Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 5 DECEMBRE 2006

Santé et assurance-maladie: constat et propositions 1/2

Avec Avec Bernard Teper, président de L’UFAL, l'union des familles laïques.

 

Pascale Fourier : Notre invité aujourd'hui sera Bernard Teper, président de L’UFAL, l'Union des Familles Laïques.

J'avais entendu dire que, fin octobre 2006, l’UFAL avait été à l'initiative des EGSAM, les Etats Généraux de la Santé et de l'Assurance-Maladie. Je n'avais pas pu y participer, mais je me disais peut-être que cela pouvait être intéressant. Du coup, nous avons fait deux émissions avec Bernard Teper: l'une portera plutôt sur le constatt autour des questions de santé et des problèmes d'assurance-maladie, et l'autre portera plutôt sur les propositions qui ont été définies dans un manifeste adopté à Bobigny, le 22 octobre 2006, à l'issue des EGSAM.

La première question que j'ai posée à Bernard Teper, c'était de savoir qui avait participé à ces EGSAM, et quel était finalement leur but...

Bernard Teper : L'idée, en fait, c'était d'adopter un manifeste, un manifeste proposant une alternative au système actuel, et de proposer une alternative à la libéralisation, à la privatisation, à la marchandisation de la santé et de l'assurance-maladie, de la Sécurité Sociale en général. Et, pour lancer effectivement cette opération, nous avons, au départ, rassemblé des associations, des syndicats, des mutuelles et des partis politiques. Et puis se sont créés, dans une majorité de départements, des collectifs locaux, départementaux et régionaux, des EGSAM, qui en fait signifie : Etats Généraux de la Santé et de l'Assurance-Maladie.

Pascale Fourier : Là, vous venez de dire "privatisation de la santé". En quoi ? Qu'est-ce qui vous autorise à dire cela ?

Bernard Teper : Ce qui se passe, c'est que l'on vit dans un monde où la phase actuelle du capitalisme a comme caractéristique de privatiser et de marchandiser l'ensemble des activités humaines, et notamment des services publics et de la protection sociale. Ce qui est à l'œuvre aujourd'hui, c'est cette marchandisation et cette privatisation qui s'effectuent de deux façons. On assiste à une privatisation rampante du système de santé où les politiques néolibérales favorisent premièrement l'émergence des cliniques privées contre les hôpitaux publics et favorisent deuxièmement la privatisation du remboursement des soins, en favorisant cette fois-ci les firmes multinationales de l'assurance contre le principe solidaire de la Sécurité Sociale.

Pascale Fourier : Mais en quoi ? "Privatisation du remboursement", je n'arrive pas bien à voir... Par exemple, en quoi, en France, y a-t-il une accentuation de la privatisation des remboursements ?

Bernard Teper : C'est très simple. Grâce à la Sécurité Sociale créée par les ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945, a été mis en place un système visant à rembourser les soins de santé par l'assurance-maladie. Et petit à petit, et cela depuis maintenant, disons, un quart de siècle, la tendance a été de diminuer les remboursements par la Sécurité Sociale et d'augmenter les remboursements par ce qu'on appelle la "complémentaire-santé" assurée par des mutuelles et des multinationales de l'assurance privée. Et chaque fois qu'on diminue les remboursements Sécurité Sociale et qu'on augmente les remboursements par la complémentaire-santé, on favorise l'avènement, en fait, des multinationales de l'assurance. Et donc, petit à petit ces multinationales de l'assurance prennent une part de plus en plus grande dans le remboursement des soins.

Pascale Fourier : A la limite, on pourrait dire : "Mais c'est égal pour la personne lambda, qu'elle soit remboursée par la Sécurité Sociale ou par sa complémentaire... Ca ne change pas grand-chose...".

Bernard Teper : Ca change beaucoup de choses, pour la raison suivante : c’est que lorsqu’il y a remboursement par la Sécurité Sociale, ce remboursement se fait selon le principe de la solidarité, c'est-à-dire, que chacun bénéficie du système selon ses besoins, et chacun y contribue selon ses moyens. En revanche, lorsque le remboursement des soins se fait par la complémentaire-santé, par les firmes multinationales de l'assurance, il y a introduction non pas du principe de solidarité, mais du principe de sélection par le risque. Et donc, dans ce cas-là, on paye en fonction du risque prévisible de la personne.

Je vais donner quelques exemples. On comprend bien qu’un jeune coûte moins à la Sécurité Sociale qu’une personne âgée ( on parle en moyenne, dans une tranche d'âge...). Pour la Sécurité Sociale, qu’on soit jeune ou qu’on soit âgé, à égalité de revenus, on a un prélèvement équivalent, prélèvement qui finance la Sécu. Eh bien, par l'introduction de la sélection par le risque des firmes multinationales et, maintenant, de la plupart des mutuelles d’ailleurs, on fait payer moins cher les plus jeunes et on fait payer plus cher les plus anciens. Et de ce fait, que se passe-t-il? Les plus jeunes ont tendance à aller dans les multinationales de l'assurance. Ce qui fait que les multinationales gagnent quand même beaucoup d'argent parce qu'il y a peu de dépenses. Par contre, les mutuelles, il leur reste surtout les personnes les plus âgées, qui coûtent le plus cher, et elles n’arrivent plus à les financer.

