Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 4 JUILLET 2003

L'Etat Social (2/2)

Avec Christophe Ramaux, maître de conférences à Paris I.

 

Pascale Fourier : La semaine dernière , on avait parlé de l’Etat Social qui s’était mis en place notamment à la fin de la guerre si j’ai bien compris. Mais il y a quelque chose qui m’étonne un petit peu… Je n’arrive pas bien à comprendre, quel lien on pourrait faire entre la déliquescence de cet Etat Social justement et la hausse du chômage. Est-ce qu’il y a une concomitance, un lien de cause à effet entre les deux ?

Christophe Ramaux : Bien tout d’abord, déliquescence, le mot est un peu fort car il y a quand même de beaux restes et je pense qu’il ne faut pas se mettre dans la tête que l’Etat Social a disparu. Il reste quand même de très très beaux restes et je fais partie de ceux qui considèrent y compris que l’avenir est de ce côté-là. Bon, donc on ne part pas de zéro. Alors sur le chômage… bien sûr qu’il y a un lien, il y a un lien dans les deux sens en fait. C'est-à-dire que la montée du chômage, bien entendu, comme toujours, c’est l’armée de réserve à la Marx, c'est-à-dire que le chômage est un fantastique instrument pour discipliner les âmes et les corps et donc pour en rabattre sur les droits sociaux. Donc bien entendu, la montée du chômage a permis, a servi d’instrument de ce point de vue-là à tous ceux qui veulent en rabattre sur l’Etat Social. Mais peut-être que le plus intéressant, c’est aussi de voir dans l’autre sens, c'est-à-dire de voir comment l’Etat Social a traité la question du chômage, parce que ce qu’on peut dire c’est que le chômage, si vous voulez, historiquement il est inventé si l’on peut dire à la fin du XIXème. Jusqu'à la fin du XIXème, on ne parle pas vraiment de chômeurs, il y a comme catégories les travailleurs, qui chôment de temps en temps : le fait de chômer, c’est un attribut du travail en quelque sorte. Ce sont les saisons agricoles notamment. Il y a les handicapés, mais qui doivent faire la preuve de leur handicap pour pouvoir de bénéficier de la bienfaisance privée ou publique même. Et puis il y a une autre figure qui est les vagabonds, les vagabonds, c'est-à-dire ceux qui sont une autre figure qui hante le Moyen-Age et qui hante encore la société libérale au XIXème siècle, c'est-à-dire la figure de ceux qui peuvent travailler mais qui ne veulent pas travailler. Qui, donc, sont pourchassés. Et à la fin du XIXème, il y a un bouleversement complet dans les représentations. Ca ne s’est pas fait du jour au lendemain, vous l’avez bien compris. Mais il y a un bouleversement complet, c'est-à-dire que la société capitaliste reconnaît qu’elle est susceptible de générer du chômage. Et c’est une vraie révolution, ça aussi !! Et pourquoi ? Parce que c’est la reconnaissance, par le capitalisme, d’un défaut d’organisation sociale, d’une faute en quelque sorte, qui est très lourde. C’est-à-dire que le capitalisme reconnaît qu’il peut, pas forcément en permanence ( il n’y a pas toujours du chômage dans le capitalisme), mais qu’il peut au moins régulièrement, provoquer, générer du chômage. C’est la reconnaissance d’une faute qui est colossale parce que si on y réfléchit bien, le chômage c’est quand même… ; les défenseurs du capitalisme nous parlent toujours en terme d’efficacité, mais faut les prendre sur ce terrain de l’efficacité : le chômage c’est un gaspillage colossal ! Ca signifie qu’il y a des personnes qui veulent contribuer à la création de richesses et à qui le système interdit de participer à cette création ! C’est un gaspillage colossal. Et c’est pour cela d’ailleurs que le capitalisme, je viens de vous le dire, à la fin du XIXème a accepté de reconnaître la question du chômage. Mais en fait si on y réfléchit bien, il a fallu attendre 60 ans, 1958, pour que de cette reconnaissance du chômage on passe à l’indemnisation du chômage : la création de l’U.N.E.D.I.C. Et puis surtout ce qu’on peut ajouter, c’est que, régulièrement et on est en plein dedans, régulièrement il y a des défenseurs du système qui présentent des thèses qui aboutissent en fait à nier l’existence du chômage.

