Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 06 NOVEMBRE 2001

La Bourse (3/3)

avec Jacques Nikonoff, auteur de La comédie des fonds de pensions. Il a dirigé un ouvrage collectif du mouvement « Un Travail pour chacun » intitulé Chômage, nous accusons. Professeur associé à l’université de Paris VIII. Président depuis Décembre 2002 du mouvement Attac.


Pascale Fourier : Je n’étais pas vraiment prête à mettre mes économies à la Bourse. Pourtant je m’interroge car lorsque j’écoute non seulement le discours des journalistes économiques mais aussi les discours des politiques, et c’est peut-être ce qui m’inquiète le plus, ils nous disent sans arrêt que telles et telles mesures vont faire partir les investisseurs. On a l’impression que la population française est menacée par le départ des investisseurs. Je n’ai jamais très bien compris comment ils peuvent s’en aller car encore faudrait-il qu’ils vendent leurs actions. Et s’ils s’en vont, quel serait le problème ?


Jacques Nikonoff : D’abord, la crainte du départ des investisseurs témoigne de l’évolution très particulière de la Bourse parce que, finalement, quand quelqu’un devient actionnaire d’une entreprise, logiquement, c’est parce qu’il croit au développement de l’entreprise. Il a donc vocation à accompagner l’entreprise, à y rester un certain temps. C’est ce qui se passait jusqu’à il y a une vingtaine d’années.

Aujourd’hui, les investisseurs restent en moyenne 6 mois dans une entreprise. C'est-à-dire que cela n’est plus du financement de l’économie mais qu’il s’agit du seul jeu boursier. On s’achète et on se revend des actions en espérant en tirer une plus-value. C’est là qu’il faut faire la distinction entre dividende et plus-value. Le dividende, c’est ce qui est payé tous les ans aux actionnaires qui détiennent les actions des entreprises, c’est la rémunération normale de l’actionnaire. La plus-value, c’est lorsqu’on revend une action à quelqu’un d’autre en réalisant un profit. Mais lorsque l’on ne conserve une action en moyenne que six mois, ça veut dire que l’on ne touche pas de dividende puisque par définition, les dividendes sont versés annuellement. Ce qui intéresse donc les investisseurs, ce ne sont plus les dividendes puisqu’ils ne restent pas dans l’entreprise. Ce sont les plus-values. C’est donc du mécanisme boursier pur. On n’est plus du tout dans l’économie et le financement de l’économie des entreprises. C’est donc la première chose à noter.

Dès lors que quelque chose pourrait remettre en cause la possibilité de réaliser ces plus values, des investisseurs peuvent être amenés à partir. Alors vous l’avez souligné, pourquoi des investisseurs décideraient de quitter la France sachant que qu’aujourd’hui en France et aussi en Europe, 40% des actions sont détenues par des fonds de pensions anglo-saxons. Ces fonds de pensions anglo-saxons peuvent décider de partir, de se rapatrier aux Etats-Unis pour différentes raisons.

La première, c’est l’inflation. Il n’y a rien de pire que l’inflation pour ceux qui ont de l’argent, parce que ça réduit le rendement évidemment. Si vous avez un rendement du capital qui fait 15% et que vous avez une inflation de 10%, l’intérêt réel que vous avez gagné, c’est la différence, c'est-à-dire 5%. Donc plus il y a d’inflation, plus cela réduit le rendement du capital. C’est pour cela d’ailleurs que depuis une vingtaine d’année, il y a ce discours obsessionnel contre l’inflation puisque ça réduit le rendement du capital. Donc s’il y a de la menace inflationniste, cela peut faire peur aux détenteurs de capitaux qui iront investir dans des pays où il n’y a pas d’inflation. Il peut y avoir des risques sociaux, il peut y avoir du ralentissement économique, il peut y avoir différentes raisons comme celles que je viens d’indiquer qui poussent les investisseurs à partir.

Alors partir, ça veut dire quoi ? Partir, ça veut dire vendre. Pourquoi certains considèrent qu’il faut partir parce qu’il y a des risques, et au même moment, pourquoi d’autres vont acheter ? Ils devraient analyser les risques de la même manière. Non justement, parce que parmi les agents économiques, il y a très souvent des anticipations différentes. Certains considèrent que la situation va se dégrader et d’autres considèrent qu’après s’être dégradée, elle va s’améliorer. Ceux qui vendent vont trouver acheteur, (sauf en cas de krach, il y a crack parce qu’il n’y a plus d’acheteur). C’est là que ça baisse, et ceux qui achètent sont ceux qui se disent : « Et bien ça vaut le coup d’acheter maintenant parce que les actions ne sont pas chères et tôt ou tard, elles vont remonter. Donc je préfère acheter à la baisse », d’ailleurs, on achète toujours à la baisse de préférence. C’est le raisonnement que tiennent d’autres investisseurs et l’un dans l’autre, ça fonctionne comme cela. Le problème que ça pose, c’est évidement pour les gens qui vendent à pertes mais ils n’avaient qu’à pas acheter d’actions…


