Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 9 AOUT
2001
Quelles sont les incidences de la mondialisation financière?,
Avec Esther Jeffers,Professeur
à l'Université Paris-Nord- auteur d'une thèse sur
l’impact des investisseurs institutionnels américains sur
la place financière de Paris. |
Extrait
du journal de France-Inter:
"Jean Pierre Gaillard, bonjour! Une baisse aujourd’hui...."
Esther
Jeffers : C’est
vrai que, depuis la fin des années 1970, le choix a été
fait de favoriser l’intégration des entreprises dans le
système financier international. Les marchés ont connu
depuis un développement spectaculaire. Cette évolution
va profondément changer les conditions de financement. Comme
vous savez, il y a des agents qui ont des besoins de financement, ce
sont surtout les entreprises; il y a des agents qui ont des capacités
de financement, ce sont par exemple les ménages. Donc, ce développement
spectaculaire des marchés financiers va changer les conditions
de financement des entreprises et des Etats, mais ils vont aussi changer
la mobilité, par exemple, les conditions de placement de l’épargne
des ménages. Avant cela, c’était les banques qui
prêtaient aux entreprises. Pascale
Fourier : Qu’est-ce
qui explique que nous sommes passés d’un recours aux capitaux
empruntés aux banques à des capitaux empruntés
sur les marchés ? Esther
Jeffers : Le choix a
été fait de développer ces marchés financiers.
Cela entraînera une baisse du crédit bancaire pour le financement
des entreprises, mais ne va pas pour autant faire disparaître
le rôle des banques. Celui-ci va se modifier, leur rôle
de créancier va se réduire au profit d’autres services
comme celui par exemple de donner accès au marché.
Esther
Jeffers : Oui, bien sûr.
Le marché est supposé favoriser une meilleure allocation
des ressources, permettre que les ressources aillent aux entreprises
pour les projets les plus intéressants, les plus rentables. Mais
cela entraîne un autre type de contrôle sur les entreprises.
Pascale
Fourier : Le fait que
ce soit public change par rapport au moment où l’appel
des capitaux se faisait essentiellement par la banque? Esther
Jeffers : Oui. On va
avoir des exigences de demande d’informations et de transparence
auprès des entreprises qui va être accru. Pascale
Fourier : Donc l’appel
à la Bourse est tout à fait positif ? Esther Jeffers : Cela dépend pour qui, évidement. C’est vrai pour un investisseur qui est alors en mesure d’évaluer rapidement l’entreprise, à condition bien sûr que l’information fournie soit un bon mode de jugement, un bon critère d’évaluation de l’entreprise, ce qui n’est pas toujours le cas. On voit bien qu’il y a des entreprises qui peuvent faire des profits et être chahutées en bourse ou opérer des licenciements. Inversement, le cas des nouvelles technologies montre que des entreprises qui ne faisaient pas de bénéfices pendant toute une période ont pourtant vu leurs actions monter en bourse et atteignaient à des niveaux astronomiques jamais vus auparavant. Donc, transparence, tout dépend des critères qui sont utilisés. Rien n’est moins sûr que les indicateurs utilisés soient des bons critères d’évaluation et donnent un bon jugement de la santé de l’entreprise... Je crois que ce n’est pas tout à fait le cas. Je crois qu’il faut voir aussi ce que veut dire transparence. Est-ce que la transparence change quelque chose au sort des licenciés? Est-ce qu'apprendre un plan de licenciement par le Wall Street Journal avant même que le comité d’entreprise ne soit informé, est-ce que cette transparence-là change le sort des salariés de l’entreprise? On peut se poser la question.
Esther
Jeffers : Je crois qu’il
est tout à fait légitime et normal que l’on s’interroge
lorsque des entreprises qui font des profits et, simultanément,
font de plans de licenciements. On se demande alors pourquoi, comment,
est-ce qu’il n’y a pas d’autres possibilités
? Pascale
Fourier : Justement,
y a-t-il un lien intrinsèque entre faire appel à la Bourse
et procéder à des licenciements? Esther
Jeffers : Oui, tout à
fait. Cette création de la valeur pour l’actionnaire répond
à une exigence de rendements sur fonds propres, qui pousse les
entreprises à rendre toujours plus rentables les activités
qu’elles ont. Ainsi, une entreprise peut faire du profit,- mais
un profit qui ne soit pas à la hauteur de la norme qui est exigée
par le marché et par les actionnaires-, et du coup licencier...
Pascale
Fourier : Qu’est-ce
que veut dire les "investisseurs institutionnels" ? Esther
Jeffers : Ils sont constitués
principalement des fonds de pensions, les caisses de retraites, les
OPCVM, c'est-à-dire les Mutual Funds et leurs équivalents
français qui sont les SICAV, les FCP. Ces gestionnaires de fonds
sont en mesure aujourd’hui de peser par rapport aux dirigeants
des entreprises. Si les actionnaires ne sont pas contents, des actionnaires
potentiels qui ont l’intention de prendre le contrôle peuvent
lancer une offre publique d’achat (OPA) hostile et essayer de
prendre le contrôle de l’entreprise, quitte à changer
à ce moment-là la direction et à opérer
un certain nombre de changements pour obtenir ce qu’ils souhaitent.
D’où la menace qui pèse sur les dirigeants des entreprises
qui sont obligés de satisfaire ces demandes des actionnaires.
Pascale
Fourier : Les pauvres....
