Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 8 NOVEMBRE 2005

A propos de son libre "Revive la République"

Avec Denis Collin, Agrégé de philosophie et auteur de "Revive la République", chez Armand Colin.

 

Pascale Fourier  : Des Sous... et des Hommes, une émission de Pascale Fourier, et notre invité aujourd'hui :

Denis Collin :Denis Colin, professeur de philosophie. Je viens de publier : « Revive la république »...


Pascale Fourier : ... aux éditions Armand Colin ... Alors le sous-titre, dit : « Démocratie confisquée , société inégalitaire ,  leur république n'en est plus une ,  la république sociale est notre projet ». Diantre, ça fait froid dans le dos tout ça!...« Démocratie confisquée », vraiment?

Denis Collin : Oui, je crois que il suffit de regarder… Ca peut paraître paradoxal, puisque on n'a jamais autant parlé de la démocratie; elle n'a jamais été autant acceptée, en paroles, mais en pratique, sa réalité devient de plus en plus évanescente... Un exemple très simple, et qui nous touche de près: le 29 mai dernier, 55 % des Français ont voté Non au référendum sur le Traité constitutionnel européen, et au fond, leur vote a été déclaré immédiatement par tous les puissants et les importants « nul et non avenu »… Donc la démocratie, comme pouvoir du peuple, est bafouée.


Et puis, on assiste, en fait, à une lente transformation, de la démocratie en quelque chose qui lui est complètement étranger: c’est ce qui se vend aujourd'hui, sous le nom de « gouvernance » ou comme dirait Mr. Pascal Lamy, l'actuel président de l'O M. C., « le saut technologique de gouvernance »... Et la gouvernance, c'est exactement le contraire du gouvernement. Le gouvernement suppose qu'il y a un rapport entre les gouvernants et les gouvernés, et que les gouvernés peuvent avoir leur mot à dire. La gouvernance, c'est tout autre chose : c'est la gestion par les puissances financières des grands équilibres économiques, indépendamment de toute décision politique, venant surtout des peuples.

Pascale Fourier  :Oui, mais on pourrait vous dire, la gouvernance, c'est très bien, parce que ce sont des gens informés qui vont enfin prendre les décisions... Enfin je pense que c'est cela qui sous-tend leur idée, non ?

Denis Collin : Oui, vieille affaire, de savoir qui a le droit de gouverner... Déjà, Platon disait que la démocratie, c'était le pire des régimes, parce qu' au fond, il comparait ça à un bateau sur lequel les marins avaient pris le pouvoir... Ils avaient ligoté le pilote, et jeté le propriétaire à la mer, et naturellement, quand les marins sont tous seuls, qu’est-ce qu’ils font? … Ils font bombance, ils ne pensent qu'à leur plaisir, et le bateau va à la dérive.... Alors effectivement, si on pense que le gouvernement ne doit appartenir « qu' » aux gens éclairés et instruits, on peut faire une croix définitive sur la démocratie. La question tout de même qu'on peut se poser, c'est de savoir d'abord, instruits de quoi? Et éclairés de quoi? C'est déjà un premier problème. Et puis le deuxième problème, qui est à la base de toute la pensée politique, aussi bien des Grecs que des modernes, c'est que si le gouvernement doit faire prévaloir l'intérêt général, eh bien les mieux à même de connaître quel est leur intérêt, c'est la masse du peuple. C'est pour ça que notre bon Jean-Jacques Rousseau disait que la volonté générale ne saurait errer car personne ne peut agir contre ses propres intérêts… Donc, si le gouvernement, c'est l'expression de la volonté générale, il doit être réellement l'expression de la volonté de la grande masse.

Pascale Fourier  :Dans le livre, vous êtes encore plus horribles que ça, si je puis dire, puisque vous avez presque l'air de dire que l'Europe est une spoliation par nature de la démocratie. J'ai mal compris ?

