Pascale
Fourier : C’est étonnant: qu’ils
soient de droite ou de gauche, tout le monde veut baisser les impôts!
Certes, c’est une question qu’il faut prendre en compte
en regardant également son intérêt personnel. Mais
n’est-elle pas lié à l’intérêt
de l’ensemble de la société ? Est-ce si bon que
cela de baisser les impôts ?
Michel Prat : Il
est vrai que c’est un sujet d’actualité. Mais avant
de parler de baisse, il faut peut-être rappeler ce qu’est
l’impôt. La définition est d’ailleurs assez
simple. C’est un prélèvement pécuniaire obligatoire
qui est effectué à titre définitif sans contre-partie
immédiate. C’est donc un prélèvement qui
est fait à chaque citoyen et dont on ne peut pas indiquer personnellement
ce que l’on doit en faire. La contre-partie, à plus long
terme, se retrouvera par contre à travers les charges publiques
et l’intérêt général.
Pascale Fourier
: Lorsque l’on parle de baisse d’impôts, s’agit-il
des impôts sur le revenu, d’impôts sur les sociétés
?
Michel Prat : Parlons
du budget de l’état, en donnant quelques chiffres. Il représente
environ 1700 milliards. L’impôt sur le revenu rapporte 350
à 400 milliards, celui sur les sociétés environ
200 milliards. Il reste ensuite bien d’autres types d’impôts,
comme les taxes parafiscales ou la TVA par exemple, qui prélève
sur la consommation 19.6% supplémentaire au commerçant,
que celui-ci reverse ensuite à l’état.
Pascale Fourier
: Mais à quoi vont bien pouvoir servir tous ces milliards ?
Michel Prat : On
peut rappeler une date importante à ce sujet : 1789. C’est
la première fois que l’on confie la tâche de décider
comment subvenir aux besoins collectifs du pays à un parlement,
c’est-à-dire aux élus du peuple. Ce sont donc les
citoyens, à travers leurs représentants, qui vont décider
d’abord de l’utilité des impôts, puis de leurs
fonctions.
Pascale Fourier
: Avant cela, il n’existait que la cassette du roi ?
Michel Prat : Effectivement,
le roi s’adressait alors à ses représentants fermiers
ou aux seigneurs, il leur indiquait les sommes à prélever
en fonction de ses besoins et l’argent était collecté.
Mais il y avait quand même beaucoup de problèmes financiers,
notamment pour les armées. Alors, n’arrivant pas à
rassembler suffisamment d’argent, des assemblées de ceux
qui devaient contribuer ont été constituées. C’est
ainsi que le parlementarisme est né en Grande Bretagne, en France,
où ces rassemblements ont montré une plus grande efficacité
à collecter. Le Parlement s’est alors posé des questions
sur le but des impôts et les quantités à prélever.
Pascale Fourier
: Qu’a-t-il été décidé alors ?
Michel Prat : Actuellement,
les impôts couvrent les charges publiques générales.
C’est-à-dire l’éducation, la justice, la police,
les infirmières également, dont on a parlé ces
derniers temps parce qu’il en manquait . Voilà beaucoup
de tâches générales qui sont payées par l’impôt,
auquel chacun contribue. Et cela nous amène inévitablement
à se pencher sur la question de la justice fiscale à laquelle
les impôts répondent. Cette question avait déjà
été évoquée un peu avant la Révolution,
au siècle des Lumières. Les inégalités étaient
alors très importantes. La mise en place d’une contribution
de chacun en fonction de ses revenus permit alors d’assurer un
minimum de services à l’ensemble de la population de façon
égale pour tous.
Pascale Fourier
: Les routes, l’école, l’hôpital pour tous.
C’est donc cela qu’il y a derrière les impôts
?
Michel Prat : L’accès
aux écoles maternelles, primaires ou autres sont normalement
gratuites. Cela constitue l’une des valeurs fondamentales de notre
société qui est le principe d’égalité.
On comprend mieux dés lors sur quelle base se justifie l’aspect
obligatoire du prélèvement des impôts. Tout le monde
voit ainsi ses besoins satisfait, en particulier ceux qui ont très
peu de revenus.
