Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 18 JANVIER 2005

La réforme de la Sécurité Sociale (suite...)

Avec Bernard Teper, président de l’Union des Familles laïques (UFAL)

 

Pascale Fourier : Pourquoi faut-il lutter contre les OGM puisqu’il est dit qu’ils permettraient d’éviter la famine dans les pays du Sud, d’éviter l’utilisation des pesticides, et qu'ils auraient des visées thérapeutiques ?

Bernard Teper : Toutes ces affirmations sur le fait que les OGM peuvent sauver la planète de la famine, qu’ils sont un bien pour la santé publique ou qu’ils garantissent l’environnement, sont des discours de propagande. On n’est absolument pas dans une réalité, mais bien au contraire uniquement dans un discours d’auto-justification des firmes qui essaient de mettre en place les OGM. D’ailleurs, si l’on regarde depuis 5 ou 6 ans le début des OGM, on se rend compte que ces différentes affirmations ont été utilisées à tour de rôle pour essayer de justifier les OGM. Quand on prend Novartis, Aventis ou Monsanto, chacun à son tour a fait des campagnes de publicité dans la presse sur ces différents sujets qu’on peut analyser Transcription de l’émission 97 avec Bernard Teper

Pascale Fourier : Notre invité aujourd’hui…

Bernard Teper : Bernard Teper, président de l’Union des Familles laïques (UFAL)

Pascale Fourier : Union des familles laïques, c'est-à-dire, finalement, le président d’une association qui lie le combat laïc et le combat social... c’est bien ça ?

Bernard Teper : C’est tout à fait ça.

Pascale Fourier : Alors je vous ai fait venir aujourd’hui parce que j’avais une petite interrogation concernant la Sécurité Sociale. Avant les vacances, on nous parlait d’une grande réforme: on a beaucoup insisté sur le trou de la Sécu, et puis ensuite il y a eu un grand blanc pendant les vacances.... Et puis là on nous sort les histoires de médecin traitant chez qui il faudrait passer pour aller voir avant d’aller chez un spécialiste… Je n'arrive pas très bien à comprendre la cohérence de l’affaire. Est-ce que ça pourra, finalement, sauver la Sécu ? En fait, qu’est-ce qui s’est passé autour de cette réforme de la Sécu ? Qu’est-ce qui s’est passé entre juin, momentoù l'on avait parfois fait la grève pour essayer de défendre la Sécu, et maintenant ?

Bernard Teper : La seule différence, c’est qu’avant on parlait de la « réforme Douste-Blazy », et que maintenant on en voit l’application. C’est toute la différence. Mais ce qui arrive aujourd’hui est, en fait, la stricte application de la loi Douste-Blazy qui a été discutée pendant des mois, et qui est passée au Parlement au cours de l’été.

Pascale Fourier : Qu’est-ce qui a été décidé au Parlement justement cet été ?

Bernard Teper : Eh bien plusieurs choses. L’idée générale du gouvernement était de dire: « Nous avons un trou de la Sécurité Sociale, un déficit de la Sécurité Sociale  qui est disons globalement de 14 milliards d’euros ». Et donc l’idée du gouvernement était de dire : «Etant donné qu’il y a ce déficit de la Sécu, eh bien il faut faire des économies ». Et donc, la loi Doust-Blazy visait à faire un certain nombre d’économies. Or il faut savoir que, premièrement, cette loi ne réduira pas énormément le déficit de la Sécurité Sociale, et deuxièmement, cette loi Doust-Blazy aura comme conséquence d’augmenter les inégalités sociales de santé entre les riches et les pauvres.

Pascale Fourier : Et pourquoi ça ?