Denis Collin : Non, pas du tout, non... Oui, l'Europe, c'est un système qui est mis en place pour exproprier politiquement les peuples d'Europe… C'est un système très subtil... En fait, l'Europe, ça n'existe pas! Les gouvernements, les diverses gouvernances se réunissent et décident telle ou telle chose, et globalement, si les gouvernements n'y avaient pas consenti, la plupart des décisions les plus critiquables prises à Bruxelles n'auraient jamais été prises... Le problème, c'est que ça permet de déresponsabiliser le gouvernement et de mettre en place une espèce de machine qui le soustrait à tout contrôle populaire… Les gouvernants reviennent devant leurs parlements, reviennent devant leurs peuples et disent : " On n'y peut rien… C'est bon pour l'Europe, alors évidemment, c'est pas très bon pour nous; c'est bon pour l'Europe, et à long terme, ça sera bon pour nous. Et au fond, eh bien le peuple n'a plus qu'à assister à ces petits jeux, à ces sommets de chefs d'États et de gouvernements, à ces commissions, ces directives, qui n'ont plus aucun rapport avec ce qu'était la vie politique dans son sens noble telle qu'elle avait été pensée en particulier par les pères fondateurs de la République en France.

Pascale Fourier : Mais, là tout de suite, vous nous avez dit : « L'Europe, ça a été inventé pour exproprier les peuples »... C'est un peu exagéré, non ?

Denis Collin : L’invention de l'Europe, c'est quelque chose de compliqué, effectivement, il y a plusieurs dimensions… Pourquoi ?... Ça a sans doute à un moment donné représenté un espoir, parce que, quand ça se met en place, après la seconde guerre mondiale, eh bien c'est bien l’idée qu'en construisant l'Europe, il n'y aurait plus de guerre, plus jamais de guerre, et je crois qu'on ne peut pas du tout passer ça par dessous la table, et l'oublier...


Néanmoins, l'Europe ne s'est pas construite comme ça. Quand elle s’est construite, d'abord elle a été une machine d'endiguement du communisme... Il est clair que c'est la menace soviétique qui soudait l'Europe de l'Ouest dans les années 50... Et puis deuxièmement, elle a été conçue comme une de machine économique, et par exemple, le Traité constitutionnel européen qui fait de la concurrence et libre et non faussée sa vertu cardinale pouvait s'inspirer du Traité de Rome de 1958, dans lequel le principe de la concurrence comme principe suprême est déjà affirmé. Alors la différence, c'est qu' effectivement, en 1958, ce principe restait quand même soumis au pouvoir des Etats, alors que le Traité proposait purement et simplement que ce principe surpasse même le pouvoir des Etats. Mais fondamentalement, la ligne est la même depuis le début de la construction européenne.
Le Marché commun, c’est exactement le contraire d'une construction politique, au sens précis du terme, c'est-à-dire une construction qui repose sur la volonté des peuples… C'est la substitution de la mécanique économique à la décision politique.

Pascale Fourier  :Des Sous...et des Hommes, donc, toujours en compagnie de Denis Collin, qui a écrit « Revive la république » aux éditions Armand Colin... Alors il se trouve que dans votre livre vous disiez que finalement, l’Europe, ça a aussi été un moyen pour les nations, en particulier la France, de se défendre contre une autre nation, l'Allemagne en l'occurrence, afin de marquer sa spécificité, de délimiter son territoire. Est-ce que vous pourriez revenir sur cette idée-là ?

Denis Collin : Oui, c'est-à-dire que l'idée selon laquelle l'Europe dépasserait les nations me semble une utopie, tout simplement. Ce sont des rêveries, des songes creux, parce qu'en réalité, ce qui a permis à l'Europe d’exister, depuis 1945, c'est qu'elle a été un cadre dans lequel chaque nation continuait d'avoir sa propre existence… Et les parties prenantes, notamment, les six du début, ont trouvé, dans le cadre européen, à la fois quelque chose qui permettait de régler leur cohabitation, et puis quelque chose dans lequel ils ont affirmé leur propre spécificité, c'est-à-dire exactement l'inverse du discours dominant actuel.


