Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 3 MAI 2005

Non au Traité Constitutionnel

Avec Raoul-Marc Jennar, Chercheur à l'Urfig et pour l'ONG Oxfam.

 

Pascale Fourier  : Et notre invité cette semaine sera Raoul Marc Jennar, un des animateurs du « Non » au Traité Constitutionnel. Raoul Marc Jennar est un de ceux qui sont ardents partisans du « non » au Traité Constitutionnel et qui va par monts et par vaux, à travers la France, pour expliciter ses choix... En tout cas, la première question que je lui ai posée, c’est de savoir pourquoi vouloir dire « non » au Traité constitutionnel.

Raoul-Marc Jennar : Pourquoi voter non ? Je vais dire rapidement qu’il y a au moins 5 raisons de voter non. Le première, c’est que, ce traité, auquel on donne la force d’une constitution, ne répond pas aux critères de base d’une constitution. Une constitution, c’est un texte court, précis, accessible par le plus grand nombre. Ici, on a 448 articles complétés par 440 pages d’annexes qu’il faut lire si on veut interpréter valablement les articles. On a un texte qui, au contraire d’être précis, accumule les contradictions: un article dit le contraire d’un autre; des concepts ne sont pas définis : par exemple, service économique d’intérêt général; les traités n’ont pas été simplifiés; les institutions existantes n’ont pas été simplifiées; et enfin, quant à son accessibilité, ce texte est tellement compliqué qu’il en devient inintelligible. Alors, moi je dis, pourquoi voterait-on pour un texte, qu’on appelle une constitution, qui fait 448 articles ? Un texte confus ? Pourquoi dirait-on « oui » à quelque chose qu’on ne comprend pas ? En plus, une constitution par vocation, ça doit rassembler. Ce qu’on nous propose, et pas seulement en France, divise et divise profondément. Pourquoi soutiendrait-on un texte qui divise profondément ? Ca, c’est disons la première raison qui est beaucoup plus sur la forme.

Sur le fond. J’ai envie de dire, c’est un texte à propos de l’Europe et je ne retrouve pas les fondamentaux de l’Europe. C’est en Europe que le concept de laïcité a été élaboré et mis en œuvre. Il n’y est pas. Au contraire, on a un système de reconnaissance des Eglises, qui va permettre de les subventionner, et d’autorisation de l’expression des convictions religieuses sur la place publique. C’est en Europe qu’on a arraché, et à quel prix, le principe : « Tous les pouvoirs émanent du peuple ». Il n’est pas énoncé dans le texte et il n’est pas davantage mis en œuvre. C’est en Europe qu’on a établi les critères de la démocratie en vertu desquels d’ailleurs, nous jugeons aujourd’hui les peuples du monde et que nous décrétons qu’ils sont ou pas démocratiques, mais les principes de la démocratie, c'est-à-dire la séparation des pouvoirs, et le contrôle de l’exécutif par le législatif, ne se trouvent pas dans ce texte, qui au contraire, organise la confusion des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif, et laisse un Conseil des ministres européen complètement à l’écart de toute capacité de contrôle, ni par les citoyens, ni par ceux qui les ont élus, que ce soit au niveau national ou au niveau européen. C’est en Europe qu’on a élaboré les droits sociaux, les droits collectifs. Je mets au défit des gens comme Jack Lang, qui disent qu’il y a les droits sociaux, je le mets au défit de me dire dans quel article on trouve le droit au logement, le droit au travail, le droit à un salaire minimum garanti, le droit à un minimum d’existence, le droit à une allocation de chômage, le droit à une pension de retraite. Ca ne s’y trouve pas. C’est en Europe qu’on a mis au point le concept de services publics, basés sur la notion que cet instrument, au service des pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux, permet l’accomplissement des droits collectifs. Le Traité Constitutionnel ne parle pas de la notion de services. Il ne parle pas des « services publics ». Il ne parle que de « services d’intérêt économique général » qui doivent obéir aux règles de la concurrence et à la loi de la rentabilité.