Bernard Teper : Il y a plusieurs exemples à cela. Par exemple, prenons l’idée du médecin traitant puisque vous en parliez. Quel est le système ? Le système est de faire une médecine à deux vitesses, ce qui nous contestons bien évidemment. Les personnes qui passeront pas leur médecin traitant, en général un généraliste, seront, je dirais entre guillemets « correctement remboursées » lorsque ce médecin traitant les enverra vers un spécialiste. Les personnes pourront aller voir le spécialiste directement, mais dans ce cas-là, ce sera avec des honoraires libres. Alors là, la proposition est claire : si vous êtes riches, si vous faites partie des couches aisées, vous allez aller voir directement le spécialiste, vous payerez plus cher, vous aurez un rendez-vous immédiatement, et puis si vous faites partie des couches populaires, vous passerez par un médecin traitant, et vous aurez, sans doute, un rendez-vous plus lointain pour pouvoir voir le spécialiste. Alors vous allez me dire: « Comment vous le savez déjà puisque ce n’est pas encore appliqué ? ». On a un exemple, c’est le secteur privé et le secteur public à l’hôpital. Si vous demandez un rendez-vous à un spécialiste dans le secteur privé de hôpital, vous avez un rendez-vous sous 15 jours dans certaines spécialités, et si vous passez par le secteur public de hôpital public vous avez, par exemple, pour les problèmes de stérilité féminine, des attentes de 8 mois à un an. Donc le système, on le connaît: c’est un système à deux vitesses faisant en sorte que, petit à petit, eh bien plus vous êtes aisé, mieux vous êtes soignés, et moins vous êtes aisé, moins vous êtes soignés. C’est pour cela que nous critiquons le système du médecin traitant tel qu’il est proposé par Monsieur Doust-Blazy.

Pascale Fourier : On pourrait dire que Monsieur Doust-Blazy a raison quand même puisque c’est une nécessité absolue d’éviter le nomadisme. Je pense que c’était ça, l’idée de départ de ce médecin traitant.

Bernard Teper : Bien sûr, le nomadisme médical, il y en a. Mais si le ministre veut être crédible, il faut qu’il nous dise, immédiatement, combien coûte le nomadisme médical. A partir du moment où il ne nous dit pas combien ça coûte ce fameux nomadisme, eh bien c’est un peu sujet à caution. La réalité, c’est qu’il existe un léger nomadisme, mais qui joue sur des sommes qui sont dérisoires par rapport au trou de la Sécurité Sociale, et qu’on n’a pas le droit de faire, comme on fait peur aux petits enfants, on n’a pas le droit de parler du nomadisme médical pour faire peur aux citoyens.

Pascale Fourier : Il y a quelque chose que je n’ai pas bien compris. On nous a parlé d’un trou énorme de la Sécurité Sociale, et après il y a un certain nombre de mesures qui ont été mises en place, qui reportaient la responsabilité du déficit de la Sécurité Social finalement sur les patients. Alors du coup, on nous applique 1 euro qui ne sera plus remboursé et qu’on devra sortir de notre poche, on nous met des mesures qui ont l’air de vouloir lutter contre un nomadisme médical qui n’existe pas absolument… finalement quelle est la logique sous-jacente de l'ensemble ?