Pascale Fourier
: Les impôts servent à des aspects essentiels de notre
société comme l’école, les hôpitaux,
la justice. Tout cela est extrêmement important et malgré
cela, il y a de nombreux problèmes de fonctionnement dus au manque
de moyens, entraînant souvent des mouvements de protestation dans
ces domaines. Plus grave encore, les partis politiques, et notamment
de gauche, annoncent qu’il faut baisser les impôts. Pourquoi
une telle contradiction ?
Michel Prat : Il
est effectivement tentant individuellement et à priori de vouloir
une baisse d’impôts. Mais d’autres peuvent également
faire le souhait d’en payer plus car cela serait synonyme de revenus
plus importants. On remarque que ce sont surtout les hauts revenus qui
demande cette baisse et c’est cela qui a été réalisé
par les différents partis politiques qui se sont succédés
au pouvoir . Il faut expliquer également que l’impôt
sur le revenu est progressif. En effet, les tranches basses de l’impôt,
c’est-à-dire les revenus de nécessités courantes,
payent des taux faibles, de l’ordre de 10 à 20%, alors
que seule la part la plus élevée des revenus peut être
taxée jusqu’à 50%. C’est une idée qui
date de l’époque des Lumières et de Rousseau. L’impôt
devait être faible sur les revenus servant à satisfaire
nos besoins immédiats comme se vêtir, se loger, se nourrir.
Les revenus moins directement nécessaires pouvaient alors être
taxés de façon plus importante.
Pascale Fourier
: Cela veut dire que même les personnes riches payent un taux
d’imposition aussi faible que les autres sur la première
partie de leurs revenus ?
Michel Prat : Oui.
Il y a donc une certaine égalité. D’ailleurs, une
étude récente faisait le bilan d’un siècle
ou deux de paiement d’impôts sur le revenu et donnait des
chiffres ou les prélèvements étaient bien plus
importants qu'aujourd'hui, notamment au début du siècle.
Qui se souvient de la fiscalité des années 80, où
la part supérieure était taxée à plus de
60 % et même plus de 70 % quelques temps auparavant. Il n'y a
pas eu de drame pour autant de la part des personnes qui gagnent énormément.
Pascale Fourier
: Des arguments récurrents sont avancés contre la hausse
des impôts, assurant que cela les découragerait de travailler,
que les hauts revenus partiraient vers l'étranger.
Michel Prat : C'est
vrai que certains tentent de partir vers l'étranger. Mais on
s'est rendu compte qu'ils étaient peu nombreux et que c'était
surtout ceux qui avaient oublié de payer leurs impôts.
Mais ils ne sont que quelques dizaines ou centaines de personnes sur
plusieurs millions d'habitants. De plus, la France a quand même
une politique de l'impôt plutôt intelligente qu'il faut
préserver. Car, à force de baisser les impôts, il
y aura moins de rentrées dans les caisses de l'état. Cela
réduira alors les services proposés. C'est le cas des
Etats-Unis qui, dans les années 60 et 70, affirmaient que les
impôts étaient du vol. Il y a eu alors un fort mouvement
de baisse des impôts. Le résultat de cette politique a
été une baisse des services publics. Et, après
quelques années de négligence sur l'entretien du réseau
électrique en Californie, il y a eu des coupures électriques
comme dans les pays en voix de développement quand il y a de
graves difficultés. On s'aperçoit que cela n'est pas si
simple et que la réflexion sur l'impôt demande un débat.
On doit se demander de combien les baisser, comment les répartir
et surtout comment les utiliser. Car souvent, ceux qui demandent des
baisses trouvent qu'ils en payent trop mais ont-ils bien compris ce
qu'ils reçoivent en échange ?
Pascale Fourier
: Peut-être pensent-ils pouvoir se payer eux-mêmes des services
qu'ils trouveraient à l'extérieur ?
Michel Prat : Seules
les 5 à 10 % les plus riches peuvent sûrement se passer
de sécurité sociale, de tarifs attractifs pour les transports
en commun ou de l'école gratuite. Mais si l'on se souvient des
principes de base de notre société " Liberté,
Egalité, Fraternité ", l'idée était
alors d'augmenter le niveau de vie général de l'ensemble
de la population. De plus, la nouvelle économie pouvant permettre
aujourd’hui en enrichissement très rapide, les écarts
se creusent entre les différences de revenus. Ce sont alors les
couches salariales les plus basses qui en pâtissent les premiers.
