Pascale
Fourier
: Ceux qui écoutent,
avec un petit peu d’attention, les émissions, en tous les cas
qui les ont écoutées l’année dernière, se sont aperçus que je
finissais souvent les émissions en disant : « Mais comment se fait-il
qu’un gouvernement de gauche ait pris telle et telle mesure,
ou a accepté telle et telle chose ? Pourquoi des hommes de gauche
peuvent-ils penser ça ? ».
Et là, je me suis dit, après avoir lu votre livre, que j’allais
peut-être avoir des réponses à cette question, ce qui justifie votre
présence ici.
Laurent Mauduit
: C’est parce que vous êtes une lectrice indulgente…
Pascale Fourier : Parmi
les choses qui m’avaient vraiment étonnée effectivement l’année
dernière, quand le gouvernement était à gauche, c’est que des
hommes de gauche avaient signé le traité d’Amsterdam, avaient
peu ou prou accepté la privatisation rampante d’EDF, avaient
privatisé plus que tous gouvernements de droite si j’ai bien
compris... Est-ce que ça veut dire que la gauche ne faisait pas vraiment
une politique de gauche en matière d’économie ?
Laurent Mauduit : Oui,
il y a deux débats. Il y a d’abord ce constat-là qui est incontestable
: l’histoire de ces vingt dernières années pour la gauche, c’est
l’histoire d’une conversion dramatique, pathétique, au
libéralisme. Et donc moi je trouve que l’un des plus beaux débats
en économie, pour autant que l’économie c’est d’abord
l’économie politique, c’est d’essayer de comprendre
pourquoi, quelles sont les raisons de cette évolution, et donc de
faire la mesure entre la puissance croissante des marchés et puis
la part qu’il y a dans la volonté des hommes, la résignation,
la démission parfois peut-être ( je n’aime pas le terme de trahison
parce que je trouve qu’il y a une connotation morale. Vous savez
l’histoire de la gauche a souffert terriblement de récriminations
violentes : le stalinisme a été un grand spécialiste comme mouvement
d’injures et pire que ça. Donc le terme de trahison, je ne l’aime
pas), mais voilà, faire la part des choses entre la force terrible
du marché, la puissance du marché (on parle même parfois de terrorisme
du marché), puis les hommes : est-ce que les hommes, malgré la puissance
des marchés, auraient pu agir différemment ou alors résister ?
Voilà, je trouve que c’est un très beau débat.
Pascale Fourier : Justement, est-ce qu’il y a vraiment une résignation
? C’est une résignation ou une mauvaise compréhension de l’évolution
du capitalisme actuel ?
Laurent Mauduit
: Si vous me demandez de faire cette part, je pense que d’abord
la première raison de cette mutation, donc de cette politique très
libérale conduite par la gauche, tient d’abord à l'évolution
du capitalisme. La gauche radicale parle de la mondialisation libérale,
je trouve que ce concept-là, cette définition-là, mondialisation libérale,
ne suffit pas à comprendre parce qu’on pourrait dire, après
tout, que, depuis le début du vingtième siècle et même avant, on était
déjà dans une phase de mondialisation libérale. Ce qui me frappe beaucoup,
pour qu’on montre d’abord que la première dominante n’est
pas la volonté des hommes, c’est l’évolution des choses
: c’est terrible ! Donc je trouve que l’évolution la plus
frappante, en tous cas pour nos pays d’Europe occidentale, donc
pour la France (pour l’Allemagne c’est assez voisin de
la France, je trouve), c’est le changement de capitalisme :
le basculement d’un capitalisme qu’on appelle par commodité
"rhénan", c'est-à-dire un capitalisme assez régulé
dans lequel les partenaires sociaux ont du poids (avec les syndicats,
les grandes institutions sociales, …); pour les gens qui ne
sont pas spécialistes en économie, c’est simple un capitalisme
rhénan, c'est un capitalisme avec une ANPE, une protection
sociale, une assurance maladie… ,un capitalisme qui n’est
pas un capitalisme sauvage.
