Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 2 OCTOBRE 2007

Les franchises médicales

Avec Bernard Teper, président de l’Union des Familles laïques (UFAL)

 

Pascale Fourier  : Pas moyen d'être tranquille avec Nicolas Sarkozy. En vacances, on apprend que le projet, annoncé pendant la campagne présidentielle, de franchise médicale avance. Les franchises médicales, c'est tout simple: ça veut dire que les assurés sociaux devront mettre de leur poche quand ils iront voir le médecin, quand ils iront faire des analyses médicales, quand ils achèteront des médicaments, quand ils iront à l'hôpital, tout cela dans la limite de 50 € par an et par personne, en excluant les enfants du processus. Toutes les informations ne sont pas encore disponibles et, pour l'instant l'affaire reste floue. Mais, mais, mais... le vote commencera à l'Assemblée Nationale à la mi-octobre. Il y a donc urgence à se saisir du dossier. Je suis donc allée rencontrer Bernard Teper, Président de l'UFAL et très actif dans le Collectif national contre les franchises et pour l'accès aux soins pour tous. C'était le 16 septembre dernier, à la fête de l'Huma où je savais qu'il était avec d'autres membres du collectif. Vous verrez, il y avait un peu de bruit tout autour.


On était posément en vacances et si on suivait quand même l'actualité, on s'est mis à entendre parler de "franchise médicale". Et puis on a entendu parler d'une espèce de plan Alzheimer : cette franchise médicale servirait à le financer. Alors, évidemment, on s'est dit, c'est bien parce c'est vrai qu'il y a un gros problème au niveau de la prise en charge des personnes atteintes d'Alzheimer. Donc à priori je me suis dit, c'est bien, ce que fait Sarkozy.


Bernard Teper  : Eh bien, pour répondre à cette question, il faut repartir plusieurs décennies en arrière. Il y a eu un gouvernement qui a installé une vignette pour les vieux. Et, bien évidemment, très vite, on s'est aperçu que la vignette était prélevée et que les vieux n'ont pas touché l'argent de la vignette. Eh bien, quand Nicolas Sarkozy dit que les franchises, c'est pour le plan Alzheimer, il nous refait le coup de la vignette. En réalité, le processus des franchises est un processus qui a démarré il y a plusieurs décennies, et qui vise à diminuer constamment les remboursements de la Sécurité Sociale. C'est ça le principe des franchises. Et donc, il y a un dogme, libéral, qui institue la chose suivante, c'est que lorsqu'il y a un déficit, il faut rembourser moins pour combler le déficit. Pas de chance, c'est tout le contraire, c'est-à-dire qu'en fait, plus vous faites des franchises, plus cela coûte cher.

Pourquoi ? Parce que les franchises, en fait, ont trois caractéristiques :
- La première c'est que les franchises sont injustes.
- La deuxième c'est qu'elles sont dangereuses pour la santé publique.
- Et la troisième c'est qu'elles sont inefficaces sur le plan économique.

C'est-à-dire que, de ce point de vue-là, tous les gouvernements qui ont institué des franchises ont tout faux. Mais lorsqu'on est accroché à des dogmes - il y a des gens qui sont accrochés à des dogmes depuis des centaines d'années, voire des millénaires - c'est très difficile de faire modifier cette idée-là.

Alors pourquoi les franchises sont injustes ?
Elles sont injustes parce que ceux qui sont frappés les premiers sont les plus malades et les plus défavorisés. Donc, ça augmente les inégalités sociales de santé. Et on a d'autant moins accès aux soins que le niveau de franchise augmente. Donc, de ce point de vue-là, elles sont injustes.

Elles sont dangereuses, parce qu'une partie de la population qui subit les franchises n'a pas l'accès aux soins et donc les pathologies perdurent, augmentent, se développent. Et lorsque les malades sont obligés de consulter, en général en passant par les urgences, là, ça coûte beaucoup plus cher. Donc, en fait, plus vous allez tôt voir le médecin, moins ça coûte cher pour la Sécurité Sociale. C'est tout le contraire de ce que vient nous dire le gouvernement Sarkozy.

Et c'est pour cela qu'elles sont donc inefficaces, parce que tous ceux qui ont engagé ce processus n'ont pas abouti. M. Douste-Blazy nous avait dit en 2004 qu'avec les franchises il remettait la Sécu à l'équilibre en 2007. Savez-vous que nous sommes en 2007 ? Et que le déficit comptable de la Sécurité Sociale est de même ordre qu'en 2004 ? Donc ça n'a servi à rien. Entre-temps, bien sûr, le niveau des remboursements a baissé.

