Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 28 JUIN 2002

Après le référendum : le Parti Socialiste...

Avec Liêm Hoang Ngoc,
économiste, maître de conférences à l’Université de Paris

 

Pascale Fourier : Et notre invité aujourd'hui ?

Liêm Hoang Ngoc : Liêm Hoang Ngoc. Je suis économiste à l'université de Paris I. Et puis je suis également membre du conseil national du Parti Socialiste où j'oeuvre aux côtés d'Henri Emmanuelli pour bousculer un peu les idées de ce parti...

Pascale Fourier : Diantre. Alors après le référendum, la question qu'on se pose un peu tous, c'est « Qu'est-ce qu'il se passe là-dedans ? » Visiblement il y a vraiment du grabuge: Fabius a été un peu mis sur la touche, et quant aux autres partisans du Non, on ne sait pas trop exactement ce qu'ils font, du moins pour le grand public. Alors qu'est-ce qui se passe là-haut ?

Liêm Hoang Ngoc : Eh bien il se passe que la direction de ce parti est aussi autiste que le gouvernement et qu'elle n'a pas compris le sens du vote du 29 mai. Au point de se bunkeriser et de virer de la direction des opposants au lieu de rassembler tout le monde et de faire vraiment le point sur les attentes des électeurs pour 2007. Et cette attente qui s'est exprimée le 29 mai, c'est un ras-le-bol des politiques libérales qui sont menées depuis une vingtaine d'années, que les gens ont supportées parce qu'on leur a expliqué qu'on ne pouvait pas faire autrement... Mais au bout du compte le résultat s'avère désastreux socialement et inefficace économiquement. On le voit aujourd'hui : la croissance est en panne, les entreprises n'investissent pas, et l'anomie sociale s'installe.

Pascale Fourier : Ils n'ont pas compris, ou ils ne veulent pas comprendre ?

Liêm Hoang Ngoc : Ah je pense qu'ils n'ont pas compris! Ou du moins pour l'aile marchante de cette direction qui est composée - pour que nos auditeurs comprennent - de la mouvance dirigée par Dominique Strauss-Kahn et Jean-Christophe Cambadélis, des gens qui vous expliquent que le bilan de 97-2002 était bon et que Jospin a perdu au premier tour parce que les valeurs individualistes des classes moyennes se seraient emparées des classes populaires qui, elles-même, seraient devenues individualistes et donc ne s'engageraient plus et n'iraient plus voter. On vient de voir que c'est le contraire qui s'est produit le 29 mai, que les classes populaires se sont massivement mobilisées pour le Non, et qu'il s'agit en majorité d'électeurs de gauche, à 70 pour cent.

Pascale Fourier : Il y a toujours un petit truc que j'ai pas très bien compris depuis un certain temps : est-ce que la branche majoritaire du Parti Socialiste pense vraiment qu'on va voter pour eux en 2007. Parce que moi je trouve complètement absurde que les socialistes aient prôné le Oui et absurde leur réaction vis-à-vis de Fabius justement.

Liêm Hoang Ngoc : Eh bien ils pensent qu'ils vont se refaire la fraise sur le dos d'un gouvernement de droite qui va s'attaquer au code du travail et qui va dériver de plus en plus vers des mesures de type thatchérienne. Mais si l'alternative c'est du blairisme à la française, moi j'ai peur que ce soit une erreur qui soit la même qui conduit les socialistes - tout du moins la direction - à faire campagne pour le Oui.

Pascale Fourier : Oui, pour des gens comme moi, ce sera vraiment une erreur... Donc ils prennent deux risques : d'appeler encore une fois au vote utile (mais ça fait vingt ans qu'on nous le fait) et d'un autre côté ils ils prennent le risque qu'éventuellement on se retrouve avec éventuellement Sarkosy d'un côté avec Le Pen en face aux présidentielles ?