Le phénomène majeur, c’est ce basculement d’un capitalisme
très régulé, celui qu’on a connu en France disons depuis la
libération jusqu’au début des années 80 à un capitalisme très
anglo-saxon. Pour aller vite, je pourrais caricaturer : notre ancien
capitalisme, c’est un capitalisme où, dans les entreprises,
il y avait des patrons d’un côté, des syndicalistes de l’autre,
des actionnaires… et puis le patron était une sorte de Bonaparte
au-dessus qui essayait en fonction de la lutte des classes, des rapports
de force, de trouver un arbitrage entre salaires, profits,…
Le capitalisme anglo-saxon auquel on s’est converti sous le
gouvernement de gauche (c’est ça le paradoxe !) est un capitalisme
où tout est pour l’actionnaire : taux de rendement terrible,
15% demandés (après l’éclatement de la bulle technologique,
c’est moins maintenant, mais…). Voilà, c’est un
capitalisme où le patron n’est plus cette espèce de Bonaparte
au-dessus des factions, c’est le salarié des actionnaires :
il est là pour récompenser les actionnaires, d’où ce qu’on
a connu en France, ce que l’on a appelé les licenciements boursiers.
Le premier facteur est donc cette évolution terrible ! On pourrait
rentrer dans les détails sur les conséquences que cela a : le marché
commande. La première responsabilité des socialistes n’a pas
été de trahir, mais peut-être de ne pas avoir la lucidité d’analyser
ce basculement terrible qui s’est imposé à tous, y compris à
la gauche radicale : dans son émergence,celle de la gauche radicale,
au milieu des années 90, ses thématiques ne sont pas révolutionnaires
: elles sont gentiment, timidement réformistes : la taxe Tobin,…
sont des idées pour essayer de résister à ce basculement-là. Et puis
il y a sans doute aussi la volonté des hommes, là pour le coup. On
rentrerait plus, si l’on essayait de le mesurer, dans les débats
internes notamment du PS : il y en a certains qui ont fait du zèle,
un zèle invraisemblable. Prenez un exemple caricatural : Dominique
Strauss-Kahn avec les « stock-options », ces fortunes colossales,
ces rémunérations déguisées que gagnent les grands patrons américains,
et que les patrons français ont revendiqués de gagner aussi (fantastique,
immense inégalité).
Et l’immense responsabilité de certains socialistes a été...
un exemple, un seul, Mr Bébéar, l’un des grands patrons français,
le président du conseil de surveillance d’Axa, dont on évalue
les plus values latentes sur ses stocks-options à plus d’1.3
milliards de francs. Ainsi la France est numéro 2 mondial du système
de stock options, devant la très libérale Grande-Bretagne, et ce grâce
à certains socialistes ! Et en plus, Dominique Strauss-Kahn avait
demandé que l’impôt sur les stock-options soit inférieur à l’impôt
normal et qu’ainsi un patron gagne beaucoup plus, grâce aux
« stock-options », que sa secrétaire, mais qu’en plus il bénéficie
d’un système fiscal dérogatoire par rapport à sa secrétaire
! Donc ça, c’était vraiment un scandale !
Donc, voilà, ça c’est la part qui est la volonté des hommes,
parfois anticiper ces évolutions, terrible !
Pascale Fourier : Mais comment, justement, est-il possible
d’être socialiste, comme se dit l’être Dominique Strauss-Kahn,
et prendre de telles décisions ? Ça m’échappe toujours un petit
peu !
Laurent Mauduit : Ou,i
mais là on quitte l’économie et l’on rentre dans la politique,
c'est-à-dire la façon dont les gens regardent la politique. Il y a
toujours eu, de toute éternité dans la sociale démocratie comme concept
politique au sens large, à la fois les socialistes et les communistes,
il y a toujours eu des courants de gauche, d’extrême gauche,
de gauche radicale, peu importe le terme, des réformistes, des « sociaux
libéraux » qui se revendiquent d’un courant de pensée qui est
droitier disons les choses clairement. Et puis il y a la fonction
: le ministre des finances est souvent le représentant (on le dit
sous forme de blague) des patrons au sein du gouvernement et c’est
vrai aussi sous la gauche. C'était Bérégovoy, « le Pinet de
gauche », c’était aussi son positionnement, donc il y a une
part de conviction profonde puis une part de calcul pour ratisser
large. Mais à trop ratisser, finalement, parfois il arrive que l’on
perde son âme.
Pascale Fourier : Il y a un petit truc qui m’étonne toujours
un peu : la dernière grande manifestation qui défendait le service
public le 24, 25 ou 26 je ne sais plus trop, trois ministres socialistes,
venus soutenir la manifestation se sont faits conspuer. Pourtant,
si j’ai bien compris ce que disent les socialistes, ils sont
assez contents de leur politique économique; donc ils doivent êtres
très étonnés de se faire ainsi vilipender ?
