Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne

 

EMISSION DU 18 OCTOBRE 2005

L'OMC, une machine à libéraliser?

Avec Frédéric Viale, Coordinateur de la commission OMC/AGCS du mouvement Attac.

 

Pascale Fourier : Alors là, je suis un petit peu étonnée, mais il semble que la 6°Conférence ministérielle de l’OMC qui se réunira à Hong Kong courant décembre soit actuellement en cours de préparation; ainsi, il se tiendra une réunion du 17 au 21 octobre, et des choses graves risquent de s'y décider... Or je ne suis au courant de rien ou à peu près, et ce même en lisant les journaux. Alors je suis un petit peu étonnée…..

Frédéric Viale : C’est vrai, peut-être que dans les journaux, on n’en parle pas suffisamment... Effectivement, le Conseil général du commerce qui va préparer la réunion ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce va se réunir du 17 au 21 octobre. La réunion de l’OMC, proprement dite, elle, aura lieu, du 13 au 18 décembre à Hong Kong et il devra s’y prendre des mesures qui sont tout à fait importantes dans le cadre de la régulation du commerce, ou plus exactement de la libéralisation du commerce mondial, puisque c'est la pente qu'emprunte l’OMC depuis sa création...

Pascale Fourier : Justement, vous dites…"OMC….régulation"… - on pourrait penser effectivement que l'OMC a été créée pour réguler le commerce international- et puis juste après, dans votre phrase, vous précisez en disant: « Oui, mais cen'est pas pour ça, c'est pour libéraliser »... Alors je ne comprends pas très bien...

Frédéric Viale : En fait l’OMC libéralise! C'est pour ça qu’elle a été mise en place, dans l'esprit d'augmenter au maximum le libre-commerce, et donc d'augmenter au maximum la libre-concurrence dans le commerce international. Ça correspond à cette vieille idée libérale selon laquelle on a toujours intérêt à organiser au niveau international ce qu'on appelle la "division internationale du travail", c'est-à-dire cette idée selon laquelle le commerce libre est l'alpha et l'oméga du développement, voire du bonheur sur terre. Et l’OMC, depuis qu'elle existe, c'est-à-dire depuis 1994, met en place une libéralisation dans pratiquement tous les domaines d'activités humaines, c'est-à-dire tous ceux qui sont soumis au commerce : l'agriculture, les services, la propriété intellectuelle, les marchés non agricoles, les produits industriels...., bref, tout ça rentre dans le champ de compétence de l’OMC, et cette organisation prend, depuis 1994, des mesures qui vont toujours et systématiquement dans le sens d'une plus forte libéralisation.

Pascale Fourier : Vous dites que l'OMC tendait à libéraliser l'agriculture, les services, les produits industriels... Alors les produits industriels, je me dis: "Oui, ça fait bien longtemps qu'on essaie de faire que les droits de douane soient moins importants". Ca, je comprends....mais les services....

Frédéric Viale : Alors, les services, c'est quelque chose de tout à fait important, ça correspond à un accord de l’OMC, l'Accord Général du Commerce des Services, l’ A G. C. S, qui a été mis en place au moment de la mise en place de l’OMC, mais dont, de plus en plus, on voit la finalité , les services étant un secteur très important, un dossier tout à fait important aujourd'hui, dans le cadre des négociations.


Alors l’A G. C. S , qu'est-ce qu'il y a dedans, ? Le préambule de l’AGCS le dit clairement : "parvenir à une libéralisation maximale, de tous les secteurs de tous les services". "Libéralisation", ici, veut dire "mise en concurrence", de tous les services et de tous les fournisseurs de services quelles que soient leurs méthodes et quelle que soit leur provenance. Il y a une douzaine de secteurs qui sont ainsi définis par l’A G. C. S, et il y a plusieurs méthodes pour arriver à cette mise en place de la libéralisation. Cette mise en place de la concurrence est le coeur même du dispositif de l’A G. C. S, et je crois que c'est ça qu'il faut bien comprendre: les réglementations intérieures des Etats sont dans l'oeil du viseur. Cela signifie qu'il y a un article de cet accord, l'article 6.4, qui dit que les réglementations intérieures doivent être modifiées pour s'adapter aux règles du commerce international, et notamment ce qu'on appelle les "obstacles non nécessaires au commerce". Alors les "obstacles au commerce", on sait ce que c'est - depuis que le GATT existe, c'est-à-dire depuis 1947, on a une idée précise de ce que c'est qu'un obstacle au commerce international. Mais un "obstacle non nécessaire"??? Alors là on rentre dans le flou, dans ce qui n'est pas défini, et on donne alors à cet accord-là un champ d'application tout à fait considérable, qui va modifier réellement le type de société dans lequel nous vivons, surtout quand on réalise que, nécessairement, cet accord va s'appliquer aux Services Publics. Et à partir de là, le problème considérable de cet accord, c'est que les Etats qui participent à l’OMC, c'est-à-dire tous les Etats du monde pratiquement, les 148 Etats qui participent à l’OMC, vont être amenés à changer leurs réglementations intérieures pour pouvoir se conformer aux règles du commerce international qui deviendront supérieures à toutes les autres.

