Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 23 NOVEMBRE
2004
Le projet de directive Bolkestein
Avec Raoul-Marc
Jennar,
chercheur à URFI et à
Oxfam. |
Pascale Fourier : Et notre invité aujourd'hui…
Raoul-Marc
Jennar :
Un projet de directive, c’est un texte qui est proposé
par la Commission Européenne et qui est destiné à
devenir une directive: c’est le nom utilisé jusqu'à
présent pour désigner une loi Européenne, c’est-à-dire
une loi qui va non seulement s’appliquer au niveau des institutions
Européennes, mais que chaque Etat, donc en particulier la France,
sera obligé d’intégrer dans son droit national.
Alors c’est un « projet » parce que c’est
un texte qui n’est pas encore adopté. Alors il se trouve qu’il y a à la commission européenne, parmi cet aréopage présidé jusqu'à présent et encore pour quelques jours par Romano Prodi, un commissaire qui est chargé de ce qu’on appelle le « marché intérieur »,c’est-à-dire faire de l’espace européen un marché unique. Il s’appelle Frits Bolkestein. Pour ceux qui se demandent d’ou il vient, c‘est un ressortissant des Pays-Bas. C’est aussi un homme qui a un passé politique assez lourd, puisqu’il a été le président de l’Internationale libérale. Donc, pour le dire un petit peu vulgairement, c’est un pote à Alain Madelin. Et il a déposé, le 13 janvier dernier, un projet de directive, réorganisant les services dans le marché intérieur, donc dans l’espace Européen. L’ampleur
du projet est énorme, parce que de quoi parle-t-on quand on parle
de Services ? Moi j’invite les auditeurs à simplement
se rappeler ce qu’ils ont fait au moment ou ils se sont réveillés
ce matin... Ils ont éclairé leur chambre, et ils ont fait
appel à une activité de service. Puis ils sont sans doute
passés par la salle de bain, ils ont ouvert un robinet et ils
ont fait appel à la distribution d’eau qui est une autre
activité de service. Ils ont sans doute après, en prenant
leur petits déjeuner, branché la radio pour prendre un
peu des nouvelles, c’est une autre activité de services
puisque l’audiovisuel, la radio, la communication ce sont des
activités de services. Puis s’ils ont des enfants, ils
les ont conduits à l’école, en prenant le bus. Eh
bien, les transports, c’est une activité de services, l’école
c’est une activité de service. Si après ça,
le père ou la mère est passé chez le médecin,
il a fait appel aussi à une activité de service, puisque
la délivrance des soins de santé, c’est une activité
de service. Et on peut continuer comme ça jusqu’au moment
où on va se replonger en-dessous de ses couvertures et éteindre
la lumière et se rendre compte que finalement, tout au long de
notre vie quotidienne, on fait tout le temps appel à des activités
de service. Ce qui veut dire quoi ? Ce qui veut dire qu’a
partir du moment où on prétend avoir des lois, des règlements
sur les activités de service, cela signifie qu’on prétend
avoir des lois, des règlements, sur notre façon de vivre…Or
on a déjà, au niveau mondial, dans le cadre de l’Organisation
Mondiale du Commerce, un accord qui s’appelle AGCS, Accord Général
sur le Commerce des Services. Et en fait ce que Mr Bolkestein se propose
de faire, c’est de l’étendre à l’espace
européen. Vous me direz : à quoi bon, puisque de
toutes façons les accords de l’OMC sont obligatoires, ils
sont aussi obligatoires pour les Etats européens. Pascale Fourier : Mais on pourrait dire que c’est une nécessité finalement, dans le sens où, croire encore dans l’intérêt des nations, au fait qu’on préfère que ce soit des entreprises françaises qui s’occupent... je sais pas, de la radio par exemple… c’est obsolète, complètement, comme mode de pensée.C’est un peu comme si les tribus Gauloises… les tribus gauloises se sont battues entre elles et finalement elles ont été laminées par les Romains; de la même façon, il faut qu’on réussisse à faire un grand espace, tous ensemble, un grand espace Européen, en balayant complètement tous ce qui peut être de l’ordre du national. Ca n’a strictement aucun intérêt. Pascale Fourier : Des sous et des hommes, toujours en compagnie de Raoul Marc Jennar qui est docteur en sciences politique, c’est ce qu’il est écrit derrière son livre, diplômé des universités belges et françaises et chercheur a URFIG et à Oxfam Belgique. Vous me parlez donc de la directive Bolkenstein ; j’étais en train de lire le papier de Michel Husson qui l’appelle « la directive Frankenstein ». Ce n’est pas très rassurant cette affaire....Mais en fait je n'ai pas bien bien bien compris en quoi exactement elle consiste ? Qu’est ce qu’ils nous concoctent …? Raoul-Marc
Jennar :
Elle est à l’image de l’AGCS (l’Accord Général
sur le Commerce des Services) qui est déjà un accord terriblement
dévastateur pour ceux qui tiennent à ce que les pouvoirs
publics, communaux, départementaux, régionaux ou nationaux,
continuent à être fournisseurs de services, afin d’assurer
l’égalité des droits. Deuxième
chose : elle cible comme l’AGCS, les modes de fourniture,
qu’ils s’agissent de fournir un service à l’étranger,
qu’il s’agissent pour les consommateurs de services de consommer
dans un autre pays, qu’il s’agissent pour un prestataire
de service - un fournisseur de service-, d’investir à l’étranger,
ou qu’il s’agisse dans les activités de service d’organiser
la mobilité des personnes physiques, du personnel employé.
