Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 1°
FEVRIER 2005
Mondialisation…et libre échange (1/3)
Avec Jacques Nikonoff,
Président d'Attac. |
Pascale Fourier : Et notre invité aujourd’hui : Jacques Nikonoff : Jacques Nikonoff. Pascale Fourier : Qui est président d’Attac. Président d’Attac certes, mais ce n’est pas exactement parce que vous êtes président d’Attac que je vous ai invité puisque vous m’aviez fait l’honneur de venir précédemment et que vous ne l’étiez pas, mais c’est parce que je pense que vous avez la capacité de nous faire un bilan de la mondialisation, « libérale » direz-vous probablement, et éventuellement de proposer des alternatives. Alors il est quelque chose que je n’ai pas bien compris, un petit peu comme d’habitude me direz-vous, c’est finalement l’articulation entre ces deux mots, ces deux concepts, les concepts de «mondialisation » et de « libre-échange ». Est-ce qu’il y en a un qui inclus l’autre ? Est ce que c’est équivalent ? Finalement, ça fonctionne comment ? Jacques Nikonoff : Eh bien c’est la même chose. La mondialisation, c’est une stratégie politique et économique, celle des pays occidentaux face au Sud, -c’est un système de domination mis en place par les pays du Nord vis à vis des pays du Sud- , un système de domination également des firmes multinationales et des investisseurs institutionnels essentiellement à base américaine vis-à-vis de tous les autres acteurs économiques, et la mondialisation, c’est également la stratégie de domination du capitalisme anglo-saxon, américain pour l’essentiel sur les autres formes de capitalisme, le capitalisme nippon, le capitalisme latin et le capitalisme rhénan. Donc la mondialisation, ce n’est pas autre chose. I faut cesser de fantasmer sur la mondialisation : c’est une stratégie politique de domination. Alors dans cette stratégie politique, il y a un certain nombre d’outils. Le libre-échange est un des outils de domination du Nord sur le Sud. Et on peut là faire la critique du libre-échange, qui est maintenant assez connue. Autre chose est de réfléchir aux alternatives au libre-échange. Là, il y a beaucoup moins de candidats pour essayer de tracer ce que pourrait être un autre monde possible, sans le libre-échange. Pascale Fourier : Qu’est ce que c’est exactement le libre échange justement? Parce que maintenant ça semble quelque chose de totalement naturel et qui a toujours existé.... Jacques Nikonoff : Oui, alors évidemment déjà sur le plan de la lexicologie, il y a deux mots accolés l’un à l’autre, le mot « libre » et le mot « échange ». Et les néolibéraux ont la particularité d’inventer des mots sucrés pour définir des choses qui le sont beaucoup moins. Alors, « libre » : qui peut s’opposer à la liberté ? Et « échange » : qui peut s’opposer aux échanges ? A priori, spontanément, l’individu qui ne connaît rien à tout cela ne peut qu’être favorable spontanément lorsqu’il entend cette expression. En réalité, le libre-échange repose sur quelques principes. Le premier principe est le principe des « avantages comparatifs ». C’est une expression très ancienne, classique, qui signifie la chose suivante : selon cette théorie, -ce n’est pas seulement une théorie, il y a une réalité pratique, économique derrière-, chaque pays a des avantages sur les autres, des avantages essentiellement puisés dans sa réalité naturelle. L’exemple le plus connu c’est, pour le Portugal, le Porto, le vin de Porto. Eh bien le Portugal a cet avantage comparatif qui est de produire du vin de Porto, et manifestement pour des raisons naturelles, on ne peut pas produire du vin de Porto en Ecosse. Et puis en contre partie, il y a les anglais qui font du drap, et le drap anglais est le résultat aussi des petits moutons qui gambadent dans la prairie anglaise plus allégrement que les petits moutons portugais. Et donc finalement, ces deux pays, l’Angleterre avec son drap et le Portugal avec son Porto ont des avantages particuliers, spécifiques, qui grâce au commerce devraient permettre aux anglais d’importer du porto et aux portugais d’importer du drap, le tout par la main invisible du marché devant s’équilibrer, le Portugal et l’Angleterre trouvant un avantage, un intérêt à commercer dans ces conditions.Donc ça, c’est une première règle. Il en existe une seconde qui est celle de la nécessité de supprimer les barrières, toutes les barrières au commerce, de façon à ce que les marchandises dans un premier temps et puis après les services et puis encore après les capitaux, puis aussi les personnes, puissent circuler librement, c’est ce que l’on annonce pour permettre le commerce. Alors ça c’est la théorie qui repose encore une fois sur une réalité économique, notamment en matière d’avantage comparatif, mais là où les choses coincent dans la réalité, c’est que ça ne fonctionne pas. Ca ne fonctionne pas correctement, il suffit de regarder l’évolution des différents pays: on s’aperçoit que plus on ouvre et on développe le commerce international ,eh bien plus les inégalités entre pays pauvres et pays riches s’aggravent. Il faut vérifier pourquoi ?
