Pascale
Fourier : Là, le sujet était de taille
: les retraites. 25 minutes de dialogue enregistrées avec Jean-marie
Harribey, 25minutes pour entendre enfin un discours différent
sur ce sujet. C’est que la situation des
retraites allait être catastrophique à très brève
échéance, c’est du moins ce que j’avais compris.
On assisterait à une explosion démographique inverse,
c'est-à-dire que la génération des enfants du baby-boom
arriverait rapidement à la retraite, et il n'y allait pas avoir
assez d'actifs pour financer les retraites : voilà ce que j’avais
compris... Mais est-ce que j’avais bien compris ? C’est
ce que j’allais demander à Jean-Marie Harribey.
Jean-Marie Harribey
: Le problème démographique ne se
résume pas à cela. Ce n'est pas simplement l'arrivée
en âge de la retraite de la génération du baby-boom
née après la guerre, ce sont deux autres phénomènes
en plus de celui-là : d'une part, un ralentissement de la
fécondité dans la plupart des pays anciennement industrialisés
dont la France fait partie, d'autre part, l'allongement de l'espérance
de vie qui est un phénomène indépendant de
la classe nombreuse qui est née après la guerre. Ces trois
phénomènes se conjuguent. Le phénomène baby-boom
est un phénomène purement passager et temporaire. En revanche,
le rétrécissement de la fécondité et le
prolongement de l’espérance de vie sont sans doute beaucoup
plus durables.
Pascale Fourier
: Il y a donc un réel problème ?
Jean-Marie Harribey
: Il y a une transformation démographique indéniable Il
va donc y avoir une question à se poser sur le financement des
futures retraites. Mais, il y a d’autres
phénomènes à considérer en plus de cela.
D’une part, il faut comparer l’évolution de la démographie
avec l’évolution prévisible de l’économie,
pour savoir si nous souffrirons d’une insuffisance de ressources
ou pas. Et ce problème-là est extrêmement
important et, malheureusement, c’est celui qui est le plus souvent
omis dans les débats publics et qui est occulté dans beaucoup
de rapports officiels produits années après années
sur cette question.
Pascale Fourier
: Justement, je ne comprends pas bien le lien entre la santé
économique d’un pays et la possibilité ou pas de
financer les retraites ?
Jean-Marie Harribey
: Prenons un exemple. A la sortie de la guerre, il y avait la population
qui était encore majoritairement installée dans les campagnes.
Un agriculteur à cette époque-là nourrissait jusqu’à
quatre français. Aujourd’hui, il nourrit dix fois plus
de personnes que dans les années 50. Cela signifie que la productivité
du travail agricole a considérablement augmenté, avec
peut- être des conséquences environnementales et écologiques
catastrophiques, avec également des conséquences sociales
catastrophiques à cause de l’exode rural massif et incontrôlé
qui s’est produit. Toujours est-il que la productivité
du travail agricole a compensé bien au-delà la diminution
du nombre d’actif agricole et la diminution de la proportion du
monde agricole par rapport à la population. Donc,
pour savoir si nous souffrirons ou pas d’une insuffisance de ressources
pour nourrir, soigner, éduquer, et transporter tout le monde,
il faut toujours comparer l‘évolution démographique
et l’évolution économique.
Pascale Fourier
: Justement, les prévisions ne sont pas idéales dans ces
domaines aujourd’hui ?
Jean-Marie Harribey
: Alors voyons donc les prévisions des deux cotés. Pour
l’aspect démographique, les prévisions disent que
d’ici 2040, dans 40 ans environ, la proportion d’actifs
pour inactifs, c’est-à-dire les gens qui travaillent ou
qui sont en capacité de travailler, par rapport au nombre d’inactifs,
que ce soient les jeunes ou les personnes âgées, c’est-à-dire
les inactifs aux deux bouts de la pyramide des âges,
ce rapport passerait de 1 actif pour 1.6 inactifs aujourd’hui
à 1 actif pour 2 inactifs. Il va dons y avoir un accroissement
du nombre d’inactifs par rapport aux actifs. Le passage de 1.6
à 2 représente une augmentation de 25%, qui va s’étaler
sur 40 ans. Donc, dans 40 ans, il y aura 25% de plus d’inactifs
par rapport aux actifs qu’il n’y en a aujourd’hui.
Il faut maintenant répondre à la question décisive
de savoir si, dans le même temps, la productivité des actifs
sera suffisante pour compenser cet alourdissement démographique.