Laurent Mauduit
: Ouais… il y a peut-être des petites opérations politiques
dont on peut deviner les ressorts, mais pour le reste, c’est
vrai que le bilan n’est pas très très flatteur, et on peut comprendre,
au-delà des frictions ou des jeux de services d’ordre, qu’il
puisse y avoir un peu de grogne, notamment sur la question des services
publics de grogne réelle, parce que souvenez vous : on dit parfois
que l’économie, c’est très compliqué, que mener une politique
économique de gauche, c’est dur, mais l’habileté de Jospin
en 97 quand il s’est présenté aux législatives et que la gauche
a gagné après la dissolution calamiteuse de Chirac, c’est de
dire: « Bon, écoutez, on a peut-être fait des erreurs : il y a peut-être
eu la dérive libérale des années Bérégovoy avec un débat très difficile
nationalisation/privatisation, alors on arrête ce débat là, mais au
moins (une ligne de résistance pour la gauche) on défend les services
publics. ». Et souvenez vous, notamment, il y avait à l’époque
Juppé qui était premier ministre, pendant la campagne des législatives,
qui avait lancé une étude pour la privatisation partielle de France
Télécom . Et les socialistes disent alors dans leur plateforme : «
Non ! France Télécom 100 % publique ! » 100 % ! François Hollande
donne alors un petit entretien au journal économique La Tribune et
dit : «Mais peut-être que l’on pourra faire (vous savez comme
l’on dit dans le langage techno) respirer le secteur public»
: une toute petite ouverture mini, mini ! Jospin se fâche et dit à
François Hollande : « Non ! 100 % publique ! ». Puis trois mois après,
ils ouvrent le capital de France Télécom … et vous connaissez
l’histoire maintenant de France Télécom , les turbulences boursières,
c’est une boîte privée comme les autres même si l'Etat a encore
54 % mais dès lors qu’il y a des actionnaires minoritaires privés,
la boîte doit être gérée comme une boîte privée ! Et après France
Télécom, on a le débat sur EDF qui est le « Grand débat » : c’est
quand même hallucinant ! Il y a combien de présidentielles ? Le rêve,
l’aspiration de n’importe quel citoyen, c’est un
grand débat de société ! Là, non… On parle de quoi ? Grosso
modo : plus de policiers et privatiser EDF ! Comme ambition pour une
campagne présidentielle, surtout pour la gauche, qui a fait campagne
avant sur la défense des services publics, on comprend que cela puisse
susciter quelque amertume, après coup, de voir des ministres socialistes
venir manifester en solidarité avec les agents d’EDF ! Voilà.
Pascale Fourier : Mais peut être pourrait-on porter au crédit
des socialistes le fait que le chômage avait baissé ?
Laurent Mauduit : C’est
la grande thématique des socialistes et notamment la répartie que
beaucoup d’entre eux ont apportée au livre que j’ai écrit
avec Desportes : « Vous êtes très, très injustes parce que regardez
le bilan en termes d’emplois est très positif : il y a eu des
centaines de milliers de créations d’emplois, il y a eu les
35h qui ont consolidé ce mouvement là et donc il y a eu, en tous cas
jusqu’aux trois quarts de la législature,
un mouvement de repli [du chômage] ». Moi, ce qui me frappe beaucoup,
en termes de politique économique, c’est que je trouve que dans
cette répartie il y a une part d’autisme terrible. Ça veut dire
que les Français ont voté contre nous, mais les Français ne nous ont
pas compris. Et je pense que cet autisme est une forme, pour ceux
qui l’utilisent ou le manifestent, de déni de réalité, on ne
veut pas voir la réalité, mais c’est aussi une sorte de déni
de démocratie. Prenons juste une catégorie sociale, si vous le voulez
bien ( c’est à cheval ce débat là entre l’économie et
la politique), mais prenez les ouvriers. On l’oublie trop souvent,
mais en France il y a 8 millions d’ouvriers, enfin 7 millions,
7.2 millions et presque 8 millions d’employés. C’est une
couche sociale de 15 millions de personnes, c'est la couche sociale
centrale. Et si vous étudiez bien sur une longue période, pas seulement
la législature qui vient de se clore avec Jospin, mais sur dix ans
ou même sur quinze ans : cette couche sociale centrale a vu son pouvoir
d’achat baisser, ses conditions de travail se dégrader notamment
avec les 35h ( la flexibilité du travail que revendiquait le patronat,
contre laquelle la gauche protestait a été mise en œuvre à travers
les 35h). On a retrouvé dans le livre d’autres indicateurs :
le vote ouvrier maintenant en France est d’abord un vote Front
National ! Ce qui est terrible parce que dans la vieille acception,
la vieille conception de la gauche : la classe ouvrière est la classe
émancipatrice autour de laquelle toutes les autres couches sociales
(la petite bourgeoisie, les couches moyennes) peuvent s’agréger.