Pascale Fourier : Mais dans quels domaines précisément ?... Parce que moi je ne suis pas économiste, et ces services, je ne vois pas exactement ce que c’est …

Frédéric Viale : Alors il y a une douzaine de secteurs:ça touche aussi bien la culture, que l'éducation, la recherche, la santé, la distribution d'eau…. Ca touche 161 sous-secteurs, et au cas où on en aurait oublié, il y a un grand secteur de l’AGCS qui s'appelle « autres ». C'est-à-dire qu’en gros, l’AGCS couvre pratiquement toutes les activités humaines, sauf trois ou quatre, qui sont expressément exclues de cet accord, et qui sont l' armée, la police, la justice et l'émission de monnaie, activités qui ne font pas partie de cet accord. Tout le reste, toutes les activités humaines, relève de cet accord-là, même par exemple, des choses qui peuvent paraître tout à fait étranges pour nous: le simple fait d'amener l'électricité chez quelqu'un, c'est un service; le simple fait d'amener l'eau chez quelqu'un, c'est un service, donc ça rentre dans le cadre de cet accord; l'éducation est un service, la santé est un service, la culture, la recherche, tout cela ce sont des services et donc, ils rentrent dans cet accord. Que ce soient des Services Publics ou non d'ailleurs, puisqu'il y a deux articles, respectivement 1.3b et 1.3c, qui visent les Services Publics

Pascale Fourier : Il y a un petit truc que je ne comprends pas, parce que vous me dites: "Au total l’OMC tend à libéraliser et à organiser le libre-échange". Or ce n’est pas si mal à priori.. C'est même bien, le libre-échange... Quel est le problème ?

Frédéric Viale : « Le libre-échange, c’est bien »... Mais ça dépend du type de société que l’on veut! Et ça peut poser un problème très très sérieux, lorsqu'il est question d'essayer de mettre en place un minimum de solidarité, ou de tenter de mettre en place une certaine cohésion du tissu social.... Le libre-échange, c'est bien, sauf que l’on trouve des exemples contraires! En effet, si on prend la question actuelle du textile, la suspension de l'Accord multifibres, par exemple, a abouti à ce qu' il y ait une invasion réelle des marchés, en provenance de Chine, avec des produit qui sont fabriqués dans des conditions sociales et salariales absolument déplorables. Or, l’OMC ne fait pas la différence entre ces produits et les autres... Elle ne fera jamais la différence entre un textile fabriqué par des employés syndiqués qui travaillent dans des conditions de travail normales, et un textile qui est produit et par une chinoise, - parce qu'en général il s'agit de femmes - qui est payée entre 12 et 15 € par mois. Evidemment, puisque le libre-échange permet ce type de concurrence, ça peut effectivement aboutir à la baisse des prix, mais ça aboutit également à des déchirements sociaux et à un abaissement des conditions de travail tels que l'on se finit par se demander à qui profiterait cette baisse des prix. Si on persiste dans cet exemple de l'Accord multifibres, on en a vu les conséquences chez nous, mais, parce qu'on n'en parle beaucoup moins dans les médias on a nettement moins vu les conséquences dans des pays comme le Bangladesh, qui avait beaucoup investi dans le textile, ou des pays déjà très pauvres, comme le Pakistan, qui ont vu leur chômage augmenter d'une manière considérable du fait de l'accord sur le textile. On peut comme ça multiplier les exemples! Je pourrais vous parler des transports; je pourrais vous parler d’un tas de secteurs en perdition qui font qu'on constate que le libre-échange débridé n'est pas nécessairement une bonne chose, parce que cela aboutit nécessairement à ce que le pays qui a les entreprises les plus fortes et qui a la main sur le commerce renforce sa domination. Quant aux pays qui ont déjà des problèmes, ils en connaîtront encore davantage, tout simplement.

