Alain
Caillé
: Je suis professeur de sociologie à l’université
Paris-X Nanterre. Il m’est arrivé d’être économiste
dans ma jeunesse folle et lointaine. J’anime aujourd’hui
la revue du M.A.U.S.S., qui signifie Mouvement Anti-Utilitariste en
Sciences Sociales et c’est aussi un hommage à Marcel Mauss,
l’anthropologue, neveu de Durkheim. C’est une revue interdisciplinaire
en sciences sociales – économie, philosophie, sociologie
– publiée aux éditions de la Découverte et
qui a publié il y a quelques mois un numéro directement
lié à ce qui nous concerne aujourd’hui et qui s’appelle
"Quelle autre mondialisation ? ".
Pascale Fourier
: On parle beaucoup ces derniers temps d’une guerre possible à
venir contre l’Irak mais on pourrait parler aussi de guerre économique
qui, finalement, sévit journellement de par le monde. Il semblerait
que l’impératif catégorique de toute politique économique
(mais pas seulement) soit devenu la compétitivité internationale.
J’aurais bien voulu savoir quelle conception de la société
était sous-jacente à ce nouvel impératif…
Alain
Caillé
: Nouvel impératif ? Il a quand même une bonne vingtaine
d’années (entre vingt et vingt-cinq ans), s’est exacerbé
et nous amènera sans doute à avoir une discussion, peut-être
pas à bâton rompu mais au moins un peu intuitive, du fait
que je n’ai aucune idée arrêtée sur la question.
En y réfléchissant dans le métro tout à
l’heure, je me susi dit qu’il était peut-être
nécessaire de faire une petite déclaration préalable
avant d’entamer cette discussion pour dissiper quelques équivoques
possibles. Lorsque l’on dénonce la société
de compétititvité, on peut avoir tendance à dire
: « la compétitivité et la rivalité, c’est
mal ! », ce de manière générale, et à
mettre en scène l’espoir d’une société
humaine plus fraternelle, plus solidaire, plus communautaire, etc. Je
crois que si l’on raisonnait comme cela, l’on se fourvoierait
et on ne serait pas en mesure de bien poser la question. La déclaration
liminaire, non pas solennelle mais un peu pompeuse que je voudrais faire,
consisterait à dire que la compétitivité n’est
pas la rivalité, qu’elle n’est pas mal en soi ni
intrinsèqueement répréhensible ou regrettable car
l’homme est un animal compétitif, qui rivalise, comme d’ailleurs
les animaux, qui rivalisent eux aussi entre eux à coups de plumes,
de nageoires, de pattes, etc. Voilà donc ma première déclaration
: l’homme est un animal qui rivalise, qui aime à rivaliser.
Marcel Mauss aurait dit un animal « agonistique », qui aime
à pratiquer l’ « agônia », qui désigne
justement cette rivalité. D’ailleurs cette rivalité
est nécessaire à l’individuation. On ne peut pas
à la fois revendiquer d’être un individu singulier,
reconnu dans sa singularité et prétendre de ne pas vouloir
rivaliser. Voilà pour une première considération
générale. Il faut immédiatement nuancer ou contrebalancer
celle-ci par trois séries de considérations. Premier bémol
: si l’homme est un animal qui rivalise, il n’est pas qu’un
animal qui rivalise, c’est également un animal qui coopère,
comme d’ailleurs certains animaux, un animal qui aime, qui déteste,
qui obéit, qui commande. Deuxième considération
: si l’on dit que l’homme est un animal qui rivalise, la
question qui se pose n’est pas de savoir s’il faut ou pas
critiquer la rivalité mais de savoir quelles sont les rivalités
utiles, bénéfiques et souhaitables et lesquelles ne le
sont pas. Ce n’est pas tout à fait la même chose
de rivaliser à celui qui gagnera le plus d’argent possible
que de rivaliser à celui qui sera le plus beau, le plus superbe,
le plus splendide ou que de rivaliser à celui qui sera le plus
généreux, le plus saint, le plus dispensateur d’amour,
le plus solidaire, etc. Troisième série d’idées
enfin, c’est que cette rivalité qui n’est pas intrinsèquement
répréhensible, elle ne peut être à encourager
que pour autant qu’elle peut être régulée
et qu’elle n’est pas n’importe quel type de compétitivité.
