Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DIFFUSEE le 2 NOVEMBRE 2005
(ENREGISTREE LE 5 OCTOBRE 2005)
EDF: l'ouverture du capital...une nécessité??
Avec François
Soult, Haut-fonctionnaire,
auteur de "EDF, chronique d'un désastre inéluctable"
chez Calmann-Lévy. |
Pascale Fourier :Des Sous... et des Hommes, une émission de Pascale Fourier. Notre invité aujourd'hui :
Pascale Fourier : On "vend une partie du capital", c'est-à-dire on leur vend des actions qui existent déjà ? Ça marche comment cette histoire-là ? Francois Soult : Alors un petit peu d'histoire... EDF, c'est une entreprise nationalisée depuis 1945/1946. A l’époque, il y avait beaucoup d'entreprises privées qui intervenaient dans le domaine de l'électricité. Ca marchait tellement bien qu' au lendemain de la guerre, on a décidé de nationaliser tout ça pour faire un vrai outil industriel au service de la population et de l'intérêt général! Et cet outil industriel, juridiquement parlant, c’était un établissement public. Un établissement public, c’est créé par la loi, ou par décret, peu importe, une entité qui appartient à 100 % à l'État, et qui n’a pas d'actions. Il y a pas d'actionnaires. C'est un statut qui est prévu, donc, par des textes de nature législative ou réglementaire. Et pour ouvrir le capital d'une entreprise, encore faut-il qu'il y ait un capital, encore faut-il aussi que cette entreprise soit une société. C’est ainsi que la loi qui est récemment intervenue a transformé le statut de l'entreprise d’établissement public, (sans actionnaires, avec un propriétaire, qui était l'État, propriétaire à 100 % par définition), en une société et en actions, (donc il y a donc des parts), et une partie de ces parts vont être vendues, (en tout cas, c'est le plan qu’a le gouvernement).Le Monde annonçait début septembre que c'était imminent, et les Echos, avant-hier, annonçaient, que c'était moins imminent que ça…. Le 2 octobre, Les Echos, en page deux, de façon un peu subreptice, ont écrit : « Finalement, tout cela est très compliqué, et peut-être que ça ne va pas intervenir tout de suite. » Donc, à suivre... Pascale Fourier : Mais est-ce que ça veut dire, que finalement, on vend les bijoux de famille de l'État ? Parce que, au total, à l'époque, toutes les petites sociétés qui, avant, produisaient de l'électricité, ont été achetées avec les sous de l'État français…. Francois Soult :Oui, si on remonte aux années 40, c'est vrai, mais il ne faut sans doute pas remonter aussi loin… Ce qui est certain, c'est que cette entreprise, elle a fonctionné en étant rémunérée par l'argent que les consommateurs d'électricité, les usagers du service public de l’électricité, payaient, comme vous et moi, en payant leurs factures d'électricité. Et cette entreprise s'est capitalisée comme ça, c'est-à-dire qu’elle a eu de plus en plus d'argent, ce qui lui a permis de faire des investissements…. Alors des investissements parfois discutables… quand on voit le nombre de tranches nucléaires d'EDF, on se demande parfois si cet argent a été parfaitement bien utilisé, ou si un mix énergétique différent, c'est-à-dire une répartition différente, plus équilibrée entre les différentes sources de production, aurait pu être fait mieux faite. Maist effectivement, tout cet argent, qui appartient à la collectivité nationale, puisque c'est la propriété de l'État, va être vendu. Alors on peut dire que les citoyens que nous sommes, qui sommes indirectement actionnaires d'EDF par le fait que l'État qui nous représente est le propriétaire à 100 % de cet établissement public, vont être indemnisés par la récupération de l'argent que va réunir la mise sur le marché des actions d'EDF. On va avoir moins de titres EDF en poche, et plus de cash en poche. Toute la question, c'est quelle est la valeur de cette entreprise sur le marché ? C'est-à-dire à combien est valorisé EDF, et est-ce que l'on va recevoir l'argent que l'on devrait recevoir ? C'est le premier temps du raisonnement. Je note que les évaluations d'entreprise sont d'une fiabilité et d'une finesse extrême puisque c'est, selon les experts, entre 50 milliards et 100 milliards d'euros -donc, une évaluation du simple au double... on voit bien, la part d'aléas. Et puis, le second
point, c’est privatiser, ouvrir le capital, pour quoi faire ?