Esther
Jeffers : C’est
pour ça qu’il existe les stocks options pour lier le sort
des dirigeants à celui des actionnaires... Pascale
Fourier : Quand on parle
des exigences des fonds institutionnels, on peut se dire qu’ils
peuvent avoir ces exigences puisqu’ils prêtent de l’argent
et qu’il faut bien qu’ils soient rétribués
pour cela? N’est-ce pas normal ? Esther
Jeffers : Le mécanisme
que je vous décris ne correspond pas à la rétribution
juste parce que vous savez bien qu'on lie toujours la rentabilité
à un risque pris. Il y a un couple rentabilité/risque.
Lorsqu’un risque est pris, il doit être rémunéré
à une certaine hauteur. Mais ce dont je vous parle est la création
de la valeur actionnariale, ce n’est pas tout à fait la
même chose et surtout, c’est le mécanisme de financiarisation
des entreprises qui s’est inversé. Pascale
Fourier : Vous êtes
en train de dire que les actionnaires refusent d’assumer les choix
qu’ils ont fait, les décisions qu’ils ont prises
? Esther
Jeffers : Normalement,
la rentabilité rémunère un risque. Or, ce risque
est reporté aujourd’hui sur les salariés qui ne
sont pas rémunérés pour ce risque qu’ils
prennent. Ils en pâtissent sur la partie variable dans leur salaire,
ou avec l’annualisation de leur temps de travail, ou par les conditions
difficiles des conditions de travail des sous-traitants également,
qui ne sont pas en mesure eux-mêmes de reporter sur d’autres
les risques pris. Pascale
Fourier : On a dit jusqu’à
présent que les fonds de pensions étaient essentiellement
étrangers. Est-ce le cas ? Esther
Jeffers : Pour les grandes
entreprises cotées du CAC 40, on considère qu’il
y a, à peu près, 36 à 40% de ces entreprises qui
sont détenues par des investisseurs institutionnels non résidants.
Essentiellement des fonds de pensions, des Mutuals Funds ou autres.
Mais je ne sais pas si l’origine des fonds fait un grand changement.
C’est surtout le fait qu’il y ait une financiarisation des
entreprises qui est important. Pascale
Fourier : Mais on a évoqué
à un moment de créer des fonds de pensions à la
Française, avec l’idée d’apporter des financements
français aux entreprises françaises. Cela devait apporter
quelque chose de positif à notre économie et en particulier
vis-à-vis des salariés... Esther
Jeffers : Je ne pense
que cela change quoi que ce soit fondamentalement au problème.
Ce n’est pas la nationalité des fonds de pensions ou des
investisseurs institutionnels qui font qu’ils se comportent d’une
certaine manière. La mondialisation est réelle aujourd’hui,
les normes sont internationales et je pense que si nous avions des fonds
de pensions en France, ils se comporteraient exactement de la même
manière. Il y a la concurrence, il y a des comparaisons des benchmarks,
ce que l’on appelle des comparaisons par rapport à des
normes qui sont établies et les gestionnaires sont obligés
d’être à la hauteur de ces normes-là. On dit
que les fonds de pensions, c’est à long terme, ce sont
les retraites, ils ne vont pas partir. Mais on voit très bien
la méthode de gestion financière qui est là. Très
souvent, ces fonds de pensions vont déléguer une partie
de la gestion de leurs fonds à des gestionnaires externes. Vue
la concurrence qu’ils se font entre eux et vue la comparaison
à très court terme qu’ils se font tous les trois
mois, ils sont obligés d’avoir un taux de rotation beaucoup
plus important pour être à la hauteur de ces normes- là.
Pascale
Fourier : On entend dire
parfois qu’il n’est pas du tout vrai que les investisseurs
institutionnels ont une vision à court terme. Vous qui les avez
étudiés, vous nous mettez en garde contre cet argument
? Esther
Jeffers : Je crois que
les gestionnaires externes, notamment ceux des sociétés
d’investissements reconnaissent qu’ils sont obligés
de gérer et de vendre très rapidement à cause de
la concurrence très importante entre ces gestionnaires. La comparaison,
le choix et la sélection de ces gestionnaires se font par rapport
à leurs performances et les obligent à du court- termisme
pour être à la hauteur des autres et donc à avoir
un taux de rotation très important pour ne pas perdre une partie
de leur clientèle. Pascale
Fourier : On va donc
avoir pas mal de Petits Lus qui iront se faire grignoter ailleurs ?
Esther
Jeffers : Je pense qu’il
faut que la conscience de tous les citoyens prenne en charge ce problème,
réfléchissent au type de société dans laquelle
on vit et quels types de solutions on peut essayer de trouver pour que
les licenciements ne soient pas annoncés dans des journaux financiers
anglo-saxons mais que, par exemple, les comités d’entreprises
aient un pouvoir de discuter de ces plans-là et de faire quelque
chose par rapport à ces licenciements-là. Cela renvoie
à une question qui est celle de tout le monde.;;;; on n'a pas
besoin d’être un économiste pour avoir une réflexion
sur cette question-là! Les salariés des entreprises, les
syndicalistes, les associations sont tout à fait des lieux privilégiés
de discussions pour essayer de trouver des solutions, d’avancer
pour empêcher que cela se passe de cette manière-là.
Pascale
Fourier : Il faudra donc
que l’on réfléchisse à un monde meilleur
à très brève échéance.
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 9 Août 2001 sur AligreFM. Merci d'avance. |