Pascale Fourier : Sauf qu'on pourrait vous dire, d’un certain côté, ça peut apporter à des pays comme justement l'Inde ou la Chine, ça peut leur permettre de développer une classe moyenne, et c'est bien, parce que finalement, en acceptant le libre-échange, on permet l'émergence d'une classe moyenne dans les pays du Tiers-Monde.

Frédéric Viale : Le commerce international n'est pas en soi quelque chose qui est scandaleux. Le fait de faire du commerce n'est pas scandaleux. Ca fait partie des échanges, tels qu'il existent depuis l'Antiquité probablement. Donc ça, ça n'est pas quelque chose de très nouveau. Là où ça devient problématique, c'est quand, au motif de faire du commerce international, on change les sociétés, on impose des règles à des sociétés dans des conditions qui sont profondément antidémocratiques: au motif du respect ou de la promotion du commerce international, on est en train de détruire un certain nombre de solidarités, de détruire un certain nombre d'organisations sociales, sans que jamais les gens qui sont concernés ne soient informés, ne soient simplement même consultés, sur des décisions qui sont prises ailleurs et contre eux.

Pascale Fourier : Justement, tout bêtement, qui décide pour la France au sein de l’OMC?

Frédéric Viale : il y a un mandat qui est donné par les pays membres de l'Union Européenne, et c'est le Commissaire européen qui va négocier au nom des 25 Etats au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce. D'ailleurs, c'est un problème, parce que le mandat qu'a le Commissaire actuel est un mandat qui date de 1999, un mandat ancien, un mandat flou, et il a la possibilité d'engager des secteurs de services, d'engager des secteurs d'une manière générale pas seulement des services, d'une manière extrêmement importante.

Pascale Fourier : " Engager"?

Frédéric Viale : "Engager"... je veux dire par là qu'il peut décider d'ouvrir à la libéralisation, c'est-à-dire à la concurrence internationale, un certain nombre de secteurs. Il faut que le mandat du commissaire soit modifié puisqu'il a la possibilité par exemple d’engager des secteurs comme l'eau, la culture, beaucoup de services, ce qui est parfaitement regrettable, c'est le moins qu'on puisse dire...

Pascale Fourier : Ça se passe comme ça donc: il y a un représentant Européen, non pas Français, qui pose sur la table un secteur, et qui dit: " Celui-là, je suis d'accord pour le libéraliser" ?

Frédéric Viale : Il fait plus que d’en poser un puisque, en réalité, les offres ont été faites:ça tient sur un document qui fait environ 200 pages! Il y a là un certain nombre de secteurs qui ont été proposés. Ceci dit, je ne voudrais pas vous laisser croire que les Etats n'ont pas de responsabilités dans ce qui se passe. Ce sont les Etats qui donnent mandat au commissaire!! Attention, il ne faut pas que les états disent : « Ce n'est pas ma faute, c'est l'Europe qui décide ça »!! Ce n'est pas vrai du tout!! Les Etats, dont la France, donnent un mandat en disant: "Je suis d'accord pour que vous libéralisiez tel et tel et tel secteur d'activité". Bien sûr, le Commissaire européen a évidemment une responsabilité propre, et de ce point de vue, la Commission en question est d'un activisme parfaitement détestable! Mais la responsabilité fondamentale en Union Européenne pèse sur les gouvernements et, pour la France, sur le gouvernement français!


Pascale Fourier  : Vous dites, Frédéric Viale, que le gouvernement français est, en l’occurrence, pleinement responsable des décisions qui sont prises au sein de l'OMC par son représentant européen. Ce que je n'arrive pas clairement à comprendre, c’est qui décide? Est-ce que nos parlementaires, qui sont finalement nos représentants, sont informés de ce qui est en train de se passer là-bas ?

Frédéric Viale : Non, les parlementaires sont tenus à l'écart de ces décisions. Ces décisions sont prises au niveau du Ministère de l'économie, et spécifiquement du Ministère du Commerce extérieur, c'est-à-dire en réalité que c’est l'administration, l'administration française, qui décide de la position de la France sur les questions de libéralisation, et qui donne, avec les 24 autres pays, mandat au Commissaire européen de décider. Les parlementaires ne sont pas tenus au courant, ni les parlementaires français, ni d'ailleurs les parlementaires européens. C'est dans tous les pays comme ça.

