et imaginable pour les acteurs économiques, dans un contexte où la capacité d'action des pouvoirs publics est réduite au minimum. C'est ça, le néolibéralisme, et c'est ça qui est à l'oeuvre, avec cette directive, qui va loin. C’est vrai, j'ai envie de dire qu'on a rarement vu une proposition de directive aller aussi brutalement, aussi radicalement loin que celle-ci dans la voie du néolibéralisme. Je rappelle qu’elle a été soutenue par la totalité des membres de la Commission européenne y compris les neuf socialistes et la verte, qui était dans la commission Prodi, y compris aussi l’UMP Michel Barnier, et le socialiste Pascal Lamy (dont on sait, que depuis lors, on lui a attribué une nouvelle capacité de nuisance à l’OMC) et qu'elle n'a fait l'objet d'aucun rejet, je le répète, de la part des 25 gouvernements. Pascale Fourier : Il y a quelque chose que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi prendre le risque politique de faire cette proposition, et pour certains hommes politiques, de la soutenir, alors qu'il aurait peut-être été simple de laisser faire les choses par le biais de l’ OMC et de l’AGCS? Raoul-Marc Jennar :Parce que ici on va plus loin. Il faut quand même savoir que l'Union européenne, en matière de services, est à la pointe sur le plan mondial. C'est elle la plus agressive. Elle est beaucoup plus agressive que les États-Unis, et l'Union européenne est plus agressive pour la mise en oeuvre des négociations quasi-permanentes qui ont lieu sur la mise en oeuvre de l’ AGCS. Et ici, on va encore plus loin, parce que le principe du pays d'origine va plus loin que les dispositions du mode 4 sur la mobilité du personnel tel qu'elles sont prévues par l’ AGCS. C'est pour ça que moi, je dis, Bolkenstein, c'est un AGCS aggravé. En plus, on donne à la Commission un pouvoir dont elle ne jouit pas aujourd'hui en fonction des traités, pouvoir qui est de surveiller les autorités locales, régionales, et nationales, dans l'application de la directive, alors qu'aujourd'hui, la Commission ne peut pas exercer ce type de surveillance. Donc, pour la Commission, il y avait un double intérêt : aller très loin dans un objectif idéologique, et renforcer ses pouvoirs….et ça, c'est une logique qui est historique : toute institution tend toujours à augmenter ses propres pouvoirs. Pascale Fourier : Mais quelle est la réaction, à ce moment-là des partis politiques, en particulier, qui voient grignoter la capacité des Etats à faire valoir les désisr de leurs populations? Raoul-Marc Jennar :Ça dépend du type d’acteur politique. Il y a des acteurs politiques qui estiment que leur raison d’être, c’est effectivement de relayer les attentes patronales, et donc, eux sont tout à fait satisfaits, de cette proposition. Le MEDEF trouve que c’est une bonne proposition, et donc, en dépit des déclarations tapageuses qui ont pu être faites par des élus de l’UMP ou de l’UDF au printemps parce que ça risquait d'affecter les résultats du référendum, aujourd’hui, au parlement européen, UDF et UMP soutiennent cette proposition, et ne soutiennent que des amendements, j'ai envie de dire, pour prendre un néologisme, « cosmétiques », à la marge, mais qui ne remettent pas en cause à la substance de la proposition parce que ça convient parfaitement au patronat. Alors à côté de ça, il y a à gauche aussi des libéraux qui donc ne pousseront certainement pas au rejet de la proposition, qui souhaiterait sans doute l'amender, dans certains aspects, notamment, c'est un peu ce qu'on constate, quand on passe en revue, le comportement des parlementaires au Parlement européen. Il y a un courant fort pour demander que la santé soit sortie du champ d'application, que la directive sur le détachement des travailleurs, qui est une excellente directive, ne puisse pas être vidée de son contenu par la proposition Bolkestein. Et puis alors, plus à gauche, surtout au Parti Socialiste, chez les communistes et chez les verts, il y a des gens qui veulent le rejet, et à défaut du rejet, une modification en profondeur du texte. Seulement ces derniers sont minoritaires pour le moment. Pascale Fourier : Est-ce que ça ne veut pas dire quand même qu'il faut qu'on écrive nos parlementaires européens pour leur dire qu'on les a à l'oeil?? Raoul-Marc Jennar : Etant donné qu’en France, un peu à la différence d'autres pays, et grâce au débat qu'on a eu sur le Traité constitutionnel européen, il y a quand même une assez bonne information, sur la proposition Bolkestein, les parlementaires européens, peuvent, de bonne foi, de penser que l'opinion publique est informée. À partir du moment où elle est informée, elle peut exprimer, manifester sa vigilance, à l'égard des élus, quant à la question de savoir comment ils vont voter. Donc je crois qu'on a tout intérêt à interpeller le parlementaire européen de son choix pour lui dire qu'on est très attentif à la manière dont il va se comporter, par rapport à cette directive, à la fois quand on va, (pour ceux qui sont membres de la commission parlementaire) voter le 22 novembre dans la commission parlementaire en question, et surtout quand on votera au mois de janvier à Strasbourg en séance plénière, où là, chacun va devoir se prononcer, d'abord sur le rejet, -et ce sera très intéressant de savoir qui refusera le rejet, et qui l'acceptera- , et puis après, sur les amendements, et ce sera aussi très intéressant de savoir qui va pousser aux amendements qui « nettoient » cette proposition de sa nocivité, et ceux qui adopteront des amendements qui ne changent rien quant au fond. Pascale Fourier : Eh oui, c'était des sous et des hommes, en compagnie de Raoul Marc Jennar, alors je vous rappelle que vous pouvez trouver des informations complémentaires sur le site de Raoul Marc Jennar: http://www.urfig.org. Vous pouvez aussi signer une pétition en ligne et trouver des informations sur http://www.stopbolkestein.org
http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/lip/latest/doc/2004/com2004_0002fr01.doc. C'est comme pour le traité constitutionnel, il faut la lire pour y croire!
|
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 25 Octobre 2005 sur AligreFM. Merci d'avance. |