Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 17 Janvier 2003

France Télécom: une entreprise au coeur du capitalisme financier 2/2

Avec Pierre Khalfa, ancien secrétaire fédéral du syndicat SUD.

 

Pascale Fourier : Nous allons nous intéresser à nouveau cette semaine au cas de France-Telecom avec Pierre Khalfa, ancien secrétaire générale du syndicat SUD. En fait, ce qui m’intéresse dans le cas de France-télécom, c’est de comprendre l’évolution d’autres entreprises de service public. Je vous rappelle le contexte que nous avait présenté Pierre Khalfa la semaine dernière : France-télécom est une entreprise détenue à 55% environ par l’Etat qui s’est lancée dans une politique d’acquisition d’entreprises européennes du secteur des télécommunications dans le cadre de la libéralisation de ce secteur. France-télécom a été du coup confronté à un endettement faramineux d’environ 70 Milliards d’euros et du coup le cours des actions de France-télécom s’est effondré. On peut alors se poser la question de savoir si cela n’amenera pas la privatisation de France-télécom.Voici donc la deuxième partie de l’entretien que j’ai eu avec Pierre Khalfa.

Vous dites que France-télécom est une entreprise qui marche très bien. Je ne sais pas s’ils font des bénéfices, mais ils font de l’argent d’une façon ou d’une autre…et pourtant l’action ne vaut rien : comment cela est-il possible ? Je croyais que c’était la preuve quand l’action était haute que l’entreprise marchait bien ? Les actions de France-télécom ne devraient-elles pas être très hautes ?

Pierre Khalfa : La bonne santé de l’entreprise vient du fait qu’elle est sur un marché porteur ; la croissance de ce secteur est largement supérieure au taux de croissance du PIB. Le deuxième point est que France-télécom est une entreprise performante sur le plan technologique. France-télécom a un réseau qui est l’un des plus moderne du monde, même si la qualité de service baisse parce que la direction ne voit pas les raisons de maintenir une qualité de service trop haute pour que cela ne lui coûte pas trop cher. Le problème est que cette activité-là est totalement obérée par le poids de la dette qui l’empêche d’avoir des perspectives sur le court et moyen terme. Quand on a une dette de 70 Milliard d’euros avec une charge de la dette de 4 à 5 Milliard d’euros par an ( qui sont les frais financiers générés par la dette), il faudrait que l’entreprise dégage un cache opérationnel tel que c’est totalement impossible. D’où la situation aujourd’hui très mauvaise sur le plan financier. Si demain, l’Etat décide de payer la dette de France-télécom, l’affaire est réglée. Il n’y a pas de problème de l’entreprise en tant que tel. L’échec de France-télécom est avant tout l’échec d’une stratégie aujourd’hui sur le territoire national. La totalité des activités à l’étranger est déficitaire. C’est d’ailleurs pareil pour EDF aujourd’hui. Il y a beaucoup de similitude entre EDF et France-télécom. C’est pour cela que nous sommes dans une sorte de paradoxe car l’entreprise est plutôt en bonne santé opérationnelle, mais est totalement plombée sur le plan financier.

Pascale Fourier : Pourquoi l’entreprise cherche-t-elle à s’étendre dans les autres pays européens ?

Pierre Khalfa : Nous sommes passés d’un système de service public et de monopole à un système ouvert totalement concurrentiel. Un système concurrentiel signifie que des gens viennent prendre des part de marché chez vous. La réaction basique dans ce cas-là est que tout le monde se copie. British-Telecom essaye de prendre des parts de marché en France et France-télécom essaye de prendre des parts de marché en Angleterre à British-Telecom. Et ainsi de suite avec les autres pays européens également. Chacun essaye de prendre des parts de marché chez l’autre. En bout de course, on peut dire que le marché grossit un peu, mais c’est pour beaucoup un jeu à somme nul. Même si le marché des télécommunications est en croissance, on peut penser que le chiffre d’affaire croît puisque le marché croît, ce qui est le cas. Tous les opérateurs se sont copiés. Leurs stratégies étaient la même. On s’étend à l’échelle internationale et on prend des parts de marché. C’est une stratégie qui a globalement échoué pour tous les opérateurs. France-télécom est dans une situation similaire aux autres opérateurs. Il n’y a pas d’exception France-télécom. Ils sont peut-être un peu plus endettés que les autres, mais tous les opérateurs sont aujourd’hui très endettés. Le seul qui s’en sort à peu près bien, c’est Télécom-Italia qui était trop faible pour prendre des parts de marché à l’étranger. Comme ils étaient trop faibles pour prendre des parts de marché, tout le monde croyait qu’ils allaient disparaître. Ils n’ont en fait pas du tout disparu. Ils se portent très bien. Ce sont les seuls. Tous les autres se trouvent dans une situation comparable à France-Télécom. Le pire étant encore British-Telecom. Elle était présentée il y a encore quelques années comme le N°1 des télécommunications. Elle est aujourd’hui dans un état de déconfiture total. Elle a éclaté en plusieurs sociétés. Le cas de France-télécom n’est pas isolé.

