Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 13 DECEMBRE 2002

La gauche a-t-elle mené une politique de gauche en matière économique ?

avec Laurent Mauduit, rédacteur en chef au Monde, responsable du service Entreprises. Auteur de L'adieu au socialisme en collaboration avec Gérard Desportes, Grasset (2002)

 

Pascale Fourier : Ceux qui écoutent, avec un petit peu d’attention, les émissions, en tous les cas qui les ont écoutées l’année dernière, se sont aperçus que je finissais souvent les émissions en disant : « Mais comment se fait-il qu’un gouvernement de gauche ait pris telle et telle mesure, ou a accepté telle et telle chose ? Pourquoi des hommes de gauche peuvent-ils penser ça ? ».
Et là, je me suis dit, après avoir lu votre livre, que j’allais peut-être avoir des réponses à cette question, ce qui justifie votre présence ici.

Laurent Mauduit : C’est parce que vous êtes une lectrice indulgente…

Pascale Fourier : Parmi les choses qui m’avaient vraiment étonnée effectivement l’année dernière, quand le gouvernement était à gauche, c’est que des hommes de gauche avaient signé le traité d’Amsterdam, avaient peu ou prou accepté la privatisation rampante d’EDF, avaient privatisé plus que tous gouvernements de droite si j’ai bien compris... Est-ce que ça veut dire que la gauche ne faisait pas vraiment une politique de gauche en matière d’économie ?

Laurent Mauduit : Oui, il y a deux débats. Il y a d’abord ce constat-là qui est incontestable : l’histoire de ces vingt dernières années pour la gauche, c’est l’histoire d’une conversion dramatique, pathétique, au libéralisme. Et donc moi je trouve que l’un des plus beaux débats en économie, pour autant que l’économie c’est d’abord l’économie politique, c’est d’essayer de comprendre pourquoi, quelles sont les raisons de cette évolution, et donc de faire la mesure entre la puissance croissante des marchés et puis la part qu’il y a dans la volonté des hommes, la résignation, la démission parfois peut-être ( je n’aime pas le terme de trahison parce que je trouve qu’il y a une connotation morale. Vous savez l’histoire de la gauche a souffert terriblement de récriminations violentes : le stalinisme a été un grand spécialiste comme mouvement d’injures et pire que ça. Donc le terme de trahison, je ne l’aime pas), mais voilà, faire la part des choses entre la force terrible du marché, la puissance du marché (on parle même parfois de terrorisme du marché), puis les hommes : est-ce que les hommes, malgré la puissance des marchés, auraient pu agir différemment ou alors résister ?
Voilà, je trouve que c’est un très beau débat.

Pascale Fourier : Justement, est-ce qu’il y a vraiment une résignation ? C’est une résignation ou une mauvaise compréhension de l’évolution du capitalisme actuel ?