Réguler, ça veut dire d’une part qu’il faut
qu’il y ait des règles, comme dans n’importe quel
jeu ou sport car il n’y a pas de jeu ou de sport sans règle
(sans quoi il n’y a que du chaos). Plus précisément,
il est important de savoir à quel jeu l’on joue et que
les gens puissent se repérer. Il faut éventuellement que
ceux qui perdent dans un jeu puissent jouer à d’autres
jeux. Il faut qu’il y ait une multiplicité des espaces
de rivalité et pas un seul champ. Et surtout la règle
de tout esprit de jeu, qu’il est souhaitable de développer,
est qu’il ne doit pas y avoir appropriation de la victoire par
les gagnants d’une partie déterminée, il faut qu’il
y ait remise en jeu permanente de la victoire, il faut qu’il y
ait possibilité faite aux vaincus de prendre leur revanche à
d’autres jeux et plus généralement (c’est
une ruse de l’histoire et de la société), il faut
que cette rivalité qui désigne des gagnants et des perdants
servent au plus grand nombre, à la collectivité dans son
ensemble et notamment aux plus démunis et au plus faible ; bref,
il faut que la lutte entre les plus forts servent les plus faibles.
Pascale Fourier
: Cela n’a pas l’air vraiment d’être ce qui
se passe dans l’univers économique et politique actuel,
non ?...
Alain Caillé
: Eh bien, ce n’est apparemment pas en effet tout à fait
ce qui se passe… Si l’on suit le raisonnement que j’esquissais
là, on pourrait dire que ce qui est problématique dans
l’espace de la logique qui se met en place depuis une vingtaine
d’années, le fait qu’il y ait de la compétitivité
en tant que telle – que ce soit entre les individus ou entre les
pays - , ce n’est pas le fait de la compétitivité
qui est problématique mais plutôt qu’il n’y
a plus qu’un seul jeu, qui englobe tous les autres jeux. Ce jeu,
c’est le jeu du marché, celui du gain et du capital, avec
une appropriation des gains absolument vertigineuse de la part des gagnants
(tout le monde le sait, chacun connaît les chiffres qui illustrent
l’explosion des inégalités soit au sein des pays,
soit entre les pays depuis une vingtaine d’années). Je
suis tombé sur un chiffre récemment qui m’a semblé
particulièrement intéressant et parlant. Il y a une trentaine
d’années l’écart de rémunération
en moyenne entre les 100 patrons américains les plus riches et
un salarié ordinaire dans leurs entreprises était de 1
à 39. Il est aujourd’hui de 1 à 1000. Plus que les
écarts de capital ou de patrimoine, ce chiffre illustre l’extraordinaire
creusement des inégalités dans des univers où autrefois
les gens avaient l’impression de participer au même ordre,
où ils vivaient ensemble dans l’entreprise et où,
même s’il y avait des patrons, on restait dans une forme
de commune mesure. Là, nous n’y sommes absolument plus.
Deux choses apparaissent alors comme problématiques : tous les
jeux, qui étaient jusque là différents, que ce
soit celui de la culture ou celui de la littérature, les jeux
sportifs, le jeu du politique, tous ces jeux deviennent maintenant des
sous-ensembles, des sous-jeux du jeu économique lequel colonise
et phagocyte tous les autres. Deuxièmement ce jeu économique
produit une gigantesque accumulation de la puissance qui n’est
absolument plus réversible et qui donc ne revient plus vers les
communautés et qui ne sert bien sûr absolument plus à
soulager le sort des plus mal placés.
Pascale Fourier
: Oui mais comment alors était-ce auparavant ? Vous disiez tout
à l’heure qu’il y avait une logique qui se mettait
en place depuis environ vingt ou trente ans mais avant qu’était
ce jeu, comment fonctionnait-il ?