Liêm Hoang Ngoc : Oui, mais la bonne nouvelle ici, c'est qu'ils sont peut-être moins cyniques qu'on ne le dit. S'ils étaient vraiment cyniques, ils auraient tous fait la campagne du Non et ils auraient ramassé la mise du mécontentement social. Ils ne l'ont même pas fait. C'est que donc, par conviction, la plupart d'entre eux croit fermement aujourd'hui que, depuis 1983, on ne peut pas faire autrement. Et c'est un véritable débat qui traverse le Parti Socialiste depuis sa fondation au Congrès d'Épinay en 1971. Les observateurs et les journalistes ne le disent pas suffisamment, mais depuis cette date, il y a toujours eu deux lignes qui se sont affrontées : une ligne disons socialistes, et une ligne sociale-libérale. Ça ne s'appelait pas complètement comme ça au Congrès de Metz, mais souvenons-nous déjà que Michel Rocard et Pierre Maurois défendaient un recentrage du Parti Socialiste contre la majorité unie par François Mitterand autour de l'Union de la gauche pour l'application du Programme commun. Et contrairement à ce qu'on a dit, ces deux gauches ont chacune appliqué leur programme : la gauche unie par François Mitterand a appliqué son programme en 1981, et la deuxième gauche, symbolisée par Michel Rocard et même sans Rocard aux affaires, a appliqué son programme avec la caution de Lionel Jospin entre 97 et 2002. Et moi, j'ai tendance à dire que ces deux programmes-là ont été abandonnés non pas parce qu'ils étaient inefficaces économiquement, mais parce qu'il y a eu une sanction sociale à chaque fois.

La première fois, le programme de 81 était bien meilleur que le programme monétariste en Angleterre et aux États-Unis à la même époque ; il a été sanctionné uniquement par la spéculation des marchés financiers décrochant le franc vis-à-vis du mark, ce qui nous a conduit à choisir la monnaie unique et l'Acte unique. Et puis le deuxième programme, le programme de la "deuxième gauche", a également eu un bon bilan disait-on à l'époque (même si je crois qu'il fut aidé, pour beaucoup, par l'euro faible et la baisse des taux d'intérêts) mais il a été sanctionné également, par la pire des sanctions, qui est la sanction électorale de son propre camp le 21 avril 2002.

Pascale Fourier : Décidément je reste dans les interrogations les plus profondes. J'avoue ne pas avoir bien complètement suivi. Parce que vous avez parlé du congrès d'Épinay en 71, puis ensuite le congrès de Metz en 79. Vous dites qu'il y a toujours eu deux lignes à l'intérieur du Parti Socialiste. Là je suis étonnée, parce qu'on écoute les médias, et on ne nous parle jamais de ces deux lignes, enfin du moins actuellement... Et je ne vois pas comment ces deux lignes ont pu se marquer dès 71 alors que la mondialisation n'était pas déjà en branle, on pourrait dire. Je n'arrive pas à suivre ce qui s'est passé là...

Liêm Hoang Ngoc : Les médias, de même que beaucoup d'observateurs, pensent qu'il y a deux gauches et que ces deux gauches seraient, d'une part, la gauche radicale pure de toute compromission, et puis la gauche gestionnaire, réformiste, qui finirait soit par se rallier aux réalités, soit par trahir, si on adopte le langage de l'extrême-gauche. C'est un petit peu réducteur, et c'est oublier que le vrai débat n'est pas là. Le vrai débat, c'est un débat qui existe entre deux gauches (et qui existe au Parti Socialiste, mais aussi ailleurs. Moi je fréquente le milieu altermondialiste, je peux vous dire que dans Attac, il y a deux gauches : il y a une gauche écolo-utopistes et une gauche beaucoup plus centrée sur les questions de partage du gâteau). Alors au Parti Socialiste en 1971, François Mitterand remporte le congrès sur une ligne qui est celle de l'union de la gauche pour l'application d'un Programme commun qu'on va négocier avec le Parti Communiste, qui est un programme de rupture avec le capitalisme, mais qui en fait (c'est ce que je montre dans mon bouquin) est tout simplement la démocratisation et le prolongement du compromis de 1945 inspiré du Programme du Conseil national de la Résistance. C'est un programme très "première gauche", si vous voulez, que le Programme commun, qui, si vous le comparez au Programme du Conseil national de la Résistance, ce sont deux soeurs jumelles. Et le programme de 81, c'est un petit peu ça. Donc Mitterand remporte le congrès d'Épinay, puis le congrès de Metz, en défendant l'idée que dans la cinquième République, si on veut battre la droite unie autour du président de la République, eh bien il faut que la Gauche fasse bloc autour d'un programme qui soit un programme de gauche pour bien capter l'électorat de gauche, qui sert ensuite de base à l'application de ce programme.

