Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 14 MAI 2004

"Réformer", disent-ils.... 1/2

Avec Serge Halimi, Journaliste au Monde Diplomatique, auteur de "Le grand bond en arrière", éditions Fayard.

 

Pascale Fourier : Ces derniers temps, quand j’écoute les informations, je suis vraiment rassurée, parce que Raffarin ne laisse vraiment pas pourrir la situation… Après la réforme de la retraite, il va réformer la Sécurité Sociale : je me sens entre de bonnes mains puisque ça veut dire nécessairement progrès et nouvelles perspectives… Donc on ne peut être que tous d’accord…

Serge Halimi : Bien sûr... On ne peut être que tous d’accord, surtout quand on a intérêt aux résultats escomptés de ces réformes, et ça, on sait à peu près depuis une vingtaine d’années qui y a plutôt intérêt…

Pascale Fourier : Oui, c’est-à-dire ? …Soyons naïfs jusqu’au bout : qui ?

Serge Halimi : C’est-à-dire ceux qui en général lancent les réformes, les présentent comme inévitables, et ceux qui en profitent, qui sont essentiellement les détenteurs d’actifs financiers, en quelque sorte le capital plutôt que le travail.

Pascale Fourier : Mais normalement le mot « réforme », avant, était plutôt porté par des partis de gauche, c’était quelque chose de positif. Et là, le petit peuple, dont je fais partie, a l’impression qu’on donne ce mot-là dans un sens qui n’est sans doute pas en notre faveur…

Serge Halimi : Vous avez raison. Avant, le grand débat qui partageait la gauche, pas seulement européenne, mais aussi dans les autres pays, était le débat entre réforme et révolution ; et la question qui se posait était de savoir si on devait transformer le système capitaliste de manière brutale, le casser, casser l’appareil d’Etat, ou essayer d’intégrer dans ce système capitaliste un certain nombre de transformations qui le rendraient de moins en moins performant et ouvrirait graduellement, en quelque sorte, la place à un autre système qui ne serait pas régi par les lois du marché. Et puis à partir des années – l’histoire remonte évidemment à plus loin – mais pour celle que j’évoque dans ce livre à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, on a eu le sentiment que l’ordre établi, le conservatisme, c’était la politique keynésienne, une politique centriste, social-démocrate, qui s’est installée, qui a occupé le pouvoir, que pratiquaient des partis de droite en même temps que des partis de gauche. Et dans ce contexte-là, la perspective de transformation ou de réforme a été de plus en plus reprise à son compte par des intellectuels ultra-libéraux qui se sont présentés comme ceux qui luttaient contre l’ordre établi, contre la domination, contre l’establishment, pour transformer la société. Et leur désir de transformer la société allait évidemment de pair avec un retour à l’ordre libéral qui existait au XIXème siècle, avant que les mécanismes d’intervention keynésiens ne se mettent en place. Donc on assiste au phénomène à partir de ce moment-là, qui est le phénomène que vous avez évoqué, où l’idée de réforme est de plus en plus confisquée par la droite et a de plus en plus le sens du démantèlement des acquis sociaux, des acquis égalitaires, qui ont été édifiés après la crise des années 30 (pour certains avant, comme la Sécurité Sociale) mais globalement, sur l’ensemble du monde, surtout après la crise des années 30, quand le libéralisme avait fait la preuve de sa nocivité et de son échec, eh bien une fois que ce système centriste, social-démocrate se met en place, 30 ans plus tard, lorsque ce système semble être en crise, ceux qui ont occupé le créneau de la réforme sont dorénavant les ultra-libéraux, qui veulent démanteler ce qui a été mis en place à partir des années 30.

Pascale Fourier : Mais vous avez l’air de dire que le libéralisme ça existait déjà avant ? Pour les petits nouveaux, on a l’impression que c’est quelque chose qui vient d’être inventé !