Pascale Fourier
: C’est-à-dire qu’il faudrait que les actifs produisent
de plus en plus de richesses ?
Jean-Marie Harribey
: Effectivement, pour ne pas souffrir d’insuffisance
de richesses dans l’avenir, il faudra que les actifs produisent
toujours un petit peu plus pour compenser cette augmentation de la proportion
d’inactifs.
Reprenons donc la prévision démographique. Lorsque l’on
calcule la moyenne annuelle que représente cette augmentation
de 25% de plus sur 40 ans, on obtient un résultat de l’ordre
de 0.56% d’inactifs de plus par rapport au nombre d’actifs,
cela chaque année en moyenne pendant 40 ans. Et la productivité,
l’activité globale de l’économie, donc la
productivité des actifs progresse toujours beaucoup plus que
0.56% par an. Il n’y a pas d’exemple historique dans
le dernier demi-siècle où la productivité n’ait
pas augmenté d’au moins 1.5%, parfois 2% et même
beaucoup plus à certaines époques. Mais dans la phase
actuelle, l’augmentation de la productivité du travail
n’excède pas 1.5 à 2%.
Pascale Fourier
: Est-ce que ce sont les fameux chiffres de la croissance ?
Jean-Marie Harribey
: Non. Ce ne sont pas les chiffres de la croissance.
Ce sont les chiffres de la croissance de la productivité. Les
deux notions sont malgré tout très voisines, mais pas
tout à fait identiques. La première, la croissance que
l’on appelle économique est la croissance du produit intérieur
brut. C’est le fameux PIB qui est la somme de tout ce que l’on
a produit en une année dans une économie donnée.
Alors que la croissance de la productivité, c’est la croissance
de la production économique, le PIB, rapporté au nombre
d’actifs ou au nombre d’heures travaillées. Et c’est
ce dernier rapport, croissance de la production par rapport aux actifs,
qu’il est absolument important d’étudier et de comparer
à l’évolution démographique.
Alors,
il reste une question. Pourquoi diable faut-il toujours comparer ces
deux éléments? Eh bien, parce que, et c'est là
que réside en grande partie le mensonge que l'on trouve dans
la plupart des rapports et des discours officiels, c’est que ce
sont toujours les actifs qui font vivre par leur activité, par
définition, les inactifs, que se soient les jeunes enfants, les
personnes en formation ou les personnes âgées. Donc ce
sont toujours les actifs qui font vivre les inactifs par leur travail
productif, et ceci quel que soit le système.
Le système dit de répartition, qui fonctionne aujourd'hui,
est financé par prélèvements sous forme de cotisations
sociales le plus souvent assises sur les salaires. Ces cotisations sont
alors immédiatement réutilisées pour verser les
pensions et les retraites. L’astuce mensongère de la plupart
des rapports officiels consiste à nous dire que, pour l'autre
système que l'on appelle par capitalisation, il est implicitement
entendu que chacun va cotiser pour sa propre retraite, qu'il se finance
lui-même sa propre retraite en souscrivant à la compagnie
d'assurance de son choix. Or, c’est faux. Car même dans
ce cas là, ce sont les actifs du moment qui financeront la retraite
à laquelle j’ai souscrite aujourd'hui. Autrement dit, si
dans 10 ou 20 ans, quand je serai à la retraite, s’il n’y
a pas d’actifs pour fabriquer le blé qui me nourrira, pour
procurer des sous à mes médecins quand je serai malade,
pour me transporter quand je voudrai voyager ou pour éduquer
mes petits enfants qui iront à l’école, s’il
n’y a pas tous ces actifs à ce moment-là, j’aurai
beau souscrire à tous les plans de retraites mirifiques dans
n’importe quel fonds de pension, s’il n’y a pas cette
activité productive, j’aurai souscrit en blanc, j’aurai
souscrit sur du vent. Et la souscription à un plan de retraites
par capitalisation ne vaut que tant qu’il y a des actifs qui travaillent
Donc, dans les deux systèmes, soit l’actuel que l’on
appelle par répartition , soit son hypothétique remplaçant,
le système par capitalisation, rien ne change à cette
donnée de base. Ce qui explique qu’il faut toujours comparer
l’évolution démographique à l’évolution
de la production et de la productivité. Parce que un système
par capitalisation se trouvera lui aussi confronté au vieillissement
démographique de la même manière qu’un système
par répartition. Il ne faut pas croire que des fonds de pensions
ajoutent un grain de blé de plus pour nous nourrir, un soin de
médecin de plus, une leçon de grammaire de plus dans les
écoles primaires des enfants ou un kilomètre de plus dans
les transports pour ceux qui veulent voyager. Donc, dans les deux cas,
un système de retraite par répartition ou par capitalisation
se trouve confronté à cette réalité objective
qui est l’évolution démographique.
