Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 22 OCTOBRE

L'Europe: Le Traité Constitutionnel...

Avec Bernard Cassen, directeur général du Monde Diplomatique, professeur émérite à l’Institut d’Etudes Européennes à Paris VIII, Président d'Honneur d'Attac.

 


Pascale Fourier : Et notre invité pour la troisième semaine  est Bernard Cassen, qui est toujours Directeur Général du Monde Diplomatique, Professeur émérite à l’institut d’Etudes Européennes, à l’Université Paris VIII et président d’honneur d’ATTAC.

Alors toujours le traité constitutionnel... Moi ce que je n’arrive pas à bien comprendre, c’est qu'il y a 200, 300 pages dans ce traité, et on veut essayer de me persuader à peu près partout qu’il faut que je vote oui. Quelles pourraient être – évidemment si je vous demande ça à vous, ce n'est peut-être pas la meilleure chose... -, mais quelles pourraient être les raisons pour lesquelles je pourrais voter « oui » ? Quelles sont les raisons que me donnent les autres ?...

Bernard Cassen : Evidement, des raisons pour voter « oui », j’aurais du mal à vous en donner. Je n’en vois strictement aucune. Je crois qu’il vaut mieux que vous interrogiez d’autres gens... Je peux vous donner les arguments que donnent certains partisans du « oui », mais je vais devoir les contester parce que ce sont en général de mauvais arguments...
Alors, si j’étais libéral, là, sans aucun problème, je vote oui. Parce que là, avec cette Constitution, j’ai la garantie que les principes libéraux sont garantis, sanctifiés, sanctuarisés, qu’on ne pourra plus revenir dessus. Donc, pour une partie des électeurs, il n'ya pas de problème. Un libéral doit voter oui! Celui qui n’est pas libéral, qui ne croit pas aux vertus du marché comme seul principe d’organisation de la société, il n’a que des raisons de voter non... Parce que justement les autres vont voter oui et pour de bonnes raisons...

J'’entends un discours du genre : « Il n’y a que des avancées et aucun recul ». On va regarder ça d’un peu plus près. Les avancées, il y en a quelques-unes. Il y a des modifications, et je veux bien dire où sont les avancées : elles sont sur la clarification du jeu institutionnel, pas de problème.

On nous dit : « Regardez, ce texte donne des droits au citoyen, en particulier le droit de pétition qui n’existait pas ». Alors si vous regardez de près l’article qui renvoie à cela, l’article dit la chose suivante –je vous cite de mémoire- : que si 1 000 000 de citoyens européens, -et on ne dit pas d’ailleurs la répartition, est-ce qu’il faut que ce soit sur 10, 12, 25 pays? -, en font la demande, font la demande d’un acte législatif, la commission Européenne peut y donner suite, dès lors que cette proposition entre dans le cadre de la constitution. Première chose d’abord :la commission peut, elle ne doit pas. Si ça ne lui plaît pas, elle ne fait rien. Et comme c’est elle qui a le monopole de la proposition, les choses s’arrêtent là. Deuxième verrou, c’est que ça ne peut se faire que dans le cadre de la constitution, les principes de la constitution. Si par exemple, nous obtenons 10 000 000 de signatures pour la taxe Tobin, on nous dira: « Désolé, il y a l’article X qui dit qu’on n’a pas le droit d’empêcher la totale liberté de circulation des capitaux ou bien il faut l’unanimité ». Donc votre pétition s’arrête là. Donc ça, c’est une avancée qui est une fumisterie complète! C’est la commission ,et elle seule, qui décide si elle donne suite ou pas! Et par ailleurs, ça se situe dans le cadre libéral. Alors, si vous voulez plus de libéralisme à mon avis, et s'il y a 1 000 000 de signature, il n’y a pas de problème, la commission donnera suite! Si on dit par exemple : « On va abolir la durée maximum de travail », il n’y a aucune difficulté: je pense que la commission donnera suite à ça.

