Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 25 AVRIL
2005
Non au Traité Constitutionnel
Avec Jacques Nikonoff
, Président
du mouvement ATTAC |
Pascale Fourier : Et notre invité sera Jacques Nikonoff président du mouvement Attac. Alors après Jacques Généreux, Yves Salesse et avant Raoul-Marc Jennar, j’ai réussi à coincer Jacques Nikonoff, qui est donc le président d’Attac, pour lui demander ce qu’il pensait du traité constitutionnel. Comme il est très très difficile de coincer les partisans du Non qui sont vraiment en campagne par monts et par vaux, je l’ai coincé vingt minutes et lui ai posé toutes les questions, à bâton rompu, que j’avais envie de poser, notamment après avoir vu un certain nombre d’émissions à la télé.... Il y a quelque chose que je ne comprends vraiment vraiment pas, c’est quand j’écoute Lang par exemple. Il nous dit : « Mais il faut absolument voter oui, parce que de toutes façons vous ne trouverez jamais quelqu’un pour renégocier un traité constitutionnel ». Et en même temps ils nous disent: « Il faut voter Oui parce que ça va permettre de faire l’Europe sociale ». Moi j’ai envie de leur demander avec qui ils vont négocier l’Europe sociale... Je n'’arrive pas bien à comprendre... Jacques
Nikonoff: Il
y a effectivement une contradiction, parce que si on prétend
d’un côté qu'on ne trouvera personne pour négocier
et que d’un autre coté on dit que l’on va négocier
l’Europe sociale après le vote de la constitution, il y
a quelque chose qui ne va pas. Pascale Fourier : Mais il y a vraiment quelque chose que je ne comprends pas. Certains hommes de gauche en particulier me disent : « Le traité constitutionnel n’empêche absolument pas de faire une politique sociale ». J’ai même entendu Lang dire : «Le prétendu carcan européen n’a pas empêché Mitterrand de nationaliser en 81 », dans une émission, Trans-Europe Express je crois. Jacques
Nikonoff :
Si on étudie le texte du traité constitutionnel, on s’aperçoit
que toute une série de politiques sociales sont marquées
par le néolibéralisme, c’est-à-dire, qu’il
s’agisse des services publics, qu’il s’agisse de l’emploi,
qu’il s’agisse du système de protection sociale en
général, tout est fait pour affaiblir, réduire
les politiques sociales. Donc c’est une contre vérité
absolue de prétendre cela, il suffit de lire le texte. Je veux
par exemple prendre un exemple, par exemple la politique économique.
La politique économique détermine l’orientation
générale des sociétés, puisque ça
détermine le niveau de l’emploi, les salaires, la fiscalité,
tout ce qui permet les politiques sociales. Alors dans l’article
1.3, on voit que l’objectif est un marché intérieur
où la concurrence est libre et non faussée. Cela signifie
par exemple que les Services Publics ne peuvent pas continuer à
fonctionner comme ils fonctionnaient jusqu'à présent,
puisque par définition, ces Services Publics étant financés
par l’Etat en partie, eh bien c’est considéré
comme une concurrence, une distorsion de concurrence. Pascale Fourier : Justement à propos de cette partie II. Les socialistes, en particulier, chantent les louanges de la Charte des droits fondamentaux. Ils disent qu’il y a des avancées absolument remarquables, une sécurité accrue pour les citoyens. Jacques Nikonoff : Ecoutez, je vais vous citer l’article 2. 111.2. Voilà, alors il dit : « Ces droits ne créent aucune compétence et aucune tâche nouvelle pour l’Union ». Et ils restent subordonnés par conséquent aux autres dispositions du texte constitutionnel, caractérisé par la concurrence libre et non faussée. Donc dès lors que vous dites que ces « droits » entre guillemets ne créent aucune compétence et aucune tâche nouvelle pour l’Union, ça veut dire qu’ils ne servent à rien, c’est pour attirer le chaland.... En plus, quand