Pascale Fourier
: Il est quand même étonnant que ce que vous me dites n'est
jamais repris dans la réflexion dans les retraites !
Jean-Marie Harribey
: Il est effectivement assez curieux de constater
que le raisonnement de comparer l’évolution démographique
à l’évolution économique n’est pas
repris par la plupart des rapports alors que ce n’est qu’un
raisonnement de base en économie et sur lequel pratiquement tout
le monde serait d’accord.
Alors pourquoi est-il
fait silence sur ce point la plupart du temps ? Je propose l’hypothèse
suivante pour expliquer ce paradoxe, cette curiosité : tous les
experts, tous les porte-paroles des groupes sociaux qui tiennent le haut
du pavé font un pari qui, bien sûr, n’est pas mis sur
la place publique. Ce pari est facilement repérable. Les fameux
gains de productivité dont j’ai dit qu’ils étaient
la clé de la solution du problème de financement des futures
retraites, ils font le pari que ces gains de productivité vont
comme pendant les 25 dernières années continuer d’être
accaparés par les détenteurs de capitaux. Autrement dit,
la répartition inévitable des gains de productivité
qui a prévalu depuis 25 ans parce que l’on a eu des politiques
d’austérité salariale extrêmement forte, parce
que le chômage a laminé la masse salariale proportionnellement
à l’augmentation du PIB, ils font le pari que cette détérioration
de la répartition au détriment du travail et en faveur des
détenteurs de capitaux perdurera. Autrement dit de façon
simple et un peu vulgaire, ils font le pari que les gains de productivité
passeront sous le nez des salariés et des anciens salariés
que sont les retraités. Si tous ou la quasi-totalité des
gains de productivité sont appropriés par les revenus financiers,
c’est-à-dire par les détenteurs de capitaux, il aura
bien alors un problème de financement du système des retraites,
tout comme on va avoir un problème pour financer toutes les dépenses
sociales et toute la protection sociale. Mais ce n’est qu’à
cette condition que le problème de la protection sociale va se
poser. Si les gains de productivité sont beaucoup plus équitablement
répartis qu’ils ne le sont aujourd’hui et qu’ils
ne l’ont été pendant les 20 dernières années,
alors ce problème ne se pose pas. Et donc, si la masse salariale
ne progresse pas au rythme de la productivité, on va avoir un problème
puisque les cotisations sociales sont assises sur cette masse salariale.
Un gonflement des tranches d’âges élevés posera
alors la question de savoir comment financer les retraites. C’est
pour cela que tous les rapports officiels, les projets du patronat et
du MEDEF font une offensive extraordinaire sur cette question là,
en proposant un allongement de la durée de cotisation, la portant
à 40 ans puis à 42.5 ans puis à 45 ans et pourquoi
pas plus encore. Ce projet-là vise à reporter sur une masse
salariale considérée comme intangible dans le temps, en
dépit des gains de productivités, l’alourdissement
démographique. Il y aurait alors plus de personnes inactives à
prendre en compte, cela rétrécirait la portion de gâteau
pour chacun. Mais ce problème ne se posera que si l'on ne résout
pas la question qui se pose. Pour résumer le tout, nous n’avons
pas à faire à une question d’insuffisance de richesse,
mais à une question de répartition de ces richesses.
Pascale Fourier :
Comment se fait-il que les partis de gauche comme celui qui est au pouvoir
ne mettent pas en avant le point que vous soulignez ici ?
Jean-Marie Harribey
: Je crois qu’ils ont fait le choix de faire toujours davantage
de concessions à la sphère financière et par-delà
la sphère financière, qui est un euphémisme, aux
détenteurs de capitaux, c'est-à-dire à ceux qui tirent
sinon la totalité de leur revenu, du moins une bonne partie ou
voire l'essentiel de leur revenu de la détention et du rapport
des capitaux qu'ils ont placés. Malheureusement, le silence qui
est fait, voire les concessions qui sont faites aux dogmes libéraux
prétendant qu'il faudrait introduire une dose de capitalisation,
s'explique par l'absence de volonté gouvernementale d'ancrer une
véritable politique en faveur des couches les plus basses de la
population, aux salariés pour parler simplement.
