Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
EMISSION DU 21 MARS
2006
L'Europe et l'AGCS
Avec Frédéric
Viale, coordinateur
de la commission OMC/AGCS à Attac. |
Pascale Fourier : La semaine dernière, vous nous aviez parlé de la réunion ministérielle de l’OMC qui s'était tenue à Hong Kong en décembre dernier. Vous nous aviez parlé d'offres et de demandes... Mais avec ma célèbre comprenette un peu lente, je n'ai pas toujours très bien compris exactement ce qu'étaient les demandes. Vous aviez dit que des demandes avaient été faites en février dernier et que les USA et l'Union Européenne avaient une grande part dans ses demandes. Et ce que vous pourriez nous expliquer, en développant plus ? Frédéric Viale : En fait, il s'agit surtout, en ce moment, de négociations sur les services, c’est-à-dire tout ce qui touche l'éducation, la santé, la culture, les services aux entreprises, le conseil etc. ce qui concerne 70 % du PIB. Actuellement une série de demandes est faite, de demande d'ouverture de secteur, c'est-à-dire que certains pays demandent à d'autres d’ouvrir leurs secteurs de services. Et, pour accélérer le mouvement de libéralisation des services, puisque les pays considéraient que c'était un peu lent, les pays, sous la pression des grands lobbys internationaux, ont décidé de créer des groupes de pays qui proposent des listes d'ouverture, c'est-à-dire des demandes. Un certain nombre de demandes sont arrivées en matière d'éducation, de services aux entreprises et de services financiers. Ces demandes ont été faites par une douzaine de groupes de travail qui sont présidés par des « pays- amis » entre guillemets, amis de la libéralisation. Tout cela a l'air un peu anodin: on a l'impression que ce sont des groupes de travail de gens qui se réunissent autour d'une table et qui font des listes comme ça, sans que ça aille très loin. Pas du tout ! C'est tout à fait important, parce que ce sont des demandes qui vont très loin. Et il faut bien savoir qu'à partir du moment où des pays formulent des demandes, ils sont prêts à accepter la contrepartie, c'est-à-dire la libéralisation de niveau équivalent chez eux, puisque c'est un principe de donnant-donnant. Ces listes de demandes sont de niveau important, « ambitieux » comme on dit dans le jargon, ce qui veut dire que les libéralisations et les ouvertures des pays qui formulent ces demandes sont importantes. Il faut bien voir là-dedans, que comme d'habitude à l’OMC, l'Union Européenne et les États-Unis, - et l'Union Européenne en premier lieu - , ont formulé dans tous les secteurs concernés dans cette première phase des demandes d’un niveau très élevé.
Frédéric Viale : Oui, c'est le principe. C'est dans les statuts de l'Organisation Mondiale du Commerce : arriver au plus au niveau possible de libéralisation de tous les secteurs. Ca veut dire libéralisation, ouverture très forte,et ça veut dire en fait que les capitaux pourront s'investir là où ils le désirent, aux conditions qui leurs sont le plus favorable. Cela implique une mise en concurrence des salariés entre eux, à travers dans le jargon ce qu'on appelle « le mode 4 » de l'Accord Général sur le Commerce des Services, et là-dessus un certain nombre de demandes ont été faites. Cette libéralisation suppose une ouverture à tous les prestataires de services du monde entier. Tout cela a pour conséquence de rendre impossible pratiquement l’existence d'un secteur de service public qui soient à peu près cohérent. Ça rend aussi à peu près impossible toute intervention de la collectivité publique dans l'économie puisqu' en fait tous les secteurs de services dont on parle depuis tout à l'heure sont soumis à une logique marchande. En fait, la libéralisation aboutit nécessairement, du fait de la mise en place des règles du marché, à la privatisation, au fait que les services publics sont réduits à la portion congrue. Voilà ce qui est recherché. Alors pourquoi c’est recherché ? Pourquoi cette demande frénétique d'ouverture, de libéralisation ? Eh bien parce qu’en fait les détenteurs de capitaux, c'est-à-dire ceux qui ont véritablement des capitaux entre les mains, des capitaux importants, ont besoin de trouver des marchés: ils ont besoin de débouchés. Un capital qui ne rapporte rien, ça n’a pas de valeur, il faut qu'il y ait des marchés. Or, il se trouve que de nombreuses activités, y compris dans nos pays, échappent aux règles du marché. La santé échappe largement encore aujourd'hui aux règles du marché, l’éducation, une partie de la culture, etc., etc. Tout cela fait qu' il y a dans cette recherche de débouchés la volonté de la part de l’OMC en façade et en réalité derrière des lobbys qui œuvrent pour obtenir ces ouvertures une recherche de nouveaux débouchés, et donc la volonté de faire sauter un certain nombre de verrous politique, institutionnels, Cela passe à travers les négociations qu'on connaît actuellement, les négociations qui donc sont en phase d'accélération très forte. C'est à peu près tous les jours, où tous les trois jours qu’on a des nouvelles qui vont dans le sens de ce que je vous dis à l'instant.