Quels sont les autres arguments qui sont avancés... Ah oui: les services publics! J’entends dire ici et là : « Cette constitution pour la première fois reconnaît les services publics ». Absolument pas! Mensonges!! Pour le coup, le traité est en retrait sur le traité d’Amsterdam. Le traité d’Amsterdam considérait que les services publics étaient des valeurs, comme la liberté, l’égalité, la fraternité etc…(non, déjà la fraternité n’y était pas, c’est la devise qu’on trouve au fronton les mairies). Mais le traité, là, ne les reconnaît plus comme des valeurs, il dit : « Les services d’intérêt économique général,-il ne parle pas de services publics- auxquels les Etats attachent de la valeur »... Ca n’a rien à voir! Le mot y est, mais il ne signifie pas la même chose.Ces services publics, dits « services d’intérêt économique général », sont subordonnés aux règles de la concurrence dans le Traité, c’est-à-dire que vous pouvez faire tous les services publics que vous voulez, mais il faut qu’ils soient soumis à la concurrence! C’est-à-dire exactement l’inverse de ce qu’est un service public qui n’est pas là pour concourir ou pour être rentable, mais pour remplir des missions particulières! Et le texte dit : « La loi détermine les services publics » ou quelque chose de ce genre; on ne dit même pas tellement ça n’intéressait personne, on ne dit même pas comment elle va être votée cette loi!! On ne dit pas si c’est à l’unanimité, en co-décision... ils n’y ont même pas songé! Le traité est muet sur ce point capital! Alors je ne sais pas d’ailleurs comment ce sera interprété... On a vu que, même avec le traité d’Amsterdam où les services publics étaient reconnus comme valeur, on a continué à démonter les services publics. Alors là, quand ils ne sont même plus reconnus comme valeur, il n’y a aucune raison de penser que quoi que ce soit va changer! Donc c’est du charlatanisme que de prétendre que les services publics sont reconnus!! Ils l’étaient déjà avant, ils le sont moins qu’ils ne l’étaient auparavant...


Alors, il y a la question centrale : « Si on ne vote pas ce traité, c’est le chaos, la catastrophe ». Je rassure tout le monde, nous vivons déjà dans le traité de Nice, depuis le 1° mai. On nous dit : « On va revenir au traité de Nice ».... Mais on est dans le traité de Nice!! Actuellement vous et moi dans ce studio vivons dans le cadre du traité de Nice et il n’y a pas de catastrophe! Et nous y vivrons au moins jusqu’en 2009... Ce serait donc une sorte de purgatoire avant d’arriver au paradis de la constitution européenne ??... On est dans ce traité, et on ne s’en porte pas plus mal,... ni mieux d’ailleurs. Mais si le traité de constitution est ratifié, elle prendra la suite en 2009 ( et certaines de ses dispositions d’ailleurs ne prendront corps qu’en 2014), donc nous avons pas mal de temps devant nous encore...
Qu’est-ce qui se passe si le traité est refusé? Sur le plan juridique, le traité est refusé il ne se passe rien: les traités antérieurs continuent, la situation dans laquelle nous sommes se poursuit. Il ne se passe rien! Il ne se passe rien sur ce plan-là.... Parce qu’il se passe quelque chose d’autre quand même, il se passe qu’il y a un rejet du traité; et pourquoi serait-il rejeté ce traité ? Eh bien il serait rejeté essentiellement, à mon sens, en raison de son contenu libéral ! Donc il faudrait que les gouvernements, et donc le gouvernement français en particulier, se pose la question : pourquoi ? Et qu' ils remettent en chantier un autre traité, avec tout le temps nécessaire. Il n’y a pas le feu, aucune urgence, puisqu'on a au moins jusqu’en 2009 pour refaire un traité qui soit différent, et qui lui emporte l’adhésion des peuples, ce qui n’est pas le cas pour les politiques actuelles. La construction européenne ne s’arrête pas! Elle est toujours là, les choses continuent comme auparavant! Mais simplement le libéralisme n’est pas constitutionalisé. Et je crois que c’est cela qui gêne en fait. C’est ça le désir secret qu’il y a derrière. Donc il n’y a aucune catastrophe particulière.

Alors on nous dit : « La France va être isolée. » Ce n’est pas si sûr que ça!! On a bien vu que ce qui est isolé, ce sont les politiques libérales qui ne recueillent nulle part l’adhésion des populations. Elles font l’objet de votes sanction partout. On l’a vu aux Européennes! On a dit qu’il y a eu un vote sanction contre tous les gouvernements, de gauche comme de droite. On oublie de dire que ces gouvernements de gauche ou de droite pratiquent la même politique, et que donc ce sont les politiques qui sont sanctionnées, pas le fait que les gouvernements qui les pratiquent se baptisent de gauche ou de droite.