Alain Caillé
: Eh bien, le jeu, c’est celui qui s’est mis en place après
la fin de la Deuxième Guerre Mondiale et que l’économiste
hétérodoxe Carl Polami a rassemblé sous le nom
de « Grande Transformation » ou encore « Réencastrement
du Marché» dans des règles et tout un appareil politique,
éthique, etc. Les économistes de la régulation
appellent cela le « compromis fordiste » et cela a correspondu
à la période sociale-démocrate et keynésienne
de l’économie. C’est cette société,
qui a fonctionné jusque dans les années 1980, qui a commencé
à se désagréger au moment où elle semblait
atteindre un paroxysme, à peu près vers 1970. 1970, date
où ont été créés les contrats de
travail à durée indéterminée. On est donc
arrivé à cette institutionnalisation du salariat, avec
toute une série de droits, de protections. Cette situtation sociale
semblait à un tas d’égards l’aboutissement
d’un processus de civilisation de longue durée, de démocratisation.
Tout être humain dans les sociétés développées
étaient un salarié ou un quasi-salarié et avait
à ce titre des garanties, des droits, des protections. C’est
ce modèle-là qui a commencé à s’effriter
puis à s’affaisser à partir des années 1980
pour donner place à ce monde de productivité et de compétitivité
généralisées.
Pascale Fourier
: Dans un de vos articles, vous sembliez dire qu’il y avait une
sorte de mise au service de l’économie vers l’ensemble
de la société. Est-ce que c’est ce changement-là
qui est capital dans la nouvelle architecture économique qui
se met en place ?
Alain Caillé
: Oui, puisque le compromis fordiste, la grande transformation de Polami,
le réencastrement économique, tout cela instaurait un
couplage très clair dans le fonctionnement de la machine économique
et qui légitimait l’appartenance au marché, le fait
de gagner de l’argent sur le marché mais qui prélevait
suffisamment pour faire en sorte que personne ne bascule dans la misère
ou dans l’exclusion à condition d’intégrer
cette condition salariale (sauf cas pathologique très particulier,
tout le monde effectivement était salarié). C’est
ce qui donnait cette cohérence à cette société,
ça donnait sa cohérence au système scolaire –
qui est en train lui aussi de se désagréger -, on faisait
des études pas pour passer le temps mais pour obtenir un emploi,
on s’établissait, on se mariait, on fondait un foyer et
un ménage et à partir du moment où la situation
familiale était suffisamment clarifiée, on cotisait en
fonction de son salaire pour se protéger contre la maladie ou
des chômages occasionnels, un chômage dit à l’époque
« frictionnel », la retraite était assurée
et tout le monde participait ou devait participait à ce système.
C’est cette cohérence globale qui s’est cassée
pour différentes raisons à partir des années 1970.
Pascale Fourier
: Ce compromis fordiste avait été obtenu dans quelles
circonstances au juste ? Car cela n’a rien de naturel que l’on
soit aussi attentif au bien-être de chacun.
Alain Caillé
: Rien n’est naturel. Il y a des phases d’alternance de
pouvoir des plus puissants et des moins puissants. Le chiffre que je
citais tout à l’heure sur l’explosion des inégalités
entre salariés ordinaires et grands patrons rappelle en fait
la situation prévalait aux alentours de 1900, avant la Guerre
de 14-18. On est en train de retrouver le degré d’inégalité
économique qui prévalait à la Belle Epoque.
Pascale Fourier
: J’ai l’impression qu’on est passé d’un
état à l’autre, d’une régulation fordiste
à une absence de régulation « libérale »
à cause d’un rapport de force qui aurait changé.
Mais quelle serait alors exactement la nature de ce rapport de force,
qu’est-ce qui s’est passé ?
Alain Caillé
: Il y a deux choses dans votre assertion. Ce changement de rapport
de force n’est pas venu tout seul du ciel, ne s’est pas
opéré par l’opération du Saint Esprit, il
y a effectivement des forces qui s’affrontent dans l’histoire
et dans les sociétés avec des tensions, des équilibrages
et parfois des déséquilibres. Nous sommes en train de
vivre une période de déséquilibre exacerbé,
une période d’apparition de l’hyperpuissance économique
comme l’illustre le chiffre que je donnais tout à l’heure.
