Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 24 MAI 2005

Après le référendum : médias et démocratie ...

Avec Jacques Cotta, Journaliste, Instigateur de la pétition "Le "non" censuré dans les médias, ça suffit !"

 

Pascale Fourier : Et notre invité aujourd’hui :

Jacques Cotta : Jacques Cotta, journaliste à France 2, documentariste, et un des investigateurs, un parmi d’autres, de la pétition, avant le référendum : « Le non censuré dans les médias, ça suffit ! »

[Ambiance : soirée élection à Aligre]

A la TV : « Il est 21h… 59 min… et 55sec … voici maintenant notre estimation IPSOS des résultats de ce référendum : les français rejettent… »
[Immenses cris de joie…]

Pascale
Fourier : Ça c’était le bruit qu’on a fait, un certain 29… avril … c’est mai ?

Jacques Cotta : C’est 29 mai… Ce n’est pas si lointain...

Pascale Fourier : Oui, mais on a l’impression justement que ça date de Mathusalem… parce que depuis, c’est assez étonnant, on a l’impression qu’il ne s’est rien passé… rien rien rien.

Jacques Cotta : C’est souvent, en effet, la réaction qu’on a pu avoir, c'est-à-dire que depuis on a même le sentiment qu’il s’est passé le contraire de la réalité. Enfin, on a eu ce sentiment à un certain moment et puis les choses se sont un petit peu réajustées. C'est-à-dire qu’on a le sentiment, tous comptes faits, que si le « oui » l’avait emporté le 29 mai, ça n’aurait pas été très différent: le ton aurait été le même et les réactions auraient été les mêmes, ce qui suscite, je dois dire, -ce qu'on peut voir à travers notamment nous nos messages que l’on peut recevoir sur le site que l’on a créé -, un certain nombre de réactions qui sont assez unanimes. Ce n'est pas bien vécu, quoi ! Les gens ont le sentiment vraiment qu’on leur vole quelque chose ; on voulait leur voler leur décision au départ, et puis ils ont le sentiment qu’on leur vole leur résultat : ça fait deux vols, ça fait beaucoup.

Pascale
Fourier : Et au lendemain, le 30, quand même, on s’est fait traiter de populistes, de xénophobes… Ça a été assez étonnant, non ?

Jacques Cotta : C'est-à-dire, ce qui est étonnant, c’est que ça a commencé avant le 30, bien sûr. Il y a deux choses à mon avis. Il y a d’une part les arguments qui ont été mis en avant - on peut les discuter, les uns et les autres en fonction de nos positions. Et puis il y a la façon dont ces arguments ont été relayés, c'est-à-dire le rôle que les médias ont joué. Et là on est plus spécifiquement dans ce que l’on a pu constesté, dans les responsabilités que l’on a pu prendre, en tant que journaliste, avec des citoyens, et dans ce que l’on a crée dans notre appel, dans notre association.


Sur les arguments eux-mêmes, ça a commencé avant. Moi, je dois dire qu’il y en a un certain nombre qui m’ont quand même terriblement surpris : cette utilisation du « plombier polonais » ! L'explication est toute simple, c'est qu'on crée une Europe, et ’on élargit, et il n’y a pas d’argent supplémentaire, et on explique aux pays qui arrivent : " C’est par le dumping social et fiscal que vous allez vous en sortir"...le « plombier polonais », c’est ça que ça veut dire, c'est-à-dire que tout est tiré vers le bas. Le fait d’avoir entendu dire à partir de cette argumentation qui était simple que tout comptes faits les gens qui l’utilisaient étaient des gens xénophobes, racistes… et puis alors allons-y à partir de là, dans le superlatif, il n’y avait plus de limites ! Je dois dire que ça, ça m’a sidéré. Ce qui m’a sidéré aussi, c’est la façon dont ça a été relayé, notamment dans la presse écrite plus qu’à la télé et la radio d’ailleurs. Il y a eu une série de papiers qui a été absolument incroyables. Moi, j’ai en mémoire par exemple à partir de l’histoire du « plombier polonais » un article du Monde, qui attaquait Fabius -et alors à nouveau peu importe ce qu’on pense des uns des autres, ce n’est pas le débat, c’est la façon dont les arguments sont mis en avant- j’ai en mémoire un article, donc, du quotidien du soir, qui attaquait Fabius et qui en gros expliquait deux choses. Un, à l’époque Fabius avait dit : « Le Pen peut poser de bonnes questions, mais apporte toujours les mauvaises réponses ». Et deux paragraphes plus loin, la conclusion était : « Ce n’est pas étonnant que Le Pen et Fabius soit sur la même position aujourd’hui ». Là, je dois dire, que quand on en est là, il n’y a plus de limites ! C’est très violent  ! On dénature tellement les positions des uns et des autres que c’est terrible.

