Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 1° JANVIER 2008

Rediffusion de deux extraits d'émissions faites en 2005

dans le cadre de la ratification du Traité de Lisbonne en 2008...

Avec Liêm Hoang Ngoc, économiste, maître de conférences à l’Université de Paris I et Jacques Généreux, professeur à Science Po, membre du Conseil National du PS..

 

Pascale Fourier :Des Sous... et des Hommes, en compagnie de Liêm Hoang Ngoc et de Jacques Généreux, tous deux membres du PS...

[extrait d'un CD diffusé en 2005 par le Parti Socialiste avant le référendum]

Non non, ce n'est pas un conte de Noêl que j'aurais enregistré la semaine dernière, c'est bien un extrait du CD que diffusait le Parti Socialiste en 2005 pour soutenir le vote Oui au traité instituant une constitution européenne... Un tel extrait montre bien en quelle estime le PS tient l'intelligence du peuple et souligne cruellement le fait que quand il parle de pédagogie, c'est bien à l'étymologie de ce mot qu'il renvoie: "ago", conduire, guider et "païs, païdos", l'enfant... Puisque le PS considère le peuple comme un enfant, il ne faut pas s'étonner qu'il ne s'élève pas jusqu'à présent pour s'opposer au déni de démocratie que veut commettre Nicolas Sarkozy en soumettant le jumeau du TCE non pas aux suffrages du peuple, mais à celui des parlementaires, de l'acquiescement desquels il est sûr...

Peu après le référendum de 2005, j'avais rencontré Liêm Hoang Ngoc pour lui demander de m'expliquer l'attitude des socialistes au lendemain du Non au référendum. Vous verrez: il dresse l'état des lieux des rapports de force au sein du PS en les ancrant dans l'Histoire de ce parti et en les mettant en lien avec l'idée européenne. Edifiant et instructif.

Extrait de l'émission du 28 Janvier 2005. Ma question était alors: "Mais qu'est-ce qui se passe au PS après le référendum?"

Liêm Hoang Ngoc : Eh bien il se passe que la direction de ce parti est aussi autiste que le gouvernement et qu'elle n'a pas compris le sens du vote du 29 mai. Au point de se bunkeriser et de virer de la direction des opposants au lieu de rassembler tout le monde et de faire vraiment le point sur les attentes des électeurs pour 2007. Et cette attente qui s'est exprimée le 29 mai, c'est un ras-le-bol des politiques libérales qui sont menées depuis une vingtaine d'années, que les gens ont supportées parce qu'on leur a expliqué qu'on ne pouvait pas faire autrement... Mais au bout du compte le résultat s'avère désastreux socialement et inefficace économiquement. On le voit aujourd'hui : la croissance est en panne, les entreprises n'investissent pas, et l'anomie sociale s'installe.

Pascale Fourier : Ils n'ont pas compris, ou ils ne veulent pas comprendre ?

Liêm Hoang Ngoc : Ah je pense qu'ils n'ont pas compris! Ou du moins pour l'aile marchante de cette direction qui est composée - pour que nos auditeurs comprennent - de la mouvance dirigée par Dominique Strauss-Kahn et Jean-Christophe Cambadélis, des gens qui vous expliquent que le bilan de 97-2002 était bon et que Jospin a perdu au premier tour parce que les valeurs individualistes des classes moyennes se seraient emparées des classes populaires qui, elles-même, seraient devenues individualistes et donc ne s'engageraient plus et n'iraient plus voter. On vient de voir que c'est le contraire qui s'est produit le 29 mai, que les classes populaires se sont massivement mobilisées pour le Non, et qu'il s'agit en majorité d'électeurs de gauche, à 70 pour cent.

Pascale Fourier : Il y a toujours un petit truc que j'ai pas très bien compris depuis un certain temps : est-ce que la branche majoritaire du Parti Socialiste pense vraiment qu'on va voter pour eux en 2007. Parce que moi je trouve complètement absurde que les socialistes aient prôné le Oui et absurde leur réaction vis-à-vis de Fabius justement.