Laurent Mauduit : Si vous me demandez de faire cette part, je pense que d’abord la première raison de cette mutation, donc de cette politique très libérale conduite par la gauche, tient d’abord à l'évolution du capitalisme. La gauche radicale parle de la mondialisation libérale, je trouve que ce concept-là, cette définition-là, mondialisation libérale, ne suffit pas à comprendre parce qu’on pourrait dire, après tout, que, depuis le début du vingtième siècle et même avant, on était déjà dans une phase de mondialisation libérale. Ce qui me frappe beaucoup, pour qu’on montre d’abord que la première dominante n’est pas la volonté des hommes, c’est l’évolution des choses : c’est terrible ! Donc je trouve que l’évolution la plus frappante, en tous cas pour nos pays d’Europe occidentale, donc pour la France (pour l’Allemagne c’est assez voisin de la France, je trouve), c’est le changement de capitalisme : le basculement d’un capitalisme qu’on appelle par commodité "rhénan", c'est-à-dire un capitalisme assez régulé dans lequel les partenaires sociaux ont du poids (avec les syndicats, les grandes institutions sociales, …); pour les gens qui ne sont pas spécialistes en économie, c’est simple un capitalisme rhénan, c'est un capitalisme avec une ANPE, une protection sociale, une assurance maladie… ,un capitalisme qui n’est pas un capitalisme sauvage.
Le phénomène majeur, c’est ce basculement d’un capitalisme très régulé, celui qu’on a connu en France disons depuis la libération jusqu’au début des années 80 à un capitalisme très anglo-saxon. Pour aller vite, je pourrais caricaturer : notre ancien capitalisme, c’est un capitalisme où, dans les entreprises, il y avait des patrons d’un côté, des syndicalistes de l’autre, des actionnaires… et puis le patron était une sorte de Bonaparte au-dessus qui essayait en fonction de la lutte des classes, des rapports de force, de trouver un arbitrage entre salaires, profits,… Le capitalisme anglo-saxon auquel on s’est converti sous le gouvernement de gauche (c’est ça le paradoxe !) est un capitalisme où tout est pour l’actionnaire : taux de rendement terrible, 15% demandés (après l’éclatement de la bulle technologique, c’est moins maintenant, mais…). Voilà, c’est un capitalisme où le patron n’est plus cette espèce de Bonaparte au-dessus des factions, c’est le salarié des actionnaires : il est là pour récompenser les actionnaires, d’où ce qu’on a connu en France, ce que l’on a appelé les licenciements boursiers. Le premier facteur est donc cette évolution terrible ! On pourrait rentrer dans les détails sur les conséquences que cela a : le marché commande. La première responsabilité des socialistes n’a pas été de trahir, mais peut-être de ne pas avoir la lucidité d’analyser ce basculement terrible qui s’est imposé à tous, y compris à la gauche radicale : dans son émergence,celle de la gauche radicale, au milieu des années 90, ses thématiques ne sont pas révolutionnaires : elles sont gentiment, timidement réformistes : la taxe Tobin,… sont des idées pour essayer de résister à ce basculement-là. Et puis il y a sans doute aussi la volonté des hommes, là pour le coup. On rentrerait plus, si l’on essayait de le mesurer, dans les débats internes notamment du PS : il y en a certains qui ont fait du zèle, un zèle invraisemblable. Prenez un exemple caricatural : Dominique Strauss-Kahn avec les « stock-options », ces fortunes colossales, ces rémunérations déguisées que gagnent les grands patrons américains, et que les patrons français ont revendiqués de gagner aussi (fantastique, immense inégalité).
Et l’immense responsabilité de certains socialistes a été... un exemple, un seul, Mr Bébéar, l’un des grands patrons français, le président du conseil de surveillance d’Axa, dont on évalue les plus values latentes sur ses stocks-options à plus d’1.3 milliards de francs. Ainsi la France est numéro 2 mondial du système de stock options, devant la très libérale Grande-Bretagne, et ce grâce à certains socialistes ! Et en plus, Dominique Strauss-Kahn avait demandé que l’impôt sur les stock-options soit inférieur à l’impôt normal et qu’ainsi un patron gagne beaucoup plus, grâce aux « stock-options », que sa secrétaire, mais qu’en plus il bénéficie d’un système fiscal dérogatoire par rapport à sa secrétaire ! Donc ça, c’était vraiment un scandale !
Donc, voilà, ça c’est la part qui est la volonté des hommes, parfois anticiper ces évolutions, terrible !

Pascale Fourier : Mais comment, justement, est-il possible d’être socialiste, comme se dit l’être Dominique Strauss-Kahn, et prendre de telles décisions ? Ça m’échappe toujours un petit peu !

Laurent Mauduit : Ou,i mais là on quitte l’économie et l’on rentre dans la politique, c'est-à-dire la façon dont les gens regardent la politique. Il y a toujours eu, de toute éternité dans la sociale démocratie comme concept politique au sens large, à la fois les socialistes et les communistes, il y a toujours eu des courants de gauche, d’extrême gauche, de gauche radicale, peu importe le terme, des réformistes, des « sociaux libéraux » qui se revendiquent d’un courant de pensée qui est droitier disons les choses clairement. Et puis il y a la fonction : le ministre des finances est souvent le représentant (on le dit sous forme de blague) des patrons au sein du gouvernement et c’est vrai aussi sous la gauche. C'était Bérégovoy, « le Pinet de gauche », c’était aussi son positionnement, donc il y a une part de conviction profonde puis une part de calcul pour ratisser large. Mais à trop ratisser, finalement, parfois il arrive que l’on perde son âme.

Pascale Fourier : Il y a un petit truc qui m’étonne toujours un peu : la dernière grande manifestation qui défendait le service public le 24, 25 ou 26 je ne sais plus trop, trois ministres socialistes, venus soutenir la manifestation se sont faits conspuer. Pourtant, si j’ai bien compris ce que disent les socialistes, ils sont assez contents de leur politique économique; donc ils doivent êtres très étonnés de se faire ainsi vilipender ?