Alors, il gagne ce congrès à Épinay contre la ligne dite « de troisième force » symbolisée par Guy Mollet, ligne qui consistait au temps de la quatrième République à passer des alliances avec le centre quand on arrivait au pouvoir. D'ailleurs, la "troisième voix" de Tony Blair, c'est l'écho de cette troisième force en Angleterre par les temps qui courent. Et cette "troisième voix", qui consiste grosso modo à adopter une ligne sociale-libérale, a séduit certains socialistes français très tôt (Michel Rocard en l'occurrence, Dominique Strauss-Kahn ensuite). Et ce sont des gens qui pensent qu'il faudrait que la gauche se recentre et s'adapte au réalité de la mondialisation, entendue comme un deus ex machina qu'on ne pourrait pas domestiquer.

Moi je suis de ceux qui pensent que la mondialisation, c'est un choix de société qui a été politiquement organisé, qui n'était absolument pas inéluctable, et qui, par ailleurs, est socialement désastreux et économiquement inefficace. Bon, et ça, ça commence en 1983 en France, lorsque la ligne de 1981 subit la défaite sociale face aux marchés financiers, qui, comme je l'ai dit tout à l'heure, spéculent contre la politique de la gauche. Et à partir de 83, c'est progressivement l'autre ligne, la ligne défendue par la deuxième gauche (symbolisée par Jacques Delors à l'époque) qui va s'imposer. Alors au départ, c'est pour ouvrir la parenthèse, c'est pour pouvoir faire la monnaie unique et construire l'Europe sociale et fédérale qui nous permettrait de vaincre la spéculation et de faire en Europe ce qu'on n'a pas pu faire en France en 1981. Mais comme on le sait, progressivement cette bouteille se videra ; les dérives libérales de l'Europe se feront très rapidement (Pacte de Stabilité à Amsterdam, stratégie libérale de l'emploi de Lisbonne, privatisation de l'énergie, réforme des retraites décidée à Barcelone, Traité constitutionnel, etc). Donc là, le bilan de cette période, c'est quand même qu'il y a un rejet massif de l'électorat de gauche d'une politique qui a pris l'eau de toute part.

Pascale Fourier : Il y a un petit truc encore que je ne comprends pas bien. Moi je croyais que les socialistes étaient là pour défendre non pas les classes moyennes voire les classes moyennes supérieures, mais le travailleur de base si on veut prendre les choses comme ça. Et pourtant, d'après ce que vous dites sur cette deuxième gauche, ça ne me semble pas être la valeur qu'ils défendent...

Liêm Hoang Ngoc : La sociologie de ce parti a considérablement évolué depuis vingt ans. A mesure que l'on entérinait les dérives libérales de cette Europe, on a décroché, du moins au sein de la direction, des classes populaires. La fonction et l'habitat fait l'homme, je dirais : quand vous êtes complètement décroché des classes populaires, vous ne voyez plus du tout ce qui se passe.

***

Pascale Fourier : Finalement dans la campagne pré-référendaire dans laquelle on a vu des socialistes qui soutenaient le Oui et d'autres qui soutenaient le Non, finalement, c'était la mise en évidence de cette fracture qui était un petit peu - fracture ou... je sais pas, vous corrigerez probablement - qui existe au sein du PS depuis fort longtemps.... Enfin, ça nous apparaissait à nous, pauvre petit peuple?...

Liêm Hoang Ngoc : Ah oui, il y a eu deux campagnes socialistes, clairement. Une défendant l'esprit d'Épinay, qui au fond prônait le Non parce que le Non rassemble la gauche bien au-delà du PS et prépare les conditions d'une défaite de la droite et les bases sociales d'un programme qui, pour le coup, soit au moins un programme socialiste, pour parodier un petit peu les propos de Lionel Jospin il y a quelques temps. Et puis le Oui - que Jospin considérait d'ailleurs comme étant compatible, le Oui socialiste compatible avec le Oui libéral...-- préparait le terrain d'une dérive sociale-libérale, cette fois assumée par DSK et compagnie. Donc là, la clarification est en train de se faire au grand jour aux yeux de l'opinion. Et l'enjeu du prochain Congrès, c'est définitivement de faire cette clarification : est-ce que les socialistes français doivent adopter la ligne Blair-Schröder qui conduit ces deux leaders aux pires difficultés à chaque fois qu'il faut affronter le suffrage universel ; ou bien est-ce qu'il faut qu'ils reviennent à l'esprit d'Épinay, qui est véritablement ce qui a traversé cette campagne et ce à quoi est sensible le peuple de gauche.

