Pascale
Fourier : Michelin,
Danone, ces licenciements défraient de plus en plus la chronique
et soulèvent l’indignation de la population. Pourtant, un article
récemment publié dans l’Express du 19/07 dernier de Claude
Alegre qui, je vous le rappelle, était le ministre de l’éducation
nationale, semble faire entendre la voie de la raison, la voie du bon
sens. Il souligne que tout licenciement est un drame humain et ajoute
: « faut-il abandonner les chômeurs à un marché
cruel et aveugle ? Certes non. Je ne me satisferai jamais des licenciements
massifs. Mais aucun chef d’entreprise ne procède à des
licenciements collectifs sans y être contraint. Aucun ne le fait
de gaieté de cœur. Les chefs d’entreprises sont tous désireux
de trouver des solutions eux-mêmes ». On pourrait alors
se demander pourquoi de tels licenciements ? Claude Alegre donne la
réponse : « Dans une société dont l’économie
est soumise aux règles de la libre entreprise, du marché
et de la concurrence, et qui a désormais pour territoire la planète
entière, il est impossible d’éviter des modifications
du nombre des travailleurs. » Il s’élève alors contre
des solutions proposées par certains. Bloquer par la loi des
possibilités de supprimer des emplois ou de licencier, c’est
systématiquement bloquer une embauche et pénaliser les
entreprises dans leur compétitivité. Si la France dresse
des obstacles exagérés aux suppressions d’emplois et aux
licenciements, les entreprises iront s’installer ailleurs, en Espagne,
en Italie ou en Ecosse. Une politique sociale moderne recherche certes
un équilibre entre la défense des salariés et la
protection de l’entreprise mais elle ne peut demander sans danger tous
les efforts à cette dernière. Elle risque alors d’être
détruite. Il ajoute pour clore son article : « la gauche
ne sera moderne que lorsqu’elle aura pleinement assimilé la notion
d’entreprise et qu’elle en respectera les règles tout en défendant
les intérêts des travailleurs. » Alors Jacques Nikonoff,
toutes les données du problème me semblent posées.
Est-ce vous pensez que les licenciements du type de Danone ou Michelin
ne sont, comme le dit Claude Alegre « qu’une nécessité
pour assurer la compétitivité des entreprises françaises»,
une nécessaire adaptation à l’environnement économique
?
Jacques Nikonoff
: D’abord, les remarques de
M. Alegre témoignent qu’il a environ une quinzaine d’années
de retard sur sa compréhension de l’économie. Je ferai
trois remarques sur ce que vous avez cité de M. Alegre : la première,
c’est que quel que soit le système économique, les entreprises
n’ont pas vocation à conserver le même nombre de travailleurs,
c’est bien évident. Les besoins évoluent, la demande des
consommateurs évolue. Il est naturel que des entreprises naissent,
que d’autres meurent, tout cela se fait quel que soit le système
économique. Mais la question n’est pas là. La question
est de savoir qui porte les risques de cette situation. Or, aujourd’hui,
ce sont systématiquement les salariés qui prennent les
risques contrairement à ce que l’on entend dire à propos
des employeurs qui seraient risquophiles et les employés qui
seraient risquophobes. En réalité, ce sont les salariés
qui prennent les risques puisque ce sont eux qui sont licenciés,
ce ne sont pas les patrons à la dernière information.
Donc, autant il est normal que les effectifs des entreprises évoluent,
autant il faudrait que les salariés soient protégés
de ces évolutions. Or ça n’est pas le cas. La deuxième
remarque, quand M. Alegre parle de chef d’entreprise, il témoigne
de sa méconnaissance complète de la réalité
économique contemporaine parce que ceux qui licencient ne sont
pas les chefs d’entreprise. Cela n’existe plus, les chefs d’entreprises,
sauf dans les petites et moyennes entreprises. Les grandes entreprises
n’ont plus de chefs d’entreprise, il n’y a plus de patrons. Les propriétaires
des grandes entreprises, ce sont les investisseurs institutionnels,
notamment les fonds de pension américains. Ce ne sont pas des
chefs d’entreprise, ce sont des organismes dont la vocation est de gagner
de l’argent. Et l’un des moyens de gagner de l’argent, c’est d’acheter
des actions, de faire monter le cours de bourse, et de vendre quand
le cours est suffisamment haut de leur point de vue pour acheter ensuite
d’autres actions dont ils espèrent qu’elles monteront à
leur tour. Et les licenciements que nous observons aujourd’hui, dans
un certain nombre de cas, sont guidés par la recherche de la
valeur boursière et non par la réalité économique
- ce que n’a absolument pas compris M. Alegre. C’est d’ailleurs très
inquiétant que quelqu’un comme ça ait été
ministre parce que son incompétence en la matière est
relativement et même définitivement tragique. Donc, il
n’y a plus de chef d’entreprise dans les grandes entreprises ; ça
n’existe pas. Je ne sais pas où M. Alegre les a trouvés
et s’il en connaît, ce serait intéressant de nous les présenter.