Là, c’est un vote Front National ! Donc on s’est dit :
c’est tellement terrible, c’est tellement un effondrement
(c’est pour cela que l’on parle d’"adieu au
socialisme") de la planète de la gauche, qu’il faut essayer
de rechercher les indicateurs de la colère : pouvoir d’achat,
conditions de travail,… Mais pour passer à la colère violente
comme un vote Front National , il faut d’autres choses. Prenez
le taux de départ en vacances des ouvriers : au début des années 90,
il y avait 55 % des familles ouvrières qui partaient en vacances,
10 ans après en 2000 c’est 45 %, une perte de 10 points ! Il
y a beaucoup d’autres choses qui ont joué comme le fait que
l’ascenseur social ne joue plus et que les enfants d’ouvriers
n’ont plus la possibilité de monter dans l’échelle sociale.
Quand vous êtes parent, notamment dans une famille ouvrière, le grand
espoir, c’est que votre enfant (comme vous avez eu une vie douloureuse
dans des conditions difficiles) ait une situation sociale meilleure
que la vôtre. Donc quand l’ascenseur social est bloqué... ce
qui est le cas pour les familles ouvrières : on cite des études très
impressionnantes, notamment des sociologues Stéphane Beaud et [Michel]
Pialoux qui montre que les conditions d’éducations des enfants,
notamment des familles ouvrières se sont fortement dégradées et que
même l’ambition de 80% [de réussite] au bac n’a pas aidé
à faire jouer l’ascenseur social. Stéphane Beaud dans son étude
«80 % au bac… et après », dont on a beaucoup parlé il y a 6
mois, cite le romancier français de la fin du XIXe, Jules Vallès :
« Bachelier, je suis juste monté plus haut dans l’échelle des
illusions » : c’est le bilan de la gauche…
Pascale Fourier : Là j’avais vraiment l’impression, à
vous écouter, que les socialistes avaient joué contre leur camp mais
est ce que par hasard ils auraient d’une autre façon favorisé
leur camp, favorisé le camp ...des travailleurs ?
Laurent Mauduit
: Tout de même ! Un peu ! Quelque chose ! Un signe !
Pascale Fourier : Eh bien je ne sais pas, par les impôts ?
Laurent Mauduit : Eux
le revendiquent en disant « Regardez, on a tout de même fait des choses…
» et encore... On l’a vu, je crois qu’il y a une part
d’autisme car comment faire la part entre la croissance, la
conjoncture qui crée des emplois et puis l’accompagnement des
socialistes.
Bilan des 35h : très compliqué. En terme, soit de création d’emploi
d’un côté: bien pour leur camp; et puis de l’autre côté,
dérégulation salariale, flexibilité… Il y a des domaines où
l’on se dit en revanche : « Est-ce qu’ils ont fait des
choses ? ». Bon peut-être : C.M.U. (Couverture Maladie Universelle),
couverture de soins pour les exclus. J’imagine qu’il y
a des points sur lesquels on peut leur donner du crédit… Des
petits points ! Parce que souvent ça a été des aides dispersées, régionales,
que l’on a re-centralisées nationalement et donc financièrement,
ça n’a rien coûté, peanuts ! Ce qui me frappe chez les socialistes,
je vais en venir à votre question sur la politique fiscale, c’est
que chez le gouvernement de gauche, il y a eu dans les couches sociales,
deux grandes couches emblématiques : les couches moyennes qui ont
fait gamberger tout le monde; les bobos Parisiens, les Yuppies, …
et puis les exclus, on a oublié les ouvriers… Donc pour les
exclus, il y a sans doute eu des choses, la C.M.U. est sûrement une
bonne mesure, mais globalement je pense qu’ils ont abandonné
le cœur d’une politique économique de gauche. Parce que
même quand les marchés sont très forts, même quand il y a une forme
de terrorisme des marchés qui fait que, dès qu’on prend une
mesure, il y a le coup de marteau des marchés, on peut se dire au
moins qu’il y a des grands canons d’une politique de gauche,
une politique de gauche est au moins une politique de redistribution
: on prend un petit peu aux riches et on redistribue un petit peu
aux pauvres; c’était les accents de la campagne présidentielle
1988, le R.M.I. d’un côté, l’impôt sur la fortune de l’autre.