C'est clair, par exemple, que l'Europe, (et ça a été l’idée, même de François Mitterrand qui était complètement dominé par cette idée-là) , l'Europe était, pour beaucoup de Français, le cadre qui permettait de ligoter la puissance allemande… Parce qu'on avait peur des Allemands depuis plus d'un siècle,... Inversement, les Allemands ont trouvé dans le cadre européen quelque chose qui leur a permis de se refaire une santé, et puis de commencer à exister comme nation de façon un peu différente des souvenirs qui avaient été laissés dans les décennies précédentes. Et je crois que l'on peut étendre ça à presque toutes les nations européennes qui ont accepté l'Europe tant que l'Europe était un cadre qui ne mettait pas en cause leur existence nationale… C'était le cas, par exemple, d'une des nations qui étaient la plus pro-européenne et qui est l'Italie... Il est clair qu'une partie des dirigeants italiens ont considéré que l'Europe était un moyen de maintenir l'unité italienne face aux tendances centrifuges qui se manifestent, notamment à partir de l’ Italie du Nord. Et d’ailleurs, très curieusement, on s'aperçoit en Italie que l'extrême-droite n'est pas nationaliste du tout puisque que la ligue du Nord, la Lega de Bossi, elle, est violemment anti-italienne… Quand on écoute son discours, Bossi déteste l'Italie; il n’aime que la Padanie...


Si on étudie cette réalité complexe, on voit bien que l'idée d'une Europe fédérale qui dépasserait les nations, qui renverrait les nations aux oubliettes de l'Histoire, eh bien c'est une idée absurde, tout simplement... Et comme toutes les idées absurdes, si on cherche à la mettre en application, il y a un moment donné où les réalités historiques vont se manifester… On ne peut pas se débarrasser des peuples et des nations comme ça… Moi, ce qui m'inquiète le plus, dans le cours actuel de la construction européenne, c’est que cette liquidation officielle des nations par les institutions européennes pourrait réanimer les sentiments d'hostilité des peuples les uns à l'égard des autres... On l'a vu dans d'autres cadres, où des constructions multinationales un peu artificielles se sont désagrégées… Ce qui est arrivé à la Yougoslavie, au fond, c'était peut-être une Europe en modèle réduit...

Pascale Fourier  : D'autres pourraient vous dire: " Mais justement, la façon dont vous défendez l’idée de nations, (qui est un terme qui revient plusieurs fois dans le livre), peut concourir au fait de faire naître des antagonismes"… C'est-à-dire, il ne faut pas que je dise, à la limite, que je suis Française, et que j'aime bien mon pays, parce que ça suppose que j'ai alors quelque animosité vis-à-vis...., je ne sais pas,... des Belges par exemple...

Denis Collin : Non, parce que l'idée de nation, je crois que c'est une idée assez simple; c'est une idée très universelle. D’abord, s'il y a bien une idée qui est une invention européenne, c'est l'idée de nation… Et l'Europe, telle que nous la connaissons s’est formée au cours du XIXe siècle, notamment par des grands mouvements nationaux; l’année 1848, a été une de ces pointes de ces grands mouvements nationaux où les peuples d'Europe ont voulu prendre en main leur destin… Et ça, c'est une idée extrêmement moderne: c'est justement à l'opposé de l'idée ancienne d'"empire" qui fédère toute une série de peuples sous un pouvoir commun, incontrôlé... En Europe, chaque peuple a dit:« Chacun doit être maître chez soi ».


Ce qui a mis en danger l'Europe, ce n'est pas l'idée de nation, c’est l’idée que, justement, on voulait unifier l'Europe soit sous la direction d’une nation, soit éventuellement dans toute autre de combinaisons de ce genre… À partir du moment où on reconnaît le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, (qui est une des bases de l’idée moderne politique européenne: c'est quelque chose que l'on trouve, par exemple, chez Kant, dans son Traité de paix perpétuelle)..., si on reconnaît le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, je le reconnais pour moi, mais je le reconnais également pour les autres… Si je reconnais le droit à la nation pour tous, eh bien ça m'oblige à apprendre à vivre avec des voisins…, alors que l'idée d'empire, justement, c'est l’idée que je n'ai pas de voisins, je n'ai pas de limite, je suis tout-puissant... Ce qui a ravagé l'Europe à plusieurs reprises, ce n'est donc pas l'idée de nation, c'est l'idée que l'Europe devait être unifiée sous l'empire, d'abord, de Napoléon Ier, ensuite sous l'empire du Kaiser au moment de la première guerre mondiale… Hitlerétait un fervent partisan de l'Europe! Il avait même un projet d'Europe fédérale dans ses cartons, en 1944, unification de l'Europe sous la conduite des Aryens, ( et pas des Allemands, parce que les nazis, ne sont d'ailleurs pas, des nationalistes allemands, si on regarde les choses plus précisément).


