Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 17 SEPTEMBRE
2004
Les dispositifs " sécurité-emploi-formation" 1/2
Avec Christophe Ramaux,
maître de conférence à
Paris I, et membre du Conseil scientifique d'ATTAC. |
Pascale
Fourier
: « Des sous et des hommes » une émission
de Pascale Fourier, et notre invité aujourd'hui sera Christophe
Ramaux, maître de conférence à Paris I, et membre
du Conseil scientifique d'ATTAC. ....Alors, je vais vous expliquer les
circonstances dans lesquels cette interview a été faite.
C'était à l'Université d'été d'ATTAC
à Arles... Il faisait beau, nous étions sous les platanes
avec Christophe Ramaux et l'intervieweuse était en vacances,
en vacances si bien qu'elle a quand même réussi à
ne poser aucune question à Christophe Ramaux...C'est comme ça....vacances.... Christophe Ramaux : Depuis une bonne dizaine d'années, il y a une série de travaux d'orientations très diverses - et qui sont différentes sur beaucoup de domaines, j'y reviendrai - mais qui convergent quand même avec une idée qui est que, en mettant en place des dispositifs de type "sécurité emploi formation" on pourrait résoudre la question du chômage. On retrouve ces travaux dans les propositions de la CGT qui visent à proposer une "sécurité socio-professionnel"; on trouve ses travaux dans les propositions du Parti Communiste, notamment avancées par Paul Bocara sur l'idée qu'il faut créer un « système de sécurité d'emploi ou de formation »; on retrouve ces travaux chez des chercheurs, notamment des juristes, notamment dans le rapport d' Alain Supiot qui est un éminent juriste du travail et qui propose des formules de droits de tirage sociaux qui aboutissent notamment à ce type de solutions. Et puis on retrouve aussi ces travaux dans des travaux d'économistes sur les marchés transitionnels, je ne rentre pas dans les détails, mais vous avez donc toute une série de travaux , qui peuvent être des travaux militants, des travaux de chercheurs qui sont d'orientations politiques très variées: cela va de la CGT ou bien du Parti Communiste jusqu'à y compris des propositions de gens qui sont plutôt des libéraux comme Jean Boissonnat qui a proposé une formule de « contrat d'activité » qui était similaire sur certains points. Donc l'idée, elle est relativement simple, elle a la force de la simplicité,c'est ce qui fait sans doute son succès. Et, mais j'y reviendrai après, je pense qu'elle met le doigt sur un vrai problème par ailleurs. Donc l'idée
relativement simple, c'est la suivante: c'est que si on donne aux sans-emploi
un statut avec en plus de cela une formation, ce ne sont plus des chômeurs.
Ce ne sont plus des chômeurs parce tout simplement quelqu'un qui
est en formation n'a pas le statut de chômeur: il a le statut
de stagiaire de la formation professionnelle, donc il a un statut d'inactif,
ou bien même un statut d'employé; et donc il n'est plus
chômeur. Donc par ce biais-là, cela pourrait être
un moyen pour résoudre la question du chômage. Pascale Fourier : Alors l'emploi, pas plus instable qu'avant, c'était pour le moins bien étonnant... Christophe Ramaux m'a donné quelques explications, avant de continuer à m'expliquer les limites des projets de dispositifs "emploi-formation" Christophe
Ramaux : Avant
d'aborder d'autres critiques, essayons de comprendre pourquoi les emplois
ne sont pas plus instables aujourd'hui qu'hier. Mais pour des raisons
toutes simples! Parce qu'il y a des éléments qui poussent
dans le sens de l'instabilité: le raccourcissement des cycles
de vie des produits par exemple; un modèle de voiture dans les
années cinquante, cela durait dix quinze vingt ans; la 4L cela
durait dix quinze, vingt ans, et c'était quasiment la même
à la fin des années soixante que dans les années
90; le modèle de la 4L, cela a duré plusieurs décennies.
