Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 23 AVRIL
2002
Autour de la notion de " marché de l’emploi " 1/2
Avec Laurent Cordonnier, Maître de conférences à Lille I, a publié aux éditions Raisons d’agir Pas de pitié pour les gueux. |
Pascale Fourier : Comme d’ordinaire, je lis les journaux, là c’était le supplément économique du " Monde " du mercredi trois avril dernier. 2 Millions 200 mille c’était le chiffre officiel de chômeurs que je pouvais lire, chiffre encore énorme et ce n’était que le chiffre officiel, et là ce que je ne comprenais pas, c’est qu’une partie de l’article de première page portait sur l’accord qu’il y avait parmi les politiques sur le fait que le taux d’activité était trop faible en France. La commission de Bruxelles, me disait-on, épingle la France depuis des années pour la faiblesse de ses taux d’activité, liée à la prolongation des études pour les jeunes et aux pré-retraites pour les seniors. Je n’y comprenais rien : il y avait plus de 2 Millions de chômeurs et on voulait encore que plus de gens soient à la recherche d’un emploi ? J’ai demandé alors à Laurent Cordonnier, maître de conférences à Lille I et auteur du petit livre fameux Pas de pitié pour les gueux publié aux éditions Raisons d’agir de venir m’expliquer cette apparente contradiction. Le rendez-vous était fixé près de chez moi dans un petit jardin d’un bar du 14e. Le lieu, calme, devait être propice à un enregistrement. Mais, horreur ! Il y avait là d’honnêtes travailleurs armés de multe marteaux, tant pis le sujet portait sur le travail, les coups de marteaux seraient de circonstances. Je me lançais donc, et
disais à Laurent cordonnier mon étonnement, quand bien
même les 2 Millions de chômeurs voudraient-ils enfin tous
se mettre à travailler alors qu’actuellement ils préfèrent
se tourner les pouces, comme le prétendent certains, il n’y
a pas forcément 2 Millions de postes qui sont prêts à
leur tendre les bras de l’autre côté ? Alors je ne
comprends vraiment pas pourquoi on se plaint du fait que le taux d’activité
est bas en France et pourquoi l’on préconise en conséquence
de mettre ou de remettre au travail les plus de 50 ans et les jeunes. Effectivement le bon sens, qui
n’est pas méprisable, au contraire, serait de dire que
quand il y a déjà 3 Millions de chômeurs, poser
comme un problème l’insuffisance du taux d’activité
de la population, c’est rajouter un problème. Pourquoi l’on en fait un
problème ? Encore une fois c’est bizarre que l’on
en fasse un problème puisqu’il y a déjà pénurie
d’emploi, j’essaie de comprendre, je crois qu’il y
a deux raisons : première raison, c’est que dans quelques
décennies on va être confronté à une augmentation
du ratio des inactifs par rapport aux actifs ce qui est le fond du problème
des retraites, nous dit-on, pour les 20 ou 30 ans qui viennent, et bien
évidemment pour celui qui fait un tout petit peu d’arithmétique
c’est très simple pour que ce ratio ne se dégrade
pas il faudrait que le nombre d’actifs augmente et pour que ce
nombre d’actifs augmente il faudrait que les taux d’activité
augmentent, c’est à dire que finalement l’on ait
moins d’inactifs en haut du ratio et plus d’actifs en bas.
Mais ça c’est de l’arithmétique, ce n’est
pas de l’économie, car maintenant si l’on veut qu’il
y ait plus d’actifs, il faut qu’il y ait des emplois en
face, donc cela ne nous dit pas du tout quelles sont les conditions
qui vont permettre de créer des emplois pour augmenter ces taux
d’activité … Alors pour revenir à nos gens de l’OCDE, qu’est-ce qu’ils voient aussi derrière cette idée ? Et bien là aussi une analyse complètement délirante, c’est que pendant les trois dernières années précédant celle qui vient de s’écouler, la croissance économique a été relativement forte, et on a fait valoir que dans certains secteurs, il y avait des pénuries de main-d’œuvre, alors même qu’il restait un nombre de personnes au chômage assez important. Et l’idée c’est que nous étions finalement déjà presque au plein emploi et que la croissance venait buter sur le plein emploi, et que ce que nous allions connaître dans les années qui viennent c’est , comme on dit en économie, une crise d’offres et non pas un problème de demandes, que finalement le problème de demandes était réglé mais que c’est l’ensemble des ressources que l’on peut mettre dans la production qui allait manquer, travail ou capital, et pour le coup là c’est du travail. Avec 9% de chômeurs, on était déjà pratiquement au plein emploi et si la croissance devait être poursuivie, il faudrait remettre sur le marché du travail, des gens qui sont dans le système des inactifs. C’est un propos complètement délirant parce que ces pénuries de main d’œuvre, et je ne conteste pas que dans certains secteurs elles aient eu lieu, c’est quelque chose de parfaitement normal en temps de reprise économique, il est normal que dans certains secteurs il y ait des tensions, et ces tensions, quand on a un tout petit peu de foi dans le marché, moi j’ai foi dans le marché et