Pascale Fourier : Mais qu’est-ce que ça peut faire aux politiques qu’il y ait des gens qui perdent de l’argent en Bourse ? Parce que si des investisseurs vont avoir des pertes, en quoi cela peut intéresser les politiques, d’autant plus que l’on a vu que la Bourse ne finançait pas réellement les entreprises ?


Jacques Nikonoff : D’abord je ne suis pas sûr que ceux que vous appelez les politiques, (je ne sais pas à qui vous pensez, est-ce que c’est le gouvernement, est-ce que c’est les partis politiques, est-ce que c’est les députés ?), enfin, disons les responsable de partis politiques et les gouvernements en général comprennent bien tout cela. Ils ont fait suffisamment d’erreurs pour justifier ce point de vue. A la fois d’erreur et en même temps, une volonté de financiariser l’économie. Quand on parlait de la libéralisation des économies, c’est une série de décisions politiques. Par exemple, la fin du contrôle des mouvements de capitaux, c’est quand même une décision politique qui a été prise.

Donc il ne faut pas que les gens qui prennent ces décisions s’étonnent des résultats de leurs décisions, ce serait paradoxal. Donc ils ont peur des décisions qu’ils ont prises. Quand ils disent s’émouvoir du départ possible des investisseurs, ils craignent les effets des décisions qu’ils ont pris. Ils n’avaient qu’à ne pas prendre ces décisions, ou alors ils n’ont qu’à prendre de nouvelles décisions. D’une part donc, je ne suis pas sûr que tout cela soit très bien compris, mais j’ajouterais un deuxième argument. Les partis de droite qui défendent les catégories privilégiées ont tout à fait intérêt à dénoncer le départ des investisseurs parce que leur clientèle électorale va perdre du revenu tout simplement.


Pascale Fourier : Mais l’embêtant, c’est que je l’entends dans la bouche de politiques de gauche ces derniers temps.


Jacques Nikonoff : Alors, ça c’est effectivement surprenant. Il faudrait leur poser la question. Il faudrait inviter quelqu’un de gauche qui raisonne comme ça pour savoir exactement ce qu’il a en tête quand il dit cela. Personnellement, je ne comprend pas ce qu’ils veulent dire.


Pascale Fourier : J’écoutais une émission de radio où j’entendais la personne dire que la Bourse allait rester longtemps parce qu’elle participe à la construction des entreprises. J’ai été un peu étonnée parce que j’avais fini par comprendre que la bourse, ce n’était pas ça ?


Jacques Nikonoff : A l’origine, les Bourses servaient à cela. Elles servaient à rapprocher les agents économique qui ont de l’épargne en excès, les ménages, et les entreprises qui elles ont des besoins d’épargne. Les actionnaires restaient des années actionnaires parce qu’ils croyaient dans le projet de l’entreprise. Quand on est actionnaire, on croit à l’entreprise dans laquelle on investit et on en attend un dividende. On ne sautille pas d’une entreprise à l’autre.

Les Bourses ne fonctionnent plus comme cela. Je vous indiquais que la durée moyenne de maintien dans une entreprise aujourd’hui est de 6 mois. On ne peut pas dire que la Bourse finance l’économie. Quand vous restez 6 mois dans une entreprise comme actionnaire, ça veut dire que l’on a acheté des actions à d’autres actionnaires. Cela ne touche donc pas l’entreprise et cela déstabilise même les entreprises parce que les entreprises qui voient leur actionnariat changer sans arrêt avec des évolutions du cours de Bourse en yoyo…. Tout cela n’est pas bon pour les entreprises, donc ça déstabilise les entreprises. Un véritable actionnaire est quelqu’un qui reste dans l’entreprise.

D’ailleurs, admettons par hypothèse que l’on interdise la vente d’actions. Une fois que vous avez acheté, vous ne pouvez plus vendre. Il n’y aurait alors qu’un seul prix qui serait lorsque l’entreprise émet de nouvelles actions. Les actionnaires resteraient dans l’entreprise. Il n’y aurait plus de spéculation. Je pense donc qu’il faut aller vers des mesures réglementaires qui obligent les actionnaires à rester un certain temps dans les entreprises comme actionnaire.