Donc, l'introduction de la sélection par le risque détruit le principe de solidarité. Et de ce fait-là, plus les multinationales de l'assurance participent au remboursement des soins, et plus l’adage est vrai, celui qui dit qu'« il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade ». Parce que, bien évidemment, quand le principe de solidarité n'existe pas, forcément, les personnes les plus défavorisées, petit à petit, sont moins bien soignées que les personnes de catégories aisées.

Pascale Fourier : Vous me disiez que la privatisation de la santé se faisait dans deux directions. D'une part la privatisation des remboursements, on l’a vu tout à l'heure, et puis vous parliez aussi d’une privatisation rampante de la santé, par les cliniques privées contre l'hôpital public. Là, je ne vois pas le problème …

Bernard Teper : C'est un phénomène généralisé dans le monde. Si nous prenons, par exemple, en France, la réforme Juppé de la Sécurité Sociale. Elle a créé ce qu'on appelle des A.R.H., c'est-à-dire des Agences de Régionalisation Hospitalière. Ces agences de régionalisation hospitalière donnent tous pouvoirs au directeur de l’A.R.H., au directeur de l'agence de régionalisation hospitalière: il a tous pouvoirs, seul, de fermer un service, et d'en ouvrir un autre, dans un autre établissement.
Et en général, ce qui se passe, je dirais depuis 1995, depuis que ces agences de régionalisation hospitalière fonctionnent, c'est la privatisation des profits et la socialisation des pertes. C’est-à-dire que ce que l'on remarque depuis maintenant plus de dix ans, c'est que tous les secteurs rentables sont privatisés, c'est-à-dire que les directeurs d’A.R.H. ferment les services dans les hôpitaux publics pour les ouvrir dans les cliniques privées. Et quelquefois, dans certaines villes, ça se passe dans la même rue, c’est juste en face! Le système a commencé sur principalement trois secteurs : la cardiologie, la maternité, la chirurgie (la petite chirurgie). Il faut savoir qu’au moment où on parle, 90 % de la petite chirurgie est privatisée. Et lorsqu’on va terminer le plan hôpital 2007, qui se termine dans peu de temps, eh bien pratiquement toute la petite chirurgie sera privatisée. Par contre, les secteurs moins rentables, comme par exemple la gérontologie, la gériatrie, restent dans l’hôpital public. Parce qu' effectivement, une simple appendicite par exemple est beaucoup plus facile à gérer qu'une démence de type Alzheimer. Les soins rentables sont ainsi mis dans les cliniques privées - c’est ce que j'appelle "la privatisation des profits" -, et les secteurs, très dépensiers comme la gérontologie, comme les urgences, restent dans l'hôpital public - et j’appelle cela "la socialisation des pertes".

Pascale Fourier : Je n'arrive pas à voir la logique de l'affaire. En quoi un directeur de l'agence de régionalisation hospitalière, agent du secteur public, voit-il un quelconque intérêt à transférer les secteurs rentables au privé et à garder tous les secteurs qui ne sont pas rentables ? Il se tire une balle dans le pied....

Bernard Teper : Il y a bien sûr plusieurs raisons à ça. La première, c'est qu’on a affaire à une sorte d'intégrisme économique. Ceux qui gèrent actuellement le système sont des gens qui sont des dogmatiques. Jusqu'ici, on parlait beaucoup des dogmes religieux; il y a aujourd'hui des dogmes financiers. Et donc, le néolibéralisme, c'est en fait une idéologie qui part du principe que, dans un secteur privatisé, c’est forcément mieux géré, plus rentable. Ill y a une sorte d'idéologie qui dit que, quand c’est privatisé, il y a moins de gaspillage - alors qu' en réalité, on voit bien, dans toute une série de secteurs, que la privatisation aboutit en fait à une augmentation des dépenses.

Il y a un exemple chiffré que l'on peut facilement donner : Pratiquement tous les pays développés du monde sont à dominante publique sur le plan de la santé. Il n'y a qu'un seul pays qui est majoritairement privatisé, c’est les Etats-Unis. Eh bien, aux États-Unis, les dépenses de santé représentent 13,6 % du PIB - le produit intérieur brut: ça équivaut à la richesse produite en une année par les travailleurs nationaux et étrangers sur le territoire national -. Eh bien, 13,6 % de cette richesse correspond aux dépenses de santé aux États-Unis, alors qu'en France c’est 9.7 %, en Grande-Bretagne, 8 %, en Allemagne 10 %. En fait, le modèle néolibéral que représentent les États-Unis génère des dépenses de santé 40 % plus élevées que les dépenses faites dans tous les pays je dirais à dominante publique. Et ça s'explique très bien. Dès que vous privatisez, vous rentrez dans un secteur à but lucratif, et il faut financer les actionnaires. Il suffit par exemple que vous ayez besoin de 10 à 15 % pour financer les actionnaires, plus 10 à 20 % pour faire de la publicité pour expliquer que telle clinique est meilleure que l'autre, ou que tel médicament est meilleur que l'autre. Il faut savoir qu'aux États-Unis par exemple la publicité sur les médicaments est autorisée, ce qui fait que, contrairement à ce qui se passe en France, aux États-Unis on dit : « Prenez tel médicament, il est meilleur que l'autre », alors que les produits constituants sont les mêmes. Donc en fait, les frais de publicité et la rémunération des actionnaires, c'est quelque chose qui en général correspond à des montants de 20 à 30 % du chiffre d'affaires. Quand il y a une gestion par la Sécurité Sociale, il y a 4 à 6 % de frais de gestion et que le gaspillage, par exemple sur l'assurance-maladie, c’est-à-dire sur un budget d’environ 150 milliards d'euros en France, est chiffré entre 1 et 3 milliards d'euros - ce qui est, bien évidemment, très nettement inférieur au déficit comptable de la Sécurité Sociale. Et donc voilà, pourquoi, effectivement, la privatisation augmente les dépenses.

