Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 12 DECEMBRE 2006

Santé et assurance-maladie: constat et propositions 2/2

Avec Avec Bernard Teper, président de L’UFAL, l'union des familles laïques.

 

Pascale Fourier : Et notre invité, comme la semaine dernière, sera Bernard Teper, président de l’UFAL, l'Union des Familles Laïques. Je vous rappelle les circonstances : l'Union des Familles Laïques a été à l'initiative des Etats Généraux de la Santé et de l'Assurance-Maladie (EGSAM), qui se sont tenus fin octobre 2006. Et j'ai fait venir Bernard Teper, pour en parler avec lui. La semaine dernière, on avait vu le constat sur la santé et l’assurance-maladie, et cette fois-ci, nous allons passer aux propositions, propositions mises en forme dans un manifeste qui a été adopté le 22 octobre 2006.

La dernière fois, vous nous aviez dit que le néolibéralisme mettait à mal les systèmes de protection de santé. Et donc, vous avez organisé, vous, l'UFAL, en collaboration avec d'autres associations et autres, les Etats Généraux de la Santé et de l'Assurance-Maladie au cours desquels vous avez rédigé un manifeste qui fait des propositions. Justement, quelles sont-elles ?

Bernard Teper : Nous partons effectivement du constat que les politiques néolibérales mettent à mal le principe de solidarité dans la santé et l'assurance-maladie. Et nous avons fait toute une série de propositions.

D'abord la première proposition que nous faisons, c'est que nous proposons la transformation du système de soins en système de santé.

Pourquoi proposons-nous cela ? Parce que les maladies les plus dangereuses ont changé de nature. Avant, c'était des maladies infectieuses, la tuberculose après-guerre, par exemple. Aujourd'hui, ce sont des maladies chroniques comme le sida, le cancer, le diabète, l'obésité. Et on se rend bien compte que pour lutter contre ces maladies, il ne suffit pas d'avoir un système de soins, il faut introduire de la prévention à l'intérieur du système de soins: éducation à la santé, diminution des facteurs de risque, dépistage d'un certain nombre de maladies. Donc, l'idée c'est que comme les menaces ont changé, il faut transformer le système de soins en système de santé, en mettant à l'intérieur les trois éléments de la prévention que je viens de montrer. Ca, c'est la première chose qui est liée à la modification des menaces.

La deuxième idée, c'est le problème du remboursement. Pour revenir à un système solidaire et pour supprimer la sélection par le risque, nous proposons le remboursement à 100 % par la Sécurité Sociale de l'ensemble des soins et de la prévention de qualité.

Troisième élément, puisque vous pouvez me dire : " Mais comment la Sécurité Sociale pourrait-elle rembourser à 100 % à partir du moment où on nous dit qu' il y a un trou de la Sécurité sociale ?

Pascale Fourier : C'est ce que j'allais dire !

Bernard Teper : Comme je l'ai dit peut-être un peu trop rapidement à la dernière émission, le trou de la Sécurité Sociale est construit et fabriqué, c'est-à-dire qu'il est lié à un affaissement de 10 points de la part des revenus du travail et des cotisations sociales dans les richesses produites par le pays. Ce qu'il faut savoir, c'est que la France, aujourd'hui, produit, en richesse, en une année, environ 1700 milliards d'euros. 10 points de PIB, ça veut dire qu’il y a eu un transfert de 170 milliards d'euros par an de la part du revenu du travail plus cotisations sociales vers les profits.

Si par exemple nous avions le même curseur, la même répartition de la richesse nationale aujourd'hui qu’il y a vingt-cinq ans, on pourrait faire une émission : "On a 170 milliards d'euros en plus, qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu’on augmente les retraites ? Est-ce que l'on construit de nouvelles crèches ? Est-ce que l'on crée de nouvelles maisons de retraite pour démence type Alzheimer ? Est-ce que enfin on se met à faire sérieusement le dépistage du cancer du sein ? Etc., etc".