Liêm Hoang Ngoc : Eh bien ils pensent qu'ils vont se refaire la fraise sur le dos d'un gouvernement de droite qui va s'attaquer au code du travail et qui va dériver de plus en plus vers des mesures de type thatchérienne. Mais si l'alternative c'est du blairisme à la française, moi j'ai peur que ce soit une erreur qui soit la même qui conduit les socialistes - tout du moins la direction - à faire campagne pour le Oui.

Pascale Fourier : Oui, pour des gens comme moi, ce sera vraiment une erreur... Donc ils prennent deux risques : d'appeler encore une fois au vote utile (mais ça fait vingt ans qu'on nous le fait) et d'un autre côté ils ils prennent le risque qu'éventuellement on se retrouve avec éventuellement Sarkosy d'un côté avec Le Pen en face aux présidentielles ?

Liêm Hoang Ngoc : Oui, mais la bonne nouvelle ici, c'est qu'ils sont peut-être moins cyniques qu'on ne le dit. S'ils étaient vraiment cyniques, ils auraient tous fait la campagne du Non et ils auraient ramassé la mise du mécontentement social. Ils ne l'ont même pas fait. C'est que donc, par conviction, la plupart d'entre eux croit fermement aujourd'hui que, depuis 1983, on ne peut pas faire autrement. Et c'est un véritable débat qui traverse le Parti Socialiste depuis sa fondation au Congrès d'Épinay en 1971. Les observateurs et les journalistes ne le disent pas suffisamment, mais depuis cette date, il y a toujours eu deux lignes qui se sont affrontées : une ligne disons socialistes, et une ligne sociale-libérale. Ça ne s'appelait pas complètement comme ça au Congrès de Metz, mais souvenons-nous déjà que Michel Rocard et Pierre Maurois défendaient un recentrage du Parti Socialiste contre la majorité unie par François Mitterand autour de l'Union de la gauche pour l'application du Programme commun. Et contrairement à ce qu'on a dit, ces deux gauches ont chacune appliqué leur programme : la gauche unie par François Mitterand a appliqué son programme en 1981, et la deuxième gauche, symbolisée par Michel Rocard et même sans Rocard aux affaires, a appliqué son programme avec la caution de Lionel Jospin entre 97 et 2002. Et moi, j'ai tendance à dire que ces deux programmes-là ont été abandonnés non pas parce qu'ils étaient inefficaces économiquement, mais parce qu'il y a eu une sanction sociale à chaque fois.

La première fois, le programme de 81 était bien meilleur que le programme monétariste en Angleterre et aux États-Unis à la même époque ; il a été sanctionné uniquement par la spéculation des marchés financiers décrochant le franc vis-à-vis du mark, ce qui nous a conduit à choisir la monnaie unique et l'Acte unique. Et puis le deuxième programme, le programme de la "deuxième gauche", a également eu un bon bilan disait-on à l'époque (même si je crois qu'il fut aidé, pour beaucoup, par l'euro faible et la baisse des taux d'intérêts) mais il a été sanctionné également, par la pire des sanctions, qui est la sanction électorale de son propre camp le 21 avril 2002.

Pascale Fourier : Décidément je reste dans les interrogations les plus profondes. J'avoue ne pas avoir bien complètement suivi. Parce que vous avez parlé du congrès d'Épinay en 71, puis ensuite le congrès de Metz en 79. Vous dites qu'il y a toujours eu deux lignes à l'intérieur du Parti Socialiste. Là je suis étonnée, parce qu'on écoute les médias, et on ne nous parle jamais de ces deux lignes, enfin du moins actuellement... Et je ne vois pas comment ces deux lignes ont pu se marquer dès 71 alors que la mondialisation n'était pas déjà en branle, on pourrait dire. Je n'arrive pas à suivre ce qui s'est passé là...