Jacques
Nikonoff :
Oui, la mondialisation provoque également des inégalités
entre les différentes classes sociales, que ce soit au nord comme
au Sud. Parce que dans ce système de domination qu’est
la mondialisation, il s’agit d’assurer la domination des
puissants. Et les puissants, ils existent dans chaque pays. Je vais prendre l’exemple de l’Afrique. L’Afrique, si l’on suit la théorie du libre-échange, quels sont ses avantages comparatifs ? Ce sont quelques matières premières ici ou là, et des produits exotiques. Autrement dit, l’Afrique est vouée avec cette conception du libre-échange de manière éternelle à vendre aux autres pays des produits exotiques et des matières premières et à acheter aux autres pays des produits intégrant de plus en plus de technologies. C’est-à-dire que à la fois, d’un coté pour les africains des produits assez primaires dont le prix n’évolue pas ou même baisse d’ailleurs sur les marchés pour certaines matières premières, et d’un autre coté des produits qui ont des coûts tout à fait considérables...Donc la conséquence de cette situation, c’est que le continent africain, avec cette conception, n’aura jamais d’industries chimique, sidérurgique, aéronautique, informatique pharmaceutique… tout ce qu’on veut. Tout simplement parce que ce ne sont pas des avantages comparatifs. Or, autant au 18eme
ou 19emem siècle, la réalité naturelle pouvait
justifier des avantages comparatifs, -ça existe toujours sur
le plan naturel évidemment- autant aujourd’hui la révolution
des technologies fait que les avantages comparatifs deviennent de moins
en moins pertinents. Exemple : la Silicon Valley. S’il y
a dans cette région beaucoup d’industries de haute technologie,
ça n’est pas dû au ciel bleu du Pacifique ou à
l’océan ou au sable de Californie. C’est parce qu’il
y a eu des choix du gouvernement américain, d’un certain
nombre d’entreprises de s’implanter là-bas.
Jacques Nikonoff : Ca n’est pas véritablement du libre-échange, parce que si l’on suit les théoriciens du libre-échange, il faut que le marché soit libre, qu’il n’y ait pas d’entraves... Or, la Chine, comme d’autres pays, sollicite les entreprises en leur proposant des coûts de fabrication extraordinairement faibles. Exemple : il y a eu pendant une première phase les « zones économiques spéciales » qui en fait ont été généralisées, c’est-à-dire que la location de terrains est quasiment gratuite, les entreprises qui s’installent ne payent rien, les bâtiments pour certains d’entre eux sont construits par l’Etat chinois, les entreprises n’ont qu’à s’y installer, elle ne payent rien, les profits sont rapatriés dans les pays occidentaux et peu restent sur place. Autrement dit ça n’est pas vraiment du libre-échange, absolument pas. Il y a une forme de subvention de l’Etat chinois aux entreprises qui viennent avec un système de dumping vis-à-vis d’autres pays qui aimeraient bien aussi attirer les entreprises occidentales. Et du côté des entreprises occidentales ça n’est pas du commerce, ça n’est absolument pas du commerce, c’est de la production, c’est-à-dire qu’elle considèrent, ces entreprises, qu’il est préférable pour des raisons économiques et politiques de délocaliser leurs entreprises en Chine parce que ça leur permet de réimporter les produits dans les pays occidentaux, qui ne bénéficient qu’à une fraction du marché chinois, pour baisser les coûts