Serge Halimi : Oui, c’est effectivement une très grave erreur historique, il est évident que le libéralisme existait avant. Il existait, en tous cas il a été mis en place à partir du XVIIIème siècle, et quand vous lisez les textes de Dickens ou les textes de Zola, vous avez tout de même l’image d’une société qui est assez largement régie par les lois du marché, et qui est aussi peu solidaire que possible, où les pauvres meurent de faim, où les ouvriers travaillent du matin jusqu’au soir, où les enfants de 5, 8, 10 ans meurent à l’usine… C’était comme ça que la révolution industrielle s’est faite à peu près partout. Elle a été extraordinairement brutale, extraordinairement sanglante, extraordinairement efficace aussi, mais elle ne s’accommodait pas de tout de mécanismes de redistribution sociale.
Et puis il y a eu la montée du mouvement ouvrier, qui a représenté un défi particulier au système capitaliste, à tel point que le système capitaliste a été obligé de tenir compte de cette puissance du mouvement ouvrier et de concéder à ce mouvement ouvrier un certain nombre d’améliorations, un certain nombre d’avantages : la journée de huit heures, les congés payés, les allocations familiales, le statut de la fonction publique, qui n’ont jamais été concédés de plein gré par le patronat et par les gouvernements de droite, mais qui ont été une espèce d’avantage qu’ils acceptaient d’accorder aux catégories populaires espérant ainsi calmer l’impétuosité de leur contestation et garantir que l’ordre établi se maintiendrait, quitte à accepter un certain nombre d’aménagements, de concessions, qui sont précisément les aménagements et les concessions que les libéraux à partir des années 40-50, ont estimé être de plus en plus coûteux, et de plus en plus facteur de ralentissement économique, d’inefficacité sociale, et qu’ils se sont employés à démanteler à partir des années 70, et en particulier à partir des années 80, avec la victoire de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, qui ensuite s’est étendu à l’échelle du monde occidental.

Pascale Fourier : Donc « réforme », ça pourrait aussi vouloir dire « grand bond en arrière », qui est le titre du livre que vous publiez aux éditions Fayard, justement ?

Serge Halimi : Oui, quand vous examinez en quelque sorte d’où on vient et où on est et où on va, il est évident que l’espace est gigantesque. Mais la réalité de ce grand bond en arrière, c’est qu’il s’est opéré par petits sauts de puce, un peu comme quand vous êtes dans un corridor et qu’à chaque fois derrière vous une porte se ferme, vous ne pouvez plus faire machine arrière, donc vous avancez, une porte s’ouvre, alors vous ne pouvez plus faire machine arrière, et puis vous avancez, et puis vous avancez… et puis au bout de la route, la société à laquelle vous accédez n’a plus rien à voir avec celle que vous avez quittée, mais on a barré les portes de sortie, les portes de recul, on vous a dit : « Il n’y a plus d’alternative, vous êtes obligés d’aller plus loin » et il n’y a plus d’alternative parce que naturellement on a cassé les alternatives, on a déchaîné les forces du marché et on a contraint un nombre croissant de gens à vivre de manière calculatrice, conformément au canon du libéralisme.

Pascale Fourier : Alors la réforme, c’est une sorte de régression graduelle en saut de puce, c’est du moins ce que je comprends… Mais quand même, c’est une nécessité, ces réformes, enfin c’est ce qu’on nous dit dans les médias…