Pascale Fourier : Et quelles seraient les conditions pour que la "branche du Non", si on veut faire rapide, puisse prendre le pouvoir majoritaire au cours du prochain Congrès. Parce qu'ils ont l'air d'être un peu dispersés actuellement, non ?

Liêm Hoang Ngoc : Nous, on a demandé un congrès de refondation, c'est-à-dire un congrès qui ouvre les portes et les fenêtres pour que tous ceux qui ont envie d'oeuvrer à la reconquête de la gauche puisse entrer au PS et puis le renouveler - parce que c'est quand même un petit peu sclérosé, le débat qu'il y a à l'intérieur. Bon, on nous a dit non! On nous a organisé le congrès le plus rapide possible pour empêcher les gens d'adhérer et pour que la majorité de Dijon, c'est-à-dire celle du dernier congrès, soit reconduite. Le débat est fermé parce que le dépôt des contributions, c'est dans deux semaines ; après il y a les vacances et donc ça veut dire que tout est quasiment verrouillé, sauf si vraiment les grosses fédérations se rendent compte que, comme leur électorat a quand même voté Non, s'ils veulent se faire réélire - et là je suis cynique -, il va falloir qu'il change de fusil d'épaule et au lieu de s'afficher avec les candidats du Oui, s'afficher avec les candidats du Non. Bon, mais là on est dans un congrès d'appareil à l'issue très incertaines parce que soit la majorité de Dijon est reconduite, soit il peut y avoir des basculements, mais qui relèveront de calculs d'apothicaires, ce qui est un petit peu dommage parce qu'on aurait vraiment pu faire un gros congrès de refondation ouvert sur les forces sociales et l'extérieur pour oeuvrer à un vrai projet. Alors en interne, mais ça c'est un peu de la cuisine, on pense qu'il faudrait que les minorités qui ont une identité maintenant clairement affirmée contre la dérive libérale de ce parti fasse une motion commune (je veux parler des deux motions minoritaires au dernier congrès qui étaient NPS et Nouveau monde : celle d'Arnaud Montebourg et celle d'Henri Emmanuelli) ; ça serait la moindre des choses pour affirmer notre identité. Ensuite, Fabius dans cette campagne s'est démarqué de la majorité et dit avoir changé d'avis sur beaucoup de points. Bon, charge à lui de démontrer que doctrinalement il reste fidèle à l'esprit d'Épinay, auquel cas il devrait être possible d'aboutir à une synthèse entre ces deux motions (si ces deux motions se font) pour éventuellement définir la future majorité du parti. Ca, c'est un scénario possible qui dépend de beaucoup de choses dans les grosses fédérations...

Pascale Fourier : Je ne vois pas clairement comment la motion « Non », toujours pour faire rapide, pourrait gagner. Parce qu'à l'intérieur du Parti Socialiste actuellement, on ne peut pas dire que le Non était majoritaire... donc l'opposition au libéralisme n'est peut-être pas majoritaire....

Liêm Hoang Ngoc : Bah, c'est ce que je vous dis : en l'état actuel des choses, sans nouvelles adhésions et avec un congrès verrouillé ayant pour objectif de reconduire la majorité de Dijon, la bataille va être rude pour convaincre ceux qui sont en place de changer d'avis... Mais la bataille n'est pas forcément perdue : je vous dis, on va voir ce que font nos camarades du Pas-de-Calais où, à 69 %, les électeurs se sont prononcés pour le Non... Est-ce qu'ils vont pouvoir continuer à défendre des positions qui sont assimilées à des positions social-libérales ? Charge à nous de les convaincre que le bon choix pour des victoires futures de la gauche ne se situe pas du côté de ceux qui ont fait la campagne du Oui.

Pascale Fourier : C'était donc « Des sous ... et des Hommes » en compagnie de Liêm Hoang Ngoc. Il a publié un livre qui est absolument remarquable, un petit peu compliqué pour les néophytes comme moi, maisqu'il faut quand même absolument lire: il s'appelle « Refermons la parenthèse libérale » et est publié aux éditions « La dispute ». Si on lit la quatrième de couverture, on lit : « Le virage de la gauche opéré en 1983 est-il irréversible ? Peut-on sortir de l'alternative entre social-libéralisme et néo-utopisme ? ».... Vous voyez, tout un programme.... C'est un livre absolument remarquable et documenté, je ne peux que vous en conseiller la lecture pendant les vacances...



 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 28 Juin 2005 sur AligreFM. Merci d'avance.