Pascale Fourier : C’est ce que je lisais récemment dans Le monde. C’était une proposition D’Isaak Zochois


Jacques Nikonoff : Keynes et d’autres en parlaient déjà il y a plus de 50 ans. Tout cela est un vieux débat qui porte sur les moyens de financer réellement les entreprises, d’éviter la spéculation et d’éviter de connaître l’absurdité de la situation dans laquelle nous sommes. Il faut donc renchérir le coût des transactions. La taxe Tobin par exemple est intéressante parce qu’elle se préoccupe de cette question pour les devises. Il faut faire la même chose pour les actions. C'est-à-dire que l’actionnaire qui reste insuffisamment longtemps, celui qui veut sortir avant un délai de 5 ans par exemple, devrait faire l’objet de pénalités extrêmement lourdes qui l’empêchent de spéculer.

On comprend que quelqu’un qui prête de l’argent à une entreprise ait besoin de récupérer sa mise pour une raison ou une autre mais si c’est dans un but spéculatif, il faut l’interdire. On peut parfaitement le faire. D’ailleurs je signale que tous les dispositifs d’épargne mis en place par les pouvoirs publics dans le monde entier imposent un certain délai de conservation des titres avant de pouvoir bénéficier des avantages fiscaux. Si on prend l’exemple de l’épargne salariale que je condamne, -je suis contre l’épargne salariale dans ses formes actuelles-, et bien il faut conserver l’épargne 5 ans avant de pouvoir en bénéficier. Alors pourquoi impose-t-on aux salariés ces mesures qui sont des mesures saines alors que l’on laisse faire les grands fonds spéculatifs ? Et bien les politiques, comme vous disiez tout à l’heure, soit ne comprennent pas, ce dont je doute, soit laissent faire, ce qui est plutôt mon hypothèse.


Pascale Fourier : Pourquoi y a –t-il eu cette évolution de comportement des investisseurs dont vous parliez tout à l’heure ? Vous disiez qu’ils restaient auparavant longtemps dans une entreprise alors qu’aujourd’hui, ils sautillent d’une action à l’autre. Qu’est-ce qui a motivé cela ?


Jacques Nikonoff : C’est la libéralisation financière et le fait que le système anglo-saxon de retraites et d’épargne a généré de plus en plus d’épargne qui s’investit en actions. La raison fondamentale est celle là. Ce n’est pas un problème économique, c’est un problème politique. C’est même un problème de politique intérieure américaine.

C’est le système de retraite américain, les fonds de pensions qui génèrent tous les mois des sommes énormes qui proviennent des cotisations retraites des employeurs et des salariés, qui cherchent à s’investir en actions. Dès lors que vous avez ces flux financiers considérables qui arrivent chaque mois, prélevés sur les salaires, et qui cherchent à acheter des actions, ça pousse le prix des actions à la hausse et ça crée une situation dans laquelle vous avez un rendement des actions plus élevé que la croissance de l’économie. Cela a créé des vocations et d’autres acteurs économiques se disent : « après tout, au lieu de se faire suer à créer des entreprises, à produire etc., je vais simplement me spécialiser dans le commerce des titres financiers ». Les actions, de modalités de financement des entreprises qu’elles étaient à l’origine, deviennent des marchandises comme les autres qui s’achètent et se vendent pour elles-mêmes, indépendamment de l’entreprise d’où elles viennent.

C’est donc une dérive, c’est ce que l’on appelle la financiarisation de l’économie. Les causes sont connues. C’est le système américain de fonds de pensions. Il est parfaitement possible de stopper cette dérive qui nuit à la croissance, aux entreprises, à l’emploi sauf que les gouvernements successifs non seulement n’ont rien fait pour s’opposer à ces dérives mais les ont encouragé et continu de le faire.


Pascale Fourier : Vous avez l’air de dire que l’ensemble du système international boursier profite aux USA qui avaient énormément de fonds à placer. Mais qu’est-ce qui peut faire que les gouvernements français ou des partis politiques français et en particulier de gauche puissent soit se laisser embobiner dans la magouille, soit choisir d’y contribuer délibérément ?


Jacques Nikonoff : Il y a 2 explications à cela. La première remonte aux années 1982,1983. Que s’est-il passé lors de ces années là ? En mai 1981, la gauche gagne les élections. François Mitterrand est élu président de la république. Il y a une majorité de gauche à l’Assemblée nationale. La gauche décide un plan de relance de l’économie par une politique keynésienne. Elle augmente les salaires, réduit l’age de la retraite, réduit le temps de travail. Elle fait une excellente politique de changement qui se met en place en 1981,1982. Ce qui n’était pas envisagé, y compris déjà par la gauche, c’est que cette augmentation du pouvoir d’achat a provoqué une augmentation des importations. La production intérieure n’a pas suffit, d’ailleurs le patronat a traîné des pieds pour investir et la gauche n’a pas été assez incitative, pour utiliser des mots modérés, pour que les entreprises investissent.