les libéraux à mon avis n’ont pas foi dans le marché, quand on a un tout peu de foi dans le marché on dit ça va se régler. Ca va se régler comment ? Ca va se régler : les salaires vont augmenter dans ces secteurs-là, des formations vont se monter pour former des gens qui vont voir que les salaires sont attractifs dans ce secteur, et ces formations " oh ! Miracle ! "Elles déboucheront effectivement sur de l’emploi. C’est quand même ce que l’on demande à certaines formations continues. Alors j’allais dire tout va bien, tout allait bien c’est parfait , c’est une situation dans laquelle il vaut mieux se trouver, et on entendait des cris " Ah ! Tout va mal ! " Donc ces pénuries de main-d’œuvre n’auraient eu qu’un temps et même si elles s’étaient prolongées pendant 5 ou 10 ans, c’est une situation tout à fait normale, le temps que les dispositifs de formation, les salaires, les réorientations des stratégies des gens voire aussi des entrepreneurs, qui doivent s’habituer à payer dans certains secteurs les gens un petit peu mieux. La restauration avait des problèmes de recrutement, oui mais quand vous recrutez quelqu’un au SMIC pour travailler 48 heures par semaine, et qu’il doit faire 20 km avec sa mobylette pour venir jusqu’au bord de mer au moment où tous les autres sont en période de loisir, il est peut-être normal de ne pas le payer au SMIC, bon mais le temps que ça traverse un petit peu l’esprit des entrepreneurs qui se sont habitués à 15 ans de période de chômage où l’on trouvait tout sur le marché du travail, voilà, mais c’est une des vertus du marché, c’est des déséquilibres sectoriels et n’importe quel étudiant apprend, et je pense que c’est plutôt bien vu, que c’est ce que le marché sait le mieux traiter, des déséquilibres sectoriels. Il ne sait pas traiter les déséquilibres macro-économiques mais ceux-là il sait les traiter. Donc il était complètement délirant de dire que le problème d’un pays comme la France c’est que ça venait buter sur l’offre et en particulier, un chiffre qu’il est tout de même intéressant à sortir c’est qu’il fallait dire que ce n’est pas du stock de chômeurs qu’allait venir la main-d’œuvre puisqu’il fallait relancer les taux d’activité et donc il y a cette catégorie d’inemployables dont on nous a beaucoup parlée qui sont les gens qui ont soi-disant passé tellement de temps au chômage qu’ils ont complètement déconnectés du marché du travail et que l’on peut presque les passer par perte et profit. Or qu’a-t-on appris de ces 3 années de reprise économique forte ? C’est que le taux de chômage des chômeurs de longue durée, c’est à dire ceux qui sont au chômage depuis plus d’un an, a baissé plus vite que la moyenne des taux de chômage, c’est à dire que les gens dont on aurait dit, dont on disait d’ailleurs il y a encore 2 ou 3 ans que ce serait très difficile pour eux de revenir sur le marché du travail, ils sont revenus plus rapidement que les autres, pas sur le marché du travail mais retour à l’emploi, ils sont revenus plus rapidement que les autres. Donc là il y a quelque chose d’absolument fou, c’est que notre économie a été droguée, les patrons en particulier ont été drogués au chômage, au fait de pouvoir trouver dans la queue ce que l’on voulait, au prix où on voulait et dès que des tensions normales se sont manifestées sur le marché du travail, des tensions qui peuvent durer assez longtemps et qui sont des signes de bonne santé de l’économie, elles ont été interprétées par le patronat bien entendu, mais aussi par les gens bienveillants à gauche, comme en mal en France, ce qui est complètement délirant! Au contraire dans cette période-là, il faut admettre qu’il faut continuer à stimuler la croissance économique, il faut trouver les moyens de la stabiliser, au passage ce que l’on n’a pas fait, on a eu un sursaut de croissance de 3 ans qui est arrivé un peu comme du pain béni (on pourrait en reparler si vous voulez) mais les gouvernements en Europe et même en France n’ont rien fait en particulier pour encadrer cette croissance, lui donner des objectifs, la stabiliser au plan macro-économique. Donc si l’on devait connaître une période de croissance longue, ce qui est tout à fait souhaitable, ce type de situation se reproduirait et il n’y a rien de mal à ça. Citation de Henri Krasucki : "Il
n’y a pas de moyen plus violent de coercition des employeurs et
des gouvernements contre les salariés que le chômage !" En attendant, je ne peux que vous conseiller la lecture de son petit livre bleu, que vous trouverez dans toutes les bonnes librairies, Pas de pitié pour les gueux, sous titre " sur les théories économiques du chômage ". C’est publié aux éditions Raisons d’agir. C’est pas cher, c’était à l’époque 30 Francs, vous ferez la conversion vous-mêmes. C’est un livre qui est à la fois drôle, roboratif, mais aussi documenté, pédagogique, et c’est un véritable bonheur de lire un tel livre d’économie. |
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 23 Avril 2002 sur AligreFM. Merci d'avance. |