Pascale Fourier : Est-ce qu’on ne nous mène pas en bateau en vantant les bienfaits de la libéralisation dans le domaine dont on parle aujourd’hui, celui des télécommunications ?

Pierre Khalfa : Le marché des télécommunications est encore pour beaucoup un marché national. Ce qui est internationalisé dans les télécommunications, c’est le marché pour les grandes entreprises et qui est un marché qui est structurellement déficitaire. Lorsqu’ils ont des très grosses factures (de l’ordre de plusieurs millions d’euros), ils peuvent alors faire un chantage à la baisse des tarifs. Ils vont voir France-télécom, ils menacent d’aller voire un opérateur concurrent. France-télécom s’aligne alors sur les tarifs demandés. La concurrence joue réellement pour ce type d’opérateur-là. Cette activité sur le marché international est l’activité qui est structurellement déficitaire.

Pascale Fourier : Mais on a essayé de nous faire croire qu’en libéralisant le marché des télécoms, cela ferait baisser les prix pour les particuliers?

Pierre Khalfa : Il s’est passé ce que l’on appelle un « rééquilibrage tarifaire ». Quand on regarde hors mobile (parce que les tarifications des mobiles sont à part) la facture moyenne d’un particulier abonné est composée de la façon suivante : 30% pour le prix de l’abonnement, 60% pour les communications locales et 10% pour les communications longues distances, national ou international. Le rééquilibrage tarifaire, c’est que le prix des communications longues distances, nationales et internationales, a très fortement baissé. Par contre, le tarif de l’abonnement a augmenté de façon très importante ainsi que le tarif des communications locales. Les gains de productivité n’ont pas été répercutés. Le système de tarifications a été modifié. Personne n’y comprend plus rien et cela afin de masquer l’augmentation des communications locales. Ce sont les entreprises qui génèrent essentiellement les communications longues distances. Les tarifs de leurs communications ont donc considérablement baissés. Par contre, pour les particuliers, l’abonnement a augmenté de 150% en quelques années, les tarifs des communications locales ont augmenté également. Et les communications locales sont générées à 70% par les particuliers. Les factures n’ont donc pas baissé, bien au contraire.

Pascale Fourier : Est-ce que cela veut dire que la logique sous-jacente de la libéralisation du marché des télécoms est soumis au lobbying des grandes entreprises ?

Pierre Khalfa : Absolument, et pas seulement les télécommunications. Tous les bilans des libéralisations, des ouvertures à la concurrence de tous les secteurs en Europe, le bilan est facile à faire : c’est une augmentation pour les particuliers et une baisse pour les entreprises. C’est le cas dans tous les secteurs confondus : que ce soit la poste, les télécommunications, l’énergie. A chaque fois, c’est le même processus, c’est ce que l’on appelle le rééquilibrage tarifaire. La formule qui vise à masquer ce qui est en train de se passer, c’est « le rééquilibrage tarifaire » .

Pascale Fourier : Pourrait-on penser qu’il va se passer la même chose à EDF ou à la SNCF.

Pierre Khalfa : Je pense que nous sommes dans un processus tout à fait similaire, notamment de la part d’EDF qui a investi tout azimut à l’étranger comme l’a fait France-télécom. EDF est l’entreprise d’énergie en Europe qui est la plus importé à l’étranger. C’est une véritable multinationale avec un comportement totalement prédateur à l’étranger. On est là dans la même situation. Aucun des investissements d’EDF à l’étranger n’est rentable. Aucun ne dégage de bénéfices ; ils sont tous à pertes. On est dans la même illusion de l’internationalisation et d’une stratégie qui vise à transformer un opérateur de service public en multinationale. Cela a échoué pour France-télécom. Cela échouera également dans le cas d’EDF. Il n’y a pas le moindre doute là-dessus. La direction d’EDF semble avoir compris cela. Ils ont donc tout arrêté aujourd’hui. Leurs comptes sont totalement plombés. Mais la stratégie qu’ils avaient mise en place était la même.

Pascale Fourier : Quelle peut-être la réaction des syndicats et de la population ? Y a-t-il des possibilités pour des citoyens qui seraient opposés au bradage d’un certain nombre de services publics de s’opposer à cela ?

Pierre Khalfa : Il n’y a pas d’autre solution que la création de rapports de force. Tant que l’on ne sera pas dans la capacité d’avoir des mobilisations de masse sur la question, les politiques continueront comme auparavant. Nous sommes dans une
sorte de bras de fer. Pour le moment, on a été plus faible que nos adversaires sur cette question-là.


 

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