Grâce au néolibéralisme, nous n'avons pas à nous poser cette question parce que les 170 milliards d'euros sont partis pour les actionnaires. Le problème donc est que, pour permettre le remboursement à 100 %, il faut revenir sur ces 10 points de PIB, c'est-à-dire qu'il faut reprendre tout ou partie de ces 10 points de PIB. Il faut donc revenir à une répartition des richesses conformeà ce qui existait dans les années 80. Ça, c'était la troisième proposition.

La quatrième, c'est de revenir aux principes républicains qui ont été édictés par le Conseil National de la Résistance, lorsqu’ils ont décidé la création de la Sécurité Sociale, créée par les ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945. L'idée, c'est que la Sécurité Sociale doit être gérée par les représentants élus des assurés sociaux. Pourquoi ce point est-il nécessaire ? Je rappelle d'abord que c'était le cas en France, entre 1945 et 1967, c'est-à-dire pendant vingt-deux ans. Pourquoi est-ce nécessaire ? Il faut donner quelques chiffres: le budget de la Sécurité Sociale, c'est-à-dire principalement les branches famille, assurance-maladie et retraites, l'ensemble de la Sécurité Sociale, c’est 30 % de plus que le budget de l'État, tous ministères confondus! C'est-à-dire que la Sécurité Sociale, c'est le premier budget humain, et que, pour éviter qu’on puisse ponctionner sur ce premier budget humain, nous estimons que les rentrées de cotisations au sein de la Sécurité Sociale doivent être protégées et séparées du budget de l'État, et gérées par les représentants élus des assurés sociaux, de telle façon que pendant la campagne des élections à la Sécurité Sociale, on puisse débattre de la façon d'organiser le système de santé et de protection sociale en France. Ce point est pour nous bien évidemment très important, il nous remet en filiation avec la politique républicaine du Conseil National de la Résistance.

La cinquième proposition, c'est une proposition concernant la recherche pharmaceutique.

Ce que nous nous avons remarqué depuis à peu près un quart de siècle, c'est que l'industrie pharmaceutique qui vend ses produits très chers trouve de moins en moins de nouvelles molécules. Et souvent, les nouveaux médicaments sont des recompositions de molécules existantes. Pourtant, la justification des prix élevés des médicaments, c'est la recherche... En fait, ils ne trouvent pas grand-chose.

Deuxièmement, avec la poussée du néolibéralisme, il s'avère qu’un certain nombre de maladies n'entraînent pas les recherches contre ces maladies... Lorsque des maladies touchent des personnes non solvables, on ne fait pas de recherche parce que ce n'est pas rentable: il en est ainsi de maladies qui tuent des millions de gens par an dans le monde, la maladie du sommeil, le paludisme, etc., et des maladies orphelines, des maladies où il y a peu de personnes atteintes - on ne fait pas de recherche puisque même si les personnes sont solvables, elles ne sont pas suffisamment nombreuses pour pouvoir financer un effort de recherche. Il y a donc des pans entiers, des maladies entières auxquels l'industrie pharmaceutique privée ne s'intéresse pas. Et les gens peuvent donc continuer à mourir, tranquillement.

C'est pour cela que nous proposons qu’il y ait un pôle européen de recherche de médicaments, une sorte d'Ariane Espace du médicament, d'Airbus du médicament, financé sur fonds publics, un pôle public financé sur fonds publics qui puisse faire des recherches liées à une délibération des citoyens. On peut estimer normal qu’il y ait une recherche sur le paludisme, par exemple, et sur la maladie du sommeil, qui tuent des centaines de milliers de personnes chaque année!

Ensuite, il y a toute une série de propositions qui sont liés à l'organisation du système de santé. Par exemple, nous estimons que le financement socialisé doit aller principalement aux hôpitaux publics et pas aux cliniques privées rattachées à des sociétés cotées en Bourse. Parce qu’il n'est pas très éthique d'avoir un financement Sécu qui finance des actionnaires.

Deuxièmement, nous sommes hostiles à tout dépassement d'honoraires, et au secteur 2. Nous estimons qu'il est préférable d'augmenter la rémunération à l'acte du secteur 1 et de supprimer tout dépassement d'honoraires.