Peut-être un
dernier point à préciser: on nous
dit qu'il ne faut pas supprimer le système actuel qui fonctionne
par répartition, mais seulement le compléter par un
système par capitalisation. Il faut comprendre que les deux
systèmes ne sont pas compatibles sur le long terme parce
que, si je recherche la meilleure rentabilité pour mon placement,
et c'est ce que tout le monde cherchera également, cela ne pourra
se faire qu'au détriment de l'emploi et des salaires. Car lorsque
la richesse produite augmente de 2 ou 3 % par an dans le meilleur des
cas aujourd'hui, l'ensemble des revenus ne pourront pas croître
simultanément de plus de 2 ou 3%: si le mien augmente de 5 ou
6 % pendant que le revenu global n'augmente que de 3%, le vôtre
augmentera alors moins vite, voire diminuera même si mon augmentation
est trop forte. Tous les revenus ne peuvent pas croître en même
temps d'un taux plus élevé que le taux de croissance globale
de la production. C'est pour cela que le partage équitable des
gains de productivité est extrêmement important.
Pascale Fourier
: On nous dit qu'une solution serait la création de
fonds de pension à la française et ça nous est
même présenté comme la panacée...
Jean-Marie Harribey
: C'est une galéjade! D'abord, cela n'a pas de sens car le capital
n'a plus de nationalité. On nous dit qu'il y a 20 à 30%
du capital des entreprises française qui est détenu par
des investisseurs étrangers. Mais on oublie de vous dire que
la France exporte quatre fois plus de capitaux qu'elle n'en importe.
Donc les investissements à l'étranger d'origine française
sont quatre fois plus importants que les investissements étrangers
qui viennent se placer en France. Ce qui veut dire que les capitalistes
français ont à l'extérieur exactement le même
comportement que celui des capitalistes de l'extérieur à
l'intérieur.
Si nous avions des fonds de pension à la Française, il
faudrait d'abord vérifier que l'on puisse leur attribuer ce qualificatif,
cette identité, ce qui est impossible et illusoire aujourd'hui
avec la mondialisation de l'économie. Mais il faudrait se demander
en plus si ces fonds de pension dits à la française aurait
un comportement plus altruiste que des américains ou de toute
autre nationalité. L'objectif du profit maximal ne doit pas être
accolé à une nationalité. Cet objectif-là
est au cœur du système économique capitaliste qui
gouverne aujourd'hui la quasi-totalité du monde. Cela n'a rien
à voir avec une couleur nationale.
Pascale Fourier
: Il y a encore quelque chose que je ne comprends pas. J'ai toujours
eu l'impression qu'il y avait une sorte de génération
spontanée des sous dans les fonds de pension.Et là, je
ne vois pas le lien qu'il y a entre les fonds de pension qui vont faire
des petits et le fait qu'il y ait des gens qui travaillent ou pas...
Jean-Marie Harribey
: La question touche un point essentiel, effectivement,
parce que l'argent en lui-même n'engendre rien. Je mets
une liasse de billet au milieu d'une pièce. Je ferme à
double tours. Je reviens six mois après. Au mieux, l'argent y
est toujours. Au pire, soit il s'est dévalorisé parce
que entre- temps, les prix auront peut-être un peu augmenté,
donc le pouvoir d'achat de cette liasse de billets est un peu moindre;
au pire vraiment, quelqu'un l'a pris. Mais dans tous les cas, rien de
plus n'a été créé. Je mets une machine que
j'ai achetée avec cette liasse de billet, donc un capital non
plus financier mais au sens physique du terme. Je ferme à double
tours, je reviens six mois après. Rien n'a été
crée non plus. La machine a pris la poussière, elle est
devenue obsolète, elle a perdu une partie de sa propre valeur,
elle n'a rien engendré. S’il y a des richesses de créées,
c'est parce que l'on va mettre la machine en mouvement. Un travail productif
va être effectué grâce à elle. Pareil avec
la liasse de billet qui va servir à acheter un nouvel équipement,
à embaucher des salariés qui vont produire une richesse
nouvelle, sur laquelle effectivement, l'ensemble de la population active
et inactive, salariée ou détentrice du capital va être
rémunérée et va donc vivre. Vous avez posé
la question la plus importante. Le capital ne se valorise que s’il
y a intervention de la force de travail humain. Sans celle-ci, le capital
reste en l'état et perd sa propre valeur au fil du temps.
Pascale Fourier
: Pourquoi choisir alors l'option des fonds de
pension? Qu'est-ce que cela va amener de plus ?