Ce que j'ai essayé de démontrer, dans mon livre, c'est
que c'est fait pour augmenter les tarifs, parce que la concurrence,
et un actionnaire privé, n'est pas capable pour des raisons techniques
et pas idéologique, pour des raisons purement techniques, du
fait que l'électricité ne se stocke pars, du fait que
le marché n'est pas capable de gérer correctement le produit
électrique, eh bien pour toutes ces raisons, on risque d'aboutir
à des hausses de tarifs… Le fait aussi qu'un actionnaire
privé va devoir obtenir des rémunérations qui soient
compatibles avec le risque qu'il prend en investissant dans l’entreprise,
alors que l'État, lui, ne se rémunérait pas selon
une logique publique qui est aujourd'hui contestée par la Commission
européenne, mais qui consiste à dire : " Tous les
consommateurs d'électricité sont également des
citoyens, tout le monde consomme de l'électricité, on
n’a pas le choix, il y a pas de produits de substitutionà
l'électricité, et donc le fait que l'État se rémunère
peu en vendant de l'électricité, parce que le fait qu'EDF
ne réalise pas d'énormes profits, ce n'est pas très
grave, c'est une subvention du consommateur aux citoyens, (ou du citoyen
au consommateurs, en l'occurrence), mais c'est la même personne,
donc ce n'est pas très grave". Donc pour répondre à votre question : est-ce que ça va nous coûter de l'argent ? Oui, ça va coûter de l'argent au consommateur qui est aussi le citoyen pour alimenter un actionnaire privé dont la valeur ajoutée, (car on pourrait se dire, ça peut être bien, l'actionnaire privé et plus efficace que l'actionnaire public... c'est incontestable), sauf que, dans le domaine de l'électricité, mon analyse, c'est que ce n'est pas le cas, et l'actionnaire privé ne va rien ajouter, ne va rien apporter, mais il va falloir mieux le rémunérer que l'État. Et là, on pourrait parler de spoliation, si on voulait être polémique, en tout cas; on peut parler de manque d'efficience économique, si on veut faire dans le technocratique. Pascale Fourier : Vous devez vraiment être un idéologue terrible, puisque vous avez dit : « Cette privatisation, du moins, cette ouverture de capital, c'est pour augmenter les tarifs!»!! Francois Soult :Non, je me suis laissé emporter... En réalité, le constat qu'on peut faire, en dehors de tout parti-pris idéologique, (et moi, je n'ai pas de parti-pris là-dedans, je fais un constat technique), c'est que depuis qu'on a ouvert à la concurrence le marché de l'électricité, (ça date d' Août1999 et la loi de février 2000, en France… ), en France donc, on a constaté que, alors que le seul objectif de l'ouverture à la concurrence du marché, c'était de baisser les prix, (c'était le seul argument), les prix ont depuis augmenté de 45 %... pas nos factures à nous, mais les prix pour les industriels qui peuvent faire jouer la concurrence... Ça a augmenté de 45 % ! Ce qui fait que l’UNIDEN, (l'union des industriels qui consomment beaucoup d'énergie), et qui demandait l'ouverture à la concurrence pour faire baisser les prix, a publié récemment, et à plusieurs reprises dans les deux dernières années, des articles dans la presse disant: « Il faut arrêter immédiatement l'ouverture à la concurrence, ça nous coûte beaucoup trop cher! ».
Pascale Fourier : Mais il y a un truc, là vraiment, que je ne comprends pas... Plus vous parlez, plus j'ai les yeux qui s'agrandissent… mais il me semblait que l'État était là pour préserver l'intérêt des citoyens… Notre intérêt à nous, Français, c'est d'avoir de l'électricité de façon sûre et avec un tarif correct... Quel est l'intérêt de vouloir ouvrir le capital ? Là, ça m’échappe totalement… Pourquoi ont-ils besoin de sous brutalement ? Francois Soult :Alors ça, c'est une très bonne question, et si j'avais la réponse, je ne me serais pas investi dans toute cette histoire. Et c'est parce que je n'ai pas eu la réponse que j'ai eu besoin d'écrire ça : « Edf, chronique d'un désastre inéluctable », parce que le la seule réponse que j’ai eue quand je m'occupais du secteur, de la part de tous les interlocuteurs,c’est : « Evidemment, c'est une connerie tout ce qu'on fait, mais c'est inéluctable, parce que il y a une directive européenne, parce qu'il y a un sens de l'Histoire, et le sens de l'Histoire, c'est la privatisation, c’est l'ouverture du capital. ». Alors, l’ouverture à la concurrence, c'est n'importe quoi, ça a été fait, c'est dans le paysage... Je pense qu'il faudrait revenir en arrière, et je pense que si beaucoup de gens ont voté Non au Traité sur l'Union européenne, c'est à cause non pas de l'électricité, mais à cause de choses comme ça qui se sont accumulées.
Pascale Fourier : Il y a un petit truc qui m'étonne, là, jusqu'à présent, visiblement, on cherche à ouvrir le capital à une hauteur de 15 %, mais est-ce que ça veut dire qu'il y a une logique sous-jacente qui ferait que c’est 15 % maintenant, et puis après 20, et puis ensuite 30, etc… et puis finalement, ce serait une véritable privatisation à terme. Francois
Soult :
Je ne sais plus qui disait, dans l’actuelle majorité, il
y a deux ans: « A un marché ouvert partiellement, une ouverture
du capital partielle; à un marché ouvert totalement, une
ouverture du capital totale ». Et comme on va ouvrir le marché
totalement en 2007, dans cette logique-là, (qui n'est plus celle,
officielle, du gouvernement), il faudrait ouvrir à 100 % le capital
d'EDF.Aujourd'hui, ce que dit la loi, c'est que EDF doit rester majoritairement
publique. Hier, ce que disait le gouvernement, c'était :« On
va ouvrir le capital ». L'échéance, c'était
le mois d'octobre. Moi j'étais un peu surpris, et un peu triste,
parce que ça fait trois ans que je dis : « On ne va pas
ouvrir le capital, c'est trop compliqué, il y a des obstacles
majeurs, du nucléaire, de l'assurance du nucléaire, il
y a des problèmes de frontières au sein d'EDF, et on ne
sait pas exactement de quoi EDF est propriétaire, et puis derrière,
la hausse des tarifs, politiquement ???... Les gouvernements veulent
bien passer EDF dans le privé, (encore que je ne suis pas sûr
qu'ils seront capables d'aller jusqu'au bout, politiquement), mais ils
ne veulent pas augmenter les tarifs, y compris les gouvernements de
droite, qui n’ont pas augmenté les tarifs de l'électricité,
comme ils auraient dû le faire pour couvrir les charges d'EDF.
Pascale
Fourier :
Eh bien c’était donc des Sous ... et des hommes,…..et
on était en compagnie de François Soult. Alors je vous
rappelle que en réalité, vous pouvez écouter sur
le site de « des sous » : http://dsedh.free.fr/index1024net.htm
deux émissions déjà :
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 2 Novembre 2005 sur AligreFM. Merci d'avance. |