Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 26 AVRIL
2003
La croissance 1/3
avec
Gustave Massiah, président du CRID. |
Pascale
Fourier
: Il est des gens comme cela qui suscitent mon admiration et mon intérêt.
Admiration, les auditeurs attentifs l’auront remarqué sans
doute pour Jean-Marie Harribey. De Gustave Massiah, président
du CRID, qui regroupe une trentaine d’associations s’intéressant
au développement, et vice-président d’Attac, je
subodorais qu’il pouvait donner le meilleur. On l’avait
déjà entendu sur les pays du Sud dans la mondialisation
et sur la dette des pays du Tiers-Monde, et les oreilles attentives
auront pu repérer sa capacité à remettre les choses
dans une perspective historique longue et sa grande culture. Micro posé,
je m’ouvrais de mes interrogations à Gus Massiah : Certes, vous l’aurez remarqué, je pose d’ordinaire peu de questions par respect pour les invités, pour qu’ils aient le temps de développer leurs réponses avec pédagogie ; mais alors là, c’était le pompon : vous posez le micro devant Gustave Massiah et il vous parle pendant ¾ d’heure. Enfin, j’espère que ça pourra quand même vous intéresser : vous verrez qu’il nous fait découvrir un panorama économique époustouflant des 30 dernières années au moins, panorama qui permet de mettre en perspective nombre de thèmes abordés au cours de mes émissions. Je me suis là bien rattrapée sur le long silence que m’a imposé Gustave Massiah. Je lui cède la parole : doit-on se réjouir de la croissance et est-elle vraiment signe de progrès ?
Alors peut-être
faut-il partir de cette idée de la représentation, qui
explique beaucoup de choses : toute idéologie s’appuie
d’abord sur les idées des dogmes précédents.
Au cours du XIXème siècle se développe l’idée
de ce que l’on appelle la modernité : c’est cette
idée du cercle vertueux, comme on disait alors, qui est que le
progrès économique va permettre le progrès social
(car ça va créer des emplois, augmenter les revenus, avoir
une meilleure consommation …), et qui lui-même permet le
progrès politique (les gens étant plus éduqués,
participant plus, la démocratie peut se développer) et
le progrès politique à son tour permet le progrès
économique, car il permet de mieux développer les besoins,
de mieux gérer la société etc… Le fondement
du progrès économique, à ce moment-là, ce
sont les sciences et les techniques. D’où vient le fait
qu’il y a un progrès économique possible ? C’est
la domestication et la maîtrise des technologies à travers
le progrès scientifique, qui est évidemment le progrès
majeur. Il y a toute une liaison qui se construit entre progrès
et développement, qui fonde toute la modernité du XIXème
siècle, dont nous héritons et qui est maintenant cette
idée du progrès. Pascale Fourier : On dirait que cela a marché jusqu’aux années 1960 environ, où effectivement l’ensemble de la population semble avoir profité de ce progrès économique, mais maintenant vient une espèce de saturation des marchés de biens de consommation. Ca n’a plus l’air de marcher. La croissance semble s’appuyer sur le fait de savoir si je vais avoir un nouveau portable… Gustave Massiah : Il y a plusieurs choses qui jouent. D’abord, il faut bien admettre que cette idée apparaît très rapidement comme une idée occidentale, puisque, en fait, une grande partie du monde n’est pas dans ce cercle vertueux et que, au contraire, c’est plutôt la misère qui se développe sur certaines zones, mais qu’au niveau de l’ensemble du Monde, l’accès à la consommation n’est pas un accès réel, ce n’est pas une réalité. Ce qui d’ailleurs accroît l’idée que c’est quand même l’accès à la consommation qui permet d’arriver au progrès, d’une certaine façon, c’est un peu paradoxal. Et en même temps, le fait que cette idée n’est pas forcément évidente est en même temps un renforcement de cette idée comme représentation.