Pascale Fourier : J’ai peut-être une question un peu bête, mais : les journalistes, normalement, ils ne doivent pas rendre compte de la réalité ?


Jacques Cotta : Si, mais alors là, c’est compliqué parce qu’en fait, la question que vous posez, c’est celle du ressort de ce type de réactions, de ce type d’attitudes ou de ce type d’activités professionnelles. Alors, moi je crois que ça, c’est très compliqué : il y a une vision, qui -moi je vois de l’intérieur- qui est fausse, cette vision selon laquelle une espèce de chape de plomb existerait avec une censure , avec une discipline des consciences, avec une espèce de fonctionnement dictatorial, avec une hiérarchie qui …. Je pense que c’est beaucoup plus compliqué que ça.     Si c’est plus simple, si c’est plus compliqué, on n’en est plus là, je veux dire. On en est au stade en réalité  où l’autocensure joue d’elle-même. Vous savez quand on a dit : « Ce vote du 29 mai, c’est un vote de classes », c’est aussi un vote de castes. Eh bien, je crois que rien n’y échappe, les médias non plus. Et que, assez vite, il y a une espèce de pensée généralisée qui a été une espèce de pensée unique, qui s’est imposée et puis… et puis voilà, et puis la machine s’est emballée elle-même. Et puis , - c’est pour l’ensemble des médias, et puis vous avez un certain nombre de confrères qui sont soit chroniqueurs, soit qu’ils font office -disent-ils- de pédagogues dans ce type de moment, et dont on se rend compte que ce qu’ils ont développé, ça n’avaient rien à voir avec le pluralisme que l’on peut attendre, ni avec l’impartialité qui théoriquement doit être celle du journaliste.

Pascale Fourier : Mais justement : « pluralisme », c’est presque un gros mot là que vous avez sorti ?

Jacques Cotta : Le pluralisme … un gros mot … Disons qu’à l’image de ce qui s’est développé dans les médias sur la question du référendum, oui, ça peut faire office, sinon de gros mot, du moins de pensée incongrue. Mais pourtant qu’est-ce qu’attend le public, si vous voulez ? Moi je ne reproche pas à des gens d’avoir des positions. Ça me semble à peu près normal, qu’il y ait des gens qui aient des positions et qui notamment aient considéré qu’il fallait voter « oui » au référendum. Pourquoi pas, je veux dire ?! C’est à peu près normal, c’est discutable !  Ce que je trouve anormal, c’est que face à cette espèce de machine qui s’est emballée, l’autre voix n’a pas eu droit de cité, ne s’est pas fait entendre. Et alors, non seulement elle ne s’est pas fait entendre, mais dès que des velléités existaient, en gros, tous les arguments ont été mis en avant pour dévaloriser ce point de vue. Et ça c’est terrible, c’est ça qui est très violent.


    Alors les arguments c’est simple, on a fait ressortir tout ceux qui devaient ressortir,  jusqu’à Lionel Jospin qui est venu nous dire que, si on était intelligent, il fallait comprendre, et que si on comprenait, si on était intelligent, on ne pouvait voter que d’une seule façon. En gros, ils nous ont dit, pendant des jours et des jours, qu’il y avait deux possibilités : le « oui » ou le « non », et qu’en réalité, pour les êtres sensés il n’y en avait qu’une, c’était le « oui ». Et ça c’est terrible ! Et vous voyez, le cri que l’on a entendu en introduction de votre émission, moi c’est comme ça que je le comprends entre autre, c'est-à-dire que c’est le cri d’une gigantesque libération. On nous a dit, pendant des mois, pendant des semaines : « Si vous êtes sensés, si vous êtes intelligents, voilà ce qu’il faut voter ». Tout le monde l’a dit. Personne n’a fait exception : dans les grands partis, dans les grands médias, dans ceux que l’on appelle les grands penseurs, bref, tout le monde. Eh bien malgré cela, vous avez des gens qui sont en bas, des gens à qui on a tapé sur la tête –c’est comme ça que ça a été ressenti- , à qui on a tapé sur la tête pendant des semaines, qui ont décidé, eux, malgré cette campagne gigantesque, de dire : « Voilà ce que nous nous pensons ». Ils l’ont dit et ils ont gagné.