C’est aussi une hyperpuissance militaire, avec les Etats-Unis,
ou encore diplomatique. Aucune situation n’est stable et c’est
important de le rappeler car dans les années 1970, il paraissait
inimaginable que l’on puisse sortir de la situation qui prévalait
alors, de cette logique de démocratie parlementaire, fonctionnant
bon an mal an à peu près, et de cette logique de protection
sociale généralisée. Je crois que l’aboutissement
de cette période, son acmé, son apothéose a été
l’apparition du R.M.I. en 1988 / 1989. On l’a mal compris
à l’époque, sauf moi qui étais un observateur
attentif. Lorsque le R.M.I. a été créé par
le gouvernement de Michel Rocard, presque tous les Français ont
considéré qu’il s’agissait d’un revenu
minimum inconditionnel, ce que n’est pas devenu le R.M.I. après,
et cela paraissait le bon sens même à tous les Français,
en quelque sorte l’aboutissement de la Déclaration des
Droits de l’Homme. Fondamentalement, il était clair que
personne ne pouvait être exclu d’un stock de droits minimaux,
à finir par les droits économiques.
Pascale Fourier
: Quel est le rapport de force qui a changé ? Qu’est-ce
qui s’est passé ?
Alain Caillé
: Cela devient extrêmement difficile de l’expliquer. Sauf
à dire qu’il y a eu des méchants qui ont gagné,
ce qui est en partie vrai – mais le problème est que ce
sont des méchants qui pensent qu’ils sont gentils - , il
y a deux ou trois choses qui se sont conjuguées. D’une
part, de toute évidence, l’effondrement du bloc soviétique,
ce bloc qui prétendait incarner le socialisme, autrement dit
l’Autre du capitalisme, cet effondrement, cette auto-liquidation,
cette auto-réfutation a quand même porté un sacré
coup à tout l’imaginaire de gauche. On en voit encore les
conséquences aujourd’hui puisque l’imaginaire de
gauche a quelques difficultés à se recomposer. Il ne se
limitait toutefois pas au marxisme mais le marxisme en était
quand même le ferment le plus aigu. En Europe occidentale, il
y avait des pratiques sociales-démocrates mais au fond pas d’idéologie
sociale-démocrate. C’est donc un autre aspect de la question
: effondrement du bloc soviétique et, avec ce dernier, l’on
s’aperçoit qu’il n’y a pas de souffle dans
la pensée sociale-démocrate. Celle-ci est extrêmement
utile et bénéfique à des tas d’égards
mais disons qu’au minimum, elle ne suscite pas de passion. Il
me semble qu’il est tout à fait important d’être
protégé contre la maladie, contre une certaine forme de
détresse matérielle mais ce n’est pas pour avoir
une protection qu’on se passionne. Ce sont des passions en tout
cas au minimum négatives, non des passions actives. Avec cet
effondrement du marxisme, nous nous sommes donc retrouvés face
à un manque de soutien passionnel à la gauche et au programme
social-démocrate. La troisième composante, tout à
fait importante et souvent tue, est que nous étions sortis des
Trente Glorieuses, autrement dit de trente années de croissance
économique à quasiment 5% en France et qu’à
partir des années 1980, on va tomber à du 1,5 / 2% en
moyenne. Cela change considérablement la donne. C’est comme
les jeux de la chaîne : on cherche toujours un nouveau partenaire
pour la chaîne et à partir du moment où la croissance
se ralentit, toute la promesse sociale-démocratique, tout le
progrès social-démocrate devient de plus en plus difficile
à tenir. Ça, c’est pour le versant négatif.
Il y a un camp qui s’écroule petit à petit idéologiquement,
qui se décompose socialement car la classe ouvrière ne
représente plus le poids qu’elle avait jusque là,
et puis, en face, au contraire, il y a eu une idéologie de droite,
conservatrice, libérale : c’est la contre-révolution
conservatrice néo-libérale qui se recompose avec résurgence
de thèmes qu’on pouvait croire complètement démodés
comme la valorisation à tout crin du libre-marché et qui
se recompose tout d’abord à travers des cénacles
et des cercles académiques telle la Société du
Mont Pèlerin, qui va donner le sommet de Davos et qui, petit
à petit, va trouver des relais que nous connaissons tous, ces
relais politiques que sont Margaret Thatcher ou Ronald Reagan.