Car en fait, ce qui se passe avec la santé et l'assurance maladie, ce n'est pas un simple transfert d'argent. Ce n'est pas comme « on donne de l'argent et on le redistribue ». Le problème c'est qu'il y a l'Homme - au sens générique du terme - au milieu, et qui développe des pathologies. Et il faut pouvoir intervenir le plus tôt possible, et pour intervenir le plus tôt possible quand on est pauvre dans la société, il ne faut pas de franchises, et il faut instaurer le principe de solidarité, et non pas le principe de charité.


Pascale Fourier  : Il y a un petit quelque chose que je n'ai pas compris finalement non pas dans ce que vous dites, mais dans ce qui est proposé par Sarkozy. Cette franchise-là sera remboursé par les complémentaires ou pas ? Parce que, à la limite, si c'est remboursé par les complémentaires, tout va bien, non ?


Bernard Teper : Premièrement il y a cafouillage au niveau du gouvernement, car on s'aperçoit que, dans toutes les déclarations qui ont été faites, entre les déclarations du candidat à la Présidence de la République Nicolas Sarkozy, la première déclaration de Roselyne Bachelot, les déclarations de Martin Hirsch, la deuxième déclaration de Roselyne Bachelot qui était contradictoire avec la première, la déclaration de Nicolas Sarkozy Président de la République dans l'unité d'Alzheimer de Dax, ils se contredisent, donc on ne sait pas exactement ce qui va se passer. Mais en tout état de cause, ce qui est sûr, c'est que nous allons maintenant avoir le projet, normalement les comptes de la Sécu vont être publics à partir du 24 ou du 25 septembre, ensuite M. Biettes et M. Fragonard doivent faire un projet sur le bouclier sanitaire demandé par M. Martin Hirsch - il a promis ça avant la fin du mois. Donc, d'ici la fin septembre - début octobre nous saurons très exactement le projet. Pour l'instant nous ne le connaissons pas. Nous n'avons simplement que, je dirais, un affichage avec des propositions contradictoires. Donc, pour répondre à votre question, il faut me réinviter, après le moment où on aura le plan gouvernemental exact.


Pascale Fourier  : Des sous et des hommes sur Aligre FM, 93.1 Ce que j'aime bien chez Bernard Teper, c'est sa capacité à remettre les choses en perspective. Vous allez le voir, je lui pose une petite question toute bête, en m'appuyant sur ce que j'entends dans les médias classiques et hop, il nous entraîne dans un panorama de l'évolution économique depuis 25 ans. Écoutez-le.

Mais, de toute façon, il faut bien quand même faire quelque chose puisque, effectivement, il y a un trou abominable de la Sécurité Sociale, non ? Il faut vraiment faire quelque chose. Ce n'est pas exactement la bonne solution, mais, en tous les cas, il faut faire quelque chose.


Bernard Teper  : N'exagérons pas sur le trou extraordinaire de la Sécurité Sociale, parce que le déficit de la Sécurité Sociale, c'est « peanuts » devant le déficit du budget de l'État. Et donc il faut savoir que le déficit de la Sécurité Sociale est de l'ordre – on n'a pas les chiffres pour 2007- de 12 à 14 milliards d'euros et il faut quand même mettre ça sur un total de l'assurance-maladie qui est supérieure à 160 milliards d'euros. Disons que c'est un déficit qui est inférieur à 10 %, n'exagérons pas. Le budget de l'État est très nettement avec un déficit plus important et on ne nous fait pas tout ce cirque.

Maintenant, il est vrai, que si on veut soigner les gens de façon solidaire, il faut le financement approprié. Et pourquoi il y a des difficultés ? En fait c'est extrêmement simple : lorsqu'il y a la répartition des richesses nationales, la répartition entre les salaires directs et cotisations sociales d'une part, et profits d'autre part, cette répartition est depuis 25 ans très favorable au profit. C'est-à-dire qu'en 25 ans il y a des transferts d'environ 170 milliards d'euros par an - en euros d'aujourd'hui - du camp du travail vers le camp du profit. Vous comprenez bien qu'à partir du moment où on prend 170 milliards d'euros à l'ensemble des salaires et des cotisations sociales pour le transférer aux profits - et quand vous savez que la Sécu est basée sur le salaire socialisé - il y a bien un moment où il y aura problème. Et je trouve d'ailleurs que 12 à 14 milliards d'euros de déficit alors que le transfert organisé par le néolibéralisme est de 170 milliards d'euros par an, c'est un déficit tout à fait raisonnable. Donc il suffirait, en fait, que l'on remette dans le pot de la Sécu 10 % des sommes qui ont été données aux profits dans la répartition des richesses, pour répondre aux problèmes de la Sécurité Sociale.