Bernard Teper : La logique de ce système est simple, c’est qu’on veut cacher effectivement cette logique, et pour cela on choisi un leurre, c'est-à-dire qu’on dit: « C'est la faute des patients », et puis, secondairement, quelquefois, c’est la faute des médecins, ils donnent trop d’arrêts de maladie par exemple, etc. Donc c’est la faute des patients, et secondairement, c’est la faute des médecins. Tout ça est fait pour cacher le véritable objectif de cette réforme. Alors, rapidement, cette réforme s’inscrit, en fait, dans le système économique que nous connaissons. C’est un système qui a démarré dans les années 90, qui a été accéléré dans les décennies que nous vivons, et qui vise à privatiser et à marchandiser toutes les activités humaines. Et pas simplement la santé et la Sécurité Sociale ! On le voit avec La Poste aujourd’hui par exemple… La Poste, EDF, France Telecom, etc. Donc la question est la suivante : il faut privatiser et marchandiser toutes les activités humaines. Il faut savoir que le secteur de la santé et de la Sécurité Sociale, c’est le plus gros secteur de l’activité humaine. Il faut savoir par exemple que la Sécu, c’est 35% de plus que le budget annuel de l’Etat. Donc c’est le plus gros budget humain. Et donc c’est le secteur le plus difficile à privatiser et à marchandiser. Donc il faut du temps. Et donc, c’est quoi la loi Doust-Blazy ? Pourquoi on ne comprend pas bien la loi Doust-Blazy ? Parce que, si vous voulez, si je prends la symbolique suivante : le projet global, c’est un saucisson entier, et chaque fois qu’on fait une loi, c’est une tranche de saucisson. Donc, en fait, pour comprendre la logique, la loi Doust-Blazy, c’est une tranche de saucisson, et ce qu’il faut, c’est comprendre le saucisson entier. Et donc, ce qu’on cherche, c’est à privatiser et à marchandiser le secteur de la santé par différents moyens : le plan hôpital 2007 pour privatiser le secteur hospitalier par exemple… Je donne un seul exemple, c’est la petite chirurgie. « Grâce » au plan hôpital 2007, probablement qu’en 2007 toute la petite chirurgie sera privatisée. Resteront, dans les hôpitaux publics, les pathologies lourdes, et tout ce qui relève de la gérontologie et des maladies gériatriques. Donc, on le voit là, et la réforme Doust-Blazy va dans ce sens. Le 1 euro par exemple. On dit: « On va rembourser 1 euro de moins ». Mais la réalité de cela, c’est comme le forfait hospitalier. Il est bien sûr que ce sera 1 euro aujourd’hui, 1,50 euro, bientôt, 2 euros, 2,50 euros... Le but, c’est d’augmenter ce forfait pour diminuer les remboursements. L’idée, c’est qu’on ne veut pas faire de maîtrise des dépenses, que le gouvernement ne veut pas le faire: et ce qu’on veut, c’est diminuer les remboursements. Mais plus vous diminuez les remboursements et plus vous mettez en difficulté les couches les plus défavorisées, celles qui ne peuvent pas prendre en charge. Celui qui a un très bon revenu, ça ne va pas tellement le gêner. Par contre, les millions de gens qui ont du mal à joindre les deux bouts, eux, ça va effectivement les gêner.


Donc c’est ça, la logique, la logique du système, c’est la volonté de privatiser, marchandiser le secteur de la santé et de la Sécurité Sociale. Et si on n’a pas compris ça, on ne comprend pas la logique du système. Et même le trou de la Sécu.
Le trou de la Sécu qui existe est en fait plutôt un déficit comptable. Car parallèlement aux 14 milliards d’euros de déficit de la Sécu, ce qu’il faut, c’est mettre en parallèle ce qui s’est passé. Il faut savoir que la Sécu elle est financée principalement par les salaires. Et qu’est-ce qui s’est passé dans les vingt dernières années ? Eh bien dans les vingt dernières années, il y a eu une baisse de 10% de la part des salaires et cotisations sociales dans la part de la richesse nationale produite. C'est-à-dire que la part des salaires aujourd’hui, salaires et cotisations sociales, fait 10% de moins. Elle a perdu 10 points par rapport à ce qu’elle était il y a vingt ans. Et 10 points de la richesse nationale, c’est 150 milliards !


Donc la réalité de tout ça, c’est que la part des salaires et cotisations sociales perdues en vingt ans, c’est 150 milliards d’euros. Il est normal que pour une Sécurité Sociale basée sur les salaires, si vous diminuez la part des salaires et cotisations sociales, il y a un moment où vous allez mettre la Sécurité Sociale en déficit. Donc si la Sécurité Sociale est en déficit, c’est tout simplement parce qu’on (le gouvernement) a diminué la part des salaires et cotisations sociales dans la richesse de la France.

Pascale Fourier : Il y a quelque chose que, décidemment, je ne comprends pas. Toute à l’heure vous employiez le mot de « privatiser », mais je ne vois pas exactement en quoi la réforme que préconise Doust-Blazy permet effectivement une privatisation. Est-ce que vous voulez dire par là que ça renvoie à l’individu le fait de devoir payer lui-même plutôt que de le faire reporter sur la société, ou est-ce que ça veut dire au contraire que c’est privatiser, c'est-à-dire faire passer dans des entreprises privées ? Je n’arrive pas très bien à comprendre....

Bernard Teper : Eh bien c’est tout ça à la fois ! Comme je l’ai dit toute à l’heure, le plan hôpital 2007, qui est parallèle au plan Doust-Blazy, vise à transférer tous les secteurs rentables de hôpital à l’intérieur des cliniques privées, et à faire garder à hôpital public les secteurs qui sont déficitaires.