Serge Halimi : Pas seulement les médias, les gouvernants aussi présentent ça comme une suite de progressions logiques. Vous allez d’une étape à l’autre, et l’autre étape conduit à la suivante. Vous voulez, par exemple, qu’EDF s’étende à d’autres pays, et pour s’étendre à d’autres pays, EDF va chercher à racheter des entreprises d’électricité dans d’autres pays, va avoir besoin de davantage de capitaux pour racheter ces entreprises dans d’autres pays, va comprendre que l’Etat n’est pas en mesure de lui procurer les capitaux dont il a besoin, donc va devoir ouvrir son capital à d’autres entreprises, des entreprises privées, et puis évidemment une fois que les entreprises privées seront rentrées dans le capital d’EDF, elles expliqueront que ce qui compte pour elles, ce n’est pas du tout d’accomplir une mission de service public, mais de dégager un profit suffisant pour leurs actionnaires, c’est comme ça que le système fonctionne ; donc vous avez une entreprise publique au départ, et puis très vite vous allez avoir une entreprise publique qui opère comme une entreprise privée, et puis assez logiquement, une entreprise qui est privée. Et c’est une progression logique qui conduit en général une industrie autrefois publique à se transformer en industrie largement privée et financée par des assurances, et la même chose vaut pour des services publics : vous avez des universités gratuites, et puis on vous dit que les universités gratuites, regardez, il y a trop d’étudiants, on n’arrive pas à leur payer des études suffisantes, on leur payerait des études de meilleure qualité si on avait un peu d’argent ! Alors comment on trouve un peu d’argent ? On augmente les droits d’inscription, c’est ce que le gouvernement de Tony Blair vient de faire au Royaume-Uni, où maintenant les droits d’inscription pourront atteindre 3000£, c’est-à-dire 4500€ par an. Et puis on dit : « Mais ça ne suffit pas ! Regardez Harvard ! Ils ont des sommes tellement gigantesques à offrir aux professeurs que les meilleurs professeurs vont à Harvard, donc il faut avoir des moyens comparables à ceux d’Harvard si on veut être concurrentiel dans le nouvel espace mondial ainsi créé, et pour avoir ces sommes-là, les droit d’inscription de suffisent pas, il faut aussi faire appel à l’entreprise, à des partenariats » ; donc vous allez, comme aux Etats-Unis, avoir des chaires qui s’appelleront la chaire « Bank of America » d’économie politique, la chaire « Chevron » de droit social, etc… Et, moyennant ces concessions progressives, vous arriverez à transformer un système de fond en comble. Vous invoquerez la nécessité de partenariats, ce sont les mots à la mode, « partenariat », ça veut dire faire rentrer le privé dans ce qui était le domaine du public, et qui était géré en fonction du service de l’intérêt général. Quand vous faites entrer le privé, évidemment, cet objectif-là ne peut pas être conservé. Vous allez parler de responsabilité, vous allez essayer d’individualiser les tâches ; vous allez vous adresser aux fonctionnaires en leur disant que maintenant, tous les ans, on vous notera, pour voir si vous êtes performants, c’est-à-dire que vous allez les mettre en concurrence les uns contre tous les autres ; vous allez créer des tas de réseaux de service public qui autrefois était détenu par une entreprise qui essayait d’accomplir et d’équilibrer entre les missions d’intérêt général et les missions commerciales, comme la SNCF ou France Télécom, qui faisaient payer davantage les habitants des villes pour leur communication afin de financer les communications ou les bureaux de poste des gens isolés. Vous allez supprimer ce système de péréquation en introduisant la concurrence, et puis une fois que vous aurez introduit la concurrence, les gens commenceront à se demander quel est le meilleur système de forfait – est-ce que c’est Bouygues, est-ce que c’est France Télécom – et parleront de ça, donc fonctionneront eux-mêmes de plus en plus comme des consommateurs, et vous aurez progressivement, à la fois au niveau des structures et puis au niveau des mentalités, introduit un système de références, un univers, qui n’est plus l’univers que nous connaissions dans les années 50-60-70, et qui est de plus en plus l’univers des grands magnats de l’industrie et de la finance, qui, pour arranger les choses, évidemment, ont réussi à mettre la main sur l’ensemble des médias de communication et d’information, lesquels servent à leur tour à diffuser la bonne parole, c’est-à-dire la parole qui est tout à fait conforme aux intérêts de leurs propriétaires.

Pascale Fourier : Mais quand même, on pourrait dire qu’il a quand même des réalités : il y a le trou de la sécu, il y avait les retraites qui allaient très mal, donc il faut « réformer », comme ils disent…