Pascale Fourier
: Tout à l’heure vous avez parlé de méchants
qui se croit gentils. Est-ce qu’il y a certaines personnes qui
croient que la mondialisation néo-libérale qui s’est
mis en œuvre finalement est l’œuvre de méchants
et en particulier de multinationales qui s’appuieraient ensuite
sur les gouvernements ou feraient pression dessus ? Est-ce que l’on
peut garder cette optique-là, est-elle pertinente ou n’est-ce
que du méchant ? Y a-t-il un méchant ou est-ce plus complexe
que cela ?
Alain Caillé
: J’ai essayé de suggérer que c’était
un peu plus complexe que cela. Il y a en fait une conjonction de chaînes
de causalité assez variées qui se rencontrent et produisent
un certain effet. De tout temps, les patronats des grandes entreprises
ont préféré avoir des salaires pas trop élevés,
des syndicats pas trop puissants, des Etats pas trop interventionnistes
sauf pour les aider, eux, en cas de besoi,n mais il se trouve que cela
se heurtait à des forces également puissantes et notamment
à la conviction partagée par les populations entières,
souvent keynésiennes et sociales-démocrates, consciemment
ou inconsciemment. Toute l’intelligentsia était dans cet
orbite-là. Il y avait donc du contre-poids. Ce contre-poids disparaît
et, bien évidemment, il y a un bloc de pensées et de pratiques
qui se répand du point de vue de ceux qui les portent au nom
du Bien. Toute la pensée ultra-libérale explique que les
véritables méchants sont ceux qui se croient bons, à
savoir les socialistes, ceux qui cherchent une protection sociale car,
en faisant semblant de protéger les plus faibles, ils freinent
et endommagent la machinerie économique et, au bout du compte,
aboutissent à une situation socio-économique moins bonne
pour leurs protégés que celle qu’ils pourraient
obtenir s’ils suivaient les recettes néo-libérales.
Pascale Fourier
: Vous venez d’employer le mot « machinerie économique
» or, justement, j’ai le sentiment depuis un certain temps
que la recherche de compétitivité internationale est une
sorte de vaste machine infernale à laquelle on ne peut échapper
et qui fait, par exemple, que quelqu’un comme Jospin ne pouvait
peut-être pas faire autre chose que ce qu’il a fait parce
qu’il était contraint d’une certaine façon
par cette recherche-là. Ai-je raison ?
Alain Caillé
: Oui, très certainement, c’est à partir du moment
où cette machinerie se met en place dans la mondialisation économique
que les marges de manœuvres deviennent extraordinairement restreintes,
en tout cas très compliquées et elles enferment tout le
monde, tous les gouvernements, dans une sorte de double contrainte,
de double bind. Du coup, on ne sait pas si le jeu de la mondialisation
économique est bénéfique pour les pays qui sont
pris dedans mais, ce que je sais, c’est que si on essaie d’en
sortir, ce sera catastrophique, en raison de toute une série
de représailles soit volontaire, soit automatique de la part
des marchés, si bien qu’on arrive à ce paradoxe
suivant : cette mondialisation économique sape la souveraineté
économique des Etats mais en même temps, pour essayer d’en
conserver un peu, les Etats sont obligés de jouer le jeu de la
mondialisation. C’est ça le piège infernal dans
lequel nous plonge la mondialisation économique qui fait système
et qui fait qu’on ne peut que surfer avec elle et ne pas l’affronter
directement.
Pascale
Fourier : Qu’est
ce que signifie le mot système ? Est-ce que vous pouvez approfondir
ce mot-là ?
Alain Caillé
: Cette question est vache. Je crois que dans l’idée de
système, il y a simplement cette idée d’interdépendance
généralisée de tous les éléments
qui participent à un même ensemble. Tous les éléments
se renvoient les uns aux autres, ont des effets de rétro-action,
de feed-back et, si bien que si l’on change l’un des éléments
du système, comme sa place est définie par son rôle
dans le système, il y a de toute façon un élément
comparable qui renaîtra à sa place. C’est une forme
du destin finalement. Or au destin, on peut échapper quand même
Pascale Fourier
: C’est assez terrible et je renvoie au n° 20 de la revue
du M.A.U.S.S. intitulé "quelle autre mondialisation ?".
Alain Caillé
: C’est une grosse revue…
Pascale Fourier
: : … mais extrêmement passionnante...
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