Faux éditoriaux écrits par des auditeurs le 29 avant les résultats...  

« Loin des angoisses nationalistes qui le firent frissonner ces derniers jours, le peuple français, une fois encore, a su dans les ultimes instants faire triompher l’avenir. Un avenir plein de promesses, un avenir où, main dans la main avec le plombier polonais, ils combattront pour un monde plus juste. Un avenir, où, au côté des nouveaux entrants, notre pays se battra pour la paix, la prospérité et, n’ayons pas peur, en ce jour historique, de le souhaiter… pour l’amour. »
 
« Malgré l’effort de pédagogie des journalistes, des explications acharnées et réitérées des personnalités éminentes assénées dans les médias depuis plusieurs mois, les français ont majoritairement rejeté ce projet de traité de constitution européenne. Plusieurs explications peuvent être émises. Je retiendrai celle qui me paraît la plus plausible : ce projet, envoyé à chaque électeur, depuis déjà bientôt un mois, n’a pas été compris et les français n’ont pas saisi les avancées sociales et démocratiques qu'il contenait. Serait-ce à dire que les français sont des imbéciles, des peureux ? Je crois surtout que cela traduit de façon criante les manques de notre système éducatif. Le pourcentage d’élèves en difficulté en lecture à l’entrée en sixième va croissant. Heureusement, la loi Fillon a été adoptée et permettra un meilleur niveau de compétences. En attendant, nous continuerons notre travail de pédagogie tout au long des mois qui viennent, pour que ce texte soit compris par tous… lors d’un nouveau référendum. »
 
« Ceux qui ont eut confiance en la démocratie ont été récompensé ce soir. Le travail d’explication de la constitution, inlassable, mené sur le terrain, pour éclairer les français, a rencontré leur désir d’Europe, et a réussi à faire taire leurs peurs. Pourtant, que de mensonges on aura entendu durant cette campagne ? Combien de démagogues auront tenté de jouer sur les angoisses des français, pour attiser leur génie de la guerre civile ? Et quels étranges attelages aura-t-on vu se former pour le « non », ravivant le souvenir des pestes brunes et rouges, que le grand projet européen a su combattre ? Ce soir, l’Europe regardait la France, et la France a été à la hauteur. Pour une fois, elle a su oublier sa propension à la grogne, sa manie des querelles hexagonales, et justifier la confiance des européens. De Madrid à Berlin, de Rome à Copenhague, le « oui » de la France, c’est l’avenir de l’Europe. »
 
« Il est 21h… 59 min… et 55sec … voici maintenant notre estimation IPSOS des résultats de ce référendum : les français rejettent… » [Cris de joie…]
 
 
Pascale Fourier : Les cris, c’était pour la petite répétition, pour rappeler qu’effectivement c’est bien le « non » qui a gagné.  Et juste avant, c’était trois auditeurs qui sont venus à la petite fête qui était organisée à Aligre. C’était quelques instants avant les résultats. Ils ont pris un bout de papier, ils ont fait des éditoriaux, des éditoriaux si le « oui » gagnait ou des éditoriaux si le « non » gagnait. On a été parfois très bon, très proche de la réalité. Et même parfois un ton quand même en dessous, parce que ceux de Colombani en particulier, puis de July, étaient quand même fascinants. Justement, je n’arrive pas bien à comprendre exactement quel est la place d’un éditorialiste ou d’un chroniqueur comme ceux que je peux entendre le matin sur France Inter. Ils sont censés être quoi ? Des journalistes, autre chose ?
 