Aujourd'hui, un modèle de voiture est épuisée au
bout de cinq ans, six ans. On peut dire que ça cela peut créer,
ce n'est pas automatique, mais cela peut crever de l'instabilité
d'emploi même si ce n'est pas automatique: c'est toujours Renault
et Peugeot, avec y compris les mêmes travailleurs éventuellement
qui peuvent fabriquer différentes voitures. Admettons ça.
Il y a d'autres éléments qui poussent dans le sens de
l'instabilité des emplois: la financiarisation des économies.
Comme militant d'Attac, je fais partie de ceux qui considèrent
que ce n'est pas une fatalité, et qu'il ne faut surtout pas considérer
cela comme une fatalité. Mais d'un autre côté, de
toutes façons, il y a des éléments qui poussent
dans le sens de plus de stabilité: il y a le fait que le travail
de plus en plus, dans les modèles y compris patronaux, c'est
un travail qui doit être un travail collectif, où on met
l'accent sur la polyvalence des salariés, où on met l'accent
sur le travail en équipe, le fait que les travailleurs soient
polyvalents, le fait qu' il doit y avoir des relations de confiance,
qui doivent se nouer y compris entre les travailleurs, le fait que les
travailleurs doivent être autonomes, doivent savoir prendre des
initiatives. Mais tout cela cela suppose de la durée justement.
On ne peut pas faire cela avec des salariés sandwich. Et cela,
on le retrouve dans les statistiques. Comme je l'ai dit, en moyenne
en France, les travailleurs qui travaillent, y compris en comptant les
emplois précaires, qui peuvent n'avoir que quinze jours, une
semaine d'ancienneté dans l'emploi, mais en moyenne aujourd'hui,
en France, l'ancienneté dans l'emploi, dans la même entreprise,
pas forcement sous le même poste de travail, elle est de onze
ans. C'est l'ancienneté constatée au moment de l'enquête:
moi par exemple aujourd'hui, si on me pose la question: "Quelle
est votre ancienneté dans l'emploi", je vais dire huit ans.
Mais comme je suis fonctionnaire, vous avez bien compris que cela risque
durer plus longtemps, donc ce n'est même pas l'ancienneté
finale. Il faut savoir que si on raisonne en terme d'ancienneté
finale, on peut estimer que 75% de ceux qui sont en emplois aujourd'hui
en France auront une ancienneté finale aujourd'hui de plus de
dix ans. C'est quelque chose de colossal ! Là on va complètement
à l'encontre d'une idée reçue qui est l'idée
que la question sociale centrale, c'est la question de l'instabilité
des emplois, de la précarité. Ce qui ne veut pas dire
qu'il ne faut pas nier la précarité, mais je pense qu'il
faut faire attention à ne pas l'hypertrophier. Aujourd'hui, il
y a dix pour cent des emplois, un peu plus de dix pour cent, qui sont
des emplois précaires. C'est déjà beaucoup trop,
mais il n'y a pas 80 pour cent des emplois qui sont des emplois précaires,
contrairement à ce qu'on entend parfois.
Quatrième limite, c'est le fait que ces travaux ont tendance à conforter l'idée qu'on va séparer l'emploi et formation. « Sécurité, emploi, formation", c'est le terme qui est souvent utilisé, c'est la proposition qu'on retrouve au fond dans tous ces travaux. C'est l'idée qu'il y a d'un côté l'emploi et de l'autre côté la formation. Mais là il y a un risque! Le risque, c'est que justement on sorte de plus en plus la formation de l'emploi. Or le Medef ne demande pas autre chose. Ce que demande le Medef cela s'est vu notamment dans les négociations,sur la formation professionnelle, ce que demande le MEDEF, c'est de sortir la formation - y compris les obligations de formations- , du temps de travail et donc du paiement par l'entreprise. Il veut que ce soit pris en charge par l'Etat. Avec ces idées de « sécurité emploi formation », on peut conforter ce point de vue selon lequel soit on est en situation d'emploi, soit on est en situation de formation, et donc conforter la position du Medef qui consiste à dire: « Tout ce qui est formation professionnelle, en fait il faut que cela soit assumé par le salarié ou par l'Etat, mais que ce ne soit plus à la charge de l'entreprise ». Donc on retrouve toute la problématique du MEDEF sur l'allègement du coût du travail.
