Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne


EMISSION DU 15 JANVIER 2002

L'Organisation Mondiale du Commerce (1/2)

Avec Susan Georges, membre du conseil scientifique d'Attac

 

Pascale Fourier : Là, j'avoue, cette émission est partie d'un énervement.
Début novembre s'est réunie au Qatar la conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce ou OMC.
Que s'est-il décidé là-bas ? Mystère, ou presque. Les médias généralistes n'en ont presque rien dit. Ont-ils d'avantage parlé des manifestations qui ont eu lieu dans toutes les grandes villes européennes le samedi 10 novembre à l'appel d'Attac notamment ? Pas plus. Ca fait beaucoup de silence tout ça.

Alors je suis allée voir Suzanne Georges, pour qu'elle nous explique, au moins à nous, ce qu'est l'OMC, ce que décide cette organisation et quelles seront les incidences de ses décisions. Suzanne Georges vous le savez peut-être c'est la vice-présidente du mouvement Attac, mouvement pas franchement favorable à l'OMC. Mais bon, même si on n'est pas d'accord avec Attac, cette émission n'a qu'un but, vous inciter à vous renseigner sur ce qu'est l'OMC et ce qui s'y décide.
Libre à chacun après de se faire une opinion.

Je suis donc allée voir Suzanne Georges chez elle, on a pris le thé autour d'une table qui vous le verrez grinçait un petit peu.
La première question que je lui ai posée c'était de nous rappeler ce qu'était l'OMC.



Susan Georges : l'OMC, ça veut dire « Organisation Mondiale du Commerce ». C'est jeune, ça existe depuis le 1er janvier 95.
C'est une organisation qui suit une autre, qui elle a été créée après la deuxième guerre mondiale et qui s'appelle le GATT, ça veut dire » Accord Général sur les Tarifs et le Commerce. Un tarif , c'est une taxe à la frontière pour rendre plus cher le produit du voisin qui est en concurrence avec les produits nationaux.

Donc le GATT s'occupait de faire baisser ces tarifs, ces taxes à la frontière, avec l'idée que tout le monde devient plus prospère quand il y a un flux libre de biens, et c'est vrai dans une certaine mesure, parce qu’ il faut se rappeler aussi que la deuxième guerre mondiale a été causée en partie par le fait que chacun essayait de vendre ses produits sans laisser les produits d'autrui pénétrer sur son territoire national, ce qui évidemment peut marcher peut-être une fois, deux fois, mais pas quand c'est tous les pays qui le font, et c'était certainement une des causes de la seconde guerre mondiale.

Alors après cette guerre les gens se sont dit : il faut quand même réorganiser le monde, et le GATT avait très bien fait son boulot sur une cinquantaine d'années. Et les tarifs douaniers qui étaient de l'ordre de 40%, 50%, ont été réduits à 4%, 5%. Donc très bien, le GATT a parfaitement fait ce qu'il avait à faire.

Mais vers le milieu des années 80, il y a eu beaucoup d'industries, en particulier aux Etats Unis qui se sont dit : "nous, nous ne sommes pas dans ce jeu là". C'étaient des industries de service : c'étaient les banques, les assurances, les grandes maisons de consulting, de conseil, les grandes maisons d'avocats internationaux etc, et ils se sont dit "on veut, nous aussi, notre accord pour qu'on puisse faire notre expansion dans le monde".
Et à ce moment là, on a commencé, au sein du GATT, donc de cette organisation préexistante, un nouveau cycle (on appelle ça des rounds, du mot anglais pour cycle), on a commencé à discuter de comment on pourrait mettre beaucoup d'autres choses sous ce régime de liberté de commerce.
Alors on s'est dit non seulement les produits industriels avec des taxes à la frontière, mais on va s'occuper à la fois des services on va en parler parce que c'est une énorme catégorie, c 'est au moins 160 différentes catégories, comme dit le grand magazine anglais The Economist un service c'est tout ce que vous pouvez pas laisser tomber sur votre pied, c'est quelque chose d'intangible, mais aussi l'agriculture, mais aussi, cette organisation mondiale du commerce, cette OMC, a commencé à dire on va pas s'occuper seulement des frontières, on va s'occuper aussi de ce que les pays font chez eux, de ce que les gouvernements font à l'intérieur de leurs frontières, est-ce qu'ils mettent aussi des barrières non tarifaires, des barrières qui sont des normes, ou des règlements, ou des lois qui, en fait, excluent les produits, les services d'autres pays.