Troisième remarque à propos du texte de M. Alegre, il
dit que les entreprises vont aller ailleurs. Evidemment, elles peuvent
aller ailleurs. Mais nous pouvons les en empêcher parce que c’est
un chantage. Un certain nombre de grandes entreprises font chanter les
états en les menaçant de partir si on ne leur accorde
pas des baisses d’impôts, des baisses du coût du travail,
des facilités de licenciements, etc. Je rappellerai quand même
que nous avons un moyen extraordinaire pour faire pression sur ces grandes
entreprises qui est constitué par les marchés intérieurs.
Ce qui intéresse les entreprises, ce sont les marchés,
c'est-à-dire la capacité de vendre leurs produits. Et
bien si nous interdisons aux entreprises qui font du chantage d’avoir
accès à notre marché, croyez-moi que ces entreprises
seront mises au pas rapidement. Il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter,
de renoncer ou même de s’aplatir comme le fait M. Alegre devant
le chantage de ces grandes entreprises.
Pascale Fourier
: Excusez pour la question
peut-être un peu naïve mais quand vous dites que l’intérêt
de l’actionnaire est que le cours des actions monte, est-ce que ce n’est
pas non plus une nécessité pour les entreprises ? Est-ce
que ce n’est pas par la bourse que les entreprises se financent ?
Jacques Nikonoff
: Alors, ça aussi est
une illusion qui est entretenue depuis une quinzaine ou une vingtaine
d’années. On a complètement oublié que les entreprises
pouvaient se financer de plusieurs manières, certes par les actions,
mais également par le crédit. Les entreprises qui ont
besoin d’argent pour investir peuvent parfaitement emprunter de l’argent
à la banque sous forme de crédits. C’est beaucoup plus
simple, ça présente beaucoup moins de risque, et c’est
comme cela que l’économie était financée. Et c’est
précisément parce que les modalités de financement
de l’économie ont changé, qu’elles sont passées
du crédit bancaire aux marchés financiers, que nous rencontrons
ce genre de phénomène. Il faut donc abandonner progressivement
le financement par actions et revenir sous des formes nouvelles au financement
par le crédit bancaire. Je rappelle d’ailleurs que les émissions
d’actions ces trois dernières années non seulement sont
faibles, mais que les entreprises rachètent plus d’actions qu’elles
n’en émettent. C'est-à-dire qu’il n’y a pas besoin aujourd’hui
d’aller sur le marché pour faire des investissements.
Pascale Fourier
: Mais quand Jean-Pierre Gaillard,
si je me souviens bien de son nom, nous serine (si on n'est pas très
gentil) tous les jours sur France Inter la hausse de la bourse, cela
ne veut pas dire que les entreprises vont de mieux en mieux, qu’elles
trouvent des financements de plus en plus importants ?
Jacques Nikonoff
: Absolument pas. Ce qui se
passe en bourse ne concerne pas la situation économique de l’entreprise.
Ce qui se passe en bourse, c’est simplement les détenteurs d’actions
qui s’achètent et se vendent les actions. Pour l’entreprise,
c’est transparent. Cela n’apporte rien à l’entreprise. Ce qui
lui rapporte, ce sont les ventes de ses produits et les financements
qu’elle obtient la première fois qu’elle émet des actions.
Mais une fois qu’elle a émis des actions, elle les a vendues.
Donc les actions ne lui appartiennent plus. C’est donc absolument contraire
à la vérité économique de prétendre
qu’une bourse qui monte traduit une réalité économique
performante. Je rappellerai un exemple : dans les années 1960
et au début des années 1970, la bourse française
en particulier était dans un marasme total. Les rendements étaient
négatifs. Et bien, c’est à cette période que la
croissance économique était la plus forte. Cela montre
qu’il n’y a pas de lien direct entre la performance boursière
et la performance économique. C’est une illusion et une contre-vérité
de prétendre le contraire.