Liêm Hoang Ngoc : Les médias, de même que beaucoup d'observateurs, pensent qu'il y a deux gauches et que ces deux gauches seraient, d'une part, la gauche radicale pure de toute compromission, et puis la gauche gestionnaire, réformiste, qui finirait soit par se rallier aux réalités, soit par trahir, si on adopte le langage de l'extrême-gauche. C'est un petit peu réducteur, et c'est oublier que le vrai débat n'est pas là. Le vrai débat, c'est un débat qui existe entre deux gauches (et qui existe au Parti Socialiste, mais aussi ailleurs. Moi je fréquente le milieu altermondialiste, je peux vous dire que dans Attac, il y a deux gauches : il y a une gauche écolo-utopistes et une gauche beaucoup plus centrée sur les questions de partage du gâteau). Alors au Parti Socialiste en 1971, François Mitterand remporte le congrès sur une ligne qui est celle de l'union de la gauche pour l'application d'un Programme commun qu'on va négocier avec le Parti Communiste, qui est un programme de rupture avec le capitalisme, mais qui en fait (c'est ce que je montre dans mon bouquin) est tout simplement la démocratisation et le prolongement du compromis de 1945 inspiré du Programme du Conseil national de la Résistance. C'est un programme très "première gauche", si vous voulez, que le Programme commun, qui, si vous le comparez au Programme du Conseil national de la Résistance, ce sont deux soeurs jumelles. Et le programme de 81, c'est un petit peu ça. Donc Mitterand remporte le congrès d'Épinay, puis le congrès de Metz, en défendant l'idée que dans la cinquième République, si on veut battre la droite unie autour du président de la République, eh bien il faut que la Gauche fasse bloc autour d'un programme qui soit un programme de gauche pour bien capter l'électorat de gauche, qui sert ensuite de base à l'application de ce programme.

Alors, il gagne ce congrès à Épinay contre la ligne dite « de troisième force » symbolisée par Guy Mollet, ligne qui consistait au temps de la quatrième République à passer des alliances avec le centre quand on arrivait au pouvoir. D'ailleurs, la "troisième voix" de Tony Blair, c'est l'écho de cette troisième force en Angleterre par les temps qui courent. Et cette "troisième voix", qui consiste grosso modo à adopter une ligne sociale-libérale, a séduit certains socialistes français très tôt (Michel Rocard en l'occurrence, Dominique Strauss-Kahn ensuite). Et ce sont des gens qui pensent qu'il faudrait que la gauche se recentre et s'adapte au réalité de la mondialisation, entendue comme un deus ex machina qu'on ne pourrait pas domestiquer.

Moi je suis de ceux qui pensent que la mondialisation, c'est un choix de société qui a été politiquement organisé, qui n'était absolument pas inéluctable, et qui, par ailleurs, est socialement désastreux et économiquement inefficace. Bon, et ça, ça commence en 1983 en France, lorsque la ligne de 1981 subit la défaite sociale face aux marchés financiers, qui, comme je l'ai dit tout à l'heure, spéculent contre la politique de la gauche. Et à partir de 83, c'est progressivement l'autre ligne, la ligne défendue par la deuxième gauche (symbolisée par Jacques Delors à l'époque) qui va s'imposer. Alors au départ, c'est pour ouvrir la parenthèse, c'est pour pouvoir faire la monnaie unique et construire l'Europe sociale et fédérale qui nous permettrait de vaincre la spéculation et de faire en Europe ce qu'on n'a pas pu faire en France en 1981. Mais comme on le sait, progressivement cette bouteille se videra ; les dérives libérales de l'Europe se feront très rapidement (Pacte de Stabilité à Amsterdam, stratégie libérale de l'emploi de Lisbonne, privatisation de l'énergie, réforme des retraites décidée à Barcelone, Traité constitutionnel, etc). Donc là, le bilan de cette période, c'est quand même qu'il y a un rejet massif de l'électorat de gauche d'une politique qui a pris l'eau de toute part.