Donc ce n'est pas l'idée de nation en elle-même qui est dangereuse, au contraire. En elle-même, l'idée de nation, c'est l’idée d'apprendre qu'on a des limites, qu'on a des frontières, et qu’au-delà de la frontière, il y a forcément un voisin, il y a forcément un voisin. Alors, les voisins, on peut s'entendre avec eux! Mmoi chez moi, je m'entends avec mon voisin: il arrose mes fleurs quand je ne suis pas là, on peut s'occuper de ses poissons rouges... Le problème, c'est que ce n'est pas à lui de venir me dire quelles fleurs je dois planter et moi, je ne m'occupe pas de la variété de ses poissons rouges... Ça n'empêche pas des relations de bonne entente, et des échanges amicaux.

Pascale Fourier  : Quand vous disiez, tout à l'heure, que l'idée de nation, c'est aussi l'idée d'être maître chez soi... Justement, moi, j'ai un peu l'impression que les instances européennes ont tendance à vouloir justement décider ce que je dois faire chez moi…. Chez moi, il faut que je libéralise EDF, il faut que j'accepte que des travailleurs de pays-tiers, viennent chez moi aux conditions de travail de chez eux comme dans la directive Bolkenstein ….... On privatise EDF, mais probablement aussi il faudra plus ou moins privatiser ou libéraliser la S. N. C. F... Pourtant, toutes ces "grandes instances" on pourrait dire étaient fondatrices pour moi de ce que c'était la France… La France pour moi, peut-être la France depuis 1945, c’est l'instruction publique, les hôpitaux, la retraite enfin tout ce qui est en train de dégager... plus ou moins sous la coupe de l'Europe ?

Denis Collin : Oui, parce que ce qui fait une nation, ce qui fait qu'on se sent maître chez soi, c’est qu’on a une possibilité d'agir sur son propre destin, et qu’on a donc des institutions communes. C'est la différence je crois fondamentale entre les républicains et les libéraux. Les libéraux considèrent que les individus mènent des existences séparées, et que, au fond, leurs seules véritables relations avec les autres, ce sont des relations de concurrence... Les républicains partent au contraire de l'idée qu’il y a une « chose commune », qu’il y a une « chose publique », c'est dans l'étymologie même du mot "respublica"…. Cette chose publique, ça ne doit pas être une chose abstraite: c'est la participation de chacun à des institutions et à une propriété commune dont nous sommes les maîtres, et de ce point de vue, il faut remonter très loin dans l'origine de la République en France. Quand les radicaux, (parce que c'est quand même eux qui sont les inventeurs de cette entité républicaine dans ce pays), quand les radicaux bâtissent, dans les contradictions et la douleur, la IIIe République, ils édifient en même temps une théorie des services publics, et les principaux penseurs du radicalisme (ou les juristes républicains de l'époque) considèrent que cette théorie des services publics est une des clés de voûte de l'idée républicaine parce qu'elle est vraiment ce qui assure la cohésion sociale et ce qui permet que nous partagions quelque chose…, ce qui fait que l'on n'est pas seulement des citoyens libres et des atomes perdus dans le vaste monde de la concurrence, mais que nous sommes aussi égaux, et solidaires ou fraternels, et la fraternité, c'est le troisième des piliers de la république....