Je dirai pour terminer, que c’est en Europe qu’on a tenté de concevoir les relations internationales, non pas sur le droit de la force mais sur la force du droit. Ce que le texte nous propose, c’est que la défense de la politique étrangère se fasse dans le cadre de l’Otan. Je fais remarquer au passage que l’Otan n’est pas une institution européenne, qu’elle compte des Etats qui ne sont pas dans l’Europe, et qui ont donc un droit de veto sur les pays européens. Je ferai remarquer aussi qu’on dit dans des termes très forts que l’Otan est le lieu où se conçoit la défense de l’Europe et l’instance où on la met en œuvre. Qui est le commandant suprême des forces de l’Otan à travers le chef d’état-major qui les dirige ? Le Président des Etats-Unis. Donc, on a là une Europe qui est très étrangère à l’Europe dans ses fondamentaux. Et j’ai envie de dire que ce n’est pas du tout le projet de notre génération.

Une autre raison c’est que ce Traité met fin à ce qui fut le moteur de la construction européenne, c'est-à-dire l’harmonisation. C’était l’instrument par lequel on incarnait l’espérance européenne. C’est quoi l’espérance européenne ? C’est des mêmes standards de vie, une égalité dans les conditions d’existence, une égalité dans les chances qu’on essayait d’améliorer par une sorte de dénominateur commun le plus élevé possible. Aujourd’hui, ce Traité nous annonce que désormais l’harmonisation sociale sera fonction du marché. On est donc dans une logique où on remplace l’harmonisation par la compétition.

Un 4ème raison, c’est de dire que ce n’est pas une constitution. C’est un catéchisme néolibéral. Parce que les fonctions essentielles de l’Etat, telles qu’elles sont définies, sont des fonction uniquement et exclusivement sécuritaires. Toute harmonisation sociale ou environnementale est soumise aux lois du marché.

Et enfin, l’économie de marché qu’on nous propose n’est pas l’économie de marché que nous connaissons depuis la Libération, c'est-à-dire une économie de marché encadrée qui permet un fort taux de protection sociale. L’économie de marché qu’on nous propose est conforme aux accords de l’Organisation Mondiale du Commerce. C’est une économie où la concurrence est libre et non faussée.

Et enfin, dernière raison de mon rejet de ce texte, c’est parce qu’on ne pourra pas le changer. Ceux qui nous disent : « Il faut un « oui » de combat, acceptons ce texte et on le changera tout de suite après, nous trompent. Parce que je ne comprends pas pourquoi et je ne vois pas pourquoi des parlements et des peuples qui auraient dit « oui » à ce texte, se déjugeraient, dans les années qui suivent, pour faire plaisir aux socialistes français, enfin à la majorité d’entre eux, officiels en tout cas. Avec des gouvernements qui ont voulu l’unanimité pour toute forme de révision sociale, de révision fiscale, de révision environnementale de ce texte, il n’y aura pas de changement. Et avec des gouvernements qui considèrent que les efforts qu’ils ont dû faire pour entrer dans l’Union Européenne récemment représentent les efforts d’une génération, il n’y aura pas de changement. Ce qui veut dire que ce texte, s' il est ratifié, va s’appliquer, non seulement à nous-mêmes mais à nos enfants et à nos petits enfants et de ce point de vue-là, j'aimerais rappeler que je considère que cette Constitution est due pour beaucoup au septuagénaire Gicard d'Estaing, que soutient le septuagénaire Chirac, et qu'il a reçu le soutien des septuagénaires du Parti Socialiste, Delors, Mauroy, Rocard; moi j'aimerais bien rappeler à ces gens-là que les hommes jeunes qui ont fait la Révolution française, qui ont fait le Constitution de la première République en 1793, avaient eu contrairement à ces vieillards la sagesse de dire: « une génération ne peut imposer ses lois aux générations futures »...


Pascale Fourier  : Tout à l’heure, vous avez dit que les services d’intérêt généraux étaient soumis au droit de la concurrence. Des gens de gauche qui sont partisans du traité vous diraient: «  Mais pas du tout, c’est juste un glissement sémantique, un changement de mot parce qu’il y avait une difficulté de traduction. Services publics, SIG : c’est la même chose... Il ne faut pas s’énerver ».