Pascale Fourier
: A ce moment là, pourquoi
les médias célèbrent-ils sans arrêt la hausse
du cours de la bourse ?
Jacques Nikonoff
: Et bien parce que les hausses
du cours de la bourse intéressent une catégorie particulière
de personnes, celles qui détiennent des actions tout simplement.
Evidemment, si vous achetez des actions, votre intérêt
à vous est que le cours de ces actions monte. Donc, vous allez
regarder comment évolue votre patrimoine boursier. L’évolution
du cours de la bourse n’intéresse que ces gens, les rentiers,
ceux qui détiennent des portefeuilles d’actions, et dont l’intérêt
est que l’action monte. Mais ça ne regarde pas les autres. Cela
les regarde, mais d’une certaine manière : à l’envers.
Autrement dit, quand la bourse monte, les salaires baissent. C’est comme
cela qu’il faut voir les choses. C’est une très mauvaise nouvelle
quand la bourse augmente.
Pascale Fourier
: Je suis complètement
désarçonnée, Jacques Nikonoff ; vous faites pour
ainsi dire exploser ma vision des choses. Tout va mal. Vous disiez que
quand la bourse augmente, les salaires baissent. C'est-à-dire
?
Jacques Nikonoff :
Pour produire, que faut-il
? Il faut du travail et il faut du capital. C’est comme ça que
l’on produit des biens et des services. Une fois que ces biens et ces
services ont été produits, ils sont vendus. Le produit
de la vente se répartit en deux. C'est-à-dire, les deux
facteurs qui ont contribués à la production : le travail
et le capital. Donc, c’est extrêmement simple. Plus il y a pour
le capital, moins il y a pour le travail. Dès lors que les actionnaires
reçoivent une portion plus importante du revenu de la production,
il y en a moins pour les salariés. C’est la raison pour laquelle
on peut dire que quand la bourse monte, les salaires baissent.
Pascale Fourier
: On évoque les licenciements
dits boursiers. En quoi peut-on dire que les licenciements qui ont eu
lieu chez Michelin ou Chez Danone ou qui vont avoir lieu sont des licenciements
dits boursiers ?
Jacques Nikonoff
: Ils sont boursiers parce
qu’ils présentent une caractéristique nouvelle. Jusqu’à
présent, on connaissait les licenciements parce que des entreprises
allaient mal. Elles perdaient des marchés - enfin, quelle que
soit la raison - elles n’étaient pas en bonne santé pour
une raison ou pour une autre. Aujourd’hui, certaines entreprises qui
licencient sont en excellente santé. Mais elles licencient, ce
qui est quand même paradoxal. Elles ne licencient donc pas pour
des raisons industrielles ou économiques. Elles licencient, on
va le voir, pour des raisons financières, pour des raisons boursières.
C’est pour ça qu’on parle de licenciements boursiers. Alors pourquoi
boursier ? Et bien là aussi pour une raison qui est extrêmement
simple. Admettons que vous ayez la chance, et encore je ne sais pas
si c’est une chance, d’être détenteur d’un portefeuille
d’actions. Votre objectif sera d’obtenir un rendement sur votre portefeuille
le plus élevé possible. Et pour obtenir ce rendement le
plus élevé possible, vous allez choisir des placements
qui vont vous procurer ce rendement. Depuis quelques années,
les investisseurs institutionnels, c'est-à-dire les fonds de
pension, les fonds mutuels, demandent aux entreprises dans lesquelles
elles sont actionnaires 15 % de rendement minimum, parce que, si elles
n’ont pas ce rendement, elles vont ailleurs. Alors 15 % , ça
dépend des périodes, ça dépend à
la fois des taux d’intérêts, ça dépend du
niveau général de la bourse. Comme la bourse a baissé
cette année, on est plutôt aux alentours de 12 %.
Pascale Fourier
: Mais « de rendement », ça veut dire quoi ?
Jacques Nikonoff
: Cela veut dire que si vous
achetez une action 100 francs, vous exigez d’avoir 12 ou 15 %, 12 ou
15 francs en plus de rendement sur les 100 francs que vous avez placés.
Pascale Fourier
: Sous forme de dividende ?
Jacques Nikonoff
: Sous forme de dividende,
sous forme de valeur de l’action, c’est peut-être un peu compliqué
pour rentrer dans le détail mais disons qu’il faut obtenir ces
12 ou 15 % par an. Là aussi, vous avez le choix si vous avez
100 francs. Vous pouvez acheter de l’immobilier, des œuvres d’arts,
de l’or, des actions, des obligations. Vous allez faire un arbitrage
entre le risque, la liquidité, c'est-à-dire la possibilité
de récupérer votre monnaie tout de suite, et le rendement.