Si les problèmes économiques touchent d'abord les ménages
les plus pauvres, il est nécessaire de continuer l'éducation
gratuite des enfants, des aides pour les soins médicaux. Il faut
qu'il y ait une répartition des richesses pour compenser les
inégalités toujours croissantes de ces dernières
années.
Pascale Fourier
: L'un des arguments des libéraux affirme que les personnes fortement
taxées sont, à cause des impôts, découragés
de travailler. Qu'en pensez-vous ?
Michel Prat : Il
faut d'abord indiquer que le taux le plus élevé de l'impôt
sur le revenu, actuellement de 50%, a déjà été
diminué. Puis il est nécessaire de savoir si l'on travaille
uniquement pour la rentabilité économique et financière.
Il n'y aurait alors plus beaucoup d'activités dans le pays. Si
l'on pense aux enseignants ou aux personnels hospitaliers, ils sont
dévoués à leur métier malgré un salaire
plutôt bas. Il n'y a pas que le gain financier qui est attractif.
Que serait la société si ce n'était que cela !
On vit pour un certain nombre de valeurs autres que la valeur financière.
Surtout lorsque les dépenses de premières nécessités
et bien au-delà sont satisfaites. Quand on parle de taux de 50%,
cela touche des revenus de 600 mille à 1 million de francs et
plus. Il leur reste encore de quoi faire face.
Pascale Fourier
: Un autre argument libéral dénonce les impôts trop
élevés sur les sociétés, le risque étant
de brider la compétitivité française. Quelles propositions
alternatives répondent à cette idée souvent répandue
?
Michel Prat : Le
premier point est de comparer ce taux d'imposition sur les entreprises.
Nous serons bientôt à un niveau proche des 30%, ce qui
nous rapprochera beaucoup des autres pays. Il n'y a donc pas de difficultés
majeures en terme de compétitivité. L'autre aspect concerne
les services communs dont bénéficient les entreprises
qui s'implantent dans une zone industrielle. Elles trouvent à
leur porte le téléphone, l'eau, l'électricité.
Ce sont bien nos impôts qui ont permis cela. D'ailleurs, les entreprises
ne viennent que lorsque l'ensemble de ces services est implanté.
En allant encore un peu plus loin dans le raisonnement, on peut remarquer
que les personnes allant travailler dans ces entreprises ont été
formées, elles ont fait des études et ce ne sont pas les
entreprises qui les ont formées. Qui plus est, il est reconnu
que la France assure un bon niveau de formation, dont la compétitivité
des entreprises a besoin. Et cela est dû, bien sûr, à
l'ensemble des impôts versé par les individus et par les
entreprises. Quelle serait alors la situation financière des
entreprises si elles devaient subvenir elles-mêmes au besoin de
formations comme auparavant ? Le problème n'est si simple.
Pascale Fourier
: Je ne comprends toujours pas pourquoi des hommes politiques et notamment
de gauche demandent sans arrêt de faire baisser les impôts?
C'est éloquent lorsque l'on entend Fabius.
Michel Prat : C'est
sans doute qu'il parait plus simple, pour recueillir l'assentiment du
plus grand nombre, de proposer des baisses d'impôts. Mais n’oublions
pas toutes les activités d'intérêt général
qu'il nous faut fournir. Les responsables politiques, en particulier
de gauche, disent par ailleurs qu'il ne faut pas baisser les impôts
pour tout le monde, que la répartition va (doit ?) se faire différemment.
Le discours est quand même souvent compliqué dans ce domaine.