 Jacques Cotta :  Ce sont  des spécialistes de la question, c'est-à-dire qui ont travaillé, qui ont soit une chronique, soit qui ont en charge de créer des éditoriaux sur le problème donc d’avoir réfléchi, et d’apporter une réflexion. La question qui à mon avis a terriblement heurté et choqué, c’est que ces éditorialistes, - ce qui n’est pas anormal d’ailleurs- , sont éditorialistes engagés, c'est-à-dire qu’ils ont un point de vue et ils le donnent. Ça, ce n’est pas anormal. Ce qui a été considéré comme terriblement choquant, c’est qu’à l’inverse, il n’y avait pas d’éditorialistes qui donnaient un autre point de vue. Donc, c’est le pluralisme qui n’a pas existé dans cette affaire.


    Et c’est ça la véritable question. Moi, si vous voulez, je ne pense pas que la réponse à tout cela soit en gros la réponse de 81, vous savez la vieille formule … chez Elkabach,  : « Ça suffit,  etc. ». Non, ce n’est pas ça le problème. Le problème, ce n’est pas de jeter l’anathème sur x, y ou z. Le problème il n’est pas là. Le problème, c’est de comprendre qu’en temps de fonctionnement, les médias n’ont pas respecté la règle du pluralisme élémentaire: en gros, 55% des français ont considéré qu’ils étaient exclus de l’expression démocratique de ce pays. C’est ça le problème ! Nous, lorsqu’on a réagi, c’est exactement la question qu’on a posée, non pas à travers les médias, mais à travers le Service Public –tout le monde paye sa redevance. Et nous, nous disions dès le départ : « C’est notre outil de travail que nous défendons en réagissant. Si nous acceptons une situation dans laquelle, si le « non » gagne, 55% des français vont considérer qu’ils ont gagné contre les médias et contre les services publics, c’est une catastrophe. » Si on veut tuer le service public, on ne fait pas mieux. Il y a la bourse d’un côté, et il y a la ligne éditoriale de l’autre. Et puis il y a le pluralisme qui est indispensable dans les médias.


    Et, en gros, je pense que la question du référendum, c’est ça que ça pose. Ce n’est pas la première fois. Mais c’est la première fois que c’est aussi visible. Sans doute parce que la réponse était simple, elle était binaire : c’était « oui » ou « non », et que lorsque dans le « oui » ou le « non », le pluralisme n’existe pas, on est dans la propagande immédiatement, et ça se voit. Je pense que c’est ce qui s’est passé le 29 mai.

Pascale Fourier : Mais est-ce les journalistes marquent eux-mêmes un mécontentement, au-delà du cercle qui a pu s’engager auprès de vous ? Est-ce que vous sentez vraiment quelque chose ?

Jacques Cotta : Si vous voulez, je sens… Je sens que c’est compliqué d’abord. Parce que sur nos lieux de travail, ce que l’on ressent, c’est que, oui, il y a des confrères qui viennent nous voir, qui sont assez contents de voir les responsabilités que l’on a pu prendre dans cette affaire, en s’exposant, en se mettant en avant. Pas par souci de notoriété ou quoi que ce soit, mais uniquement parce qu’à un moment donné, soit on dit les choses, soit on se tait, et on baisse la tête. Donc nous, nous étions un certain nombre à dire : « A cette occasion, on va les dire ». Donc nous les avons dites, nous avons fait cet appel. Et il y a des confrères qui viennent nous voir. Alors, qui nous disent soit qu’ils ne sont pas d’accord, pour une raison x, y, ou z, soit qu’ils sont d’accord, soit qu’ils sont d’accord mais qu’ils ne peuvent pas signer, enfin, vous voyez toutes les situations existent. Ceci dit, il y a un début de discussion qui s’engage. Et je crois que c’est ça qui est important parce que, pour nous, le début de la discussion, c’est le début d’un retour sur soi-même, et donc c’est le début d’une réflexion pour que ça ne se reproduise pas.