Donc c’est un arbitrage entre plusieurs facteurs. Si vous achetez des
obligations, vous allez avoir 5 ou 6 %. Si vous achetez des actions,
comme il y a des risques sur les actions et qu’il n’y en a pas sur les
obligations, vous allez demander un rendement plus élevé
puisqu’il y a du risque. Donc 12 à 15 %. Alors quand vous êtes
actionnaire, vous êtes un fond de pension et vous êtes actionnaire
d’une entreprise, la première chose que vous allez faire est
de découper l’entreprise sur le plan comptable pour savoir quels
sont les différents marchés, produits, et quel est le
rendement respectif de ces différents marchés et produits.
Evidemment, dans chaque entreprise, les produits et les marchés
ont des rendements différents. Dans une entreprise qui en général
a plusieurs produits ou plusieurs marchés, ces rendements différents
font que le rendement le plus faible de l’entreprise réduit le
rendement global. On est bien d’accord ? Donc, ce que vont exiger les
investisseurs, c’est que le management de l’entreprise, les dirigeants
de l’entreprise et non pas les chefs d’entreprise, contrairement à
ce que dit M. Alegre, fassent des efforts soit pour redresser la situation
du secteur qui a la rentabilité la plus faible, soit pour carrément
fermer, vendre, liquider le secteur le plus faible de manière
à faire remonter le rendement général de l’entreprise.
C’est ce qui se passe systématiquement dans les licenciements
boursiers. On l’a vu chez Michelin, chez Danone. Le cas Danone est particulièrement
clair. Dans cette entreprise qui fonctionne très bien, qui n’a
aucun problème financier, il y a trois secteurs. Il y a celui
des produits laitiers, celui des boissons gazeuses et celui des biscuits.
Chacun de ces secteurs a un rendement particulier. Malheureusement pour
le secteur des biscuits, c’est lui qui a le rendement le plus faible
: 7 %, alors que les autres secteurs sont devant avec 10 et 12 % et
que, de toute manière, les investisseurs demandent 12 %. Et bien
les investisseurs de Danone, les actionnaires de Danone demandent au
management de Danone de rétablir la rentabilité financière
du secteur biscuit. Le moyen qui a été trouvé comme
toujours a été de licencier les salariés. Voila
la logique de ces licenciements boursiers que nous observons régulièrement.
Pascale Fourier
: Mais comme le dit Claude Alegre, n’est-ce pas une nécessité
due à la concurrence internationale de faire de tels licenciements
?
Jacques Nikonoff
: Il y a une part de vérité
dans cet argument. Restons sur le cas Danone. Admettons que le management
de l’entreprise Danone refuse de suivre les actionnaires. D’abord, le
management serait viré puisque les propriétaires sont
les actionnaires, ce n’est pas le management. Le management de l’entreprise
obéit aux actionnaires. Si les actionnaires s’aperçoivent
qu’il y a une impossibilité à rétablir la rentabilité
de la branche biscuit, ils vont alors vendre leurs actions et acheter
des actions dans une autre entreprise. Cela peut présenter une
forme de risque. Mais finalement, on se demande si ce n’est pas une
solution préférable à la financiarisation de l’économie,
si nous sommes capables de remplacer ces actionnaires privés
par des actionnaires je ne dirais pas nécessairement publics,
mais des actionnaires qui n’aient pas ce comportement de prédateur
et qui ne cherchent pas une rentabilité aussi élevée.
Donc, il est parfaitement compréhensible qu’il y ait des risques
dans le système économique actuel mais se sont des risques
que nous pouvons éviter si nos remplaçons ces actionnaires
par d’autres actionnaires qui n’ont pas les mêmes exigences de
rentabilité. J’ajoute une dernière chose qui est l’essentiel,
c’est que Danone vend ses yaourts en France et que si Danone veut continuer
à vendre ses yaourts en France, il faut que Danone applique la
loi. Si Danone n’applique pas la loi, nous pouvons, nous Français,
décider que Danone ne vendra plus ses yaourts en France. Donc
nous avons un moyen tout à fait puissant pour rétablir
la situation.
Pascale Fourier
: Vous semblez quelque peu verser dans une sorte d’étatisme,
on pourrait vous reprocher ça, en tous les cas ?