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Pascale Fourier: Eh oui, c'était encore une fois le cri de joie immense de ceux qui étaient présents le 29 mai 2005 dans les locaux d'Aligre. 54,7% des français venaient de dire Non au traité deuropéen qu'on veut faire avaliser maintenant par la représentation nationale en 2008. On ne le dira jamais assez et on finirait par l'oublier: le peuple souverain a déjà dit Non ! Il a dit Non, et c'est un véritable déni de démocratie que de vouloir faire repasser le même traité à quelques détails près - ce n'est pas moi qui le dit, mais Valéry Giscard d'Estaing dans un article fameux publié par Le Monde du 26 Octobre 2007. je vous rapelle que malheureusement seule une opposition unanime des partis de gauche - donc essentiellment du PS- à la révision de la Cosntitution préalable à la ratification du traité modificatif peut arrêter le processus en marche: tout se joue le 4 février, jour du Congrès appelé à se prononcer sur cette réforme. le peuple a déjà dit Non, rappelons-leur...

Le 29 mars 2005, deux mois avant le référendum, j'invitais jacques Généreux, mebre du Ps et professuer à Sciences-Po. Il me dressait alors un tableau de l'évolution de la construction européenne et des deux visions qui s'opposent à son sujet. A la fin, vous verrez, il dit: "Il faut reconnaître que notre projet d'Europe politqiue et sociale a perdu, que le projet de société de marché ultra-libérale a gagné". Si on met ses propos en lien avec de que disait Liêm Hoang Ngoc, peut-être faut-il aussi comprendre qu'une certaine partie du PS ne le réalise pas, ou pire accepte qu'il en soit ainsi et renonce... d'où l'acceptation de ce traité que le peuple, lui, a déjà refusé parce que justement il ne peut accepter, lui, les dérives libérales de l'Europe. Extrait donc de l'émission du 29 mars 2005 avec Jacques Généreux.

Jacques Généreux : [...] , pendant très longtemps l’Europe a été une construction économique et technocratique. Ca n’était pas trop gênant je dirais, bien que je sois un démocrate convaincu, tant qu’il s’est agi seulement justement de faire de l’économie, et d’une façon qui était relativement consensuelle.
Si vous voulez, après la guerre, tout le monde était pour une économie de marché encadrée et régulée par les technocrates justement, par des planificateurs, par des politiques et qui essaient de trouver les meilleures voies pour être les plus performants, les plus efficaces, pour mettre en commun les synergies des différents pays en matière de technologies, de recherche.
Donc on a fait, on a construit une économie de marché Européenne, des coopérations technologiques, qui ont eu de grand succès. On se rappelle Ariane par exemple en matière de technologie, et Airbus, la politique agricole qui pendant longtemps –maintenant elle pose quelque petites difficultés- a été aussi un grand succès. Donc cette Europe qui faisait de la technique, de l’économie, par les technocrates en gros et par les gouvernements, sous le seul contrôle des gouvernements, franchement ça a plutôt bien marché. Ca a plutôt bien fonctionné. Pourquoi ? Parce que ce qui était en jeu, ce n’était pas les questions qui fâchent. Il n’y avait pas de débat. Tout le monde était d’accord pour dire qu’on allait construire une économie de marché prospère, efficace, intelligente et que personne, à part quelques minorités, ne voulait d’une économie soviétique planifiée. Donc on ne traitait que des questions qui étaient consensuelles. Donc le fait que ce ne soit pas tellement sous le contrôle des citoyens –on peut toujours le déplorer en théorie, par rapport à une vision idéale de la démocratie- mais en fait concrètement, franchement, ce n’était pas très gênant.

Là où ça devient gênant, c’est que cette première phase de construction européenne, elle a connu sont aboutissement, en gros au milieu des années 80, avec ce qu’on a appelé l’Acte Unique. Le traité entrait en vigueur en 1986 et prévoyait un grand marché unique où circulent librement les biens, les personnes, les services, les capitaux. Parce que en gros à partir de ce moment-là, on pouvait dire qu’on avait, on commençait d’achever, le projet de construction économique de l’Europe. Et en achevant le progrès le la construction économique de l’Europe, on achevait de traiter les questions qui ne fâchent pas, c'est-à-dire les questions sur lesquelles il y avait consensus. Tout le monde était d’accord pour construire ce marché européen, efficace, prospère etc… donc, ne restaient ensuite, que les questions qui fâchent.