C'est pour cela qu'on peut avoir du mal à s'y retrouver. Pour
preuve, une réforme sur la fiscalité était prévue
dans les années 70, elle a finalement été reportée
aux années 90. Mais elle n'a toujours pas eût lieu. Il
y a eu des baisses d'impôts, mais il y a eu des augmentations
également. C'est paradoxal car cela s'est passé sous des
gouvernements différents. Ils ont à tour de rôle
augmenté puis baissé les impôts. On voit bien que
la base de leurs discours et de leurs références ne sont
pas toujours aussi solides que cela en à l'air. Il y a eu également
des demandes très fortes de baisses d'impôts de la part
des petits artisans et des petits commerçants, régulièrement
reprises. Mais ils ont souvent oublié les mesures de facilités
fiscales . Et puis, la compréhension de la répartition
des impôts n’est pas facilitée par la multitude d'impôts.
Ils sont nombreux et ne sont souvent appliqués qu’au bout
de deux ou trois ans d'activités. Mais on rentre là dans
la technique même, alors que sur le principe, il faut bien une
contribution de tout un chacun. Au final, on peut se dire que si l'on
paye beaucoup d'impôts, c'est que l'on a beaucoup de revenus.
Il n'existe pas encore à ma connaissance d'impôt qui soit
collecté sur un revenu qui n'a pas été gagné.
Pascale Fourier
: Il faut alors souhaiter payer beaucoup d'impôts ?
Michel Prat : Oui.
Cela sera toujours synonyme de hauts revenus. On peut à nouveau
se poser la question de la justice fiscale. Le citoyen a en effet envie
qu'on lui rende compte de la nécessité de payer des impôts.
C'est là quelque chose de fondamental. Que l'on parle d'impôt
sur le plan économique ou même sur le plan technique ou
juridique, on oublie que l'impôt est un acte politique. C'est
la vie de la société. Il faut donc forcément se
reposer la question des grands choix du Parlement. Le citoyen aimerait
peut être sollicité plus souvent au niveau des dépenses
parce que l'on peut effectivement considérer qu'il y a des dépenses
importantes et d'autres non. On disait bien, au début, dans la
définition de l'impôt, qu'il était obligatoire mais
que l'on ne décidait pas de son affectation. Ce sont les élus,
représentants des citoyens, qui décident là où
l'effort doit être porté. Dans ce cas là, la motivation
pour payer les impôts serait plus grande, y compris chez ceux
qui demandent de les baisser.
Pascale Fourier
: Est-ce l'orientation qui est prise avec les discussions actuelles
sur le budget de l'état ?
Michel Prat : Le
souhait récent du ministère de l'intérieur est
d'augmenter les moyens de l'état afin d’assurer la sécurité
dans les quartiers et autres. C'est vrai que c'est au niveau du budget
de l'état que la répartition des impôts se décide.
Mais ces choix ont tendance à être noyés dans des
choix difficiles. Lorsque l'on regarde le vote du parlement, on voit
que 96% des choix sont identique à l'année précédente,
satisfaisant ainsi les mêmes besoins. On s'aperçoit que
la marge de manœuvre est faible. C'est peut être dans cette
direction qu'il faudrait retravailler, se reposer un certain nombre
de questions. Mais cela demande une intervention des citoyens dans la
vie publique. On a pu voir, sur le plan local, des listes allant en
ce sens aux dernières élections municipales.
Pascale Fourier
: Existe-t-il des moyens pour les citoyens de mettre le nez dans le
budget de l'état ?
Michel Prat : L'état
parait effectivement loin. Cela est d'abord possible par le vote de
nos représentants, mais également en s'y intéressant,
en s'informant ou même lorsque nous sommes sollicités dans
notre vie quotidienne. Ne faudrait-il pas, par exemple, mettre un peu
plus d'argent au niveau des transports en commun dans les grandes agglomérations?
Et la fiscalité concernant l'environnement? On s'aperçoit
bien qu’il est très difficile de prendre des décisions.
On a tendance à vivre sur ce qui existait auparavant et c'est
peut être là où les citoyens doivent intervenir
dans leurs collectivités et auprès de leurs représentants,
en exigeant des comptes rendus. C'est intéressant de savoir les
raisons qui ont poussé un député à voter
un budget qui peut s'orienter vers la défense nationale, l'éducation
ou l'environnement. On peut se demander, par exemple, pourquoi ils ont
abandonné la taxe sur les produits polluants. On peut agir ainsi
directement sur les choix politiques effectués.
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