Pascale Fourier  : Il y a un petit quelque chose qui m'étonne... Tout à l'heure vous aviez l'air de défendre les services publics... Mais pourtant, quand on écoute les médias, enfin, les autres médias, on a plutôt l'impression que de toutes façons le privé fait mieux, donc que c'est bien qu'on ait tendance à vouloir libéraliser voire privatiser les services publics…, éventuellement peut-être même jusqu'à l'Education Nationale, ou les hôpitaux... Ca peut être bien, parce que c’est plus efficace, et si c'est plus efficace, c'est bien.

Denis Collin : Je crois qu'on peut répondre sur le chapitre efficacité lui-même, et un bon exemple, c'est l'Angleterre, où tout avait été libéralisé à tout-va, et où M. Blair, (sans le dire, mais il a été obligé de le faire), a « renationalisé » toute une partie du chemin de fer, par exemple, ne serait-ce que pour pouvoir le moderniser, parce que le libéralisme a montré son incapacité à avoir des plans à long terme. A partir du moment où le seul intérêt de l'investisseur, (et c'est normal puisque c'est un investisseur), c'est le retour sur investissement, le calcul à long terme, l’idée de planification et de prévoir des investissements sur une période de 30 ans, (ce qui est normal, et même sur beaucoup plus que ça, dans le cadre des grosses infrastructures de transport), c'est quelque chose qu'il est absolument incapable de faire. Si ça rapporte dans les six mois, il garde son argent, sinon, il le retire.


Il y a des contre-exemples, quand on dit que le service public ça ne marche pas bien, le contre-exemple, c'est le service du téléphone en France. Le jour où le gouvernement a décidé de s'y mettre sérieusement, c'est-à-dire le jour où on a considéré que le téléphone, ce n'était plus un luxe pour privilégiés, mais que c'était devenu un impératif stratégique, on a mis de l'argent dans le commerce- en l'occurrence, c'était Giscard, c'est dire si je suis objectif-, on a mis de l’argent dans le commerce, et en 10 ans de temps, le réseau téléphonique français est devenu un des plus performants du monde. Avec une entreprise … (avec une administration d'ailleurs, ce n’était même pas une entreprise), qui marchait à la planification, avec des plans, des objectifs, des résultats, un peu comme le Gosplan, diraient les mauvaises langues, mais un Gosplan qui marchait bien, et qui a reposé sur plusieurs éléments, à la fois la capacité de prévoir à long terme, de fournir des objectifs mobilisateurs aux employés, une forte culture technique, la formation professionnelle, et puis un objectif dans lequel chacun, chaque salarié, pouvait non seulement identifier quelque chose qui était utile à lui-même, à son entreprise, mais qui était utile à la nation tout entière. Et je crois que cette idée, « on est utile à la nation tout entière », a joué un rôle considérable dans la psychologie des agents de ce qui allait devenir France Telecom au moment de la grande mobilisation pour l'installation d'un véritable réseau téléphonique... Il y a beaucoup d'exemples dans ce genre.


Quant à l'efficacité des libéraux, ça mériterait aussi d'être rappelé... Par exemple le grand chef du libéralisme en France, l'ancien patron du MEDEF, Mr Sellières, gère un fonds commun de placement qui est le résultat de la nationalisation de la sidérurgie De Wendel. De Wendel, entreprise libérale et capitaliste, était en faillite, et quand les libéraux sont en faillite, ils appellent l’Etat au secours! L 'Etat est arrivé au secours, (c’était encore Giscard d'Estaing à l'époque), et c'est Giscard d'Estaing qui a nationalisé la sidérurgie française, (ce n'est pas Mitterrand)... Il a nationalisé la sidérurgie française, grassement, parce que si on avait appliqué les cruelles lois du marché à M. Sellières, Mr Sellières, aujourd’hui pointerait certainement à l'ANPE parce que son entreprise valait zéro franc zéro centime, puisqu'elle était en faillite… Mais avec cette grasse indemnisation que lui a donnée l'État français, Mr Sellières gère un fonds commun de placement de toute sa famille, et donne des leçons de morale à tout le monde!...