Serge Halimi : Oui, bien sûr. Ca vous avez raison d’insister là-dessus, c’est toujours le point de départ. Le point de départ d’une réforme, qui en entraînera beaucoup d’autres, c’est l’invocation d’une crise gigantesque. C’est toujours la catastrophe, la faillite si on ne fait rien. Alors évidemment, quand on vous dit « la faillite si on ne fait rien », « il n’y aura plus de sécurité sociale », « il n’y aura plus de retraites », et qu’après on vous dit : « bon, il y a la sécurité sociale, mais seulement la moitié », ou « il y a les retraites, mais seulement la moitié », vous poussez presque un soupir de soulagement. On vous a tellement laissé entrevoir une situation de calamité absolue que la demi-calamité qu’on vous propose, et qui est déjà prévue, vous paraît comme une espèce de réconfort. Et il faut voir que ces calamités qu’on nous présente comme calamiteuses sont toujours très largement exagérées, parce que des trous, il y en a aussi dans les entreprises privées, il faut qu’on se souvienne que, par exemple, France Telecom était une entreprise qui n’était pas endettée avant que M. Michel Bon décide de se comporter en manager du privé, d’acquérir à prix d’or des entreprises privées ailleurs pour étendre son domaine, et il nous laisse après une entreprise avec un déficit colossal. Ca, c’est un déficit qui est lié à la gestion, par M. Michel Bon, d’une entreprise publique à la manière d’une entreprise privée. Je n’ai pas besoin de vous dire ce qui s’est passé dans le cas de Enron aux Etats-Unis, ou le déficit est gigantesque de WorldCom, des caisses d’épargne américaines qui ont aussi été gérées comme des privées, où les déficits sont gigantesques, et dans ces cas-là, vous n’entendez jamais les gens vous dire : « Il faut nationaliser ». On ne vous dit pas : « il faut nationaliser France Télécom, on a eu tort de la privatiser en partie, on a eu tort de nommer quelqu’un qui ne croit qu’aux vertus du privé, qui a introduit son entreprise en bourse », « Enron, il faut le nationaliser… » On n’invente jamais ce genre de solutions. Quand il s’agit du public, qui dans l’ensemble se porte bien, surtout en France, les entreprises publiques sont jugées très efficaces, y compris par les pays étrangers. J’étais il y a quelques heures avec un journaliste britannique ; il m’a dit :« On n’arrive pas à comprendre que vous privatisiez des entreprises publiques qui, au Royaume-Uni, sont perçues comme tout à fait efficaces ». EDF, qui produit de ‘électricité plutôt moins cher qu’ailleurs... Pourquoi privatiser EDF ? C’est un choix idéologique, et ce choix idéologique n’aurait pas de sens si au préalable tout une campagne d’intoxication et d’affolement ne s’était déployée sur le thème de « si on continue, on va à la catastrophe ».

Pascale Fourier : Encore une fois, il y a quelque chose que je ne comprends pas ; c’est que, à vous entendre, tout ce que fait le gouvernement est fort vilain, mais ça n’est pas possible que tout un gouvernement, et les Français de surcroît puisse choisir délibérément de mettre à bas tout ce qui faisait les fondements de la société française : la sécu, les retraites, les entreprises publiques… Je n’arrive pas à voir la logique sous-jacente.

Serge Halimi : Il y a plusieurs choses. D’abord, il y a la force d’entraînement international, le poids du modèle américain, qui est présenté et perçu par beaucoup comme le modèle de référence, et le modèle de référence de ce qu’est la modernité. Donc ce modèle de référence de ce qu’est la modernité bouscule le système d’économie mixte que nous connaissons dans les pays occidentaux. Et d’autre part, quand vous dites « le gouvernement », etc… la question qui se pose, ce n’est pas de savoir si cette réforme, ou ces réformes, ou ce grand bond en arrière, ont été une bonne chose pour la France ou pour les Etats-Unis, parce que cette question n’a pas de sens ; quand on dit : « La mondialisation a-t-elle été une bonne chose ou une mauvaise chose ? », la réponse, c ‘est : « Ca dépend pour qui »... Il est évident qu’il y a des catégories sociales qui ont profité de la mondialisation, faute de quoi on ne comprendrait pas cette dynamique. Il y a des catégories sociales qui ont profité de la mondialisation, il y en a d’autres qui ont souffert, et beaucoup souffert de la mondialisation, et les catégories sociales qui ont eu tendance à monopoliser le pouvoir politique et le contrôle des grands partis appartiennent plutôt à celles qui ont profité de la mondialisation qu’à celles qui en ont souffert, ce qui explique l’évolution que nous connaissons. Regardez par exemple ce qui s’est passé à gauche. Les partis de gauche en France, prenons par exemple le parti socialiste, était auparavant le parti du salariat et d’une certain manière la parti de la classe ouvrière, des employés, et, progressivement, c’est de plus en plus devenu un parti de cadres moyens, de cadres supérieurs, à tel point que lors de l’élection des présidentielles, le score de Lionel Jospin au sein des catégories populaires, des ouvriers et des employés, a été absolument calamiteux, -je crois qu’il a obtenu 11% des suffrages chez les ouvriers alors qu’avant c’était quand même l’un des bastions des forces de gauche. En d’autres termes, les alignements sociologiques ont tout à fait épousé les évolutions de politiques des partis de gauche, à tel point que maintenant, au sein du parti socialiste, vous avez d’anciens ministres qui siègent dans des conseils d’administration de multinationales ; vous en avez une à Hachette, vous en avez un autre dans le groupe de Vincent Bolloré, vous en avez un troisième, M. Hubert Védrine, qui vient de faire son arrivée à Louis Vuitton Moet Hennessy, l’entreprise de Bernard Arnaud, qui fait du luxe. Il est évident que quand ces gens-là sont en quelque sorte pénétrés de la nouvelle croyance qui est aussi leur raison sociale quand ils intègrent cette logique du marché, cette logique marchande et de la concurrence, après, lorsqu’ils redeviennent ministres ou lorsqu’il exercent une influence politique, ils ne vont pas être les premiers à mettre en cause un certain nombre de dynamiques dont ils ont été les avocats et les bénéficiaires.