    Et ça je crois que c’est important. Parce que ce qu’on a vu le 29 mai, c’est liée à une situation qui est celle du référendum. Mais nous savons très bien que nous allons vers des échéances, dans lesquels les médias vont entrer dans une nouvelle tourmente. Il va y avoir les présidentielles. Peut-être d’ailleurs qu’avant les présidentielles, vu le train des événements, il peut y avoir des échéances que l’on ne peut pas prévoir aujourd’hui, mais qui risquent de se produire et de se développer. Nous ne savons pas. Nous ne sommes pas dans n’importe quelle situation. Par exemple, le nouveau gouvernement : Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il venait au ministère de l’intérieur pour un an, histoire de nettoyer, histoire de régler un certain nombre de problèmes, d’en finir avec les officines secrètes qui l’ont critiqué et qui l’ont mis en cause. Et puis dans un an, il se retirera, et il sera candidat pour les présidentielles. Globalement, à mots couverts ou à mots directs, c’est ce qu’il dit. Si vous voulez, quand on en est là, ça veut dire que les médias vont à nouveau être un enjeu. Si les médias sont de nouveau un enjeu, manifestement il va falloir qu’à l’intérieur des médias, et à l’extérieur, il y ait une espèce de réseau, une espèce de capacité de réaction et de vigilance pour qu’à nouveau la démocratie et le pluralisme soient des données qui ne soient pas défaites, mais qui puissent s’imposer.
 
Pascale Fourier : Mais, en même temps, quand on parle de vigilance, quand les simples auditeurs, lecteurs, téléspectateurs veulent réagir comme ils l’ont fait d’ailleurs grandement à propos de ce référendum, immédiatement, il y a des réactions des rédactions… comme celle de France Inter « Mais c’est la liberté du journalisme …». Parfois ça peut aller justement jusqu’à dire qu’il y a une forme de populisme jusque dans le fait de vouloir critiquer les médias. Alors, qu’est-ce qu’on fait dans ce genre de situation ?
 
Jacques Cotta : La liberté du journalisme, il ne s’agit pas de la remettre en question, il ne s’agit pas de la remettre en cause. A aucun moment. Ça c’est clair. Moi, je suis journaliste, documentariste: je verrais assez mal qu’on vienne dans ma salle de montage m’expliquer quelle est la bonne pensée ou la mauvaise. Ça ne peut pas se faire comme ça. Il ne s’agit surtout pas d’essayer de reproduire vis-à-vis d’autres, quelles que soient leurs positions, ce qu’on ne pourrait pas tolérer pour soi-même. Ce n’est pas le problème. La question, c’est: " En gros, le journalisme, c’est quoi ?". C’est constater une situation, essayer de la relater, respecter les faits et leur donner un sens. Mais, donc, il faut aller jusqu’au bout de la chose. Il ne faut pas se cacher derrière des grandes notions idéologiques et abstraites qui sont à mon avis un leurre. Par exemple l’objectivité est une chose, très entre nous, qui n’existe pas : nous ne faisons que retranscrire ce que nous voyons et ce que nous pensons d’événements. Le problème est de savoir si on respecte les événements ou si on les dénature, ça c’est la première chose. Par exemple, lorsque l’on juxtapose la position de Le Pen et la position de Fabius, on ne respecte rien du tout. Certes, il y a des positions données, mais on construit une espèce d’édification idéologique qui a un but propagandiste. On n’est plus dans le journalisme, là. Vous voyez ? Mais si on respecte les événements, et ensuite on leur donne un sens, il n’y a pas de problèmes. La seule question, c’est qu’il faut que le sens qu’on donne prête à discussion, et il faut que cette discussion puisse être menée. C’est cela, ceà quoi  nous n’avons pas assisté, c’est cela qui a posé problème.


Journaliste: « …Dominique Strauss-Kahn, c’est le message du « non », effectivement ?
DSK: - Les conséquences pour le parti socialiste, on les verra un peu plus tard. Il faudrait commencer à s’intéresser peut-être aux conséquences pour l’Europe, aux conséquences pour la France. Pour l’Europe, je crois que tout le monde peut en être d’accord, c’est quand même un coup d’arrêt et non rentrons dans une période d’hiver. Combien de temps ça va durer, je n’en sais rien, mais il y a un coup d’arrêt. »
 
Emmanuelli :« Il faut que le peuple de gauche, par sa force, nous permette de surmonter la sclérose… des appareils.»
 