Donc il n’y a aucune catastrophe particulière. Il y a un scénario qu’on n’envisage pas assez, c’est le « Oui. » Qu’est ce qui se passe si le « oui »l’emporte ? Moi je pense qu’il y a un oui catastrophe. C’est là où les catastrophes vont certainement arriver...Alors imaginons: le « oui » l’emporte et donc le traité entre en vigueur; les politiques sont bien verrouillées; vous avez dans plusieurs pays des populations qui votent massivement pour des partis qui veulent changer les choses, qui ne veulent pas ça, qui veulent des politiques non libérales: les gouvernements ne peuvent pas les mener à bien sauf en contradiction avec le traité et donc on entre dans une confrontation entre les désirs des populations et le traité. Et là on a une vraie crise! Une vraie crise entre les gouvernements et la construction européenne! Et cette crise peut se dénouer de plusieurs façons. Elle peut se dénouer : les gouvernements capitulent, ils font comme la constitution leur dit de faire. Ou bien ils capitulent pas: là ils engagent un bras de fer avec les institutions européennes. Si ça ne marche pas, vous avez une révolte des citoyens qui en ont assez! Vous avez vu par exemple la semaine dernière 150 000 personnes à La Haye défilant contre les modifications du régime du chômage. 150 000 néerlandais! C’est beaucoup. On n’avait pas vu ça depuis 20 ou 30 ans...On risque d’avoir partout des manifs très fortes contre les politiques européennes. Et qu’est-ce qui serait perdant là-dedans ? C’est l’idée même d’Europe! Dès lors que l’Europe est associée à la contrainte, au libéralisme, au chômage, à la précarité, à la baisse des revenus, à la délocalisation, comment voulez-vous que cette idée soit populaire ?

Si on veut vraiment sauver l’idée d’Europe, eh bien il faut lui donner un contenu positif. Et ce contenu n’y est pas.

Pascale Fourier : Tout à l’heure vous avez dit : « On pourrait imaginer une Europe qui pourrait être autre chose ».... Et comment ça pourrait être l’Europe qui serait autre chose qu’une Europe libérale ?... Ca, je n'arrive pas à voir...

Bernard Cassen : Une Europe libérale, c’est cette Europe dont le principe fondamental est la concurrence, c’est-à-dire la guerre de chacun contre chacun. Dans la concurrence, il y a toujours un gagnant et un perdant. Or nous vivons dans un monde fini, au sens mathématique du terme, où il ne doit pas y avoir de gagnant et de perdant. On est tous dans le même bateau, et il faut que tout le monde gagne en même temps. Donc une Europe, une Autre Europe que celle dans laquelle nous sommes embarqués depuis 1958, ça signifie une Europe qui est d’abord solidaire en son sein, solidaire avec le reste du monde et tout d’abord avec ses plus proches voisins, et je pense surtout à l’Afrique. Et puis solidaire avec les générations futures également. Donc une Europe écologique.

Ce que je vous dis là, ça figure dans la partie I du traité... Vous avez de longues dissertations sur les valeurs de l’Europe: alors là, vous trouverez tout ce que vous voulez!! Si vous lisez ça, il y a des choses qui sont inacceptables, mais la majorité, c’est très bien! On parle de liberté, de plein emploi etc. Mais ça ne mange pas de pain ça. On peut mettre tout ce qu’on veut dans des valeurs, dans des textes, qui n’ont aucune application directe. En revanche, quand vous regardez la partie III, où là ce sont des politiques décrites une par une, là, tout ça est oublié.
Les préambules, les dissertations sur les valeurs et tout ça, c’est bien! Ca fait bien dans le décor! Mais c’est comme la Constitution française qui donne le droit au travail... on voit bien qu’elle n’est pas appliquée. Donc ce qui compte, ce ne sont pas les envolées, ce sont les textes de loi.
Les textes de lois, j’ai dit tout à l’heure ce que j’en pensais.