Frédéric Viale : En fait, c’est bien le problème qui a été constaté par la plupart de ceux qui font fonctionner l’OMC, et notamment des grands Etats, et au-delà des grands Etats encore une fois les lobby qu'il y a derrière, notamment le lobby européen des services qui s'appelle le Forum Européen des Services et la coalition américaine des entreprises de services, qui sont des très grandes lobby qui regroupent à eux deux environ 200 entreprises de taille mondiale concernant les services. Dans le cadre de l’OMC, depuis 10 ans que l’OMC existe, ça patine... Objectivement, ça ne va pas bien vite... Le temps de mettre tout le monde d'accord, c'est très compliqué. Parce qu'il y a des Etats qui ont un niveau de développement très élevé, et d'autres qui ont un niveau de développement très faible, qui de surcroît sont endettés, qui réclament des mesures pour le développement, etc. Là, en fait, ce qui est en train de se passer, c'est que l’OMC a tellement été critiquée à l'extérieur - par les populations, les altermondialistes, les paysans qui se prennent les choses en pleine tête - , mais également de l'intérieur - ça ne va pas assez vite pour les entreprises transnationales - que l’OMC est en train de jouer une espèce de va-tout politique. Va-t-elle parvenir, avant 2007, qui est la date à laquelle le président des États-Unis perd la possibilité de négocier des traités internationaux, à faire quelque chose concernant les services ?
Donc les enjeux sont véritablement de taille. Et ils le sont d'autant plus que ce sont des secteurs, des choses qui sont extrêmement techniques, compliquées, et qu'il est donc difficile de surcroît de mobiliser sur des sujets comme ceux-ci.
Frédéric Viale : Je ne suis pas très certain que la Commission Européenne, les institutions européennes soient très attachées aux services publics. Il y a beaucoup de signes qui montrent le contraire, aussi bien à l'intérieur des politiques de l’'Union Européennes, que vis-à-vis des offres qu’elle fait à l’OMC. Le 28 février par exemple, l'Union Européenne a fait un certain nombre de demandes, et elle a dit que de toute façon elle ne faisait pas de demandes sur l'éducation, la santé, etc. Ça, c'est son discours officiel. Quand on gratte et quand on regarde un peu le détail, eh bien on s'aperçoit que, sur un certain nombre de points comme par exemple les fournisseurs contractuels de services qui concernent le dentaire, le vétérinaire, la santé, eh bien il y a des demandes qui sont faites. Dans ces conditions-là, est-ce que l'Union Européenne est en train de sauvegarder les services publics ? Non.