Et on a mis en place aussi une sorte de tribunal qui s'appelle l'Organe de Règlement des Différends, et quand il y a un litige entre deux pays, c'est ce tribunal qui décide qui a raison et qui a tort. Ses décisions sont contraignantes, on peut les contester, on peut faire appel, mais une fois l'appel fait, eh bien si vous perdez, cet Organe de Règlement des Différends autorise celui qui a gagné à sanctionner vos produits : c'est très contraignant, ça coûte très cher.



Pascale Fourier : C'est ce qui s'est passé avec le roquefort?



Susan Georges : C'est ce qui s'est passé avec le roquefort, exactement ; qu'est-ce qui s'est passé avec le roquefort? c'est un cas très intéressant : La France, et d'autres pays européens avaient dit aux Américains : "nous ne voulons pas importer votre boeuf aux hormones, vous avez du boeuf élevé aux hormones, à notre avis celà peut être nocif pour la santé humaine, et nous n'en voulons pas."
Les Etats Unis ont répondu, et le plus légalement du monde, sous l'OMC, ils ont dit : "mais comment donc, c'est du boeuf comme un autre boeuf, vous ne pouvez pas distinguer le boeuf élevé à l'herbe, ou avec des fourrages ou que sais-je, du boeuf qui reçoit aussi des hormones, et vous n'avez absolument pas apporté la preuve que ça peut être dangereux."
Alors notez bien que c'était pas aux Américains de prouver l'innocuité de leur boeuf, c'était à nous Européens de prouver le contraire.
Bon, ça, ça s'appelle le principe de précaution, et à notre avis c'est vraiment dans le mauvais sens, il faudrait que ce soit à l'exportateur de prouver que son produit est sain! Ok, bon, c'est pas le cas.
Donc l'ORD a dit aux Européens : "effectivement, vous n'avez pas apporté la preuve, et donc en appel, parce que la décision a été confirmée, nous allons autoriser les Etats Unis (et le Canada d'ailleurs), à sanctionner vos produits, à les taxer à hauteur de 116 millions de dollars par an. Et c'est ce qui se fait depuis, et chaque année où on continue à refuser le boeuf chaque année on va payer.
Alors comment on prend cet argent? On ne dit pas à la France ou à l'Allemagne payez 16 millions de dollars et puis basta, non on dit on va taxer vos produits et on va essayer de faire le plus mal possible pour que vous pensiez à rectifier cette histoire.
Alors on a choisi pour la France le roquefort, la moutarde je crois, le foie gras, et puis les Etats Unis peuvent changer ces produits aussi tous les six mois, si ils veulent, et c'est autre chose pour le Danemark, c'est autre chose pour l'Allemagne, c'est les truffes blanches pour l'Italie, enfin bon. C'est parfaitement légal sous le régime de l'OMC.



Pascale Fourier : Tout à l'heure donc nous étions avec Susan Georges et à l'écouter on avait vraiment l'impression que l'OMC "l' organisation mondiale du commerce" c'était vraiment tout à fait tentaculaire, que ça recouvrait vraiment beaucoup de choses, mais je me suis dit , c'est pas bien grave tout ça; finalement la France par la voie de l'Europe n'aura qu'à signer ce qui lui plait et refuser ce avec quoi elle est en désaccord non ? C'est en tout cas ce que j'ai demandé à Susan Georges.