on lit cette partie II concernant les droits sociaux, eh bien on s’aperçoit
que certains de ces droits sont en régression par rapport au
droit en vigueur dans certains pays. Par exemple la France. Exemple :
la constitution parle du « droit de travailler »
et de la « liberté de rechercher un emploi »,
c’est l’article 2.75, alors que le préambule de la
Constitution française affirme quand à lui que chacun
a le droit d’obtenir un emploi. Vous voyez, ce n’est quand
même pas la même chose. Pascale Fourier : Dans Trans-Europe Express, une des questions était celle de savoir si le traité constitutionnel allait amener les pays européens vers le haut ou vers le bas. Et Christine Ockrent, à ce moment-là, avait lancé un reportage sur les fonds structurels qui avaient aidé l’Espagne, le Portugal, ou la Grèce, à décoller. Et donc, ce qu’on pouvait comprendre à cette façon de faire les choses, c’était que bon à la limite peut-être que ça va pas nous aider vraiment nous français, mais en tous les cas ça va amener l’ensemble de l’espace européen vers quelque chose de plus positif. Qu’est-ce qu’on peut en penser là aussi ? Jacques Nikonoff : Les fonds structurels sont probablement la seule chose positive qu’ait faite l‘Europe, la construction européenne. Il est vrai que les sommes qui ont été accordées aux anciennes dictatures que sont la Grèce, le Portugal et l’Espagne, ont contribué au développement de ces pays, c’est tout à fait exact. Mais dans le même temps, les pays qui sont les financeurs de l’Union Européenne, c’est-à-dire les grands pays, eux, ont vu leur situation stagner, c’est-à-dire qu’en réalité on a déshabillé Pierre pour habiller Paul. Alors évidemment si on fonctionne de cette manière-là, globalement, ça ne change pas, on peut transférer des richesses d’un côté vers l’autre. Donc ça n’est pas la bonne manière de procéder. Il faut que tout le monde, et ça doit être un objectif de l’Union Européenne qui n’existe pas aujourd’hui, tout le monde doit progresser à son rythme, et il faut évidement une solidarité entre les pays riches et les pays pauvres, bien entendu, il ne s’agit pas de remettre tout cela en cause. Mais il n’y a strictement aucune raison qui devrait conduire les pays les plus riches à renoncer à leur propre développement. Or jusqu'à présent cela n’est pas comme ça que les choses se sont passées. Pascale Fourier : Mais il semblerait en plus de ça, si j’ai bien lu les journaux, que le budget européen soit finalement plafonné à très très peu. Jacques Nikonoff : Oui c’est une nouvelle absurdité puisque à 15 le budget était aux alentours de 1%, et qu’ à 25 il va demeurer à 1%. C’est-à-dire que l’Union Européenne se prive des moyens de développement. Par exemple l’Union Européenne, par la Constitution, n’a pas le droit d’emprunter, de faire des misons obligataires comme les Etats ( chaque Etat emprunte de l’argent par des émissions obligataires pour financer notamment de grands investissements publics). Et bien voilà un exemple qui montre la médiocrité des ambitions de l’Union Européenne actuelle, puisque rien n’est prévu en matière d’emprunt européen, garanti par les Etats qui pourrait financer, le ferroutage, la lutte pour un environnement sain, le financement d’infrastructures publiques. Tout cela n’est pas envisagé. Pascale Fourier : Et pourquoi ? Jacques Nikonoff : Parce qu’ils considèrent que c’est le marché qui doit le faire et que l’Union Européenne, si elle agissait ainsi, agirait comme un Etat, et comme dans les conceptions néolibérales l’Etat doit être totalement en dehors, ne doit pas intervenir dans l’économie, si l’Union Européenne se mettait à emprunter et à financer des grands projets européens, eh bien ce serait une intervention de l’Etat qui nuirait au marché, dans l’univers intellectuel des néolibéraux. Pascale Fourier : Là, je ne comprends pas très bien, parce que certains appellent justement à une Europe puissance politique. Puissance politique, ça veut bien dire aussi capacité à réguler l’économie, non ? Jacques