Laurent Mauduit : Ouais… il y a peut-être des petites opérations politiques dont on peut deviner les ressorts, mais pour le reste, c’est vrai que le bilan n’est pas très très flatteur, et on peut comprendre, au-delà des frictions ou des jeux de services d’ordre, qu’il puisse y avoir un peu de grogne, notamment sur la question des services publics de grogne réelle, parce que souvenez vous : on dit parfois que l’économie, c’est très compliqué, que mener une politique économique de gauche, c’est dur, mais l’habileté de Jospin en 97 quand il s’est présenté aux législatives et que la gauche a gagné après la dissolution calamiteuse de Chirac, c’est de dire: « Bon, écoutez, on a peut-être fait des erreurs : il y a peut-être eu la dérive libérale des années Bérégovoy avec un débat très difficile nationalisation/privatisation, alors on arrête ce débat là, mais au moins (une ligne de résistance pour la gauche) on défend les services publics. ». Et souvenez vous, notamment, il y avait à l’époque Juppé qui était premier ministre, pendant la campagne des législatives, qui avait lancé une étude pour la privatisation partielle de France Télécom . Et les socialistes disent alors dans leur plateforme : « Non ! France Télécom 100 % publique ! » 100 % ! François Hollande donne alors un petit entretien au journal économique La Tribune et dit : «Mais peut-être que l’on pourra faire (vous savez comme l’on dit dans le langage techno) respirer le secteur public» : une toute petite ouverture mini, mini ! Jospin se fâche et dit à François Hollande : « Non ! 100 % publique ! ». Puis trois mois après, ils ouvrent le capital de France Télécom … et vous connaissez l’histoire maintenant de France Télécom , les turbulences boursières, c’est une boîte privée comme les autres même si l'Etat a encore 54 % mais dès lors qu’il y a des actionnaires minoritaires privés, la boîte doit être gérée comme une boîte privée ! Et après France Télécom, on a le débat sur EDF qui est le « Grand débat » : c’est quand même hallucinant ! Il y a combien de présidentielles ? Le rêve, l’aspiration de n’importe quel citoyen, c’est un grand débat de société ! Là, non… On parle de quoi ? Grosso modo : plus de policiers et privatiser EDF ! Comme ambition pour une campagne présidentielle, surtout pour la gauche, qui a fait campagne avant sur la défense des services publics, on comprend que cela puisse susciter quelque amertume, après coup, de voir des ministres socialistes venir manifester en solidarité avec les agents d’EDF ! Voilà.

Pascale Fourier : Mais peut être pourrait-on porter au crédit des socialistes le fait que le chômage avait baissé ?