Là j'ai
fait un peu la partie critique. Ceci étant dit, ces travaux mettent
le doigt sur un point important. Je pense notamment aux travaux de la
CGT, -et c'est pour cela qu'il ne faut pas faire des amalgames trop
rapides entre tout ces travaux - ; je pense que dans l'idée de
sécurité sociale professionnelle de la CGT, il y a ces
ambiguïtés que j'évoquais précédemment;
mais ceci étant dit, quand la CGT dit: « Il faut construire
un nouveau statut par rapport au chômeurs, ou il faut construire
une nouvelle branche de la Sécurité Sociale, c'est-à-dire
qu'à côté de la retraite, de la santé, de
la famille, il faut que la quatrième branche qui a été
toujours le parent pauvre de la Securité Sociale, il faut que
cette quatrième branche prenne une autre ampleur »,
je pense qu'elle vise tout à fait juste. Pour dire les choses
plus crûment, je dirais qu'il y a deux raisons qui font que, quand
la CGT dit: « Il faut une nouvelle sécurité
sociale professionnelle », je pense qu'elle a raison, sur
le fond, même si à mon avis elle entretient de lourdes
ambiguïtés quand au contenu qu'il faut lui donner. Elle
a doublement raison, pourquoi? Tout d'abord, je l'ai dit tout à
l'heure, parce que je pense qu'il ne faut pas abandonner la politique
économique aux libéraux; je pense qu'il faut s'opposer
aux libéraux pour mener d'autres politiques économiques
pour le plein-emploi, et je pense que le plein-emploi, en mettant d'autres
politiques économiques, est tout à fait possible. Mais
une fois que l'on a dit cela, vous avez bien compris que l'on a pas
répondu au problème des chômeurs. On ne peut pas
dire à un chômeur: « Ecoutes, attends, il faut
mettre en oeuvre une autre politique économique pour avoir le
plein-emploi ». C'est quelque chose qui est inaudible pour
le chômeur, y compris du point de vue de ses conditions de vie
concrètes. Ca ne répond pas à ses préoccupations
immédiates. Il y a une seconde raison pour laquelle l'idée
qu'il faut donner un statut à ceux qui sont privés d'emploi
est absolument nécessaire, c'est parce que de fait, depuis deux
siècles, il y a beaucoup de luttes contre les licenciements,
mais enfin, pour parler clairement, qui se souvient d'une lutte victorieuse
contre les licenciements? Cela fait deux siècles qu'il y a des
luttes contre les licenciements, - et je ne dit pas que ces luttes,
il faut les arrêter-, mais enfin force est de constater qu' on
a du mal à se souvenir d'une seule lutte, une seule lutte vraiment
victorieuse contre les licenciements. Le plus souvent, les luttes contre
les licenciements aboutissent à améliorer les conditions
des licenciements en termes d'indemnisations, ce qui est évidemment
important. A l'évidence, là, y compris quand on discute
avec des syndicalistes, il y a une difficulté à en rester
à l'idée qu'il faut simplement lutter contre les licenciements,
même s' il faut continuer cela bien entendu, - notamment je pense
aux licenciements d'origine purement boursière qui peuvent être
tout à fait contestés du point de vue de l'efficacité
économique. Il faut aller plus loin à l'évidence.
Il faut aller plus loin et donc l'idée qu'il faut donner un authentique
statut aux personnes qui perdent leur emploi, y compris provisoirement,
je pense que c'est une idée parfaitement juste.
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 17 Septembre 2004 sur AligreFM. Merci d'avance. |