Comment on fait pour que la poursuite de ce progrès, à une époque où on commence à s’apercevoir dans les années 80 que le chômage de masse s’installe en Europe, que les inégalités remontent, comment on fait pour que ce progrès économique ne soit pas source de chômage ? Comment on fait pour que ce progrès économique ne s’accompagne pas d’une montée des inégalités et de la pauvreté et de la misère en Europe ? Comment on fait pour que la concurrence, plus forte, de fait, dans un grand marché sans frontières, n’entraîne pas, le fameux dumping fiscal et social ? Et qu’au lieu de se faire la guerre les uns contre les autres, en essayant de piquer les emplois des autres, on ait des stratégies de coopération politique, pour au contraire amener tout le monde en même temps vers le haut, vers plus de biens publics, plus de services publics pour tout le monde, plus de protection sociale pour tout le monde, comment on fait pour faire ça ? Et là on est sur les questions qui fâchent. Parce que la, à ce moment-là, on tombe sur deux visions de l’Europe, qui ont été d’accord pendant longtemps pour faire l’Europe, mais qui à partir de ce moment-là ne sont plus d’accord.

Les deux visions, elles sont simples.
Il y a disons des socialistes, des sociaux-démocrates ou des européens très très convaincus, pour qui justement, c’est l’union politique, le projet. C’est l’union politique des peuples qui, peu à peu, doivent se rassembler fraternellement et se penser, se reconnaître comme même communauté, et au lieu d’être en rivalité, en compétition les uns contre les autres, soient plus dans des logiques de solidarités et de coopération. Ca, c’est le projet qui dit : «  On s’est servi de l’économie, de la coopération technique et économique, pour habituer les gens à la coopération, pour expérimenter des institutions de coopération, mais le but, ce n'est pas l’économie! L’économie, c’est un moyen, c’est un instrument, y compris la concurrence, c’est un instrument au fin de la construction de cette union des peuples dans une communauté politique ».
Et il y a l’autre projet, qui était le projet des anglo-saxons dès le départ, qui est un projet très libéral, qui ne veut surtout pas entendre parler d’une union politique des peuples européens, qui veut simplement un grand marché, qui veut un grand espace de libre échange, de concurrence libre et non faussée. Ceux-là s’étaient réunis d’ailleurs au début autour des anglais dans l’Association Economique de Libre- Echange, pendant que nous nous construisions le marché commun. Peu à peu tout le monde est rentré dans ce fameux marché commun parce qu’il était très efficace et très attractif. Mais ceux qui n’ont pas pu détruire le projet d’union politique de l’extérieur ont entrepris et ont continué d’essayer de le détruire de l’intérieur.

Et donc vous comprenez bien que, une fois qu’on a eu réalisé le grand marché unique, le projet libéral, le projet d’un simple espace de libre-échange, en quelque sorte, avait quasiment acquis à peu près tout ce qu’il lui été nécessaire. Il ne lui manquait que la vraie libéralisation des services. C’est ce qui est en train d’être mis en place à travers la directive Bolkestein, et qui est prévue dans le Traité Constitutionnel qu’on nous demande de ratifier. Il ne leur manquait que la reconnaissance que la concurrence, le marché, ce n’est pas seulement un instrument, comme c’était le cas dans les traités précédents, mais c’est un objectif en soi. Ils l’ont obtenu dans le nouveau traité à l’article 3, que la concurrence libre et non faussée soit considérée comme une fin en soi de l’Union Européenne et pas simplement comme un instrument. Bref il leur manquait juste quelques petites choses pour parachever la victoire de leur projet: c’est ce qu’ils ont obtenu dans ce traité. Les libéraux ont gagné, obtenu tout ce qu’ils voulaient et les sociaux-démocrates qui, eux, veulent s’appuyer sur l’économie pour avoir l’union politique, pour avoir plus de coopération et de solidarité sociale, pour le moment n’ont quasiment rien obtenu! Il y avait eu un début de construction d’union politique à travers les traités de Maastricht et les traités d’Amsterdam, mais depuis plus rien! C'est-à-dire aucun pouvoir supplémentaire, aucun moyen supplémentaire pour les citoyens de déterminer les politiques européennes, aucun moyen supplémentaire pour le politique de réguler les marchés, de mettre en place une harmonisation des politiques sociales. Et donc, on est maintenant sur les questions qui fâchent, on est dans l’affrontement. Il ne peut plus y avoir de compromis, c’est pour ça que ceux qui disent: « Mais ce traité comme tous les autres est un compromis, et donc comme tout compromis il est imparfait, mais c’est un compromis », se trompent ou mentent, s’ils le font délibérément. Ce n’est pas un compromis, il n’y a que quelques avancées et quelques progrès pour l’ultralibéralisme si c’était encore nécessaire. Il n’y a, on y reviendra sans doute, aucun progrès pour la protection des droits sociaux et des services publics, aucun progrès réel pour la démocratie, si on entend par démocratie les pouvoirs qu’ont les citoyens de déterminer les politiques. Donc on n’est plus dans le compromis entre deux projets, on est dans une phase de victoire d’un projet, qui est le projet libéral du grand marché européen. Et donc il ne peut plus y avoir consensus entre les deux paris en quelque sorte, il ne peut y avoir que abdication d’un camp devant l’autre.