Pascale Fourier : Mais quand vous dites que c’est le système qui crée du chômage, moi parfois, toujours en lisant les journaux, j’entends dire quasiment que ce sont les chômeurs qui ne veulent pas travailler.

Christophe Ramaux : Justement on est exactement dans cette problématique de négation du chômage ! Le chômage, par définition, c’est une responsabilité sociale. Par définition ! Est chômeur celui qui est sans emploi, qui recherche un emploi, qui est disponible pour occuper un emploi, mais qui ne trouve pas d’emploi parce que le système n’est pas en mesure de lui donner un emploi ! Ca, c’est la reconnaissance du chômage à la fin du XIXème. Et donc tous les discours qui disent : « Mais les chômeurs veulent pas travailler ! », c’est des discours qui nient l’existence-même du chômage, ces discours qui en reviennent au registre libéral du XIXème, qui est l’idée que s’il y a des gens qui n’ont pas de travail, c’est parce qu’ils le veulent bien. Donc là, pour le coup, on est en présence d’une vraie régression. Alors là on parle plus de vagabonds, -au XIXème siècle on parlait de vagabonds-, maintenant on fait plus savant, on parle de « trappes à inactivité ». Mais c’est exactement la même chose. Ceux qui n’ont de cesse de pointer les fameuses « trappes à inactivité », eh bien ce sont, finalement, exactement les mêmes. C’est exactement la même argumentation que ceux qui pourfendaient les vagabonds la fin du XIXème. Pourquoi c’est exactement la même chose ? Eh bien, la problématique des trappes à inactivité, ça consiste à dire que : « Oui vous comprenez, avec le R.M.I., les allocations chômage, les personnes ne veulent pas travailler ! » , - donc c’est bien l’idée que les chômeurs sont responsables de leur situation ! Ce qui revient à nier le chômage puisque par définition le chômage relève de la responsabilité sociale et non pas d’une responsabilité individuelle. Bon alors ça, c’est l’argumentaire, et maintenant les faits. Eh bien les faits nous montrent que cette argumentation ne tient pas la route. C’est-à-dire que toutes les études montrent que d’abord, il faut le rappeler, on ne vit pas bien au chômage ! L’écrasante majorité des chômeurs, d’abord, ne relève pas du système d’assurance chômage, ne bénéficie pas de ce que l’on appelle aujourd’hui l’A.R.E. La majorité des demandeurs d’emplois ne bénéficie pas de l’A.R.E. Donc, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que, au mieux, ils bénéficient des minima sociaux. Les minima sociaux, c’est l’ASS ou le R.M.I . Vous avez bien compris, cela représente de l’ordre de 2000 à 2500 Francs par mois, et on ne peut pas décemment dire qu’il y a aujourd’hui dans ce pays des millions et des millions de personnes qui acceptent volontairement de vivre avec 2500 francs par mois ! C’est une marque de mépris d’oser affirmer ça, qui est absolument colossale !! Donc, toutes les études montrent que, non seulement le niveau de vie des chômeurs est particulièrement faible, à cause de ces montants d’indemnisation très faibles. Mais on pourrait tirer le fil… donc toutes les études montrent y compris que les chômeurs n’ont qu’une seule préoccupation qui est de retrouver un emploi. De ce point de vue-là, toutes les thèses ultra-gauche sur la fin du travail sont des thèses intellectualistes mais qui ne parlent pas de la réalité concrète qui est la volonté des chômeurs ne serait-ce que d’être utiles au monde. La volonté de travailler …on pourrait mettre ça en parallèle avec le fait que finalement la société aujourd’hui, face à ce drame social qu’est le chômage, finalement consacre très peu de ressources, pour indemniser les chômeurs. C’est-à-dire que les chômeurs, ce sont des millions et des millions de personnes. Les Rmistes, c’est plus d’un million de bénéficiaires, plus de 2 millions de personnes qui en bénéficient via les ménages. En fait, quand on regarde les sommes que ça représente en terme d’indemnisations, c’est particulièrement faible. Il faut savoir que les minima sociaux R.M.I., A.S.S., allocation adulte handicapé, minimum vieillesse, ça représente moins de 3%, aujourd’hui, du PIB. Le chômage, les régimes d’indemnisation du chômage, ça représente moins de 10% des dépenses de protection sociale. En fait, on a des millions de personnes qui vivent avec ces filets de sécurité, vraiment minimaux, pour le coup, mais en sachant que ça représente peu de choses, et donc la vraie question qu’il faut poser serait, au contraire, celle de la revalorisation de toutes ces allocations, et vous avez bien compris qu’aujourd’hui on est dans la procédure inverse puisque la nouvelle convention U.N.E.D.I.C. qui a été signée va, au contraire, aboutir, au 1er janvier 2004 à une baisse absolument drastique des droits des chômeurs.