Frédéric Viale : Je crois que c'est très important effectivement de démystifier tout le discours de la France, de l'Union Européenne, vous savez, avec les flonflons derrière, qui acquiert des parts de marché qui seraient forcément bénéfique pour l'ensemble de la population. Comme s' il y avait un signe d'égalité entre cette opération qui consiste à acquérir des parts de marché à l'extérieur et le bien-être général. Alors, il est vrai, et Gérard Duménil en a parlé dans une émission précédente que vous avez faite avec lui, il est vrai qu'on peut essayer de voir si en économie, il n'y a pas des retombées, c'est-à-dire si une entreprise qui se développe à l'étranger, rapatriant ses bénéfices, crée ou pas sur place des emplois, ou en tous les cas des richesses, et permet une certaine diffusion de cette richesse dans l'économie. La réponse est sans doute mesurée. Parce qu'il faut bien voir que les réels bénéficiaires de ces ouvertures à l'exportation, ce sont des entreprises déjà largement installées, des entreprises très fortes, qui ont des capacités en termes de surfaces notamment financières, a résister aux grands vents du large international, et qui donc sont des entreprises qui ont un actionnariat, qui n'est ni français, ni européen, ni américain, ni rien. Ce sont des actionnariats tout à fait anonymes. Et les bénéficiaires des retombées, c'est-à-dire ceux qui parmi les actionnaires touchent des dividendes, les dépensent là où ils veulent... Ca ne fait pas un modèle de développement, ni pour nos pays, ni pour les pays qui sont visés par ces libéralisations. Et si on essaie d'aller plus loin et de voir ce que recherche réellement l’Union Européenne, il faut se rappeler que les choses ont été dites très très clairement en 2000, au moment de fixer ce qu'on appelle « l'agenda de Lisbonne » : il s'agit de faire de l'Union Européenne la zone la plus compétitive du monde à l'horizon 2010. Qu'est-ce que ça veut dire « la zone la plus compétitive du monde » ? Eh bien ça veut dire tout simplement, qu'il va s'agir de faire baisser le coût du travail. Parce que le coût du capital ne baissera pas : les actionnaires n'ont pas du tout l'intention de voir baisser leur rémunération. Non. Il s'agit de faire baisser plus exactement la rémunération du travail, et on le voit à travers les offres que fait l'Union Européenne dans le cadre de l’OMC sur le mode quatre. Alors ça, ça ne relève pas seulement des demandes qui ont été faites le 28 février, mais des offres qui sont antérieures, qui ont été publiées dans un document à diffusion restreinte où on voit que dans quatre domaines l'Union Européenne est prête à permettre que des personnels soient transférés d'un pays à un autre, dans des conditions qui ne sont certainement pas favorables ni au droit du travail, ni à la rémunération de ses personnels. Dans un premier temps, ce qui est visé dans l’AGCS, ça concerne les personnels de haut niveau de formation. Mais c'est toujours la même chose : dès lors que le pied est passé dans la porte, le reste suit. Pour l'instant, il s'agit seulement de faire des propositions sur des personnels qualifiés. Plus tard, on verra si on ne va pas pouvoir descendre un peu la barre et appliquer en quelque sorte une sorte de Bolkestein mondial. C'est là-dessus qu'il faut que nous combattions. C'est là-dessus véritablement parce que, au nom de cette espèce de recherche de marchés à l'extérieur, l'Union Européenne est en train simplement de brader notre système social. En toute simplicité. Pascale Fourier : Qu'est-ce que peuvent faire les gens ? Est-ce qu'on peut écrire à nos députés ? Est-ce qu’ils sont concernés par ca ? Frédéric Viale : Ils sont largement concernés. Il y a des campagnes qui ont commencé depuis fort longtemps, des collectivités qui se sont déclarées hors AGCS. Evidemment, en France en tous les cas, ça a une portée symbolique,mais également politique, fortement politique. Quand vous avez 20 régions sur 21 ou 22 que compte la France, qui se déclarent hors AGCS, quand vous avez 800 collectivités locales qui se déclarent hors AGCS, quand vous avez des Italiens, des Espagnols, des Allemands des Belges,des Canadiens en nombre qui disent qu'ils ne veulent pas de l’AGCS, eh bien les gouvernements ont un problème politique. Et là il s'agit d'accentuer ce problème politique. Nous avons l'intention de demander à nos militants d’Attac mais aussi à tous les citoyens d'insister auprès de leurs élus pour qu' ils se manifestent une nouvelle fois auprès des autorités publiques pour dire qu'ils refusent l’AGCS. Il ne faut jamais oublier que l’OMC, c'est un forum d'États. Ce qui s'y décide, c'est ce que veulent les gouvernements: le gouvernement français, le gouvernement espagnol, italien, allemand, etc. Et qu'on ne vienne pas nous dire que c'est l'Union Européenne qui impose ça !! Non. L'Union Européenne a un mandat pour agir. Elle n'agit que par mandat : nous avons donc la possibilité de d'agir sur nos gouvernements !
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Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l'usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous...et des Hommes du 21 Mars 2006 sur AligreFM. Merci d'avance. |