Jean-Marie Harribey
: Nouvelle question très intéressante. Il y a un grand
point commun entre les deux systèmes qui s'opposent pour financer
les retraites, mais il y aussi une différence radicale qui est
la suivante : le système par capitalisation
introduit un ferment d'inégalité beaucoup plus important
que le premier. Parce que ne pourront souscrire aux plans de
retraite par capitalisation que ceux qui disposent de revenus extrêmement
importants ou suffisamment importants aujourd'hui. Donc, les inégalités
d'aujourd'hui non seulement sont perpétuées dans le temps,
mais elles sont également aggravées. Car ceux qui disposent
de revenus faibles ou à la limite très faibles consomment
l'intégralité de leurs modestes revenus et ne peuvent
donc pas épargner pour souscrire à ces plans de capitalisation.
Le point commun, c'est que si moi j'ai des revenus suffisants pour souscrire
un plan de retraite, le capital que je place ne grossira, ne s'accumulera
dans le temps que s’il y a, quelque part dans le monde, quelqu'un
qui travaille. Et ce "quelque part dans le monde" est très
important, car le capital étant maintenant mondialisé,
si nous souscrivons à un plan de retraite ou si nous plaçons
notre épargne dans un organisme financier quelconque (ce que
je dis peut être vrai pour des contrats d'assurance-vie ou pour
l'achat d'actions ou d'obligations en bourse), donc si un placement
est effectué aujourd'hui, le capital va aller se placer à
l'endroit où le gestionnaire de fonds le jugera le plus rentable.
Et rapatriera ensuite les revenus vers leur origine. Et il y a tout
un courant de pensée, dont certains parmi ce courant se réclament
même de la gauche, qui ose nous dire aujourd'hui que les vieux
pays industriels d'aujourd'hui doivent se faire payer les retraites
par les populations du Tiers- Monde qui ont, en général,
une population plus jeune, et qui est payée au lance-pierres.
Pascale Fourier
: Ils vont investir des fonds dans les pays du Tiers-Monde?
Jean-Marie Harribey
: Il y a effectivement aujourd'hui
un discours pour montrer que les habitants des vieux pays industriels
doivent aller placer leur argent dans les pays où la rentabilité
sera plus élevée parce que les salaires y sont bien inférieurs.
Donc, il y a risque non seulement d'aggravation des inégalités
au sein des populations des pays riches, parce qu'il y a malheureusement,
même au sein de ces pays riches, des fractions de la population,
et souvent importantes, encore très pauvres. Mais pire peut-être,
il y a risque d'aggravation des inégalités entre les pays
riches et les pays pauvres, parce que les plus mal lotis de chez nous
sont encore mieux lotis que les plus mal lotis d'ailleurs. Il a donc
là un grave risque de rupture ou d'approfondissement, car elle
existe déjà malheureusement, de la rupture des solidarités
dans le monde.
Pascale Fourier
: On a déjà fait une émission avec Gustave Massiah,
donc on va laisser de coté pour le moment l'aspect pays du Sud,
mais les libéraux pourraient quand même
répondre que cela apporterait des fonds aux pays du Tiers-Monde
leur permettant ainsi d'assurer leur développement ?
Jean-Marie Harribey
: Cela peut effectivement avoir une incidence positive sur le développement
de certains pays, mais il faudra bien là aussi revenir au point
de départ de notre raisonnement: le développement qui
sera accompli dans ces pays-là ne se fera que parce qu'il y aura
une activité productive des habitants de ces pays-là et
non pas simplement par l'intervention ou par l'arrivée de capitaux.
Les capitaux, en reprenant l'image de tout à l'heure des capitaux
que l'on enferme dans une pièce, je peux balader les capitaux
partout dans le monde, s’il n'y a pas un travail productif qui
est effectué à un certain point de cette balade dans le
monde, eh bien le capital ne se valorisera pas.
Donc vouloir financer la protection sociale, et
les retraites en particulier, de nos pays, par des investissements dans
les pays du Tiers-Monde qui ont bien besoin de se développer,
contribue à aggraver les handicaps dont ils souffrent au lieu
de les atténuer. Ils ont déjà un problème
de dette qu'ils n'arrivent pas à rembourser et que nos banques
ne veulent pas voir annuler. Si, en plus, on met en place des processus
financiers qui consistent à rapatrier une partie des revenus
tirés de leur activité productive, les écarts de
développement de niveau de vie ne pourront pas se résorber.
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