Pascale Fourier : Par exemple il y a Rocard qui disait dans Le Monde du 19 juin, dans un article absolument remarquable à tous points de vues que finalement le capitalisme avait gagné, qu’on était dans une économie mondialisée sans frontières, qu’il fallait en prendre acte, et que ces petits camarades de gauche devraient bien le faire. Est-ce qu’effectivement le fait qu’il y ait cette économie mondialisée ne nécessite pas obligatoirement le fait de renoncer à cet Etat Social que vous défendez depuis déjà deux émissions ?

Christophe Ramaux : Je ne sais pas si l’article de Michel Rocard était remarquable. Il était remarqué. Bon la mondialisation... Alors là, on est, comment dire, on est sur un gros morceau. C'est-à-dire que, moi je pense en fait,- je vais peut être prendre les auditeurs à rebrousse poils, bon mais ça va les réveiller…mais je fais partie de ceux qui considèrent que la mondialisation, c’est d’abord, à nouveau, quelque chose qui joue sur le registre des représentations. C’est-à-dire que, ce qui est en jeu à travers la mondialisation c’est une certaine représentation qu’on cherche à instiller dans le corps social, dans les têtes de chacun. Et c’est pour ça, je vais à la conclusion avant de développer, que moi je suis contre la mondialisation. Alors quel est l’enjeu ? Eh bien ce qu’on cherche à instiller dans les têtes de chacun, à travers la mondialisation, c’est l’idée que les principales décisions, en matière économique et sociale sont prises dorénavant, sont prises d’emblée à l’échelle du monde. C'est-à-dire qu’on laisse entendre maintenant que le sort de chacun, le sort immédiat de chacun, se joue quotidiennement, d’abord et avant tout, à l’échelle du monde. Et si on y réfléchit bien, en fait, cette trame-là, ça aboutit à quoi ? Eh bien, ça aboutit, bien entendu, à dessaisir le peuple. Parce que le peuple, à cette échelle-là, à l’échelle du monde, il n’a aucune prise !! Par définition ! Il y a que de joyeux zozos, doux rêveurs, là pour le coup, qui parlent de « citoyenneté mondiale », …on pourra y revenir m’enfin… Ce sont des thèses qui ne tiennent pas compte du fait que pour que le pouvoir du peuple puisse s’exercer, il faut qu’il existe un cadre institutionnel dans lequel il puisse s’exercer. Il n’y a pas de citoyenneté mondiale tout simplement parce que pour être citoyen, il faut vivre en république. La citoyenneté, ce n’est pas un sentiment. J’ai des amis qui se disent citoyens du monde… Mais je leur dis toujours : « Mais la citoyenneté, si on la prend au sens fort, si l’on prend la citoyenneté au sérieux, la citoyenneté ce n’est pas un sentiment !! ». C’est la république qui institue les citoyens. Si on ne vit pas en république, on n’est pas citoyen, et comme il n’y a pas de république mondiale, il n’y a pas de citoyenneté mondiale. Il peut y avoir des contre- pouvoirs, le travail des ONG, des associations, qui sont tout à fait utiles, il ne s’agit pas du tout de nier ça, et je ne nie pas qu’il y ait une nécessité de politiques internationales, mais ce qui est en jeu à travers la mondialisation, c’est autre chose. Ce qui est en jeu à travers la mondialisation, c’est d’abord, d’abord et avant tout, le fait qu’on véhicule … - c’est un peu complémentaire à la notion de risque dont je parlais la semaine dernière, avec le risque, le MEDEF essaie en permanence de véhiculer une représentation de l’insécurité généralisée. Parce que, quand on a une population insécurisée eh bien on a une population docile- la mondialisation, c’est parfaitement complémentaire de ce point de vue- là. Avec la mondialisation, on laisse entendre aux citoyens qu’ils n’ont plus aucun pouvoir ! Et donc on revient sur l’idée du pouvoir du peuple, tout simplement, au travers de l’élection de ces représentants. C’est ça qui est en jeu à travers la mondialisation. Et c’est pour ça que moi je suis contre la mondialisation. Je ne suis pas altermondialiste, -je sais que c’est un terme particulièrement à la mode dans la gauche critique-, moi, je ne suis pas alter mondialiste, je suis internationaliste !Je suis pour des politiques internationales sur toute une série de domaines qu’on ne s’y méprenne pas. Mais la notion d’altermondialisation, c’est une notion qui, quelque part, conforte cette idée, qui est une idée du capital de mon point de vue, selon laquelle les principales décisions se prennent à l’échelle du monde. C'est-à-dire à une échelle où, par définition, -on peut peut-être y revenir, on peut peut-être creuser tout ça-, mais par définition le peuple n’a aucune prise.