Susan Georges : Alors avec l'OMC quand vous faites partie de cette organisation vous devez signer l'ensemble.
Vous ne pouvez pas dire "moi je veux bien de l'accord sur l'agriculture mais je ne veux pas de celui sur les services" ou "oui j'accepte les différentes catégories mais je ne veux pas être soumis à ce tribunal, à cet Organe de Règlement des Différends"; non vous n'avez pas le droit de faire ça, c'est à prendre ou à laisser, c'est un ensemble.
Alors le plus grand nombre de pays ont voulu en faire partie en disant "il vaut mieux être dedans pour pouvoir influencer ce qui se passe là que d'être dehors". Et c'est comme ça qu'on a assisté récemment à l'entrée de la Chine, qui négociait son entrée depuis de très longues années et devait ouvrir beaucoup de marchés, notamment ils ont eu des bagarres sur les assurances etc, parce que en partie c'est sur le commerce, mais c'est aussi beaucoup sur l'investissement. Ca porte beaucoup sur l'investissement et sur la liberté d'investir et c'est ça qui intéresse les transnationales, et ce sont les transnationales, les très grandes firmes, qui sont les forces motrices derrière l'OMC.
C'est elles qui ont voulu élargir à toutes ces autres catégories les services l'agriculture etc et c'est elles qui continuent en coulisse à dire aux négociateurs des états ce qu'elles désirent et elles l'obtiennent le plus souvent.



Pascale Fourier : Justement, c'est qui les négociateurs?



Susan Georges : Les négociateurs ce sont des fonctionnaires, pour nous, pour l'Europe, c'est Pascal Lamy qui représente les quinze pays de l'Union Européenne.



Pascale Fourier
: Qui a été mandaté par les gouvernements, les députés... ?



Susan Georges : Alors, non, pas par les députés, malheureusement les députés ne sont pour rien dans cette affaire.
Les gouvernements de l'Europe ont des réunions et délèguent des fonctionnaires qui travaillent ensemble dans un comité qui s'appelle le comité 133 (d'après l'article du Traité d'Amsterdam qui traite des affaires commerciales et des négociations internationales) et ces fonctionnaires préparent les décisions qui sont soumises aux ministres du commerce des Quinze qui se rencontrent périodiquement et puis ils disent "OK. Pour certaines choses nous avons un pouvoir de véto Pour l'éducation, la culture et la santé". Heureusement, nous avons pu et c'était une bagarre, nous avons pu sauver la règle de l'unanimité sur ces questions là. Parce que sur beaucoup d'autres questions de négociations commerciales, c'est ce qu'on appelle la majorité qualifiée, c'est un système très compliqué, chaque pays a un nombre de votes selon sa population etc. Et pour avoir la majorité qualifiée, il faut, s'il y a pas vraiment l'ensemble, il faut quatre ou cinq pays selon les cas pour gagner une question sur la majorité qualifiée.
Heureusement il reste encore un peu ce garde-fou, mais autrement Monsieur Lamy qui se dit socialiste est en fait un libéral, tout à fait pour la liberté du commerce dans tous les domaines et comme la plupart des gouvernements européens sont exactement dans le même cas, c'est très difficile de freiner l'avancée de ces négociations dont nous trouvons pour notre part qu'elles vont mettre sérieusement en danger toute une série d'acquis, notamment dans le domaine des services publics, et vont limiter dangereusement la capacité des gouvernements à protéger leurs citoyens sur le plan de la santé, et à protéger l'environnement, parce que les règles de l'OMC mettent réellement les règles du commerce et la liberté du commerce au dessus de tout le reste.
Il n’y a pas de droits de l'homme qui vaillent, il n’y a pas d'accord sur l'environnement qui impose sa loi à l'ORD, à cet Organe de Règlement des Différends. Non. La loi commerciale se fait séparément de tout le reste du droit international. Nous trouvons ça très très dangereux.



Pascale Fourier : J'étais toujours un petit peu inquiète par rapport à tout ce que pouvait me dire Susan Georges, et je lui ai posé une question qui consistait à savoir quel était le pouvoir ou la place que pouvaient prendre les citoyens européens par rapport aux agissements de l'OMC