Laurent Mauduit : C’est la grande thématique des socialistes et notamment la répartie que beaucoup d’entre eux ont apportée au livre que j’ai écrit avec Desportes : « Vous êtes très, très injustes parce que regardez le bilan en termes d’emplois est très positif : il y a eu des centaines de milliers de créations d’emplois, il y a eu les 35h qui ont consolidé ce mouvement là et donc il y a eu, en tous cas jusqu’aux trois quarts de la législature, un mouvement de repli [du chômage] ». Moi, ce qui me frappe beaucoup, en termes de politique économique, c’est que je trouve que dans cette répartie il y a une part d’autisme terrible. Ça veut dire que les Français ont voté contre nous, mais les Français ne nous ont pas compris. Et je pense que cet autisme est une forme, pour ceux qui l’utilisent ou le manifestent, de déni de réalité, on ne veut pas voir la réalité, mais c’est aussi une sorte de déni de démocratie. Prenons juste une catégorie sociale, si vous le voulez bien ( c’est à cheval ce débat là entre l’économie et la politique), mais prenez les ouvriers. On l’oublie trop souvent, mais en France il y a 8 millions d’ouvriers, enfin 7 millions, 7.2 millions et presque 8 millions d’employés. C’est une couche sociale de 15 millions de personnes, c'est la couche sociale centrale. Et si vous étudiez bien sur une longue période, pas seulement la législature qui vient de se clore avec Jospin, mais sur dix ans ou même sur quinze ans : cette couche sociale centrale a vu son pouvoir d’achat baisser, ses conditions de travail se dégrader notamment avec les 35h ( la flexibilité du travail que revendiquait le patronat, contre laquelle la gauche protestait a été mise en œuvre à travers les 35h). On a retrouvé dans le livre d’autres indicateurs : le vote ouvrier maintenant en France est d’abord un vote Front National ! Ce qui est terrible parce que dans la vieille acception, la vieille conception de la gauche : la classe ouvrière est la classe émancipatrice autour de laquelle toutes les autres couches sociales (la petite bourgeoisie, les couches moyennes) peuvent s’agréger. Là, c’est un vote Front National ! Donc on s’est dit : c’est tellement terrible, c’est tellement un effondrement (c’est pour cela que l’on parle d’"adieu au socialisme") de la planète de la gauche, qu’il faut essayer de rechercher les indicateurs de la colère : pouvoir d’achat, conditions de travail,… Mais pour passer à la colère violente comme un vote Front National , il faut d’autres choses. Prenez le taux de départ en vacances des ouvriers : au début des années 90, il y avait 55 % des familles ouvrières qui partaient en vacances, 10 ans après en 2000 c’est 45 %, une perte de 10 points ! Il y a beaucoup d’autres choses qui ont joué comme le fait que l’ascenseur social ne joue plus et que les enfants d’ouvriers n’ont plus la possibilité de monter dans l’échelle sociale. Quand vous êtes parent, notamment dans une famille ouvrière, le grand espoir, c’est que votre enfant (comme vous avez eu une vie douloureuse dans des conditions difficiles) ait une situation sociale meilleure que la vôtre. Donc quand l’ascenseur social est bloqué... ce qui est le cas pour les familles ouvrières : on cite des études très impressionnantes, notamment des sociologues Stéphane Beaud et [Michel] Pialoux qui montre que les conditions d’éducations des enfants, notamment des familles ouvrières se sont fortement dégradées et que même l’ambition de 80% [de réussite] au bac n’a pas aidé à faire jouer l’ascenseur social. Stéphane Beaud dans son étude «80 % au bac… et après », dont on a beaucoup parlé il y a 6 mois, cite le romancier français de la fin du XIXe, Jules Vallès : « Bachelier, je suis juste monté plus haut dans l’échelle des illusions » : c’est le bilan de la gauche…

Pascale Fourier : Là j’avais vraiment l’impression, à vous écouter, que les socialistes avaient joué contre leur camp mais est ce que par hasard ils auraient d’une autre façon favorisé leur camp, favorisé le camp ...des travailleurs ?

Laurent Mauduit : Tout de même ! Un peu ! Quelque chose ! Un signe !

Pascale Fourier : Eh bien je ne sais pas, par les impôts ?