Pascale Fourier : Mais alors , vous appelez quoi ??? Le retour des nations…. ??

Christophe Ramaux : Oui tout à fait, allez, allons-y franchement !! Alors, et d’ailleurs dans le mouvement altermondialiste, surtout en France peut-être, il y a une grande confusion intellectuelle sur la question de la Nation. Je vais à l’essentiel tout de suite. Ma conviction c’est qu’aujourd’hui il y a une partie de la gauche qui est prisonnière du schéma intellectuel du Front National sur la question de la nation. C'est-à-dire qu’ils pensent la question de la nation exactement de la même manière que le Front National. Et comme, à juste titre, cette fois-ci, cette gauche-là n’aime pas le Front National, comme moi, eh bien elle rejette la nation. Comme elle a la même définition de l’Etat-Nation que le Front National, eh bien comme elle n’aime pas le Front National, elle rejette la nation. Alors qu’est ce qui est en jeu dans tout ça ? La conception du Front National de la nation, c’est quoi ? C’est l’idée de référer la nation aux origines, au sang, à la religion, à l’ethnicisme pour aller vite. Donc, c’est une conception racialiste de la nation. Bien entendu, je suis opposé à cette question. Mais la nation comme toute construction politique, et c’est une construction politique, c’est dire que ça peut s’investir d’un contenu différent. Et à cette conception ethniciste du Front National, je pense qu’il est nécessaire d’opposer une autre conception, qui est une conception citoyenne, qui est l’idée que la nation repose sur la citoyenneté. C’est pour cela d’ailleurs qu’il ne faut pas dissocier, qu’il est important de ne pas dissocier les deux. La nation repose sur la citoyenneté, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que celui qui vit sur un territoire donné, dès lors qu’il vit en république -encore faut-il qu’il vive en république, ce n’est pas gagné bien entendu, c’est un combat toujours à recommencer- mais dès lors qu’il vit en république, dès lors qu’il vit sur un territoire où existe une république, eh bien il est citoyen de cette république. Et en étant citoyen de cette république, par-delà ces origines, qu’il s’appelle Mohammed ou je ne sais quoi, en France eh bien il est citoyen français au même titre que moi. Totalement au même titre que moi. Bon, alors cela ne veut pas dire d’ailleurs, je ne sais pas si j’ai le temps de développer ce point, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas une certaine dialectique entre cette conception culturaliste, ethniciste de la nation, et cette conception citoyenne. Vous me laissez le temps de développer ce point ?

Pascale Fourier : Oui.