Pascale Fourier : Comment est-il possible que des hommes de gauche puissent penser que la logique de la concurrence peut être quelque chose de bien ?

Serge Halimi : Je crois qu’il y a un discours qui est un discours de l’ouverture, de l’ouverture au monde, de l’ouverture au marché, de l’ouverture à l’international, qui est un discours très fort, un discours libre-échangiste, n’est pas remis en cause, et une fois qu’on ne remet pas en cause ce discours libre-échangiste, tout le reste en découle. Il y a par exemple ce propos de Georges Pompidou, en 1967, c’est-à-dire bien avant qu’on parle de mondialisation,d’Europe, etc… (bon, le traité de Rome avait été signé quelques années plutôt, mais disons que ça n’entrait pas dans le mode de fonctionnement intellectuel des français, et même des décideurs, comme on dit)… donc Georges Pompidou qui tient ce discours aux Française, qui leur dit : « Vous avez pendant 50 ans vécu à l’abri de protections inadmissibles. Pendant 50 ans, vous étiez tranquilles, chacun produisait sa petite affaire sans savoir à quel prix de revient il la vendait avec son petit bénéfice, il y avait de bonnes frontières douanières, il n’y avait aucune concurrence et le client français était traité comme un chien qui était obligé de payer ce qu’on lui demandait ; et puis tout à coup, on va se trouver dans ce qu’on a demandé, c’est-à-dire la liberté de concurrence, et la liberté de concurrence, cela veut dire que ceux qui produisent le mieux et le meilleur marché, gagnent. Il faut dire qu’à partir de ce moment-là, il n’y a plus de repos. Vous me parliez tout à l’heure de craintes, eh bien je vous dirais ceci : nous vivrons , et l’économie française, et les industriels, et les commerçants français, doivent vivre désormais dans la préoccupation permanente. Il s’agit de se dire qu’ils seront toujours menacés par la concurrence, qu’il faut toujours qu’il fasse mieux, qu’il faut toujours qu’ils produisent à meilleur compte, qu’ils vendent de la meilleure marchandise à meilleur prix, et c’est cela la loi de la concurrence et la seule raison d’être du libéralisme. Nous serons donc en risque permanent et le gouvernement en est parfaitement conscient, son rôle n’est certainement pas d’inviter les gens à la paresse en leur créant de nouvelles protections. »
Tout est dit dès 1967 : la concurrence, c’est le risque permanent ; et cet état de risque permanent va conduire les gens à accepter plus volontiers de se dessaisir d’un certain nombre de protections parce qu’on leur dit que sinon, l’ensemble de l’édifice sera menacé.

Pascale Fourier : Eh bien, c’était Serge Halimi, qui je vous le rappelle vient de publier chez Fayard un livre absolument passionnant qui s’appelle Le grand bond en arrière, et qui a comme sous-titre « Comment l’ordre néo-libéral s’est imposé au monde »…Vaste programme… Je ne peux que vous conseiller d’en commencer la lecture avant d’avoir la chance de retrouver Serge Halimi la semaine prochaine…

 

 


 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 14 Mai 2004 sur AligreFM. Merci d'avance.