Nikonoff :
Oui, l’Europe puissance politique, c’est un mythe. Ca n’arrivera
jamais. Ca n’est jamais arrivé, et ça n’arrivera
jamais! Il suffit d’observer comment l’Union Européenne
a était totalement débordée au moment de la crise
des Balkans par les Etats-Unis, absolument incapable de réagir,
d’avoir la moindre décision positive que ce soit. Et on
l’a vu également au moment de la crise de l’Irak,
au moment de la guerre déclenchée par les Etats-Unis en
Irak; l’Union Européenne a était aussi incapable
de prendre une position commune. Donc l’Europe politique est un
mythe dans les conditions actuelles, et c’est un mythe pour deux
raisons principales. La première raison, c’est que tant
que la Grande-Bretagne sera dans l’Union Européenne, il
n’y aura pas d’union politique, il n’y aura pas d’union
politique, c’est l’évidence même. La Grande-Bretagne
traditionnellement est tournée vers l’atlantique, vers
le grand large et dès lors qu’il s’agirait d’affirmer
une quelconque indépendance vis-à-vis des Etats-Unis,
la Grande-Bretagne choisira toujours les Etats-Unis, elle l’a
toujours fait. Donc c’est un leurre. Pascale Fourier : Justement en parlant des Etats Unis, un des derniers arguments en date qui sort est celui qui a déjà été utilisé en 1992 au moment de Maastricht: c’était l’idée de contrebalancer le poids des Etats-Unis, de faire nous aussi une sorte de gros bloc qui allait pouvoir contrebalancer la puissance hégémonique des Etats-Unis. Jacques
Nikonoff :
Dans les conditions actuelles, cette ambition ne s’est pas réalisée,
on l’a bien vu. Et avec la constitution, si elle est adoptée,
ce sera encore moins le cas. Pour une première raison évidente,
puisque dans le texte de la constitution, il est indiqué clairement
que la politique étrangère et militaire de l’Europe,
se fait en concordance avec l’OTAN, l’OTAN qui est dirigée
par les Etats-Unis. Donc là déjà c’est clair,
c’est écrit dans le texte, l’Europe ne peut pas être
indépendante des Etats-Unis sur le plan de la politique étrangère
et de la politique de la défense.
Jacques
Nikonoff :
C’est parfaitement faux! Si on prend ce qu’on appelle les
coopérations renforcées, c’est-à-dire la
possibilité pour certains pays d’aller plus loin, plus
vite que les autres, eh bien ces coopérations renforcées
sont extrêmement limitées: elles sont soumises à
de multiples autorisations et dans la réalité elles seront
quasiment impossible. Pascale Fourier : Une explication sur le vote Non qui affole un peu, pas les populations justement, mais les élites, on nous dit : « Si vous allez voter Non, c’est parce que vous voulez sanctionner Chirac et Raffarin ». C’est le grand argument... Un des arguments que disait Hollande tout récemment, c’est de dire qu' il y a un temps pour voter Oui au traité constitutionnel et un autre temps pour dire Non à Chirac et Raffarin. Pourtant moi je suis un petit peu étonnée... Je ne suis pas absolument sûre que les gens ne votent que contre Chirac.... Jacques
Nikonoff :
Ce que les gens comprennent parfaitement bien, et ils ont raison, c’est
que la politique menée en France n’est pas différente
de la politique menée à l’échelle de l’Union
Européenne. C’est la même. Ce que fait monsieur Raffarin
s’inspire directement des décisions de l’Union Européenne.