Pascale Fourier  : Oui, mais moi, je lis les journaux, j'écoute la télé, etc, et ce qu'on dit, c'est qu'il est nécessaire qu'on soit de plus en plus favorables aux profits parce que, dans la compétitivité internationale, ça va assurer que les entreprises font des investissements qui eux-mêmes vont créer du travail, etc. etc. Donc, c'est bien normal qu'on ait fait ça, c'est une bonne chose...


Bernard Teper  : Effectivement, ce que vous rappelez là, c'est le discours que l'on nous sert depuis 25 ans. Simplement nous avons aujourd'hui sur le plan de l'analyse 25 ans où l'on peut voir ce qui s'est réellement passé. C'est-à-dire qu'effectivement les profits ont eu une augmentation de 10 points de PIB, de 10 points des richesses nationales. Alors le problème, c'est qu'il est intéressant de savoir où sont allés ces 10 points ?

Sur ces 10 points, en général le profit se divise en 3 :
- Il y a une partie du profit qui va dans l'investissement productif, c'est ce que vous disiez, et donc, ensuite, ça peut engendrer, bien sûr, des emplois.
- Il a une deuxième partie qui va à la rénumération des actionnaires,
- Et une 3eme partie qui va au financement de l'économie parallèle et de l'argent sale.

Eh bien, en 25 ans, ce dont on s'est aperçu, c'est que le financement de l'investissement productif n'avait pas bougé. Ca veut dire que les 10 points qui ont été prélevés (c'est le coup de la vignette encore ! ) pour les investissements productifs qui devraient faire des emplois, en fait ils ont été prélevés pour les actionnaires et pour le financement des économies parallèles, via toute une série de comptes un peu spéciaux (on parle beaucoup de Clearstream par exemple aujourd'hui, mais on pourrait parler de bien d'autres choses). Donc, en réalité, la ponction des 10 points ne va pas dans l'investissement productif, et la ponction des 10 points va aux actionnaires et à la rénumération de l'argent sale.

Pascale Fourier  : Si je suis ce que vous dites, il faudrait que chacun se mobilise et ne se laisse pas avoir par ce discours qui dirait que, justement, c'est une absolue nécessité que chacun y aille de sa poche et se responsabilise enfin, puisque c'est aussi une des thématiques privilégiées par le gouvernement : il faudrait qu'on soit "responsable"...

Bernard Teper  : Bien évidemment. D'ailleurs ce que vous dites apparaît dans les études d'opinion, c'est'-à-dire que toutes les études d'opinion montrent que l'attaque du gouvernement sur les franchises est la mesure la plus impopulaire qu'il ait prise. De toutes les d'études opinion, de tous les sondages que nous avons sous les yeux, le score, disons le plus faible, c'est 61 % du peuple qui est contre les franchises. Malgré tout ce qu'on dit... Même lorsque l'on dit : " Oui, mais c'est pour le plan Alzheimer". Tout le monde a compris que c'était comme le coup de la vignette des vieux. Les gens ne se laissent pas prendre. Donc, je pense réellement que, s'il y avait un référendum sur ce point, la grande majorité du peuple français refuserait le système des franchises, tout simplement parce je pense que le peuple français est attaché à la solidarité de la protection sociale qui était la base de ce qu'avait mis sur pied le Conseil National de la Résistance.

Je vais vous raconter d'ailleurs une anecdote. J'étais assis à côté d'un résistant pour le 60e anniversaire du CNR, le Conseil National de la Résistance, et je lui ai posé une question. Je lui ai dit : « Mais quelle est la différence principale entre les idées que vous aviez et les idées qu'ont eues je dirais tous les militants, tous les hommes politiques et femmes politiques depuis ? ». Et donc ce résistant, qui est décédé au jour où on parle, m'a répondu : « C'est très simple : nous, le projet alternatif pour la Libération, c'était d'abord la Sécurité Sociale, et le projet se constituait autour, c'est-à-dire que c'était le coeur du projet alternatif. »