L’I.S.F., l'impôt sur la fortune, c’est un impôt
un petit peu croupion, un impôt symbole, à l’époque c’était
six milliards de francs quand ils l’avaient créé : un tout petit,
tout petit impôt mais au moins pour, comme on disait : le peuple de
gauche, il y avait une sorte de résonance. Même Mitterrand, Mitterrand,
tout Mitterrand qu’il était, c'est-à-dire pas franchement révolutionnaire,
avait au moins cette symbolique là. Là, quand on fait le bilan de
la dernière législature, sur le plan fiscal, moi je trouve ça consternant.
Consternant parce que vous vous dites que quand vous ne savez pas
comment faire, au moins vous êtes résistant, vous essayez d’empêcher
certaines évolutions…. Je vous ai dit ce qu’ils avaient
fait en termes de stock-options : moi je trouve ça scandaleux ! Ce
qui s’est passé en termes de fiscalité sur les stock-options
: ils n’ont pas favorisé l’initiative et l’emploi,
mais fait le jeu de Mr Jean Marie Messier et de quelques-uns de ses
congénères. Ca n’a rien à voir avec une sorte de politique «
new-look » pour cadre fortuné : pire que ça ! Bien pire que ça ! Quand
vous ne savez pas quoi faire, vous vous dites au moins : « En France,
il y a un petit impôt, tout petit, tout petit,… qui est l’impôt
républicain par excellence, c’est l’impôt sur le revenu.
Allez en Allemagne, en termes de poids, l’impôt sur le revenu
allemand est trois fois plus gros que l’impôt français, et surtout
c’est impôt progressif : plus vous êtes riche, plus vous payez,
c’est pas l’impôt proportionnel. Donc c’est le seul
impôt juste, le seul impôt républicain. Il a valeur constitutionnelle,
il est inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme, dans
la Déclaration du Citoyen :" chacun, - c’est la formule
issue de la révolution française- , participera à la charge commune
au prorata de ses facultés contributives". La République est
dans l’impôt sur le revenu et donc de tout temps la gauche avait
dit : « On ne touchera jamais à l’impôt sur le revenu, jamais
! ». Alors que… Bon qu’ils fassent d’autres choses
mais ça ! Ils ont dit « Jamais on y touchera ! », ils ont attaqué
la droite sans arrêt en disant : « La droite veut casser l’impôt
sur le revenu, le transformer en impôt proportionnel comme la C.S.G.
», et ils l’ont fait quand même… Y compris pour les plus
riches: le taux supérieur de l’impôt sur le revenu payé par
la fraction minoritaire de la population, les plus riches, a tout
de même été abaissé. Ils ont fait un cadeau qui économiquement n’a
aucune justification, qui a juste comme signification la symbolique
politique : « Regardez même les plus riches… » Ils ont eux-mêmes
contribué à réduire la symbolique qu’il y avait entre la gauche
et la droite autour du taux supérieur de l’impôt.
Voilà donc je trouve que le bilan est un peu… un peu triste.
Pascale Fourier : Rien à défendre de positif quand même dans l’affaire
?
Laurent Mauduit : Sur
le plan fiscal non. La seule vraie réforme intelligente aurait été,
sur le plan fiscal, de créer un vrai impôt sur le capital. En France
il n'y en a jamais eu, d’impôt sur le capital. Il y a eu l’I.S.F.
qui est impôt croupion, un impôt immobilier; mais des gens qui ne
sont pas révolutionnaires, qui sont seulement timidement réformistes
comme Michel Rocard en d'autres temps, avaient suggéré un impôt sur
la fortune avec une assiette très large, pas seulement immobilière;
frappant aussi les biens professionnels, pour parler clair, les entreprises,
et avec peut être un taux modéré… Ce que je dis n’est
pas un truc révolutionnaire ! C’est un truc de bon sens, c’est
une idée réformiste. Le principal reproche que je fais aux socialistes,
c’est d’avoir cessé d’être socialiste, d’avoir
cessé d’être réformiste. Parce que je trouve que l’époque
appelle à une politique réformiste.
Pascale Fourier : Eh bien écoutez, on en rediscutera en tous
les cas la semaine prochaine. On abordera les choses peut être d’une
façon moins économique et cette fois plus politique et on essaiera
peut-être d’être un peu moins déprimant ?...
|