de production tout en augmentant les profits et pour réduire la taille des entreprises, ce qui empêche le développement des syndicats,... Donc il ne faut avoir aucune illusion: tout ça est à la fois tout à fait égoïste de la part de ces entreprises occidentales et ce n’est pas lié au libre-échange; ce n’est pas un échange de marchandises, ce sont des délocalisations puisque les produits sont réimportés: Ce n’est pas la même chose.Donc est-ce que ça bénéficie aux chinois ? La stratégie des autorités chinoises et des grandes firmes multinationales occidentales est de considérer que le potentiel du marché chinois, c’est 300 millions de personnes. La Chine c’est 1.3 milliards de personnes; le milliard de personnes qui resteront sur le bas coté ne les intéressent pas. Mais ils considèrent qu’il est possible de fabriquer de toutes pièces une classe moyenne chinoise de 300 millions de personnes qui va constituer un marché équivalent à la population américaine, avec un pouvoir d’achat qui reste encore très faible, mais qui va croître. Donc on peut se dire c’est toujours ça de pris. Bien entendu que c’est toujours ça de pris, mais il faut regarder qu’elle est la conception de ces gens là.: ce n’est pas pour développer ni la Chine ni l’intérêt général; c’est pour des motifs égoïstes. Alors la question est de savoir si on peut faire autrement, bien entendu. Parce que si on ne peut pas faire autrement ou si l’on croit que l’on ne peut pas faire autrement, eh bien on se dit : « Oui , c’est mieux que rien! ». 300 millions de classes moyennes en chine, un marché de 300 millions de personnes, c’est mieux que 0... Pascale Fourier : Des sous et des hommes donc, toujours en compagnie de Jacques Nikonoff, qui décidemment m’étonne toujours... Tout à l’heure vous nous parliez de « coopération internationale ». Vous voulez le retour au protectionnisme ??!! Jacques Nikonoff : Bien sûr! Il faut une dose de protectionnisme. C’est l’évidence-même! Mais c’est un protectionnisme disons « universaliste »... Ce n’est pas un protectionnisme nationaliste enfermé dans un pays qui défendrait ses intérêts contre les autres. Il y a des stratégies possibles, c’est un choix qui peut être fait. Mais ce n’est pas le choix optimal et d'’ailleurs ce choix se retournerait contre ses promoteurs. Il faut donc plutôt envisager un système de coopération international dans lequel il y a des éléments de protectionnisme. Alors ça mérite d’être un peu expliqué, parce que là aussi c’est devenu une sorte de gros mot. Dès lors que l’on prononce le mot « protectionnisme », il y a des tas de gens qui frissonnent... alors il faut les décontracter et expliquer ce que ça peut être... D’abord, il faut rappeler un point d’Histoire très simple, c’est que les anglais et les américains ont été pendant des décennies les pires protectionnistes qui soient. C’est-à-dire qu’ils protégeaient leur industrie naissante en Grande-Bretagne, et ensuite pour permettre son développement aux Etats-Unis. Et ce n’est que lorsque ces deux pays ont pu atteindre une taille et un volume de production industrielle significatif qu’ils se sont ouverts au marché. Et ils se sont ouverts au marché parce qu’ils avaient le sentiment de pouvoir dominer les marchés. Donc assez d’hypocrisie sur le libre échange et le protectionnisme! Alors comment peut-on
faire, comment concevoir la coopération internationale ?