Christophe Ramaux : Bien c’est quoi la conception dialectique si vous voulez. Moi je fais partie de ceux qui défendent une conception citoyenne de la Nation par opposition à la conception racialiste, ethniciste, culturaliste de la Nation qui est portée par l’extrême-droite et dont est prisonnière, à mon avis, une partie de la gauche critique, ce qui la conduit à rejeter la nation. Mais il y a une dialectique entre les deux. Pourquoi ? Parce que les républiques ne tombent pas du ciel ! Les républiques ne tombent pas du ciel ! La République, c’est l’idée c’est la démocratie forte, si vous voulez ; c’est l’idée que le pouvoir revient au peuple, à travers l’élection de ces représentants. Ca pose plein de problèmes. Il y a des problèmes de bureaucratie, etc... Mais peu importe ! Il y a quand même cette boussole qui est l’idée que le pouvoir doit revenir au peuple . C’est le principe : « un homme, une voix » et non pas « une action, une voix » comme le propose le capitalisme actionnarial aujourd’hui. Pourquoi il y a une certaine dialectique ? Eh bien je vous l’ai dit, les républiques ne tombent pas du ciel, c’est-à-dire que les républiques, elles sont nécessairement inscrites dans des territoires qui ont été marqués historiquement par leur cortège de guerres, y compris avec leur volet ethniciste, mais tout l’enjeu justement c’est cela : c’est de savoir porter cette histoire, ça ne veut pas dire l’assumer, mais savoir porter cette histoire pour lui donner un autre contenu. Plus précisément, prenons le problème par un autre sens. La nation citoyenne ça se repose sur le pouvoir du peuple. Mais pour que le pouvoir du peuple puisse s’exercer, il faut un langage commun. Le pouvoir du peuple, ça suppose qu’il y ait une délibération politique, ça suppose de la démocratie politique. Pour qu’il y ait démocratie, il faut qu’il y ait un langage commun. Et donc de facto, ça suppose bien souvent, concrètement, une langue commune. Il y a quelques pays, par exemple si l’on prend l’Algérie avec les Kabyles, où il y a un sentiment d’appartenance national commun, y compris aux kabyles ; les Kabyles sont fiers d’être Algériens. Mais si on excepte ce pays-là et quelques autres, en fait, on se rend compte que faire fonctionner une démocratie avec plusieurs langues tout simplement, c’est quelque chose de très compliqué, tout simplement parce que la démocratie ça suppose de la délibération. Et donc là, on est bien renvoyé à un volet culturaliste, vous voyez ce que je veux dire. Donc il y a bien une dialectique entre les deux. Et il ne faut pas…, comment dire, je suis un républicain mais pas un républicain abstrait. Il faut savoir ancrer la république notamment en chair et en os dans des territoires donnés par l’histoire. Mais l’enjeu, c’est de savoir qu’elle est la boussole. Est-ce que la boussole, c’est le pouvoir des hommes, par delà leurs origines, par delà le legs historique, ou est ce que c’est une conception ethniciste de la nation ? Et je reste persuadé que ceux qui embrassent la mondialisation, y compris au nom de l’alter mondialisation, quelque part ont un profond mépris de la Nation pour la bonne et simple raison, je l’ai déjà dit, que je pense que ces personnes sont prisonnières du schéma intellectuel du Front National.

Pascale Fourier : J’ai suivi avec passion, Christophe Rameaux, ce que vous disiez, parce que ça chamboulait un peu les représentations qu’on pouvait avoir. Mais j’aimerais bien qu’on essaie de faire un pont rapide entre, finalement, Etat Social et Etat-Nation. Quel lien entre les deux, quelle nécessité peut-être d’un lien entre les deux ?