Je pense que ceux qui aujourd’hui disent: «  Il faut dire Oui quand même à ce traité qui est une horreur sur le plan social » sont dans le renoncement et l’abdication, parce qu’ils pensent que le rapport de force fait que de toutes façons on ne peut plus dire Non. ’est ce qu’avait écrit en quelque sorte Michel Rocard dans Le Monde, l’année dernière, en disant que le capitalisme avait gagné et que les socialistes ne pouvaient plus maintenant construire la société de leurs rêves, mais simplement se défendre à reculons, écrivait-il. Eh bien en effet, quand on se défend à reculons, on est condamner à reculer jusqu’au bout! Parce que tant qu’on est à reculons, il n’y a aucune espèce de raison, pour que les adversaires en face s’arrêtent d’avancer! Et donc s’il n’y a pas un moment ou l’on dit : « Non, on arrête de reculer, maintenant on ne reculera plus, on repart à l’offensive », bien évidemment on reculera jusqu’au bout!!

Donc il y a cette attitude de renoncement! Evidemment il y a l’autre attitude que, vous l’aurez compris, je défends, qui consiste à dire, à reconnaître que nous avons perdu une bataille, que depuis 15 ans, nous n’avons pas réussi à faire avancer l’Europe sociale, l’Europe politique, que les libéraux ont réussi à faire avancer l’Europe du grand marché. Donc il faut reconnaître que notre projet d’Europe politique et sociale a perdu, que le projet de la société de marché ultra-libérale a gagné. Michel Rocard disait que le capitalisme avait gagné; il faudrait préciser: la société de marché en Europe , ce modèle-là, est en train de gagner, a gagné provisoirement une bataille, et donc nous devons poursuivre en quelque sorte le combat, et là nous avons une occasion magnifique de donner un coup d’arrêt à cette victoire, de dire Non. Les citoyens ont le pouvoir de dire Non. Ils ont le pouvoir au moins de dire : « Nous ne voulons pas du modèle de société que vous nous avez déjà préparé depuis 15 ans et que vous voulez graver dans le marbre dans ce traité ».

 

Pascale Fourier: Eh oui, c'était donc Des Sous... et des Hommes en comapgnie de Liêm Hoang Ngoc et Jacques Généreux. En ce 1° janvier , je ne peux que vous inciter à envoyer vos meilleurs voeux aux responsables du Parti Socialiste pour leur souhaiter une bonne année 2008, en ajoutant que vous doutez qu'elle soit bien bonne si le PS voteOui à la réforme constitutionnelle... La semaine prochaine, je vous propose la rediffusion d'une émission faite en 2005 avec Frédéric Lordon qui fera peut-être se souvenir à certaines des raisons pour lequelles ils avaienteues de voter Non et du mépris dans lequel déjà on les tenait.

A la semaine prochaine !

 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 1° janvier 2008 sur AligreFM. Merci d'avance.