La deuxième chose, c’est que la privatisation, c’est, en fait, de diminuer la prise en charge globale de la société sur une pathologie d’un individu, et de faire prendre en charge par l’individu lui-même ses dépenses. C'est-à-dire que, quand on diminue les remboursements, il faut que ça soit les personnes elles-mêmes qui mettent l’argent nécessaire. C’est en fait une certaine privatisation, puisque ce n’est pas une prise en charge collective.

Mais il y a un troisième élément, c’est le problème du 1 euro. Le 1 euro c’est, en fait, l’application de ce qu’on a appelé le rapport Chadelat. Je vais essayer d'expliquer rapidement. Il s’agit de diminuer les remboursement Sécu pour augmenter les remboursements des complémentaires santé. Alors, vous allez me dire: « Ce n’est qu’un problème de vases communicants ». Pas du tout ! C’est très différent ! Quand vous diminuez les remboursements Sécu, vous diminuez les remboursements par un système qui est collectif. Quand vous augmentez les remboursements de la complémentaire-santé.... Qu’est-ce qu’il y a dans la complémentaire santé ? Il y a les mutuelles et les grands groupes d’assurances privées. Et donc, la privatisation, elle ne se fait pas simplement parce qu’on favorise les cliniques privées par rapport aux hôpitaux publics, mais elle se fait parce qu’on privatise les remboursements en augmentant la part des remboursements par les grands groupes d’assurances privées, et en diminuant la part des remboursements par la Sécurité Sociale. Donc, la privatisation elle se fait par tous les bouts. Elle se fait par l’augmentation des paiements de chaque individu; elle se fait deuxièmement par le fait qu’on favorise les cliniques privées par rapport aux hôpitaux publics; et elle se fait parce qu’on va augmenter le part des remboursements par les grands groupes d’assurances privées, au détriment de la Sécu.

Pascale Fourier : Mais si ma cotisation à la mutuelle reste constante, tout va bien, non ?

Bernard Teper : Mais elle ne pourra pas rester constante puisque le système est fait de telle façon qu’à partir du moment où il y a une diminution des remboursements, aujourd’hui d’1 euro, ce 1 euro va être remboursé par les complémentaires. Et quand le 1 euro passera à 1,50 euro ou à 2 euros, eh bien ce sera les complémentaires qui feront les remboursements. Premièrement, tout le monde n’a pas une complémentaire, donc il y a une injustice sur ce point. Et pour ceux qui ont une complémentaire, les complémentaires et les grands groupes d’assurance privée accepteront d’augmenter les remboursements à conditions d’augmenter les prélèvements. Et donc, systématiquement, vous allez avoir dans les semaines qui viennent des augmentations soit des mutuelles soit des grands groupes d’assurances privées entre 4 et 10%.

Pascale Fourier : J’ai été un peu étonnée de l’absence de fronde vis-à-vis de cette réforme qui est préconisée par Douste-Blazy, et puis maintenant j’entends parler d’une fronde des médecins généralistes... Où en eston de l’opposition à cette réforme ?

Bernard Teper : Effectivement, je pense que les citoyens français n’ont pas vu la gravité de cette loi au moment où elle a été discutée. Et que maintenant, on commence à en voir effectivement les effets, d’où justement la fronde d’une grande partie des médecins généralistes, qui seront d’ailleurs en manifestation le 22 janvier (2005), Et on s’aperçoit que cette fronde des médecins généralistes est très populaire, c'est-à-dire qu’on sent maintenant, petit à petit, la population se solidariser autour de ces médecins généralistes frondeurs, parce que, justement, ces médecins généralistes bien sûr défendent leurs intérêts propres, ce qui est normal, mais dans leur revendications, - et on le voit dans le manifeste qu’ils ont fait signer-, ils défendent également l’intérêt général. Et on s’aperçoit maintenant d’un soutien populaire de plus en plus fort. Voilà ce que l’actualité me fait penser.

Pascale Fourier : Donc manifestation le 22 des généralistes, avec un appel au soutien de la population ?

Bernard Teper : Absolument, absolument !Et vous poiuvez signer la pétition à cette adresse: www.manifeste-sante.mg.org.

Pascale Fourier : C'était donc Des Sous... et des Hommes. A la semaine prochaine.

 

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 18 Janvier 2005 sur AligreFM. Merci d'avance.