Christophe Ramaux : Ah! Bien oui tout à fait, le lien il est organique, il est direct !! C’est-à-dire que l’Etat Social, on l’a vu la semaine dernière, l’ Etat Social, c’est au moins quatre piliers : services publics, droit du travail, protection sociale, et puis des politiques économiques interventionnistes pour soutenir notamment les créations d’emplois... Et donc l’Etat Social, c’est ce qui donne la cohérence à ces quatre piliers et c’est ce que moi je propose d’appeler la Révolution en fait du XXème siècle, celle qui nous a légué quelque chose en positif, c’est-à-dire qui existe toujours aujourd’hui, même si depuis 20 ans tout ceci est grignoté par les néo-libéraux. Mais il y a de beaux restes ! Et l’Etat-Nation, bien ce n’est rien d’autre que le fondement politique de l’Etat Social. Et tout ceci s’explique aisément, à partir du moment où l’Etat-Nation, républicain, je ne parle pas des Etats-Nations ethnicistes, mais à partir du moment où l’Etat-Nation repose sur des principes républicains, c’est-à-dire le pouvoir du peuple. Et bien entendu, à partir du moment où on a cela, où l’on a cette situation-là, on conçoit tout à fait que le peuple ait réussi à imposer, notamment à travers les élections, la constitution progressive d’une série de garanties sociales qui forment ce qu’on peut appeler aujourd’hui l’Etat Social. Donc il y a un lien direct entre les deux, historiquement. Et il y a un lien direct entre les deux aujourd’hui. Aujourd’hui, si le capital n’a de cesse d’agiter la mondialisation comme une contrainte, indépassable, pour détruire l’Etat Social, bien entendu, le capital est dans son intérêt !! Le capital a compris, de son point de vue, que pour casser l’Etat Social, il fallait remettre en cause son fondement politique, c’est-à-dire l’Etat-Nation républicain. Et de ce point de vue-là, ce qui est l’enjeu à travers la mondialisation, c’est d’abord ça. Alors on pourrait évoquer, y compris, quelles réponses on peut apporter par rapport à ça. Moi j’ai dit tout à l’heure que j’étais pour l’internationalisme, mais j’étais contre la mondialisation. Donc je suis pour, comment dire.., faire rebondir, au contraire, l’Etat Social alors que les libéraux proposent de le réduire, de l’abattre. Mais il y a une autre dimension, qui est, par exemple, l’échelle européenne. Je pense qu’à l’échelle européenne, aujourd’hui, ce qui est en jeu aujourd’hui - et on va le voir dans les prochains mois notamment avec le débat sur la Convention-, ce qui est en jeu c’est comment à la fois construire l’Europe, -car je suis favorable, bien entendu, à la construction européenne - sans remettre en cause, sans que ça se traduise par une régression en matière d’Etat Social. Et là, ce que l’on peut dire, c’est relativement simple, c’est qu’il faut construire l’Europe sociale ! Mais construire l’Europe sociale, ça ne peut pas se faire si on n’accepte pas de considérer que, pour les pays les plus développés en matière sociale, notamment la France, mais aussi l’Allemagne et les pays scandinaves par exemple, le socle du droit social, ça doit rester le droit national ! Pourquoi ? Eh bien parce qu’à l’échelle européenne, construire l’Europe sociale, ça ne peut être que deux choses étroitement liées : c’est d’abord empêcher les pratiques de dumping social, et puis permettre la convergence par le haut des pays les moins avancés, sachant qu’avec l’élargissement aux pays de l’Europe de l’Est, il y a des écarts de revenus par têtes d’habitants qui sont absolument colossaux. Donc on ne pourra pas demain imposer le SMIC français… quand je dis demain c’est pour plusieurs décennies. On ne pourra pas avoir en Lituanie, en Bulgarie, l’équivalent du SMIC français avant plusieurs décennies, il faut être lucide de ce point de vue-là, ce n’est pas possible. Donc qu’est-ce qu’il faut faire ? Eh bien, par exemple, il faut construire un droit social européen mais qui ne se substitue pas au droit national, c'est-à-dire, qui ne se substitue au droit national que s’il apporte un plus, que s’il apporte un plus. Et donc, par exemple, ça veut dire quoi concrètement ? Ca veut dire que les travailleurs Français ou Allemands, il ne faut pas leur mentir. Il ne faut pas leur dire que grâce à l’Europe, ils vont avoir des droits en plus : ça, c’est faux ! Dans….peut-être quelques domaines peu défrichés : la lutte contre les discriminations et encore on a vu ce qu’on a pu introduire en France ; au nom de l’égalité Homme-Femme, on a banalisé le travail de nuit. Bon mais passons là dessus. En dehors de terrains peu défrichés par le droit national, il faut avoir conscience du fait que l’Europe peut apporter beaucoup aux travailleurs français. Elle peut apporter le fait qu’on construise une Europe sans qu’il y ait de dumping social de la part des pays les moins avancés. C’est déjà beaucoup en terme de risques de délocalisations, etc. Mais au-delà de ça, le droit social européen n’apportera aucune règle substantive qui apportera un progrès pour le travailleur français ou allemand. Donc il est important pour tous ces travailleurs de dire que le socle du droit social reste le socle national. Si vous voulez, dit autrement il faut que les directives européennes en matière de droit social ne s’appliquent que si elles apportent un plus pour les travailleurs. C’est ce qu’on appelle, un grand principe du droit du travail en France, c’est le principe de faveur qui est l’idée qu’une règle ne s’applique que si elle apporte un plus pour les travailleurs.

Pascale Fourier : Eh bien là j’ai qu’une seule envie, c’est de retrouver Christophe Rameaux tout bientôt, malheureusement ce sont les vacances, donc on ne va pas pouvoir...Peut-être en Septembre… En attendant, bonnes vacances à tous, … et puis à la rentrée !

 

 

 

 

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 4 Juillet 2003 sur AligreFM. Merci d'avance.