Raoul-Marc Jennar  : Ou bien ils se trompent, ou bien ils nous trompent, mais en tout cas, c’est faux. Et j’en veux pour preuve le Livre blanc de la Commission européenne présenté en mai de l’an passé, adopté par le conseil des ministres en juin de l’an passé qui dit explicitement page 23 : « Les termes services d’intérêt économique général et pouvoirs publics ne peuvent être confondus ». Ce sont tout à fait deux concepts différents. Un service public, c’est un instrument qui permet à toutes et à tous d’avoir accès à un certain nombre de droits qu’on considère comme des droits fondamentaux. J’ai l’habitude de dire : « Pour que les habitants de la dernière maison, de la dernière rue du dernier village avant la forêt, la montagne, les champs ou la mer aient aussi le courrier, aient aussi l’eau, aient aussi l’électricité, aient aussi le gaz, aient aussi accès à des moyens de transports.... Et cela, ça a un coût que nous mutualisons dans le système des Services Publics ce qui veut dire que nous faisons intervenir de l’argent public. Mais à partir du moment où vous faites intervenir de l’argent public dans une activité de service, vous vous trouvez en collision frontale avec la notion de concurrence qui doit être libre et non faussée. Vous établissez une contradiction entre la notion de service et la notion de rentabilité. Alors moi je pose la question : est-ce qu’une école doit être rentable, est-ce qu’un hôpital doit être rentable, est-ce qu’une piscine ou un théâtre doivent être rentables? On est devant un véritable choix de société. Mais ils nous trompent, ceux qui disent que : « Service d’intérêt économique général = service public » dans le langage européen: je viens de le dire, la commission européenne qui est à l’origine de tous les textes européens dit qu’on ne peut pas confondre les termes. Et elle précise d’ailleurs, dans son Livre blanc, qu’un service d’intérêt économique général ne peut exister :
1) Que si le marché est défaillant. Ca veut dire si l’initiative privée ne fournit pas le service ou le fourni mal.
2) Pourvu que ce service d’intérêt économique général respecte les règles de la concurrence.
On est aux antipodes du concept de service public.

Pascale Fourier  : Quand vous dites : «  Livre Blanc », c’est quoi un Livre blanc ?

Raoul-Marc Jennar : Alors à la commission, il y a trois sortes de documents que la commission produits. Des notes qui sont des documents d’information brute. Le Livre Vert qui est un document qui fait le point sur un sujet qui est un sujet de portée générale. Et le Livre Blanc qui est un document par lequel la Commission européenne fait des propositions. On sait que dans les traités existants, et ça ne changera pas avec le traité constitutionnel s’il est ratifié, la commission est la source unique de toutes propositions. Quand elle fait une proposition qui concerne plusieurs secteurs, donc qui concerne une partie importante des activités humaines, eh bien plutôt que de déposer une proposition de directive, elle propose d’abord ce que l’on appelle un « Livre Blanc » qui est un document reprenant des propositions qui sont prêtes à être transformées en directives une fois que le conseil des ministres a marqué son accord. Et donc on a un livre blanc sur les services d’intérêt économiques généraux qui précise que l’on ne peut pas confondre ça avec « Services Publics ».

Pascale Fourier : Certains politiques de gauche en particulier disent qu’il n’y a absolument pas d’obstacle au fait de faire une politique de gauche avec cette constitution.

Raoul-Marc Jennar : Oui, c’est le discours de François Hollande qui dit que ce texte n’est ni de gauche ni de droite et qu’on pourra donc faire tout ce qu’on veut. Et il prend par référence la Constitution de la V°ème République. Mais dans la Constitution de la V°ème République, on ne décrit pas un modèle économique. Dans la Constitution de la V°ème République, on a pu très bien nationaliser et puis privatiser parce qu’il ne se trouvait nulle part des dispositions qui répétaient 68 fois que l’Union européenne fonctionne dans le cadre d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée, ce qui correspond exactement aux objectifs des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce. A partir de ce moment-là, eh bien les nationalisations sont totalement interdites. D’ailleurs, si on prend les accords commerciaux internationaux, qui sont moulés sur le modèle de l’OMC. Eh bien on va même plus loin: on considère qu’imposer un investisseur étranger, c’est déjà considéré comme une nationalisation ou une expropriation. Ici avec le texte tel qu’il est proposé, les choix de politique économique ou de politique industrielle ne peuvent s’inscrire que dans un cadre très précis qui est celui du respect des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce où rien, où de moins en moins de facteurs en tous cas viennent perturber la concurrence. Ces facteurs c’est quoi ? Bien, c’est d’abord des règlements ou des lois qu’un gouvernement peut prendre pour favoriser tel type d’investissement, tel type de politique industrielle, pour se prémunir contre les investissements spéculatifs, ou bien instaurer de la fiscalité pour permettre de pratiquer des politiques sociales, ou encore imposer des contraintes en matière de santé publique, en matière de respect de l’environnement. Tout ça, ce sont des facteurs qui faussent la concurrence dans un système d’économie de marché où la concurrence est libre et non faussée. Donc il est totalement erroné de dire que ce texte ne va pas conditionner les politiques des Etats.