Tous les partis, y compris de gauche, ultérieurement, ont pris la Sécurité Sociale, la santé, la protection sociale, les retraites etc. comme un élément parmi d'autres, et non plus comme le coeur du projet. Et je pense que le peuple, lui, est resté sur cette idée que sa première préoccupation c'est la protection sociale. Toutes les études d'opinion le montrent. Lorsque l'on prend la protection sociale, c'est-à-dire l'assurance maladie, la santé, la retraite, l'assurance-chômage, les allocations familiales, les accidents professionnels, etc., et, disons, la politique pour les personnes âgées, c'est la première préoccupation des Français. C'est d'ailleurs le premier budget humain. Je rappelle que la protection sociale dans son ensemble, c'est 500 milliards d'euros. C'est 30 % de la richesse nationale et c'est 80% de plus que le budget de l'État. Donc je crois que le peuple est en avance sur ses élites politiques. Et ses élites politiques aussi bien associatives, politiques, syndicales etc., qu'elles soient membres des partis de gouvernement, ou les courants altermondialistes ou antilibéraux. Il y a un hiatus entre le peuple et la militance en général, c'est que le peuple veut la protection sociale au coeur du système, et non pas que cela soit la 25eme roue du carrosse comme dans la plupart des organisations.
Donc, ce que vous dites, c'est la volonté de la population.

La question, c'est que, bien évidemment, pour mobiliser, il faut un peu d'organisation. Et là, eh bien, la plupart des organisations, notamment des partis politiques de gauche, d'extrême-gauche, les syndicats et les mutuelles, les associations de malades, sont mobilisés. Mais, pour beaucoup de ces organisations, c'est une mesure parmi tant d'autres. Et donc, bien évidemment, cela ne favorise pas la mobilisation. Ce qui favoriserait la mobilisation, ce serait que ça soit une priorité, c'est-à-dire, que la priorité du monde politique, du monde syndical, du monde associatif et du monde mutualiste soit la priorité du peuple. Nous n'en sommes pas encore là. Donc, en tout état de cause, ce que nous avons essayé de faire, nous avons créé un collectif national contre les franchises médicales et pour l'accès aux soins pour tous, lié à une stratégie à front large. C'est-à-dire qu'on ne rassemble pas uniquement les plus décidés. C'est un collectif ouvert à tous et nous avons un panel d'organisations qui est très important.

Et nous allons essayer, grâce à ce collectif qui regroupe plus d'une cinquantaine d'organisations, politiques, syndicales, associatives, mutualistes et de malades, nous allons essayer de rassembler le maximum de personnes au gymnase Jappy le samedi 29 septembre de 13 h 30 à 18 heures. Je fais un peu de publicité, parce que, bien évidemment, nous sommes pris par le temps car le vote du projet de loi du financement de la sécurité sociale est prévu à l'Assemblée Nationale les 22, 23 et 24 octobre.

Si notre ligne est de dire : pas de franchise dans la loi de financement de la Sécurité Sociale, il faut que le peuple se fasse entendre avant le 22 octobre. Donc nous avons peu de temps. C'est pour cela que nous avons décrété une journée nationale d'action le 29 septembre, comme première étape de la mobilisation, en nous laissant derrière trois semaines pour pouvoir éventuellement franchir un cran supplémentaire dans la mobilisation. Donc, c'est pour cela que je profite de votre antenne pour lancer un appel à la mobilisation. Le problème sur les franchises, le gouvernement ne va pas attendre ad vitam aeternam, le vote c'est le 22, 23 et 24 octobre, nous connaîtrons le projet fin septembre - début octobre. Et à ce moment-là, nous aurons, entre le moment où nous connaîtrons le plan et le vote à l'Assemblée Nationale, environ trois semaines. Donc c'est pour cela, c'est parce qu'on est pris dans un carcan, que c'est la priorité des Français, nous sommes pris dans un carcan étroit, nous devons donc réagir massivement le plus fort possible pendant cette période.

Voilà donc, pour tous ceux qui veulent, de la solidarité et non pas des franchises, il est temps effectivement de se mobiliser et de venir au gymnase Jappy samedi 29 septembre à 14 heures.


Pascale Fourier  : Et voilà, c'était donc des Sous Et Des Hommes en compagnie de Bernard Teper, le Président de l'UFAL. Pour moi, et quel que soit le silence des médias classiques, l'affaire est grave parce que, au-delà de cette affaire des franchises médicales, c'est le contrat social qui lie les Français depuis 1945 - le contrat social issu du Programme National de la Résistance, qui mettait justement en place la protection sociale - qui est mis en cause par Nicolas Sarkozy. N'a-t-il d'ailleurs pas dit devant le Sénat, le mardi 18 septembre, qu'il souhaitait un nouveau contrat social profondément renouvelé, profondément différent. Je vous invite à lire ce discours de Nicolas Sarkozy, in-extenso, c'est un morceau d'anthologie -et l'annonce d'une feuille de route.
Voilà. La semaine prochaine nous entendrons Bernard Cassen du Monde Diplomatique sur le traité dit "simplifié" - il y a quand même 410 articles, 146 pages, des annexes, etc...

Voilà. À la semaine prochaine.

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 2 Octobre 2007 sur AligreFM. Merci d'avance.