Cavada: «  … de grandes choses nous sont venus par l’Europe, et qu’il y a un hiatus énorme entre ce qui se fait, à Strasbourg, à Bruxelles, et la façon  dont le ressens la population. Ce hiatus aigu est dû à deux choses. D’abord, c’est vrai que les responsables politiques ont été, de tous temps, modérément européens dans leurs expressions. Et puis, il n’y a pas que ça, la pédagogie d’un système qui fabrique pratiquement 70% de nos lois n’est toujours pas faite. Par conséquent, c’est une interpellation très grave : un, de ce qui se passe à Bruxelles, et de la façon dont c’est reçu dans nos différents pays : on ne peut pas le nier ça, on ne peut pas le nier !
Journaliste: - Mais est-ce qu’on peut évoquer en permanence la pédagogie, Jean Marie Cavada ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose, là, sur le fond, je veux di … ?
Cavada: - Ecoutez, si vous ne trouver que ça n’est pas …» etc.
 
Montebourg: « Je crois que le parti socialiste, comme d’ailleurs un certains nombre d’autres partis de gauche, on fait fausse route après le 21 avril 2002 …»
 
Sarkozy :« Rompre, oui, rompre, avec la pensée unique, et les recettes du passé, qui n’offrent plus ni solutions, ni perspectives. Retrouver en France le goût du débat, et sans doute de la politique. Pour redonner confiance à tous ceux qui l’ont perdue. Voilà, en fait, la première urgence. »
 
Journaliste: « Alors l’intervention du président de la république est annoncée d’un instant à l’autre. En attendant, Arnaud Montebourg, on ne vous a pas entendu, quel est votre sentiment, qu’est-ce que vous allez faire de ce « non », maintenant ?

Montebourg: - Il faut d’abord l’analyser. C’est quand même une gigantesque motion de censure populaire contre l’absence de démocratie en Europe. Est arrivé un nouvel acteur ce soir, en Europe, pas seulement en France, ce sont les citoyens. Ils ont mis un pied dans la porte, ils ont dit : « Nous sommes propriétaires de l’Europe, co-propriétaire de l’Europe. Ils viennent de le dire d’une façon saisissante : participation importante, partout, dans tous les quartiers, dans les endroits où l’on disait : « Ces gens là ne votent plus, ce n’est plus la peine de faire de la politique pour eux. » On l’entendait, ça. Et y compris dans certains de nos partis. Donc nous avons, là, un événement politique majeur : où les citoyens viennent de faire irruption dans le processus de construction européenne… qui ont décidé d’en être les copropriétaires. ..»
 
« Il est 21h… 59 min… et 55sec … voici maintenant notre estimation IPSOS des résultats de ce référendum : les français rejettent… » [Cris de joie…]

 

Jacques Cotta : Moi, je trouve que c’est une boucle assez sympa, votre cri…
 
Pascale Fourier : Là, en l’occurrence, le montage est particulièrement monstrueux. On n’est pas chez Daniel Mermet, on n’a aucun moyen… -c’est un montage ordinateur de Pascale, qui laisse largement à désirer… Mais on ne voulait pas vous priver de tous ces petits mots de Dominique Strauss-Kahn, d’Emmanuelli, Cavada, Montebourg et Sarkozy, que vous avez reconnus, puis le fameux cri de joie effectivement…
 
Jacques Cotta : Oui, c’est pas mal de le faire revenir comme ça… Absolument… La joie collective, c’est toujours agréable.
 
Pascale Fourier : On en a été peut-être un peu spoliée justement ces derniers temps. Alors, non seulement on a été spolié de notre victoire, en tous les cas de l’expression de la victoire du « non », mais en plus de ça, vraiment, j’ai l’impression… Parce que les médias ont quand même senti qu’il y avait une pression qui montait contre eux juste avant le référendum -mais décidément, tout à l’heure, vous n’avez pas vraiment répondu à ma petite question- vraiment, j’ai l’impression qu’ils me disent : « Ma petite chérie, tu n’as absolument pas le droit de nous critiquer », vraiment pas le droit.
 