Une Europe solidaire ça veut dire d’abord une Europe qui pratique la justice sociale chez elle. Qui ne fait pas de dumping fiscal ou dumping social. Qui élève le niveau de vie des plus démunis, ce qui implique la fin des privilèges des plus favorisés. Il n’y a pas de mystères, il faut répartir la richesse autrement. Il faut que les revenus du capital payent beaucoup plus que les revenus du travail. Donc c’est toute une construction sociale qui non seulement est absente, mais qui est rendue absolument impossible par la Constitution.

Ca veut dire aussi consacrer d’énormes ressources à la solidarité. La solidarité avec le Sud, et comme je le disais tout à l’heure en premier lieu avec nos voisins de l’autre côté de la Méditerranée. Ce n’est pas le libre-échange qui va faire ça, ce sont des investissements massifs dans les infrastructures, dans la santé, dans l’éducation. Et donc la perception de taxes globales, qui par définition toucheront plus les riches que les pauvres etc... Ceci est totalement absent!
Et puis la solidarité envers les générations futures, ça suppose que on ne foute pas en l’air la planète de notre vivant, sans se soucier de ce qu’elle sera dans 50 ou dans 100 ans. Qu’on ne gaspille pas l’énergie comme nous le faisons, par la prolifération cancéreuse des transports, qui représentent à peu près 1/3 des dépensent d’énergie de la planète! Donc ça veut dire revenir sur l’absurdité de ces échanges commerces tous azimuts qui gaspillent l’énergie, qui bousillent les autoroutes, qui provoquent des émissions de gaz toxiques! Il faut tout remettre à plat en quelque sorte. C’est pour ça qu’il est indispensable d’arrêter ça, de se donner le temps de discuter, un an, deux ans, trois ans. Ca le mérite! Pour repartir sur de nouveaux rails! Là on est embarqué sur des rails, et on ne peut pas en sortir: on peut aller plus loin dans la même logique, mais ces rails nous interdisent de changer de logique. Eh bien maintenant on est à un moment d’aiguillage, il faut que ça reparte dans l’autre sens.

Pascale Fourier : Il y en a certains qui me diraient: « Oui, mais c’est très très important de dire « oui », parce que c’est important que l’Europe soit forte, constituée, parce qu’il faut vraiment un ensemble pour contrebalancer les Etats-Unis ». C’etait une pilule qu’on avait essayé de nous faire avaler au moment de Maastricht. C’était vraiment important qu’on dise « oui » parce que, là, on allait enfin constituer quelque chose qui allait vraiment être un contrepoids aux Etats-Unis. Et depuis 2001 on en sent toute la nécessité quand même.... Je pense que c’est ça qu’on me dirait...

Bernard Cassen : C’est une plaisanterie de plus malheureusement!! Tout d’abord, le traité, reprenant en cela les dispositions de Maastricht, rappelle que la politique de défense commune éventuelle, doit être compatible avec les obligations des pays membres de l’OTAN. C’est-à-dire que c’est l’OTAN qui donne le feu vert, à une politique de défense Européenne. Or l’OTAN, ce sont les Etats-Unis. Donc en dernière instance, ce sont les Etats-Unis qui disent oui ou non à telle ou telle politique de défense européenne! Il n’y a pas de défense européenne possible... Parce que pour qu’il y ait une défense, -même s’il n’y avait pas ce verrouillage américain- ... en plus une défense pour défendre quoi ? Quels intérêts ? Il faudrait qu’il y ait une perception d’intérêts stratégiques communs et ce n’est pas le cas. Dans l’Union Européenne actuelle, sur les 25 Etats, je dirais que les 10 nouveaux entrants ont adhéré à l’union Européenne faute de mieux. Je ne sais plus quel ministre a dit que, s’ils avaient pu, ils auraient adhérer aux Etats-Unis directement. L’union Européenne, c’est un pis aller. Les gouvernements de ces pays –je ne parle pas des opinions- les gouvernements de ces pays sont farouchement pro-américains. Ils l’ont montré dans leur soutien à l’agression américaine en Irak. Au sein des 25, il y a trois, quatre, peut-être cinq gouvernements qui voudraient une Europe indépendante: la France, traditionnellement, la Belgique qui suit souvent la France, l’Allemagne depuis peu, et suivant les moments la Grèce ou l’Espagne. Point. Il n’y en a pas un de plus. Pas un de plus! Or même ces pays-là ne peuvent pas travailler ensemble. Parce que le traité prévoit ce que l’on appelle des « coopérations renforcées », c’est-à-dire ce qui permet à des pays qui voudraient aller plus vite ensemble de le faire, mais pour le faire il faut :
-Premièrement : unanimité des pays. C’est à dire qu’il faut que les 25 acceptent que X pays fassent des choses ensemble.
-Deuxièmement : il faut que le parlement Européen donne son accord.
-Et puis troisièmement il faut que ce soit proposé par la Commission.
-Et quatrièmement, c’est dans le traité, il faut 1/3 des Etats!! Il faut qu’il y en ait 9! J’ai fait le compte, il n’y en a pas 9, il y en a 4 ou 5 qui veulent une Europe indépendante.!
Je vais vous donner un exemple caricatural. La semaine dernière, a eu lieu, à La Haye je crois, une réunion des ministres de la justice Européens. Il y en a tout le temps des réunions dans tous les secteurs. Il y avait tous les ministres de la justice des 25 pays, le commissaire Européen, et il y avait un 26eme ministre. Et vous savez qui c’était le ministre, le 26eme ? C’est le ministre de la Justice des Etats-Unis, qui était à la table du conseil des ministres Européens, chez lui, tranquille. Et ce ministre n’est pas n’importe qui, c’est John Ashcroft! C’est de très loin l’individu le plus réactionnaire du gouvernement Bush, qui pourtant a beaucoup amené dans ce domaine. Il siégeait là. Et personne n’a trouvé ça scandaleux. Donc ça vous en dit long sur les velléités de d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, qui sont d’ailleurs très difficiles à mettre en œuvre, tant l’imbrication est forte entre l’économie, les sociétés commerciales américaines et Européennes.