Nous sommes, effectivement également, pour des raisons de laïcité économique, pour la suppression des lits et des consultations privés à l'hôpital public.

Et puis, pour lutter contre la désertification médicale, nous sommes pour une modification dans le recrutement des médecins, c'est-à-dire augmenter par exemple le numerus clausus dans les régions où il n'y a pas assez de médecins, avec obligation pour les médecins de pratiquer leur art médical pendant cinq ans dans la région qui les a formés: on trouve normal qu'un enseignant n'ait pas la liberté d'installation, c'est-à-dire que l'enseignant ne choisisse pas lui-même son établissement, et on trouverait normal que le médecin puisse s'installer n'importe où ? Tout cela n'est pas très juste. On a autant besoin d’un médecin que d'un enseignant. Et les médecins devraient servir principalement dans les endroits où il y a désertification médicale. Je donne un chiffre flagrant : dans le Limousin, il y a 280 médecins pour 100 000 habitants. En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, il y en a 440 pour 100 000 habitants. Ce n'est pas normal. Eh bien, on augmenterait le nombre de postes de médecins dans la région Limousin, y compris avec des aides aux étudiants, des bourses, etc., et en demandant à ces étudiants de servir pendant cinq ans dans cette remarquable région qu’est le Limousin.

Pascale Fourier : J'ai écouté très attentivement ce que vous disiez et puis, en même temps, intérieurement je me disais : " Mais, décidément tous ceux qui ont travaillé avec lui aux EGSAM et lui-même veulent décidément la mort de la France ! Parce que, si, effectivement, il y a des remboursements à 100 %, des recherches publiques pour les médicaments, etc., etc., toutes les mesures que vous avez présentées tout à l'heure, ça va forcément peser sur le budget de la France. Notre pays ne va pas être très compétitif... Le coût du travail va devenir assez phénoménal, puisque les cotisations sont assises sur le coût du travail jusqu'à présent...

Bernard Teper : Ce qui passe, c'est que les néolibéraux voudraient fonctionner à budget constant. Ce que nous proposons, c'est de travailler à pourcentage de richesse. Chaque année, il y a croissance, même si elle est de 1 %, ou de 1.5 % ou de 2%. La France crée de plus en plus de richesse chaque année. Et donc il devrait être normal que la part qui est dévolue à la protection sociale augmente, au minimum, proportionnellement à l'augmentation de la richesse.

La deuxième chose, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, c'est que depuis 25 ans, il y a une modification de la répartition des richesses. On a enlevé de l'argent au salaire direct et au salaire socialisé pour le transférer vers les profits. Et ce transfert, il correspond en euros d'aujourd'hui, 10 points de PIB, à 170 milliards d'euros. C'est-à-dire qu’on nous enlève 170 milliards d'euros par an, et qu'ensuite on nous dit qu'il manque 10 milliards d'euros à la Sécurité Sociale. C'est une imposture ! En réalité, il ne s'agit pas d'une mesure irresponsable: nous partons du principe que nous souhaitons revenir à la répartition des richesses qu'il y avait au début des années 80; nous étions alors dans un paysj'allais dire "normal"... Seulement, depuis le début des années 80, petit à petit, on a fait des transferts entre salaires directs - salaires socialisés et profits. Et que ça correspond à 170 milliards d'euros par an. Ce qu'il faut, c’est récupérer, progressivement bien sûr, les 170 milliards d'euros que l'on a enlevés au camp du travail. Et bien évidemment, c'est sur la base de ce retour à ce qui faisait partie du camp du travail, l'argent qui était dans le camp du travail au début des années 80, qu'il est possible de financer l'ensemble des propositions que j'ai faites tout à l'heure.

Parce que l'une des caractéristiques de ce manifeste, c'est d'être extrêmement réaliste. Nous, nous ne disons pas, « y’a cas, faut qu’on... ». Nous disons simplement que nous souhaitons revenir sur le transfert de 170 milliards d'euros par an. Et, c'est sur cette base-là, effectivement, que nous souhaitons alimenter nos propositions.