Les parlementaires ne sont pas associés à ce type de choses; on considère qu'ils n'ont pas à l'être, en tout cas ils ne le sont pas, ce qui d'ailleurs pose un réel problème de démocratie, puisque si on regarde par exemple ce qui s'est passé récemment, le 29 mai dernier. On peut dire ce qu'on voudra du résultat du référendum, je veux dire qu’on peut l'analyser de différentes manières, mais ce qui est certain, c'est que le peuple a exprimé là une défiance, - on va le dire gentiment-, vis-à-vis du libéralisme. Or, très simplement, le gouvernement qui a reçu ce message, n'en fait rien. C'est-à-dire qu'aujourd'hui la position de la France, décidée par le gouvernement, va très exactement à l'encontre des résultats électoraux du référendum. Très clairement, le gouvernement prend le contre-pied de ce qui s'est passé le 29 mai et ignore superbement le résultat du référendum. C'est d'ailleurs le fondement de la critique qu'il faut apporter à ce qui se passe aujourd'hui à l'OMC. Les positions libérales en tous les cas pour ce qui nous concerne, je veux dire dans notre pays, sont profondément illégitimes, et pourtant, ce sont celles qui sont défendues. Or, il faut bien être clair là-dessus, l'Union Européenne est un moteur:à l'OMC, rien ne se décide sans les États-Unis et sans l'union Européenne. Donc, lorsque le gouvernement français donne un mandat avec 24 autres pays de libéraliser, il prend en une responsabilité qui est tout à fait colossale, et qui va d'ailleurs à l'encontre des principes démocratiques de base.

Pascale Fourier : Intérieurement, je me disais : " Mais il y a des les contre-pouvoirs! ", en tout cas il est censé y avoir des contre-pouvoirs dans ce pays: il y a une opposition, des médias,….et pourtant je n'apprends rien sur ces tractations au sein de l’OMC.,

Frédéric Viale : Alors là vous dépassez complètement la question de l’OMC... On est ici sur le problème du fonctionnement de la démocratie, et c'est vrai que ce genre de questions n’affleure pas, n'est pas réellement dans les médias. Il faut vraiment attendre le tout dernier moment pour que l'on en parle réellement, alors que ce sont des questions qui sont absolument fondamentales. On a un problème avec les médias. C'est quelque chose qui n'est pas tellement nouveau: on l'a vu au moment de la campagne référendaire. On a eu des médias « en tenue de campagne » pour le Oui … Il est parfaitement logique aussi qu' ils ne s'occupent pas de nous dire des choses, qui, par ailleurs, sont un petit peu compliquées, ne sont pas tellement spectaculaires, etc. etc….. Mais c’est vrai aussi que le gouvernement français, la Commission européenne, fait absolument tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas donner l'information. Alors là, c'est très clair! On est obligé de se battre vraiment pour avoir l'information. Pour vous dire, les offres, à Attac, on a été trois à pouvoir les lire, et on disposait de 2 h 30 pour ingurgiter un « pavé » à toute vitesse, un pavé de deux cents pages et écrit en anglais de surcroît! Vous voyez un peu le genre d'information, et comment elle circule...


Mais il y a plus grave encore, les parlementaires n’ont jamais décidé de ce qui va être offert! Au moment où le traité de l’OMC, (qui avec l'ensemble des traités, fait une trentaine de milliers de pages avec toutes les annexes) a été soumis au Parlement en 1994, ils l'ont reçu un jeudi, et ils ont voté le mardi suivant! Est-ce que vous croyez qu'ils ont lu tout ça? Bien sûr que non!.. Et pourtant ils ont voté. Donc, il y a véritablement un problème...

Pascale Fourier : Eh oui, c'était bien des sous des hommes, en compagnie de Frédéric Viale que nous nous retrouverons justement la semaine prochaine. Voilà, à la semaine prochaine donc, et si vous voulez écouter les émissions Des Sous... et des Hommes, je vous rappelle que vous les trouverez sur notre site : www.des-sous-et-des-hommes.org



 

Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 18 Octobre 2005 sur AligreFM. Merci d'avance.