Donc ce traité ne donne aucun moyen d’une Europe indépendante. Absolument pas. Et j’ajouterais, plus l’Europe est grande, moins elle est forte. Parce que quand vous avez 25 Etats, c’est facile d’en trouver un qui dira non. Or toutes ces décisions se prennent à l’unanimité. Il ne peut y avoir d’Europe indépendante que si elle résulte du choix de quelques pays, 3,4 ensemble, de faire autre chose. 25 c’est une vue de l’esprit.

Pascale Fourier: Les Etats-Unis désirent la construction de l’Europe, ou s’opposent à la construction de l’Europe ?

Bernard Cassen : Les attitudes sont ambivalentes. Ca dépend des moments. C’est-à-dire, en principe, oui, les Etats-Unis sont hostiles à la construction d’une Europe forte. Ils l’ont d’ailleurs déjà écrit dans différents textes, sans citer explicitement l’Europe, mais dans un texte de 1992 qui a été écrit par certains des faucons actuellement au pouvoir, ils expliquent –cela s’appelle « papier du Pentagone »- que les Etats-Unis ne toléreront jamais l’émergence d’une puissance rivale, quelle soit économique, ou autre. La première visée, c’est l’Europe. Donc ils craignent l’Europe. Ils craignent une Europe qui soit indépendante. Mais comme ils la craignent, ils font tout pour qu’elle ne le devienne pas. Et c’est ainsi qu’ils ont élargi l’OTAN à tous les nouveaux pays. L’élargissement de l’OTAN a eu lieu avant d’ailleurs l’élargissement de l’Union Européenne. Ils ont assez d’alliés absolument sûrs dans la place pour prévenir toute velléité d’indépendance Européenne.
Alors c’est quelque chose qu’ils craignent, mais ce qui se passe actuellement les rassure... Et Bush a dit un jour à un ministre turc –ça a était publié dans la presse turque, on l’a repris dans le Monde Diplomatique-... Le Turc lui dit : «  Ecoutez, il faut qu’on fasse ci et ça parce que nous voulons rentrer dans l’Europe ». Et Bush dit : « L’Europe ? Mais je croyais que ça n’existait plus, je croyais qu’il y avait trois Europes ». C’est comme un Mauriac qui aimait beaucoup l’Allemagne et qui aimait tellement l’Allemagne qu’il était content qu’il y en ait deux...

Pascale Fourier : Pour en revenir au traité constitutionnel. Il va y avoir un référendum dans tous les pays d’Europe ? Ou c’est singulier, l’attitude française ?