Pascale Fourier : Oui, mais finalement, si la rémunération des actionnaires baisse, puisqu'on récupère une partie de la valeur ajoutée pour la transférer vers les salariés, cela voudrait dire que les actionnaires seraient moins bien rémunérés en France que dans les pays-tiers. Ils ne vont donc plus venir investir en France, ou moins... Ca pose un problème, quand même, non ?...

Bernard Teper : Je pense que vous avez raison et tort à la fois. Raison, parce que nous sommes aujourd'hui dans une économie ouverte, et que donc, bien évidemment, il y a des relations internationales, y compris sur le plan économique... Mais, je dirai ce n'est pas vrai pour tout, c'est-à-dire que tout ne peut pas être délocalisé. Donc déjà, ça ne joue que sur une partie qui est délocalisable. Et il y a bien évidemment des politiques permettant petit à petit de lutter contre les délocalisations. Là où vous avez raison, c'est de dire qu'il est difficile de mener la politique que nous proposons uniquement dans un cadre hexagonal, en élevant d'énormes frontières autour de l'hexagone, sans tenir compte du reste du monde, puisqu’on est maintenant en économie ouverte.

Il faut donc que nous inventions des nouvelles relations économiques internationales, pour justement permettre les réformes dans les pays qui le décident. Le néolibéralisme a comme caractéristique de vouloir mettre en concurrence les systèmes de protection sociale, et donc de dire : " Si vous alourdissez ici, eh bien on va délocaliser dans des pays à système de protection sociale moins élevé, et ensuite on exportera les marchandises". Pour ça, nous avons toute une série de propositions de nature économique. Par exemple, nous proposons un néo- protectionnisme altruiste et social, qui consiste à ce que, lorsqu'une marchandise est exportée d'un pays vers la France par exemple, nous mettions une taxe: cette taxe n'est pas une taxe liée à la différence de prix, cette taxe est uniquement liée à la différence de protection sociale d'un pays à un autre. Et, dans ce cadre-là, l'argent collecté par cette taxe ne va pas, comme dans l'ancien protectionnisme, dans le budget du pays riche; le produit de cette taxe va, au contraire, vers le pays à protection sociale plus faible, uniquement pour financer l'amélioration du système de protection sociale. En agissant de la sorte, on a une position totalement alternative au néolibéralisme qui vise à harmoniser les systèmes de protection sociale par le bas, en faisant descendre les systèmes de protection élevée vers le bas, comme ceux qui existent en France, en Belgique, en Allemagne. Eh bien, là, c'est le contraire. Notre proposition alternative est une proposition qui vise à harmoniser les systèmes de protection sociale par le haut, en augmentant, en améliorant les systèmes de protection sociale des pays du Sud par alimentation de la taxe néo-protectionniste, dont j'ai parlé tout à l'heure.Je pourrais, bien évidemment faire d'autres propositions, comme le co-développement, etc. etc.

En fait, il y a une cohérence d'ensemble de la politique et c'est pour cela qu'il n'est pas possible de proposer une alternative en matière de santé en ne s'intéressant qu’à la santé. Ce qui est nécessaire, c'est de stopper les politiques néolibérales, dans l'ensemble des secteurs, et ensuite d'avoir des propositions alternatives globales, tant sur la santé que sur l'économie, et sur tous les autres secteurs. Et, par ce fait-là, si on mène ces politiques avec un néo-protectionnisme altruiste et social, on a la possibilité effectivement de lutter contre ce phénomène de délocalisations dont vous parliez tout à l'heure.

 

Pascale Fourier : C'était Des Sous et Des Hommes, sur Aligre FM en compagnie de Bernard Teper, président de l'UFAL. Et si vous voulez lire le manifeste des EGSAM, n'hésitez pas à vous rendre à cette adresse : http://www.ufal.org/egsam/manifeste.pdf. Bonne lecture et à la semaine prochaine!

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 12 Décembre 2006 2002 sur AligreFM. Merci d'avance.