Jacques Cotta : Si… Tout le problème est de savoir comment les questions sont formulées, à mon avis. Je ne crois pas que les médias soient opposés à la critique. En tout les cas je parle de ce qui fait les médias : je parle des journalistes, je parle des gens qui travaillent, je parle des gens qui essaient de donner un contenu aux choses. Je crois qu’ils sont ouverts, il n’y a aucun problème, qu’ils sont prêts à s’entendre critiqués, et ils sont prêts y compris à en discuter, et à y répondre. Je parle de ceux-là parce que les médias, c’est aussi une oligarchie financière, politique, qui en a la main-mise. Ça a été pendant le référendum l’expression politique d’un clan, et c’est vrai que pour ceux-là la critique est à mon avis plus compliquée. Mais, encore on va y revenir à travers la presse écrite, je voudrais vous en dire un mot.


    Avant de dire un mot là-dessus, je crois… Prenez par exemple le Service Public. Il y a des émissions qui existent, il y a des gens qui sont nommés pour ça, qui sont les médiateurs. Alors, ça peut faire sourire. Mais, non, moi, je connais des gens qui bossent là- dedans. Ce sont des gens qui travaillent très sérieusement. Ce sont des gens qui reçoivent un certain nombre de récriminations, un certain nombre de questions, qui les étudient, qui essaient de les travailler, qui essaient d’y apporter des réponses. Vous me direz : «  C’est limité. » Oui, mais ça existe. C’est déjà le premier point. Et la deuxième chose, vous me direz : « Qu’est-ce que ça change ? » Alors, là, c’est une autre question. C’est sans doute la question peut-être la plus importante. C’est que, effectivement, on a eu le sentiment que les médiateurs ont fait leur boulott, des choses ont été dites à l’antenne, et on a eu le sentiment que ça n’a pas changé grand-chose. Ce qui veut donc dire que la question est sans doutes plus profonde ; elle est plus ancrée. Et la question, je pense, est qu’on est maintenant dans le cadre de la restructuration médiatique, c'est-à-dire que c’est vrai qu’il y a des interactions entre les groupes financiers, qui ont des intérêts particuliers, et qui ont des intérêts très précis, très importants. L’organisation des médias eux-mêmes, leur structuration, là c’est beaucoup plus difficile à faire bouger. D’ailleurs d’un certain point de vue, les journalistes peuvent avoir envie de discuter d’un certain nombre de questions et de se remettre en cause. C’est vrai que la chape, le poids financier qui existe peut, à certains moments, leur interdire, ou les freiner dans ce type de velléités.


    Cela étant, j’ai entendu tout à l’heure vos réactions : il y a Montebourg qui dit une chose, et bon, ce n’est pas faux, mais à la fois, je pense que c’est, si vous voulez une vision assez politique des choses, qui à mon avis les prend à la surface. Quand il dit : « Les français, le 29 mai, ont fait irruption dans le processus de la construction européenne ». Bien sûr, c’est vrai, le vote n’est pas indifférent : il change la donne sur le terrain de la construction européenne. Il me semble que les français, ce n’est pas là-dessus qu’ils ont fait irruption d’abord. Ils ont fait irruption dans les processus de développement démocratique, d’expression dans notre propre pays. Ç’est ça qui me semble important ! Moi j’en reviens à cela, cela me semble absolument fondamental ! C'est-à-dire qu’il y avait un vote légitime, il y avait un vote possible, il y avait un vote intelligent, et les français, comme nous le savons, qui sont obtus, qui sont fermés, qui ne comprennent pas, ils ont dit, après avoir terriblement étudié ce dont il s’agissait, ils ont dit: « Eh bien non, pour nous, c’est « non ». » Ça c’est très important. Ça, c’est une réappropriation démocratique de leur propre vie et de leur propre expression. Pour moi, c’est ça une des grandes leçons de ce référendum : ça a été cette capacité collective à résister à un rouleau compresseur considérable. Parce qu’on parle des médias, mais je ne sais pas, rappelez-vous....:ça a été des affiches 4 par 3, ça a été les livrets propagande dans les lycées, ça a été… on a tout eu. On a tout eu. Ils nous ont tout dit. Ils sont tous montés au créneau. Et les français, eux, ils ont dit, sans effet d’annonce, sans expressionà la hauteur des moyens financiers qui étaient en face, ils ont dit : « C’est non. » Et ils ont été sur le « non » jusqu’au bout. Et ça, ça me semble, vraiment, très important, du point de vue des processus démocratiques, et de ce qui s’est joué le 29 mai.
 