Pascale Fourier : Il y a un petit truc que je ne comprends pas parce qu’il me semble me souvenir que Chirac récemment, dans l’entretien qu’il avait eu avec les jeunes, disait que ce traité luttait contre le néolibéralisme, quelque chose dans ce goût-là.... Il était assez étonnant... Je me suis dis : «  Tiens, Chirac est devenu de gauche ! »...

Raoul-Marc Jennar : Oui... Encore une fois je pense que ceux qui tiennent ces propos-là, - et il n’est pas le seul, la direction du Parti Socialiste et la direction des Verts disent la même chose- misent, en fait, sur le fait que beaucoup de gens n’ont pas encore lu le texte. Parce qu’une fois qu’ils l’ont fait, ils se rendent très bien compte de quel type de société on veut, quand on parle dans l’Article 3 d’une « économie sociale de marché hautement compétitive », et puis qu’après dans les 445 articles qui suivent l’économie, elle est toujours « de marché » mais elle n’est plus jamais « sociale »; que toutes les contraintes pour qu’elle soit une « économie de marché hautement compétitive » sont inscrites dans le texte, mais que les conditions pour qu’elle puisse être une « économie sociale » sont liées à deux choses : le respect des règles de la concurrence, et de toute façon la nécessité de décider à l’unanimité, qui est une véritable unanimité de blocage à partir du moment où l’on se rappelle que les pays qui ont voulu l’unanimité, ce sont des pays qui ne veulent pas davantage de social aujourd’hui et qui ont dit : «  Nous exigeons l’unanimité et que nous n’y participerons pas ». Dès l’instant où ils disent cela, ça veut dire qu’il n’y aura pas de décision en matière sociale. Alors comment peut-on dire après ça que ce texte n’est pas connoté idéologiquement et qu’il ne nous construit pas, et pour des décennies, une Europe ultra-libérale sur le modèle de la société américaine, et c’est en fait ça bien le problème avec ce traité constitutionnel, c’est qu’on est devant un choix de société: voulons-nous d’une société qui cultive les valeurs européennes ou acceptons-nous de dériver vers un modèle de société du «  Chacun pour soi » où les services par exemple ne seront accessibles qu’à ceux qui peuvent se les payer.

Pascale Fourier : J’ai l’impression vraiment qu’il y a une espèce de spoliation de la démocratie dans le sens où l’on nous demande maintenant d’avaliser une construction européenne qui s’est passée finalement pendant quasiment 50 ans sans qu’il ne soit jamais demandé aux simples citoyens d’exprimer directement leur opinion sur la forme de cette construction européenne, sauf au moment de Maastricht avec les manipulations médiatiques que l’on connaît tous. J’ai tort de penser cela, puisque je ne l’entends jamais repris en aucune façon dans les medias ou j’ai quelques raison de pouvoir le penser?