Laurent Mauduit : Eux le revendiquent en disant « Regardez, on a tout de même fait des choses… » et encore... On l’a vu, je crois qu’il y a une part d’autisme car comment faire la part entre la croissance, la conjoncture qui crée des emplois et puis l’accompagnement des socialistes.
Bilan des 35h : très compliqué. En terme, soit de création d’emploi d’un côté: bien pour leur camp; et puis de l’autre côté, dérégulation salariale, flexibilité… Il y a des domaines où l’on se dit en revanche : « Est-ce qu’ils ont fait des choses ? ». Bon peut-être : C.M.U. (Couverture Maladie Universelle), couverture de soins pour les exclus. J’imagine qu’il y a des points sur lesquels on peut leur donner du crédit… Des petits points ! Parce que souvent ça a été des aides dispersées, régionales, que l’on a re-centralisées nationalement et donc financièrement, ça n’a rien coûté, peanuts ! Ce qui me frappe chez les socialistes, je vais en venir à votre question sur la politique fiscale, c’est que chez le gouvernement de gauche, il y a eu dans les couches sociales, deux grandes couches emblématiques : les couches moyennes qui ont fait gamberger tout le monde; les bobos Parisiens, les Yuppies, … et puis les exclus, on a oublié les ouvriers… Donc pour les exclus, il y a sans doute eu des choses, la C.M.U. est sûrement une bonne mesure, mais globalement je pense qu’ils ont abandonné le cœur d’une politique économique de gauche. Parce que même quand les marchés sont très forts, même quand il y a une forme de terrorisme des marchés qui fait que, dès qu’on prend une mesure, il y a le coup de marteau des marchés, on peut se dire au moins qu’il y a des grands canons d’une politique de gauche, une politique de gauche est au moins une politique de redistribution : on prend un petit peu aux riches et on redistribue un petit peu aux pauvres; c’était les accents de la campagne présidentielle 1988, le R.M.I. d’un côté, l’impôt sur la fortune de l’autre. L’I.S.F., l'impôt sur la fortune, c’est un impôt un petit peu croupion, un impôt symbole, à l’époque c’était six milliards de francs quand ils l’avaient créé : un tout petit, tout petit impôt mais au moins pour, comme on disait : le peuple de gauche, il y avait une sorte de résonance. Même Mitterrand, Mitterrand, tout Mitterrand qu’il était, c'est-à-dire pas franchement révolutionnaire, avait au moins cette symbolique là. Là, quand on fait le bilan de la dernière législature, sur le plan fiscal, moi je trouve ça consternant. Consternant parce que vous vous dites que quand vous ne savez pas comment faire, au moins vous êtes résistant, vous essayez d’empêcher certaines évolutions…. Je vous ai dit ce qu’ils avaient fait en termes de stock-options : moi je trouve ça scandaleux ! Ce qui s’est passé en termes de fiscalité sur les stock-options : ils n’ont pas favorisé l’initiative et l’emploi, mais fait le jeu de Mr Jean Marie Messier et de quelques-uns de ses congénères. Ca n’a rien à voir avec une sorte de politique « new-look » pour cadre fortuné : pire que ça ! Bien pire que ça ! Quand vous ne savez pas quoi faire, vous vous dites au moins : « En France, il y a un petit impôt, tout petit, tout petit,… qui est l’impôt républicain par excellence, c’est l’impôt sur le revenu. Allez en Allemagne, en termes de poids, l’impôt sur le revenu allemand est trois fois plus gros que l’impôt français, et surtout c’est impôt progressif : plus vous êtes riche, plus vous payez, c’est pas l’impôt proportionnel. Donc c’est le seul impôt juste, le seul impôt républicain. Il a valeur constitutionnelle, il est inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme, dans la Déclaration du Citoyen :" chacun, - c’est la formule issue de la révolution française- , participera à la charge commune au prorata de ses facultés contributives". La République est dans l’impôt sur le revenu et donc de tout temps la gauche avait dit : « On ne touchera jamais à l’impôt sur le revenu, jamais ! ». Alors que… Bon qu’ils fassent d’autres choses mais ça ! Ils ont dit « Jamais on y touchera ! », ils ont attaqué la droite sans arrêt en disant : « La droite veut casser l’impôt sur le revenu, le transformer en impôt proportionnel comme la C.S.G. », et ils l’ont fait quand même… Y compris pour les plus riches: le taux supérieur de l’impôt sur le revenu payé par la fraction minoritaire de la population, les plus riches, a tout de même été abaissé. Ils ont fait un cadeau qui économiquement n’a aucune justification, qui a juste comme signification la symbolique politique : « Regardez même les plus riches… » Ils ont eux-mêmes contribué à réduire la symbolique qu’il y avait entre la gauche et la droite autour du taux supérieur de l’impôt.
Voilà donc je trouve que le bilan est un peu… un peu triste.

Pascale Fourier : Rien à défendre de positif quand même dans l’affaire ?

Laurent Mauduit : Sur le plan fiscal non. La seule vraie réforme intelligente aurait été, sur le plan fiscal, de créer un vrai impôt sur le capital. En France il n'y en a jamais eu, d’impôt sur le capital. Il y a eu l’I.S.F. qui est impôt croupion, un impôt immobilier; mais des gens qui ne sont pas révolutionnaires, qui sont seulement timidement réformistes comme Michel Rocard en d'autres temps, avaient suggéré un impôt sur la fortune avec une assiette très large, pas seulement immobilière; frappant aussi les biens professionnels, pour parler clair, les entreprises, et avec peut être un taux modéré… Ce que je dis n’est pas un truc révolutionnaire ! C’est un truc de bon sens, c’est une idée réformiste. Le principal reproche que je fais aux socialistes, c’est d’avoir cessé d’être socialiste, d’avoir cessé d’être réformiste. Parce que je trouve que l’époque appelle à une politique réformiste.

Pascale Fourier : Eh bien écoutez, on en rediscutera en tous les cas la semaine prochaine. On abordera les choses peut être d’une façon moins économique et cette fois plus politique et on essaiera peut-être d’être un peu moins déprimant ?...

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 13 Décembre 2002 sur AligreFM. Merci d'avance.