Susan Georges : les Européens ont accepté beaucoup de choses et il y a assez peu de contrôle des citoyens européens sur ce que fait l'Europe. On a, de temps à autre, la possibilité d'approuver ou non un traité, mais vraiment, ce que fait l'Europe…
Le Parlement européen a très peu de pouvoir, n'a pas l'initiative législative et a seulement le pouvoir de prendre ou de laisser un accord comme ça. Je ne suis pas juriste mais je crois qu'on n'a même pas besoin de l'approbation du Parlement, du moment où les ministres des Quinze ont approuvé.
Alors ce qui est choquant dans cette affaire de l'OMC c'est que les parlements sont très peu informés. Quand on a ratifié l'accord qui donnait naissance à l'OMC, c'était en 94, sous le gouvernement Balladur je crois, le Parlement a eu le texte qui est un immense texte, ça couvre 24 ou 25 accords différents, il y a des milliers de pages d'annexes, 600 pages de texte au moins, serré hein, et puis compliqué ! Et ils ont eu ça un jeudi soir et ils l'ont voté le mardi suivant!
Alors évidemment ils ne savaient pas ce qu'il y avait dedans. Il y a une histoire drôle à ce sujet parce qu'aux Etats Unis, quand les membres du Congrès ont eu le même accord, une organisation avec laquelle nous travaillons a proposé 10000 dollars pour l'oeuvre charitable au choix de tout membre du Congrès qui pouvait jurer sur l'honneur qu'il avait lu l'accord, qu'il pouvait répondre à dix questions simples à ce sujet et puis il aurait les 10000 dollars pour la ligue contre le cancer ou quoi que ce soit.
Personne ne s'est présenté.
Et puis on a remis la date d'approbation de l'accord, alors finalement il y a un sénateur républicain qui s'est présenté, qui avait lu l'accord, qui a répondu aux questions et puis qui a appelé une conférence de presse et qui a dit : "j'ai voté pour tous les accords de libre échange jusqu'ici, et je suis pour le libre échange, mais j'ai lu ce traité et je suis horrifié de ce que j'ai trouvé dedans et je vais voter contre. Alors le vote aux Etats Unis a été plus serré qu'en France ou dans d'autres pays mais c’est quand même passé.
Je crois que la raison en est que les citoyens ont été mal organisés à ce propos, n'étaient pas informés par leurs gouvernements de ce qui se négociait, que ça paraissait très lointain, très technique, très compliqué, et c'est vrai c'est un peu compliqué, faut prendre la peine de comprendre ce qu'il y a dedans de manière à pouvoir vulgariser un petit peu parce que ces textes, je vous assure, ce n'est pas une partie de plaisir de lire ces textes !
Je ne blâme pas les députés parce que, même les commissions idoines ne sont pas informées , ça se passe à un niveau de fonctionnaires qui ne sont pas élus, et on se retrouve devant un accord qui est un accord cadre, qui n'est pas un traité achevé, et qui est une sorte de forum permanent de négociations.
Alors en principe nous sommes là dans un cycle qui ne va jamais prendre fin, et on a décidé à Doha, à cette réunion ministérielle qui est l'instance suprême de l'OMC, c'est tous les deux ans que les ministres se réunissent, et là ils ont décidé que dans deux ans ils vont aussi ajouter les marchés publics, les investissements (ceux qui sont pas déjà couverts), toutes les règles douanières pour qu'on harmonise toutes les politiques commerciales du monde, enfin on va encore ajouter des choses ! Et on va continuer à négocier sur les services et l'idée est que l’on doit toujours aller de l'avant, c'est dans un des articles qui dit tout simplement que c'est un cadre de négociations qui doit aller toujours, je cite, dans le sens d'une libéralisation plus grande.
Alors on ne voit pas la fin de tout ça .L'utopie pour eux ce serait un monde où il n'y aurait aucune barrière sur rien, y compris les activités humaines les plus importantes pour les citoyens, et tout ça doit devenir marchandise !
C'est pour cela que nous sommes vigilants.



Pascale Fourier : tout cela n'est pas très rassurant. Tellement pas rassurant que ça mérite bien une seconde émission non ?
Nous retrouverons donc Susan Georges la semaine prochaine pour évoquer les incidences des décisions de l'OMC sur les services publics notamment.

En attendant, comment trouver des renseignements sur l'OMC ?
En tapant OMC dans votre moteur de recherche, en allant sur le site d'attac wwww.attac.org ou en vous achetant le petit livre très pédagogique et pas cher que Susan Georges a consacré à l'OMC, livre qui s'intitule Remettre l'OMC à sa place et qui est publié aux Editions Mille Et Une Nuits, pas cher : 10F.

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 15 janvier 2002 sur AligreFM. Merci d'avance.