C’est la même chose que dans l’AGCS. Mais il y a un
élément d’aggravation. Cet élément
d’aggravation, on pourrait dire que par rapport au monde 4 de
l’AGCS sur la mobilité des personnes physiques, c’est
un mode 4 bis qui est un peu l’interface , c’est le
principe du pays d’origine. Le principe du pays d’origine…
plutôt que de l’expliquer en théorie, je vais essayer
de donner un exemple concret. Mais il faut avoir a l’esprit une
chose. Et on sait qu’en politique rien ne relève du hasard
ou des circonstances. Nous sommes depuis 5 mois 25 dans l’Union
Européenne, nous ne sommes plus à 15. Ceux qui nous ont
rejoint et en particulier les 8 qui faisaient partie de ce que l’on
appelait l’Europe de l’Est constituent une zone où
il y a peu de lois sociales, peu de lois fiscales, peu de lois environnementales.
En fait ces pays, après l’effondrement du système
soviétique, ont été « reformatés »
si je peux utiliser le mot par des experts du Fond Monétaire
International et par des experts de la Commission Européenne
dans un sens très néolibéral, c’est-à-dire
l’Etat minimum, ce qui fait qu’aujourd’hui nous avons
une Europe avec des disparités énormes: une partie de
l’Europe, l’Europe des 15, où il y a des législations
fiscales, des législations sociales, des législations
environnementales, et une partie de l’Europe où il n’y
en a pas. Et ce n’est pas par hasard que cette directive arrive
juste à ce moment-là parce que le principe du pays d’origine
n’a de sens que s’il y a des disparités. C’est
quoi le principe du pays d’origine ? Eh bien, pour prendre
un exemple concret, imaginions que les propriétaires d’une
clinique privée qui se trouverait ici dans le 11eme arrondissement,
décident de se rendre, prenons par exemple la Pologne, à
Varsovie. Imaginons, -je suis sûr qu’il y a une rue Chopin
à Varsovie-, imaginons qu’ils vont dans une rue Chopin
où ils trouvent au numéro 7, au premier étage à
droite, un appartement à louer. Eh bien, si la directive est
adoptée le numéro 7, 1er étage à droite
de la rue Chopin à Varsovie deviendra le siège social
de la clinique qui se trouve dans le 11eme arrondissement (s’ils
le décident). Mais s’ils le décident, s’ils
disent : « Désormais notre siège social
est en Pologne », eh bien, pour tout le personnel de la Clinique,
ici, à Paris, dans le 11eme, pour les salaires, pour la législation
sociale, pour le chômage, pour la pension de retraite… ce
sera la loi polonaise ! Pascale Fourier : Le bras politique des milieux d’affaires… Je n'arrive quand même pas à comprendre comment des milieux d’affaires pourraient voter ça. Si effectivement ça amène le démantèlement de la législation en matière de droit social finalement, de droit du travail…je ne vois pas… Raoul-Marc
Jennar :
Ecoutez, moi je serais un peu moins étonné que vous dans
la mesure où je me souviens avoir lu il y a quelques semaines
dans le journal Le Monde, un personnage qui fait partie du paysage
politique français et qu’on ne considère pas comme
un marginal, je veux parler d’Alain Madelin, qui disait qu’en
Europe on a encore un système soviétique ! Et on
en retrouve dans le conseil de la ville de Paris, des amis d’Alain
Madelin. Monsieur Raffarin si je ne m’abuse appartient à
la même famille politique qu’Alain Madelin, ce sont les
libéraux, c’est Démocratie Libérale. Ces
gens-là construisent une Europe qui de plus en plus nous conduit
vers le modèle américain. Le modèle du chacun pour
soi. Et la directive Bolkenstein, elle démantèle ce qu’il
faut démanteler pour arriver à une société
du chacun pour soi. Pascale Fourier : Et elle devrait finalement peut-être être adoptée… Mais ça va nous tomber dessus quand ? Raoul-Marc Jennar : Si, comme on pense, le travail législatif proprement dit commence en janvier, le parlement pourrait adopter en première lecture le texte en juin. Mais je pense qu’en tout état de cause cette directive n’entrera pas en vigueur –quel que soit le contenu du texte, s’il est modifié peu ou beaucoup- pas avant 2006 et peut-être 2007. Surtout si la bataille d’amendements est rude et si on va vers un conflit entre le parlement et la Commission Européenne. Pascale Fourier : Ce qui se passe en Europe est un petit peu opaque, on en reparlera la semaine prochaine, puisque vous reviendrez, mais est-ce qu’on peut éventuellement avoir une action, nous, simples citoyens ? Ecrire à nos députés Européens …?? Il y a quelque chose à faire, ou on assiste au désastre ?... Raoul-Marc Jennar : Il y a beaucoup à faire et on ne doit pas être témoins passifs. Mais la démocratie, c’est précisément cela. Et je crains que depuis une ou deux décennies beaucoup l’oublie: la démocratie a besoin de citoyens conscients agissants et actifs. On n’a pas besoin de réformes institutionnelles pour interpeller nos élus nationaux, pour interpeller nos élus locaux et pour interpeller les membres français du parlement. On peut leur téléphoner, on peut leur écrire, on peut aller les voir et leur demander : « Que comptez-vous faire avec cette proposition qui va bouleverser notre modèle de société, que nous voulons conserver, que nous voulons perfectionner mais que nous ne voulons surtout pas supprimer ». Personne n’est interdit de faire cet acte citoyen et il me semble urgent que chacun le fasse.
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 23 Novembre 2004 sur AligreFM. Merci d'avance. |