Première chose, on doit se demander si la localisation des activités
productives doit être laissée au marché. Parce que
dans les délocalisations, -on ne peut pas être contre le
principe en lui-même de la délocalisation, ce sont les
conditions actuelles qui sont critiquables, mais pas le principe, parce
que dans un monde disons « normal », « logique »,
il serait naturel que la négociation internationale porte sur
la localisation des activités productives et qu’on ne laisse
pas simplement au marché et aux grandes entreprises la possibilité,
et à elles seules, de définir là où elles
s’implantent. Partout dans le monde, les besoins de base sont
à peu près identiques: il faut se nourrir, tout le monde,
donc ça veut dire l’agriculture principalement; il faut
avoir accès à l’eau, ça veut dire des systèmes
d’irrigation, des systèmes de traitement des eaux et d’assainissement;
il faut pouvoir se soigner, avoir accès aux soins, donc ça
veut dire des hôpitaux de la fabrication de médicaments;
il faut pouvoir se loger, c’est-à-dire des industries du
bâtiment; il faut pouvoir se cultiver, s’éduquer
donc des écoles; il faut pouvoir se déplacer, donc des
systèmes de transport en collectifs et aussi individuels. Ce
qui signifie que les activités productives doivent être
localisées le plus près possible de l’usage de ces
produits et de ces biens, pour d’ailleurs des raisons écologiques
également, parce que c’est le moyen d’éviter
ces très nombreux transports de marchandises par mer et par avion
qui occasionnent régulièrement des catastrophes, qui polluent
et qui pourraient donc la faire l’objet d’économie.
Donc, première chose: il faut contribuer à la discussion internationale sur la localisation des activités productives. C’est-à-dire que les Etats ont un rôle en la matière. Ensuite il faut bien comprendre que les exportations des uns sont les importations des autres. Et quand on fait à l’échelle mondiale le total des exportations, eh bien il est égal au total des importations! Alors ça veut dire quoi ? Eh bien ça veut dire tout simplement que lorsque nous nous réjouissons d’avoir d’excellents chiffres du commerce extérieur, quand nous avons fait du bénéfice en vendant plus à l’étranger que nous avons acheter, on peut se réjouir, mais ça veut dire que nous avons appauvri d’autres pays. Tout simplement. Et donc, il faut trouver un système qui permette en quelque sorte que la balance commerciale, c’est-à-dire la différence entre les exportations d’un pays et les importations de ce pays vis-à-vis d’autres pays soit à peu près égale à 0. Donc je te vends autant que je t’achète. C’est un système équitable. Et qui ne peut pas être déterminé par le marché. Encore une fois cela signifie que l’Etat, les Etats, chacun individuellement doivent prendre en main, reprendre en main le commerce international et qu’a l échelle internationale, un organisme comme l’OMC doit veiller à ce que les relations commerciales entre chaque Etat tendent vers 0, à ce que la balance commerciale tende vers 0. Cela signifie, des systèmes qui existent déjà en partie dans l’agriculture, des quotas de productions que l’on peut exporter ou importer, des limitations, des droits de douanes qui dissuadent; bref, il y a un certain nombre d’instruments qui permettent de réguler le commerce international de cette manière. Ca n’est donc pas la suppression du marché, bien évidemment, mais ce marché est encadré pour qu’il soit utilisé au bien commun et à l’intérêt général. Tout cela est évidement parfaitement possible dès lors qu'une volonté politique se manifeste.
Jacques Nikonoff : Actuellement nous avons une classe politique qui manifeste quotidiennement son impuissance et qui a l’impression qu’on ne peut pas changer tout cela. Eh bien c’est à la population, aux associations, et Attac fait sa part de travail, de montrer que l’on peut aller vers une transformation de ces relations internationales, sachant que ce système vise également à briser le compromis social en Europe qui avait été obtenu au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’objectif politique est là. C’est-à-dire certaines forces politiques font semblant d’être impuissantes en réalité, mais elles ont un projet, qui est celui d’accompagner cette stratégie de mondialisation pour affaiblir les résistances sociales dans chaque pays européen, de manière à conserver le pouvoir et assurer la remontée des profits des entreprises, profits qui avaient baissés précisément dans la période de l’après-guerre grâce aux avantages sociaux qui avaient été obtenus. Pascale Fourier :C'était bien des sous et des hommes avec Jacques Nikonoff, mais on aura la chance de le rencontrer encore et bien la semaine prochaine, et puis pour la 100eme émission qui aura lieu donc le 15 février. Alors n’hésitez pas à continuer de nous écouter, encore deux belles émissions avec Jacques Nikonoff, donc jusqu'à la 100eme....
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 1° Février 2005 sur AligreFM. Merci d'avance. |