C’est un des éléments qui introduit, d’une certaine façon, une limite. Il faut alors voir que les limites sont très insupportables pour le capitalisme : c’est que le capitalisme est un système qui est fondé sur l’idée du marché illimité. Parce qu’il y a un marché illimité, les entrepreneurs peuvent se comporter simplement en se posant la question : “ Est-ce qu’il est rentable ou pas de produite ? ” S’il est rentable de produire, on produit ; s’il n’est pas rentable de produire, ceux qui ont des capitaux vont aller vers des secteurs où il est plus rentable de produire. Mais globalement, quand même, le marché est illimité et donc la consommation doit pouvoir croître. Ce marché doit être illimité, d’où la notion d’ailleurs idéologique des « nouvelles frontières », que l’on va retrouver beaucoup aux Etats-Unis.Ces nouvelles frontières sont soit des frontières géographiques (la conquête de l’Ouest d’une certaine façon, et aujourd’hui la conquête du Monde), soit des frontières sociales, c’est-à-dire comment faire accéder les ouvriers à la consommation, qui est le fondement du fordisme. Mais donc il y a toujours cette idée que le marché doit être illimité. Ce mécanisme fonctionne sur la concurrence : une des façons d’échapper à la concurrence et au fait que la concurrence se traduit par une baisse des profits (parce qu’elle entraîne une augmentation de la consommation et donc une baisse des prix), une des façons de faire face à cette concurrence qui est quand même très déstabilisante pour les chefs d’entreprise, et pour les ouvriers aussi, c’est de limiter la concurrence par une tendance à la concentration. Si le plus fort rachète ses concurrents, il peut fixer les prix comme il veut, puisqu’il n’aura plus de concurrents. Et donc on va vers des monopoles, privés en général ; ou des oligopoles : ça veut dire que ce n’est pas une seule personne ou une seule entreprise qui contrôle la production, mais un nombre fini (3, 4, 5, 6) d’entreprises qui forment un cartel, un peu comme pour le pétrole où l’on a sept grandes entreprises, qui se mettent d’accord pour qu’il n’y ait pas de concurrence ; alors de temps en temps la concurrence redémarre, parce qu’il y a des bagarres internes entre les familles, mais globalement quand même on se met d’accord pour ne pas être soumis continuellement à cette concurrence et pour pouvoir fixer les prix. C’est très important parce que l’économie capitaliste fonctionne sur cette idée que la concurrence, c’est le fondement du système : qu’est-ce qui fonde le droit européen, c’est le droit de la concurrence. Mais en réalité, le droit à la concurrence conduit aux oligopoles et aux monopoles. C’était un petit détour pour comprendre comment fonctionne l’économie. Alors ceci nous amène vers cette idée que finalement, l’idée du marché illimité et de la croissance de l’économie devient la même chose que la croissance du marché : il faut la croissance des marchés. C’est là
que nous arrivons dans une période aujourd’hui, avec une
caractéristique nouvelle : comme la tendance à la mondialisation
de l’économie est plus grande, les grandes entreprises
économiques, justement à force de croître ( et qui
sont toujours confrontées à cette question de la concurrence,
et aussi de la concurrence sur l’ensemble des marchés),
les grandes entreprises sont confrontées à la concurrence
: Quelle est la différence entre profit et surprofit ? Quand on travaille
sur un marché, en concurrence, on a un profit qui est le profit
moyen de l’économie, tôt ou tard ; et donc le comportement
des capitalistes, ce n’est pas de faire le profit moyen, c’est
de faire un profit supérieur au profit moyen. Parce que s’ils
ne font que le profit moyen, ils peuvent se faire racheter très
facilement par des gens qui font un profit supérieur ; donc ceux
qui ne font qu’un profit moyen sont des gens qui sont à
terme condamnés. Dans cette logique
de fonctionnement du système économique, le fondement
est quand même que si le marché s’étend et
s’il y a croissance, on pourra trouver des possibilités
d’échapper aux crises. S’il n’y a plus croissance,
le risque de crise devient très important. Comme aujourd’hui,
l’ensemble des opérateurs ont réussi à s’abstraire
des limites et des formes de régulation publique nationale, il
y a donc actuellement une organisation mondiale des marchés :
organisation mondiale des marchés des capitaux, organisation
mondiale des marché des marchandises … Et donc effectivement,
comme chaque opérateur rencontre les limites de son marché
national, la concurrence s’est déplacée sur le marché
mondial. Le marché mondial est donc devenu la référence
de la croissance. Quand on dit “ il faut croissance ”, on
comprend en général “ il faut des exportations,
il faut pouvoir vendre à l’extérieur ” et
donc on arrive à cette idée : la croissance, c’est
l’accès au marché mondial qui permet la croissance.
De ce fait, tous les économistes aujourd’hui développent
des théories en disant Pascale Fourier: Eh bien voilà: c'était la première des trois émissions avec Gustave Masiah, mais c'était peut-être un peu coimpliqué... Mais ce qui m'intéresse, c'est qu'il y a mille choses à picorer dans ce qui est dit, mille choses qui permettent de remettre les choses en perspective, et notamment la mondialisation. A la semaine prochaine, avec Gustave Massiah!
|
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 26 Avril 2003 sur AligreFM. Merci d'avance. |