Si vous privatisez, vous augmentez les dépenses et donc, vous avez tendance à diminuer les remboursements. Chaque fois que vous avez un système où vous diminuez les remboursements, vous mettez en difficulté les catégories les plus défavorisées de la société. Et donc, de plus en plus, y compris dans un pays comme la France, il y a toute une série de personnes qui ne participent plus aux soins, qui vont plus chez le dentiste par exemple.

Pascale Fourier : Tout à l'heure vous avez dit que, dans le système néolibéral, il y avait une augmentation des dépenses. Ca, je peux avoir compris avec ce que vous venez de me dire. Mais une baisse des remboursements....là, je ne comprends pas… Pourquoi, effectivement, faire baisser les remboursements? ... Quelle est la logique ?

Bernard Teper : La logique, en fait, est assez simple, mais peut-être un peu plus longue à expliquer. Le néolibéralisme a comme volonté, en fait, de modifier la répartition de la richesse, c'est-à-dire de diminuer la part des revenus du travail et des cotisations sociales, et d’augmenter la masse des profits. Comme l'ensemble de la Sécurité Sociale est basé sur les revenus du travail et les cotisations sociales, si vous diminuez, en part de richesse produite, la part des revenus et des cotisations sociales, vous arrivez à un point où il y a un déficit comptable de la Sécurité Sociale, ce qui existe en France depuis quelques années. Et à ce moment-là, comme les néolibéraux ne veulent pas, en fait, modifier leur pensée dogmatique, ils disent qu'il faut donc diminuer les remboursements. En diminuant les remboursements, ils pensent juguler le déficit comptable de la Sécurité Sociale. Et donc, la tendance à la diminution des remboursements est liée à la volonté de combattre le déficit de la Sécurité Sociale.


Alors vous allez me dire: "Oui, mais, lorsqu’on dépense plus d'argent que l'on n’en gagne, c'est normal que l'on essaie de diminuer les dépenses...". C'est ce que fait toute famille avec son budget propre. Le problème, c'est qu'en fait, il faut comprendre qu'en vingt-cinq ans, la part des revenus du travail et des cotisations sociales a baissé de 10 points. C'est-à-dire qu'en fait, dans la répartition de la richesse entre revenu de travail, cotisations sociale d’un côté, et profits de l'autre, il y a eu une modification du curseur en 25 ans. Si le curseur était placé aujourd'hui de la même façon qu’au début des années 80, eh bien on aurait 170 milliards d'euros en plus par an. On fait une ponction de 170 milliards d'euros, et on s'étonne qu’on aboutisse à un déficit comptable de la Sécu d'environ 10 à 12 milliards d'euros !! On est entré dans un cercle vicieux. C'est-à-dire que, comme on veut augmenter les profits, on diminue les revenus du travail et les cotisations sociales, on diminue en pourcentage de richesses produites toutes les rentrées à la Sécu, on met la Sécu en déficit, et on dit : "Il faut diminuer les remboursements puisque qu’on n'a pas assez d'argent pour rembourser correctement". Et c'est un mouvement perpétuel.

C'est pour cela qu'il faut changer - les grands intellectuels disent qu'il faut "changer de paradigme" -, modifier la logique. Et c'est pour cela d'ailleurs que nous nous proposons de rompre avec le néolibéralisme et de faire des propositions alternatives qui sont contenues dans le manifeste que nous avons adopté à Bobigny, le 21 et le 22 octobre derniers.

Pascale Fourier : C'était donc Des Sous Et Des Hommes, en compagnie de Bernard Teper, de l'Union des Familles Laïques, l’UFAL. Cette semaine, on a vu le constat sur les problèmes de santé et d'assurance-maladie, mais il était impératif de voir les propositions, d'autant plus qu'un manifeste avait été adopté aux EGSAM, aux Etats Généraux de la Santé et de l'Assurance-Maladie, qui avait été impulsé par l’UFAL. La semaine prochaine, nous passerons donc aux propositions. À la semaine prochaine !


 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 5 Décembre 2006 2002 sur AligreFM. Merci d'avance.