Pascale Fourier : Dans les « gros mots » que vous citez, il y a déjà le mot « nation », qui revient souvent, mais dans votre livre, vous utilisez même le mot « nationalisation »!!! Vous préconisez des nationalisations ???!!

Denis Collin : Bien sûr, oui! D'abord, c'est constitutionnel, les nationalisations; alors soit il faut réviser la Constitution, (auquel cas ça va relancer un débat)... en tous les cas, le Préambule de la Constitution, préambule qui date de 1946, et qui est annexé à notre constitution, dit qu'« un certain nombre d'entreprises doivent être nationalisées si, par exemple, elles présentent les caractéristiques d'un monopole de fait ».


Il est évident que l'eau , par exemple, est, par nature, un monopole de fait: vous n'avez pas trois robinets d'eau sur votre évier, avec un robinet Vivendi, un robinet Générale, et puis un robinet je ne sais qui…. et puis chaque matin, je choisis quel robinet j'ouvre, en fonction des conditions du marché... Non, il y a un monopole de fait de l'eau! Donc l’eau devrait être nationalisée...
Pour le téléphone, c'est exactement la même chose! La concurrence dans le système du téléphone est une plaisanterie puisque le tout le monde utilise le même réseau! Simplement, des compagnies privées ont le droit d'utiliser le réseau de France Telecom, (qui est maintenant privé aussi, d’ailleurs, pas interventions de l'État ; et c'est l'Etat qui a obligé France Telecom à ouvrir son réseau aux autres compagnies privées...), parce que personne bien entendu ne va se mettre à construire un réseau téléphonique par compagnie. Ce serait évidemment absurde… on ne va pas construire 4,5,6 réseaux téléphoniques différents. Donc il y a bien un seul réseau, et ce réseau est un monopole de fait . Et si j'applique strictement la Constitution, il devrait être nationalisé.


Et puis les nationalisations concernent également les industries stratégiques. Il y a un certain nombre de domaines dans lesquels l'État, s'il veut avoir un minimum de maîtrise de planification pour l'avenir, et s'il veut mettre en oeuvre, une politique industrielle, doit disposer des moyens. Par exemple, la nationalisation du système bancaire est quelque chose qui me semble impératif, en particulier si on veut, par exemple, aider les petites entreprises et si on veut favoriser le développement du tissu des petites entreprises. Là, il faut du crédit à bon marché; il faut donc une possibilité d'orienter le crédit... Et ça, la recette avait déjà été trouvée en 1945, c'était la nationalisation des banques… Il y en a d'autres aussi, que l'on pourrait classer dans ce domaine: la privatisation de l'industrie de l'armement et de l'aéronautique est quelque chose quand même d'assez étonnant! Quoi qu'on pense de l'industrie d'armement, le fait que l'industrie de l'armement devienne privée et qu'en plus les marchands de canons principaux soient par ailleurs les principaux propriétaires des chaînes de journaux et de grands médias dans ce pays, ça donne au lobby militaro-industriel que dénonçait Eisenhower une certaine couleur dans notre pays en ce moment, et là encore, le problème de la nationalisation reste posé.


On peut finir par un dernier exemple de choses qu'on pourrait nationaliser : il y a beaucoup de patrons qui disent : « On ne peut plus faire notre beurre en France, on va aller planter nos choux ailleurs, du côté de la Chine »... Si leurs entreprises ne peuvent plus faire leurs sous en France, eh bien on les nationalise… Puisqu’ils veulent aller ailleurs, qu'ils aillent ailleurs!! Bon vent...

Pascale Fourier  : C’était Des Sous.. et des Hommes et notre invité était Denis Collin, qui a écrit un livre qui s'appelle « Revive la république », chez Armand Colin, et c’est vivifiant parce qu'il y a plein d'énormes « gros mots », comme tous ceux que vous avez entendus là : « nation, nationalisations, politique industrielle », enfin que des choses qu'on n'entend plus ailleurs… Donc ça vaut vraiment le coup de le lire… je ne peux que vous le conseiller.

Voilà... À la semaine prochaine...

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 8 Novembre 2005 sur AligreFM. Merci d'avance.