Pascale Fourier : J’ai trouvé dans le Monde du 21 avril, un article qui reprenait des propos qu’avait tenu Michelle Alliot-Marie au grand débat RTL Le Monde, dans laquelle elle dit que : « Le traité constitutionnel, c’est un cadre dans lequel on dit qui agit, avec quelles compétences et qui contrôle, puis ce sont les politiques qui sont décidés en fonction des élections qui vont faire émerger une majorité pour telle ou telle politique ». Et plus haut, elle disait : « Ca n’est pas à la constitution de dire quelle politique ont va faire à l’intérieur », sous-entendu que dans le traité il n’était pas question de dire quelles politiques devaient être menées... Jacques Nikonoff : C’est particulièrement faux, parce que il suffit de lire la constitution, et je me demande si madame Alliot-Marie l’a lue. Parce que la partie I s’appelle : « définition et objectifs de l’union »; la partie II, c’est la charte des droits fondamentaux; et la partie III, ce sont « les politiques et le fonctionnement de l’union », c’est-à-dire que déjà toute cette partie III n’a rien à voir avec une constitution parce qu’elle définit des politiques. Or une constitution en doit pas définir de politiques; elle doit fixer un cadre général à l’intérieur duquel différentes politiques sont possibles, selon le souhait des électeurs. Or là, on interdit finalement aux électeurs d’émettre le moindre souhait, puisque les politiques sont déjà figées dans cette constitution. Donc c’est parfaitement faux et je prends un exemple pour vous montrer l’absurdité de ce texte, c’est l’article 3.121, introduit à la demande des britanniques, qui défend la cause animale, qui appelle à tenir (je cite) « pleinement compte du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ». Je ne suis pas sûr que ce genre de choses doit figurer dans une constitution... Pascale Fourier : Mais certains diraient : « Bon, d’accord, cette partie III pose problème; il suffira de renégocier, renégocier le traité de façon à faire évoluer cette partie III ». Est ce que c’est possible ? Jacques Nikonoff : Mais la constitution n’est pas révisable. Alors, en théorie, c’est vrai, elle peut être révisée, quand on lit le texte; théoriquement elle peut être révisée. Mais comme il faut l’unanimité des Etats, il suffit qu’un Etat-membre sur 25 exerce son droit de veto pour tout bloquer. Quel que soit le sujet d’ailleurs. Et donc il est pratiquement exclu que le traité, s’il est ratifié, soit révisé fondamentalement, par exemple pour donner la priorité aux questions sociales, environnementales. Donc les choses sont parfaitement limpides:dès lors qu’il faut l’unanimité, un Etat exerce son droit de veto et bloque tout. Et on sait très bien que dans ce cas, eh bien on peut susciter, notamment chez de petits Etats qui ont des besoins d’argent ou des besoins variés,.... et bien on peut les aider à voter non.... Pascale Fourier : Il y a quelque chose que je ne comprends pas très bien non plus. C’est qu’à un moment il y a eu 13 gouvernement socialistes sur 15 membres à l’époque: pourquoi n’ont-ils pas fait évoluer, à ce moment-là, l’Europe dans un sens social ? Ca m’échappe totalement.... Jacques
Nikonoff :
C’est une excellente question! Justement le traité de Nice
quand il a été ratifié au début de l’année
2001, sur les 15 membres de l’union,il y avait 13 gouvernements
socialistes, et donc le traité de Nice est donc finalement le
résultat de ces gouvernements socialistes... Alors à l’époque,
monsieur Jospin qui était Premier Ministre s’était
félicité, comme monsieur Chirac, de ce résultat.
Et c’est normal puisque il y avait 13 gouvernements socialistes
sur les 15... Il aurait été difficile que monsieur Jospin
disent que ce traité n’était pas bon....Mais là
il y a un changement depuis quelques semaines, depuis qu’il y
a le referendum, et les socialistes et monsieur Chirac disent le pire
du traité de Nice alors qu’au moment de sa signature ils
en disaient le meilleur: c'est pour des raisons électorales.
Je pense qu' il y a de la part des gouvernements qui se sont succédés
dans les différents pays, quelle que soit leur couleur politique,
une forte dose de néolibéralisme qui a été
insufflée dans les esprits. Pascale
Fourier :
Eh bien c’était des Sous et des Hommes avec Jacques Nikonoff.
Je tiens à vous signaler que le mouvement Attac a publié
deux petit livres. Le premier s’appelle : Cette constitution
qui piège l’Europe, et on peut y trouver l’analyse
du traité constitutionnel. L’autre s’appelle Ils
se sont dit Oui , sur la couverture duquel on voit Hollande et
Sarkozy se tenant par la main et faisant du patinage artistique... L’un
et l’autre sont vraiment très intéressants, je ne
peux que vous en conseiller la lecture; ils coûtent 2.5 euros.
|
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 25 Avril 2005 sur AligreFM. Merci d'avance. |