Bernard Cassen : Non, chaque pays a ses modalités d’adoption d’un traité. Ca peut être le parlement, ça peut être le référendum, ça peut-être les deux. Il y a des pays où le referendum est consultatif, c’est le cas de l’Espagne. D’autres où c’est lui qui décide, c’est le cas de l’Irlande, du Danemark, de la France. A l’heure actuelle, il est prévu des référendums dans 11 pays sur 25. Ca peut se modifier d’ici là. Parce qu’il y a des pays où le referendum n’existe pas, mais où une loi peut l’instaurer. Mais onze, ce n'est déjà pas mal ...

Pascale Fourier : Dans l’émission précédente vous nous parliez d’une espèce de dichotomie qu’on voit se dessiner entre d’une part entre les élites politiques et d'autre part le peuple. Est-ce qu’il y a moyen, un jour ou l’autre de réconcilier les deux ? Est ce qu’il y a des perspectives qui pourraient être envisageables ?

Bernard Cassen : Pour réconcilier les deux,je dirais que ce n’est pas au peuple de changer...Encore que ça arrangerait beaucoup de monde. C’est aux élites de changer! C’est aux élites de se tourner vers le peuple et de faire une politique pour le peuple, et non pas pour les privilégiés. Le « peuple » entendu au sens large. Ca incorpore les classes moyennes…Le mot « peuple » d’ailleurs, on l’emploie sous le manteau, en se cachant, on oublie qu’il y a 6 millions d’ouvriers en France, 7 millions d’employés: il n’y a pas que des journalistes, des artistes, des bobos, etc…Il y a aussi ces catégories sociales qui ne se reconnaissent pas dans les politiques publiques et qui ne s’inscrivent pas sur les listes, ou ne votent pas, ou bien votent à l’extrême-droite, parfois une petite partie à l’extrême-gauche. Donc c’est d’abord  l’élaboration d’une politique populaire, et puis je dirais, d’avoir des dirigeants qui se tournent vers les classes populaires. Et pas seulement en France! Il nous manque des responsables qui aient une vision européenne, qui se tournent vers l’ensemble de l’Europe, y compris par-dessus les gouvernements. Il nous faudrait une sorte de De Gaulle aujourd’hui...Alors je sais que cette référence peut faire bondir, elle m’aurait peut-être fait bondir il y a des années, parce que je n’ai jamais voté pour De Gaulle sauf dans les référendums d’indépendance de l’Algérie. Mais, avec le recul, on s’aperçoit que des hommes d’Etat qui ont une vision du futur comme De Gaulle, il n’y en a pas beaucoup en France, je suis même pas sûr qu’il y en ait, tout court. Il y a des visions hexagonales, il y a des visions atlantistes, il y a des visions électoralistes, mais il n’y a pas une grande vision de l’Europe comme acteur de changement du monde, parce que l’Europe est un levier pour le reste du monde! On attend beaucoup de l’Europe à l’extérieur. Si vous allez en Amérique latine, même parfois en Amérique du Nord, en Afrique, il y a des espoirs qui sont fondés sur l’Europe, comme contre poids aux Etats-Unis.
Et malheureusement quand je voyage dans ces pays j’ai le regret de leur dire : « I faut pas compter sur cette Europe-là pour le faire. Mais il faut une Autre Europe ».


Pascale Fourier
 : Je tiens à signaler que vous pouvez trouver des informations sur l’Europe sur le Net; la dernière fois, j’avais cité des sites qui étaient pro-Europe libérale, et donc là je vais en citer d’autres... Vous pouvez toujours aller sur le site d’ATTAC bien sûr : www.attac.org, mais il y a aussi le site de la fondation Copernic (http://www.fondation-copernic.org) sur lequel vous pourrez trouver des documents remarquables d’Yves Salesse en particulier. Je tiens à signaler aussi le site de Michel Husson ( http://hussonet.free.fr/ ) qui est économiste et qui fait une recension d’énormément de textes dans tous les domaines: il y a un certain nombre de textes sur l’Europe qu’il peut être intéressant de lire, mais il y a aussi des choses sur les délocalisations, sur la retraite par répartition, la sécurité sociale... C’est vraiment une somme.
A la semaine prochaine!!

 


 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 22 Octobre 2004 sur AligreFM. Merci d'avance.