Pascale Fourier : Justement, ce « non », normalement, portait justement un sens. Du moins était porteur d’interrogations : sur l’Europe qu’on veut construire, mais aussi éventuellement sur la place de la nation, de l’Etat, sur le libéralisme… Est-ce que le fait que les médias actuellement –peut-être que ça va changer, on ne sait jamais, on peut toujours espérer...- est-ce que le fait que les médias actuellement.... moi, j’ai l’impression d’une espèce de chape de plomb sur ce « non » qui disparaît peu ou prou. Vous disiez tout à l’heure que le rôle du journaliste, c’était justement d’analyser une situation. Or justement, en passant sous le tapis l’analyse de cette situation, le sens de ce « non », est-ce que ce n’est pas aussi une spoliation de la démocratie -c’est peut-être un peu fort, mais- est-ce que ce n’est pas mettre en cause, prendre un risque avec la démocratie, alors même que, justement, c’est le reproche qui était fait aux partisans du « non » ?
 
Jacques Cotta : Moi, je crois que la question même de démocratie, ça a d’abord été la question centrale du problème européen… si on veut revenir sur l’analyse du vote. Les partisans du non, se sont raconté une histoire un peu. Parce que rappelez vous, beaucoup on dit : « Si on vire la partie III du traité constitutionnel, la I et la II pourquoi pas ?». Il me semble que non, justement. Il me semble que le contenu du vote, ça a était de dire, la I et la II, ça ne marche pas. Pourquoi ça ne marche pas ? Tout le monde l’a compris, et je pense que ça était un des éléments les plus forts : moi j’ai vu un petit peu en travaillant, dans mon boulot, ou bien alors en me baladant, en discutant, bon, comme vous, comme tout le monde, en allant boire un café, dans un troquet, en discutant avec les gens, en faisant, en fait ce que nous faisons dans notre métier, et en le faisant en plus de façon passionnée comme citoyen, dans la période exceptionnelle qu’on a vécu : les gens qu’est-ce qu’ils disaient ? Je pense qu’ils avaient bien compris, ça. Ils disaient qu’en fait l’édifice, la construction européenne qu’on était en train de mettre en place, bafouait un principe élémentaire : c’était leur souveraineté, leur droit à leur pouvoir, leur capacité à décider de leurs propres affaires. Ils avaient compris qu’en fait, c’était une espèce de monstre tentaculaire, qui déniait leurs principes élémentaires démocratiques d’expression et de décision. Et le gros moteur du non, il est là, il n’est pas ailleurs. Alors, c’est intéressant parce que je pense que c’est lié à cette réaction, et à la façon dont les citoyens ont pu ressentir le traitement médiatique de l’affaire. Il y avait une correspondance quasi absolue, quasi parfaite, entre un des aspects qui justifiait le rejet de ce projet constitutionnel du 29 mai, et la façon dont c’était relaté : le traitement dans notre propre pays par nos propres médias. Et je pense que la question de la démocratie a été centrale. Ça a été une question de fond, dans cette histoire. Alors, je pense qu’on l’a retrouvé et c’est dans doute une des questions auxquelles nos concitoyens sont le plus attachés. Et à juste titre, parce que quand même ce n’est pas n’importe quoi, la démocratie, c’est quand même une des valeurs qui nous permet de vivre ensemble. Qui n’est pas secondaire, qui est quand même fondamentale. Et c’est vrai que quand on sent que certains s’amusent et jouent avec… ça ne va pas !Il y a une voix qui s’élève, et ce n’est pas mal : il y a eu 55% des français qui ont dit ce qu’ils en pensaient.
 
Pascale Fourier : C’était donc « Des sous… et des Hommes » en compagnie de Jacques Cotta, qui est journaliste, et qui anime... il va me le dire :
 
Jacques Cotta : Alors c’est un site. C’est tout simple, vous allez sur Internet, vous tapez les www traditionnels : http://www.info-impartial.net/ … Et puis là-dessus, vous trouvez toutes les infos que vous voulez, vous pouvez y écrire, vous pouvez même rejoindre ce réseau qui est en train de se constituer, et en cherchant –il y a un petit formulaire dans un coin, vous le trouverez- Enfin, bref, en avant!!…
 

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 24 Mai 2005 sur AligreFM. Merci d'avance.