Jacques Nikonoff
: Non, pas du tout. Rien dans
ce que j’ai dit ne permet d'aboutir à cette conclusion. Comment
régler le problème des licenciements ? Deux choses essentielles
: la première chose à mettre en place par l’état
- parce que je ne vois pas qui d'autre peut le faire, c’est la responsabilité
de l’état, c’est le garant de l’intérêt général,
c’est son rôle -, donc la première chose qu’il doit faire
et qu’il peut faire est d’assurer la continuité des positions
professionnelles aux salariés. Autrement dit, quelle que soit
la cause du licenciement, boursier ou non, les salariés doivent
avoir la continuité de l’emploi, dans l’entreprise d’origine
ou à l’extérieur. C'est-à-dire la continuité
d’une position professionnelle, de leur salaire évidemment et
de leurs droits sociaux. On n’a pas le temps de voir comment cela peut
se mettre en place mais c’est une réforme fondamentale qui doit
être entreprise et qui est parfaitement possible. Cette première
possibilité intervient en aval, c'est-à-dire une fois
que le licenciement est prononcé, mais il faut également
intervenir en amont, c'est-à-dire pour limiter ce genre de licenciement,
boursier ou autre. Plus particulièrement concernant les licenciements
boursiers, que peut-on faire ? On peut faire comme les compagnies d’assurances.
Lorsque l’on a un permis de conduire et une voiture, on a une assurance
automobile. Dès lors que l’on commet des infractions au code
de la route, on a des points en moins, et lorsque l’on a un accident,
on paye un malus. Ce qui est paradoxal, c’est que l’on parle d’assurance
chômage mais les entreprises ne sont pas soumises aux règles
des assurances. Il faudrait donc que l’assurance chômage, les
cotisations chômages soient modulées en fonction des risques
que prennent les entreprises. Donc les entreprises qui licencient beaucoup
devraient se voir appliquer, dans le cas des licenciements boursiers,
des malus. Le mouvement « un travail pour chacun », par
exemple, a proposé de mettre en place une restitution sociale,
parce qu’il y a des chauffards de la route mais il y a des chauffards
de l’économie. Ce sont les entreprises qui font des licenciements
boursiers. Alors comment les sanctionner ? On peut parfaitement mettre
en place une loi qui obligerait les entreprises qui licencient à
continuer de payer les salaires des salariés licenciés.
Je donne l’exemple de Danone, on peut me dire que cela va coûter
extrêmement cher, que c’est utopique, et bien non. Quand on regarde
la situation de Danone - et le cas Michelin est exactement le même
-, Danone a payé 5 milliards de francs de dividendes au mois
de juin 2001, donc les actionnaires de Danone sont sans doute très
contents puisqu’ils ont encaissé 5 milliards de francs. Il faut
savoir que 5 milliards de francs permettraient de payer les salaires
des 1800 salariés licenciés de chez Danone pendant 15
ans. Donc la loi devrait saisir les dividendes et les utiliser pour
payer les salaires des travailleurs licenciés. Il est clair que
si une telle loi était votée, cela dissuaderait les entreprises
de licencier. Alors évidemment, il y aurait des conséquences.
La première conséquence serait que les entreprises essayeraient
de contourner la situation. Et au lieu d’embaucher des travailleurs
à temps complet, en CDI, elles recruteraient des CDD. Il faut
également limiter la possibilité d’employer des CDD, des
intérims, etc. On peut parfaitement limiter les risques de ce
coté là. Et puis, il y a la possibilité de fuite
des capitaux. Il est évident que des entreprises confrontées
à une telle législation pourraient soit ne pas vouloir
venir s’installer en France, soit quitter le territoire pour s’installer
ailleurs. D’abord, on peut les empêcher. On peut également
leur dire « partez, mais si vous partez ,vous ne pourrez plus
vendre vos produits chez nous ». C’est une menace qui répond
à leur chantage, suffisamment dissuasive pour acclimater les
entreprises à cette nouvelle façon de faire qui serait
certainement profitable à la population plus qu’aux actionnaires.
Mais là, il y a un choix qui n’est pas un choix économique
mais un choix politique. Soit on développe des politiques pour
l’intérêt général, pour la majorité
de la population, soit on laisse faire le marché, c'est-à-dire,
on organise la société pour les 10 à 15 % de la
population la plus aisée. C’est donc de la politique, ce n’est
pas de l’économie.
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