Donc ce surplus de pouvoir d’achat a provoqué l’achat de tas de chose à l’étranger. Ce n’est pas un mal en soi, sauf que ça a déséquilibré la balance extérieure. Autrement dit, beaucoup de Francs sont allés à l’étranger, ont été détenus par des pays étranger et la France s’est donc endettée vis-à-vis de l’étranger. Dans la situation de l’époque, le fait que des Francs soient détenus à l’étranger fragilise la monnaie. Si la monnaie est fragilisée, cela joue sur la parité de change, sur l’inflation. Il y a donc eu une situation de déséquilibre qui ne pouvait pas durer.

Le choix qui a été fait par Jacques Delors qui était alors ministre des finances a été l’austérité en 1982,1983. Au lieu de tenir compte de cette nouvelle réalité internationale, de s’opposer au libre échangisme finalement, c'est-à-dire de mettre en place un système de coopération internationale qui permette un équilibre des échanges, le choix a été fait de préserver le libre échangisme et pour cela, il fallait ralentir la croissance. Il y a donc eu une volonté délibéré de ralentir la croissance, de freiner le pouvoir d’achat, de faire remonter le chômage pour réduire le déficit extérieur et éviter que la France s’endette, que l’inflation reparte et qu’il y ait des problème avec la monnaie. C’est donc le choix du combat contre l’inflation. Le combat contre l’inflation a été le prétexte pour mener une politique d’austérité.

Comme la France était réellement endettée, c’est à cette époque là que la gauche a décidé d’ouvrir les marchés financiers aux investisseurs étrangers. Puisqu’il y avait des départs de capitaux français liés aux achats provoqués par l’augmentation du pouvoir d’achat, il fallait réduire ce déficit en faisant en sorte que des actions françaises et des obligations françaises soient achetées par des étrangers pour compenser et équilibrer la balance des échanges extérieurs. Je me rappelle très bien, étant au Etats-Unis quelques années après, vendre des obligations d’Etat aux investisseurs américains. Tout à été fait pour attirer les investisseurs étrangers en France soit en achetant des obligations d’état soit en achetant des actions notamment pour les privatisations.

Les privatisations qui ont suivi ont eu en partie cet objectif : attirer des capitaux. L’objectif était à l’époque d’attirer les capitaux et je note d’ailleurs aujourd’hui que tout le monde s’inquiète qu’il y en ait trop. Mais ceux qui ont décidé de les faire venir oublient de dire que se sont eux qui ont provoqué la situation. La gauche qui est restée avec cet échec en tête n’a pas analysé l’évolution de la situation et considère donc qu’il faut toujours faire venir des investisseurs étrangers pour éviter les problèmes de déséquilibre des échanges. C’est la première raison qui est une raison de fond parce que c’est à cette époque là, 1982,1983 que la gauche socialiste pour l’essentiel a renoncé au changement. Nous sommes toujours dans ce schéma intellectuel. La gauche reste sur cette conception qu’on ne peut rien faire face à l’évolution économique internationale. Cette première raison est un vrai débat politique.

La deuxième raison est plus un débat de politique politicienne minable. Un calcul est fait par un certain nombre de responsables socialistes, pas par tous et je dirai même que la majorité des militants socialistes sont opposés aux fonds de pensions, mais plutôt dans les sphères gouvernementales, est le suivant : sachant qu’il y aura réellement beaucoup plus de retraités à payer grâce à l’allongement de l’espérance de vie, il faudrait pour payer ces retraites une augmentation des cotisations salariales et patronales. Ces responsables gouvernementaux n’ont pas envie de heurter les salariés et encore moins les milieux patronaux.

Ils se disent : « Après tout, comme la conjoncture boursière est positive ces dernières années, on va mettre en place des fonds de pensions et au lieu de financer les retraites par une augmentation des cotisations, on va les financer par une augmentation de la Bourse. C’est donc un calcul totalement politicien qui s’avère d’ailleurs inexact quand on voit que les Bourses baissent depuis un certain temps et que sur le long terme, les Bourses mondiales sont orientées structurellement à la baisse. Nous n’avons pas le temps de développer ce point mais toujours est-il que ce raisonnement est un petit calcul politicien et une erreur économique.

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 06 novembre 2001 sur AligreFM. Merci d'avance.