Raoul-Marc Jennar  : Mais je dirais d’abord qu’il faut aujourd’hui, en tout cas sur le dossier européen, se méfier beaucoup des medias qui manifestement ont perdu tout esprit critique et toute indépendance. Il faut reconnaître que la construction européenne depuis le départ, depuis le Traité de Rome en 1957 est d’avantage une construction inter-Etatique, entre Etats, diplomatique, - donc avec tous les attributs de la diplomatie et notamment le secret, l’absence de transparence, l’éloignement par rapport aux citoyennes et aux citoyens. C’est dans ce cadre-là que la construction européenne s’est faite et je crois que les principaux acteurs de cette construction ne se sont pas rendu compte qu’ils faisaient appel à des procédures qui empêchaient les citoyennes et les citoyens d’Europe d’adhérer au processus. C’est un processus qui s’est déroulé en dehors d’eux, alors que de plus en plus il les concerne. Et aujourd’hui, j’ai envie de dire que l’on franchit une étape nouvelle, c’est qu’on veut figer dans un texte qui va requérir aujourd’hui l’accord de 25 pays, dans deux ans de 27 pays pour être modifié, alors qu’auparavant on était à 6, à 9, à 12, à15, ce qui était infiniment plus facile. Donc on va figer ce texte pour des générations alors que l’on est en train de prendre un véritable tournant et d’adopter un modèle de société qui est assez éloigné, comme je l’ai déjà dit, des fondamentaux de l’Europe. La démocratie n’y trouve évidement pas son compte. Ce qu’on appelait, dès le départ de la construction européenne, « un déficit démocratique » est toujours entier. D’abord on a une grande confusion entre le pouvoir législatif qu’est le parlement européen qui est tout à fait limité d’ailleurs dans ses attributions, même si le traité qu’on propose améliore un tout petit peu les attributions du parlement. Grande confusion entre le parlement et l’exécutif. Quant à l’exécutif qui est formé par le couple commission / conseil des ministres, a-t-on déjà réfléchi un seul instant que comme collège, ni la commission européenne ni le conseil des ministres ne sont comptables de leurs choix politiques devant les citoyennes et les citoyens, et pas d’avantage devant ceux que nous avons élus soit au plan national soit au plan européen. Donc on va constitutionnaliser le déficit démocratique, ce qui veut dire que, alors qu’on prétend vouloir faire ce traité pour avoir une ossature institutionnelle beaucoup plus démocratique, on va exactement dans l’autre sens. J’ai envie de dire que par rapport au diagnostic superbe qu’avait été la déclaration de Lacken, un texte adopté en décembre2001 par les chefs d’Etats et de gouvernements, qui faisaient un constat très lucide sur l’invisibilité de l’Europe, son éloignement, qui demandaient qu’on simplifie les textes et qu’on simplifie les institutions, eh bien on peut dire que le résultat, que le traitement qui a été apporté en conséquence de ce diagnostic aggrave la maladie plutôt qu’il ne la guérit.

Pascale Fourier : Il y a quelque chose d’autre qui m’inquiète un petit peu. Ce n'est pas directement dans le traité lui-même, mais c’est l’attitude des élites actuellement que l’on peut voir, du moins depuis que le « non » finalement s’affirme. Moi, j’ai entendu des personnes qui, quasiment, regrettaient qu’il y ait un référendum en France. J’ai entendu même un journaliste qui parlait de ce qui se passait en Allemagne, pays dans lequel il n’y avait pas de référendum parce qu’on savait ce que cela avait donné avant 40, avant les années 40.... Enfin il y a une espèce de stigmatisation véhémente de l’opinion du peuple. Est-ce que ce n’est pas inquiétant et qu’est-ce qu’on peut espérer comme transformations si éventuellement le « non » l’emportait justement.

Raoul-Marc Jennar  : Si le « non » l’emporte, c’est un formidable désaveu des élites politiques et médiatiques dont il faut bien constater que le fossé entre le peuple et ces élites n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui en tout cas sur ce dossier-là. Les élites politiques et médiatiques qui se rangent toutes dans le camp du « oui » à quelques exceptions près, -il y a quand même des exceptions- , servent en fait ceux qui sont les maîtres du jeu, c'est-à-dire le patronat, et donc ne peuvent pas concevoir un langage critique à l’égard d’un texte qui est celui que voulait et que veut le patronnat. Il faut quand même se rappeler que quand la Convention , présidée par Giscard d’Estaing a commencé ses travaux, aussi bien le MEDEF que l’équivalent patronal au niveau européen qui s’appelle l’UNICE ont sorti des textes limitant, balisant ce qui pouvait se faire. Ils indiquaient très précisément ce qu’ils voulaient, et ce qu’ils ne voulaient pas et quand on compare ces messages qui furent envoyés en 2002 avec le résultat, on peut constater effectivement qu’ils ont obtenu totalement satisfaction. Et donc pour tous ceux qui sont les relais soit technocratiques, soit politiques, soit médiatiques du monde des affaires, eh bien il est normal qu’ils défendent ce texte. Le problème, c’est que les politiques le fassent, c’est leur liberté, que les journalistes qui prétendent être des journalistes, c'est-à-dire qui prétendent à fournir une information et à donner aux citoyennes et aux citoyens l’information la plus complète possible, là il y a un vrai problème. Parce que le droit à l’information, ce n’est pas seulement le droit des journalistes de trouver l’information, c’est le droit des auditeurs des lecteurs des téléspectateurs à avoir une information complète et équilibrée...


 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 29 Novembre 2002 sur AligreFM. Merci d'avance.